dimanche 15 décembre 2013

Racisme, intelligence et créativité


L'étude suivante a été publiée en décembre 2012 dans la revue scientifique Psychological Science. Pour la première fois en effet, nous avons la preuve ferme, scientifique et définitive que le racisme rend crétin. On sait d'où viennent les théories racistes et qu'elles ne sont pas plus fondées en raison que par la science. Mais que savait-on, à l'inverse, des effets que le racisme provoque sur nous? En d'autres termes, le fait d'être raciste peut-il avoir un impact sur notre comportement? C'est la question que s'est posée le psychologue israélien Carmit Tadmor qui a mesuré l'influence des croyances racistes sur la créativité des individus.  Le racisme rend bête, tue la créativité et cette étude nous permet de comprendre un peu mieux pourquoi bêtise rime souvent avec préjugés, mais aussi pour quelles raisons les esprits les plus brillants, sont aussi les plus ouverts.
Stéréotypes et conditionnement

Racisme, créativité, a priori, ces deux notions n'auraient rien à voir. Et pourtant.... Carmit Tadmor et ses collègues suggèrent que la mentalité propre au racisme, implique une forme de fermeture d'esprit dont les effets pourraient se ressentir ailleurs, par exemple sur la créativité. Les considérations racistes impliquent notamment de classer les gens par catégories et de penser par stéréotypes.

Leur idée de départ serait donc que, plus quelqu'un adhère aux théories racistes, moins cette personne serait créative. Pour voir s'il y a un réel lien de cause à effet, ils se sont livrés à plusieurs expériences en Israël, mais aussi aux Etats-Unis.

Dans la première expérience, Tadmor et ses collègues ont divisé les participants -72 étudiants israéliens- en trois groupes, qu'ils ont conditionné à adhérer ou pas aux théories racistes. Comment? En leur faisant croire que le racisme était scientifiquement fondé ou pas par la lecture d'un article scientifique.

Ils ont donc fait lire aux étudiants du premier groupe un article factice allant dans le sens des théories racistes. À ceux du second groupe, ils ont donné un véritable article opposé à ces théories. Quant aux participants du troisième groupe, ils ont pu lire (ô joie), un article scientifique sur l'eau.

Certes, la lecture d'un unique article ne saurait pas convaincre un individu de telle ou telle théorie. Cependant, il a été montré que certaines croyances, et l'état d'esprit qui va avec, peuvent être expérimentalement activées, ce à quoi sert ici la lecture de ces articles. Mais retournons à l'expérience en question.

Test de créativité

Après ces lectures, les participants ont ensuite tous été soumis, dans le cadre d'une étude qu'on leur a dit être différente, à un test de créativité appelé le Remote Associates Test (RAT).

Derrière ce nom complexe se cache un principe très simple, il s'agit de trouver quel mot est le point commun entre plusieurs autres termes.

Par exemple, à la question: quel mot associer aux termes "ping pong", "manger" et "cartes"? La bonne réponse serait le mot "table" (table de ping pong, manger à table, cartes sur table). Pour réussir ce test, il faut faire preuve d'un minimum de créativité, trouver les bonnes associations, bref avoir un peu d'imagination.

Une fois ces exercices terminés, les participants ont dû remplir un questionnaire visant à évaluer leur degré de croyance aux théories racistes afin de pouvoir comparer leurs résultats au test à leur degré de croyance en ces théories.

Le résultat est sans appel. Les participants du groupe qui avait dû lire l'article raciste ont eu des scores moins bons que les autres.

Fermeture d'esprit

Alors que se passe-t-il vraiment? Comment expliquer que les racistes aient moins bien réussi les tests de créativité?

Pour le savoir, Tadmor et ses collègues ont soumis deux nouveaux groupes de participants, américains cette fois-ci.

Le premier était constitué de caucasiens, le second d'américains d'origine asiatique. Chacun de ces deux groupes a été soumis au même principe que pendant la première expérience. Divisés en trois sous-groupes, les participants du premier ont été conditionnés par la lecture d'un article raciste, les seconds par celle d'une étude non raciste, ceux du troisième par un article neutre.

Comme dans la première expérience, ils les ont ensuite soumis à un autre test de créativité.

Ici, c'est le problème dit de Duncker qu'ils ont dû résoudre. Mis au point en 1945, ce test a fait ses preuves en tant que mesure de la créativité. Pour faire simple, c'est une sorte de casse-tête pratique. L'idée? Trouver le moyen à l'aide d'une bougie, d'une boîte d'allumettes et de quelques épingles, d'attacher la bougie à un mur.

A priori, cela semble très compliqué. En réalité, cela ne l'est pas, mais nécessite néanmoins de penser ces objets autrement et notamment la boîte d'allumette qui, accrochée au mur à l'aide des épingles, va servir de reposoir à la bougie. Ce n'est pas clair? Un coup d'oeil à la vidéo ci-dessous vous permettra de bien visualiser le principe de cet exercice.

Dernière étape de l'expérience, les participants des deux groupes ont dû remplir plusieurs questionnaires. Le premier a servi à évaluer leur degré de racisme. Le second à leur fermeture d'esprit, laquelle en psychologie n'est pas un concept vague, mais au contraire très précis et mesurable grâce à une échelle mise au point par les psychologues Webster et Kruglanski.

Une nouvelle fois, les résultats de ces expériences sont univoques.

Dans les deux groupes, les participants qui ont été conditionnés par la lecture d'un texte avalisant l'essentialisme raciste ont été moins créatifs que les autres. Mais leur score a été aussi moins bon sur l'échelle de la fermeture d'esprit, ce qui tend à indiquer que penser de façon raciste a pour conséquence de façonner la manière dont nous considérons non pas seulement les hommes, mais l'ensemble de l'environnement qui nous entoure.

Un comportement qui nous nuit

Pour le dire plus simplement, le racisme n'est pas qu'une idée fausse, c'est aussi un comportement qui nous nuit.

Alors que nous apprend vraiment cette étude? Premièrement, qu'on peut inverser le raisonnement. Si le racisme rend crétin en ce qu'il nous pousse à catégoriser le monde qui nous entoure, c'est aussi en catégorisant, en refusant de voir au-delà du stéréotype qu'on devient raciste.

Deuxièmement, ce qui est valable pour le racisme l'est certainement pour d'autres comportements qui tendent à user de stéréotyper et à catégoriser à outrance. Plus qu'une banale étude comportementale, cette étude peut donc être lue comme un véritable éloge de la curiosité aux débouchés pratiques.

Face à un problème à résoudre, une situation inextricable, peut-être que la meilleure solution serait donc de prendre les devants. Rester attentif, être ouvert, penser contre soi, faire de la curiosité une habitude, se remettre en question, voilà quels pourraient être le meilleur garde fou face à certaines tendances de notre esprit. Au final, nous n'apprendrons donc rien que nous ne sachions déjà depuis plus de trois siècles. Mais rien, non plus, qui ne soit inutile de rappeler.

N'en faites cependant pas trop tout de même. Nous en parlons aussi souvent ici, de nombreuses études montrent que pour rester éveillé, rien de tel que de rêvasser, faire du sport ou sortir pour une balade en forêt. Un peu comme si le cerveau était un poumon, qui avait lui aussi besoin d'air pur pour ne pas s'étouffer, ou pire, s'intoxiquer.
 http://www.huffingtonpost.fr/2013/01/15/pourquoi-le-racisme-a-une_n_2478690.html

Les mobiles inconscients du racisme

La tentation raciste sommeille au cœur de chacun. Affirma­tion brutale, provocante — mais aussi inquiétante — qui traduit l'extraordinaire dynamique affective qu'engendre chez l'individu la conscience de soi-même et de ses différences avec autrui. Le racisme est en effet, avec ses contradictions et ambiguïtés, refus de l'autre.

La personnalité raciste apparaît sous les traits de l'autorita­risme. Peu enclin à l'introspection, le raciste entretient avec les autres des relations dépourvues d'affectivité, au contenu pauvre et très conventionnel. Conformiste, il est avide d'un pouvoir qui donnera libre cours à son intolérance et à son agressivité. Car c'est bien celle-ci la composante la plus apparente de sa démarche.

Pour la justifier, le raciste accentue les différences qui le séparent de l'Autre. Que celles-ci soient minimes ou grandes, réelles ou imaginaires, elles sont immédiatement généralisées. Un juif est-il avare ? ils le sont tous ; ce n'est pas un Arabe qui est paresseux, mais tous les Arabes. Ce qui n'exclut pas d'avoir généralement son bon juif ou son bon Arabe pour se donner bonne conscience. Situation commode pour le raciste qui trouve, dans l'infériorité supposée de l'autre, compensation à sa propre médiocrité.


Les conditions d'élaboration de cette personnalité en expli­quent la nature. Toute personnalité se définit de manière pro­gressive autour d'un point d'équilibre entre les multiples con­traintes psychologiques que subit la conscience. L'instabilité est telle que le refus de l'Autre constitue la meilleure barrière de protection. C'est dire que selon les individus et leur niveau d'équi­libre, l'aptitude à résister ou à céder à la tentation raciste est plus ou moins grande. Que de frustrations en effet depuis la pre­mière d'entre elles qu'est le sevrage ou la séparation de la mère ! Inhérentes à la vie familiale, à l'éducation, elles engendrent inévi­tablement une réaction de révolte. Cette agressivité — elle-même intériorisée — est porteuse d'énergie affective que des soupapes de sûreté projettent sur certains objets. Parmi ceux-ci figurent les différences de l'Autre, surtout s'il appartient à une « race maudite » historiquement admise.

Le refus de la différence apparaît dès lors Refus de Soi-même détourné sur l'Autre pour préserver sa propre personnalité. Transfert d'agressivité qui justifie d'accuser l'Autre, devenu vic­time, car porteur d'une menace supposée. Selon les impulsions personnelles et le milieu culturel, l'agressivité se porte préfé­rentiellement sur le juif,  le musulman, l'homme de couleur ou un autre.

Véritable haine de la différence, le racisme traduit non l'am­pleur réelle des disparités mais la conscience qu'a l'intéressé de sa propre faiblesse.


La tentation raciste est à la mesure d'un Moi demeuré pri­mitif, peu différencié, submergé sous la pression des conflits où la réalité le jette. Dans une perspective freudienne, elle inter­fère au plus profond de la sexualité et exprime un fantasme d'auto- engendrement. Y a-t-il meilleur témoin de celui-ci que la pureté du sang volontiers invoquée par le raciste ? Démarche liée au besoin obsédant de nier sa propre castration — donc ses limites — et apparentée au désir inconscient de retour à l'état prénatal. Rien d'étonnant alors à ce que l'homme d'une autre race, incarnation de la différence par son seul physique, réveille l'idée redoutée, et sans cesse refoulée, de la mère interdite au désir et donc de l'impossible toute-puissance. Charge affective énorme ainsi transférée sur la race d'où l'extraordinaire dynamique et le succès facile des thèses racistes.

Cet autre dont les différences avivent le désir interdit porte la responsabilité d'une angoisse qui se retourne contre lui. Il incarne l'animalité la plus vile ; il doit expier et disparaître. C'est la condition pour que le raciste soit libéré de sa propre angoisse. D'où l'étonnante vitalité destructrice du racisme dont les géno­cides arménien et nazi du XX° siècle sont une tragique illustration.

L'analyse psychologique, même sommaire, fait apparaître une tentation raciste profonde, menace constante et pernicieuse, tou­jours prête à s'éveiller. Il est facile de se proclamer antira­ciste ; sans doute est-il plus malaisé de ne pas être raciste.

De l'Ethnocentrisme au Racisme militant

Tout comme l'individu, le groupe tient à affirmer son identité face aux différences anthropologiques et culturelles qui le sépa­rent des autres collectivités. Ainsi s'établit entre les groupes une véritable surenchère de qualité qui les conduit à se proclamer collectivement et individuellement les meilleurs.

Cet ethnocentrisme est une attitude universelle mise en évi­dence dans les sociétés les plus primitives : les Cheyennes ne se désignent-ils pas eux-mêmes d'un mot signifiant « êtres humains » tout comme les Indiens Guayakis s'intitulent Aché ou «  personnes », les uns et les autres exprimant ainsi un sentiment de supériorité, peut-être vague mais certain.

Difficilement maîtrisable, inhérent à la nature profonde des hommes, l'ethnocentrisme n'est en soi guère dangereux. Il ne fait que traduire un refus collectif des différences aboutissant à une méfiance de « l'étranger » sans intention véritablement agressive. Le comportement de certaines tribus nomades d'Amazonie, qui évitent de se rencontrer dans leurs déplacements en est l'illus­tration.

Mais l'ethnocentrisme — s'il n'en est pas la condition suffi­sante — porte en germe une condition nécessaire du racisme. Que les disparités culturelles soient rapportées à la nature bio­logique des individus — même si cette interprétation est imagi­naire, sans fondement — et le refus de la différence prend une tout autre signification ; voici franchi le pas qui conduit à l'idéo­logie raciste. Le contenu de celle-ci inventé, les fantasmes sont élaborés au nom d'une prétendue supériorité héréditaire du groupe. Fort heureusement, le passage de l'ethnocentrisme au racisme n'a lieu que sous certaines conditions.


Il faut en effet que l'ambiance valorise les différences pour que s'explicite ouvertement la démarche raciste. L'histoire nous montre le racisme est toujours étroitement imbriqué à son déroule­ment ; les inévitables tensions qui la jalonnent constituent en effet le bouillon de culture propre à son émergence. Ces épiphé­nomènes servent de révélateurs au racisme social latent qui rapi­dement détourne désirs de révolte et haines de leurs objectifs premiers pour les diriger sur une minorité bouc-émissaire.


Que des antagonismes religieux aient ainsi pu amorcer cer­tains racismes n'a pas lieu de surprendre. Sans doute l'antisé­mitisme est-il né d'un anti judaïsme religieux ; mais les théologiens ont abandonné leur mise en cause et leur racisme anti juif demeure.


En fait, c'est dans les domaines socio-économique et surtout culturel que se situent les facteurs révélateurs.

Le racisme est-il un substitut à l'opposition des classes dans la société ? Telle est du moins l'opinion des marxistes qui y voient un dérivatif dont use la « classe dominante » pour imposer son idéologie. Interprétation excessive sans doute mais qui a l'avantage de souligner la composante socio-économique de l'agres­sivité raciale. D'ailleurs, même s'ils ne la partagent pas, tous les sociologues s'accordent pour faire des contraintes sociales des révélateurs du racisme ; les individus « exploités » ou simple­ment « frustrés » tournent toujours leur agressivité vers les mino­rités sans défense. L'Allemagne hitlérienne polarisa la révolte, née de la crise économique, contre les juifs tenus pour en être responsables. Même perfidie chez les exploitants d'Afrique du Sud ou d'Amérique qui cachent une politique de profit derrière l'alibi du racisme anti noir. Il en est de même en Europe aujourd'hui pour le racisme anti musulman, anti arabe et anti noir.


Ce sont surtout les oppositions culturelles qui révèlent le racisme

Toute culture implique un mode de vie, un système de référence. L'un et l'autre contribuent à définir l'identité du groupe qui en fait — non un acquis — mais une propriété de nature et s'efforce de la préserver. Toute confrontation des cultures, cata­lyse le souci de protection du groupe et peut ainsi induire le racisme. Mais à l'inverse, et de façon assez curieuse, la dilution des cultures dans l'égalitarisme croissant des sociétés modernes fait également naître un racisme, témoin du désir de préserver le groupe d'une homogénéisation susceptible de gommer ses particularités propres. C'est en ce sens qu'on a pu qualifier le racisme de « fruit du siècle des lumières », image qui n'est para­doxale qu'en apparence.


Au total, il apparaît que les mécanismes psychologiques du racisme échappent par nature à toute possibilité de maîtrise défi­nitive. Le racisme s'enracine dans l'inconscient pour des motifs qui tiennent à l'histoire affective de l'individu. Motifs obscurs mais qui n'en sont que plus puissants, empêchant le raciste de renoncer à sa démarche même s'il en perçoit intellectuellement la faus­seté. Il plonge par ailleurs au plus profond de la culture des socié­tés servant de réponse aux frustrations qu'elles secrètent.


Gardons-nous donc de verser dans l'utopie. Tout autant que nier l'évidence, il est vain d'espérer la disparition du racisme. Il faut au contraire compter avec la menace constante qu'il fait peser sur le monde.
Face au danger, on se doit de poursuivre un combat inlassable. Non seulement en dénonçant devant l'opinion tous les faits de racisme, si mineurs soient-ils, mais par une mobilisation des esprits, une vigilance de tout instant, un effort personnel continu afin que — dans le respect de l'altérité — se transmette d'homme à homme un message de fraternité. http://www.ledifice.net/P035-3.html