jeudi 10 juillet 2014

Affaire BNP : les Etats-Unis coupables d’abus de pouvoir, par Michel Rocard


Dans un monde où la nouvelle économie américaine s’est construite sur le pillage, par les Etats-Unis, des droits incorporels et des données personnelles en Europe et où l’antienne n’était pas ennemie de pratiques corruptives, les Etats-Unis de la manifest destiny (« destinée manifeste » qui prête une mission civilisatrice à l’Amérique) et du puritanisme (cette version anglo-saxonne du protestantisme revu par les hommes de loi), prodiguent les sanctions aux entreprises européennes d’une façon de plus en plus effrénée.

Sur le mode du « moi aussi moi aussi », les politiciens locaux jouent des coudes pour montrer à leurs électeurs qu’ils ont leur part du gâteau et qu’on ne plaisante pas avec les nouveaux cives romani. A cet assaut de démagogie BNP Paribas doit payer 2 milliards de dollars de plus [que ce que l’on escomptait] pour des infractions, qui, essentiellement fédérales, ont été tordues en tout sens pour en faire émerger un délit de droit commun permettant de satisfaire un Benjamin Lawsky [à la tête du Département des services financiers de l’Etat de New York, qui à lancé la charge contre BNP], jusqu’alors inconnu.

Pour extraire l’impôt des victimes, deux armes de poing sont utilisées : le Foreign Corrupt Practices Act (« loi anti-corruption »), l’International Emergency Economic Powers Act et le Trading with the Enemy Act (« législations sur l’embargo »), toutes deux avec la même dose de mauvaise foi.

Nul n’osera s’opposer à la lutte contre la corruption. Il faut donc du courage, dans ce concert de tartufferie, pour dire ce qui relève néanmoins de l’évidence : dans un système asymétrique où les Etats-Unis disposent de tous les moyens politico-militaires (le « parapluie américain ») pour faire prévaloir leurs entreprises, l’idée qu’il fallait un traité anticorruption pour restaurer une égalité (leveling the playing field) qui aurait disparu au détriment de celles-ci relevait de la farce. Lorsque, sous les prétextes les plus futiles (ainsi un e-mail passé entre le Monténégro et l’Allemagne par un réseau de fibres américaines), Washington prétend déférer à sa justice des affaires de corruption internationale sans le moindre rapport avec les Etats-Unis, les bornes sont dépassées.

LE DOLLAR, COURROIE DE TRANSMISSION AMÉRICAINE


Il en va de même en matière d’embargos. Les Etats-Unis financent leurs déficits aux frais de la planète et utilisent de surcroît la prétendue « monnaie universelle » comme la courroie de transmission de toutes leurs politiques, voire de leurs aversions (Cuba, etc.), qu’ils imposent au reste de la planète. Un embargo est fait pour interdire les contacts entre deux économies : Washington, par ce qui relève d’un véritable détournement de pouvoir international, utilise l’embargo pour empêcher les contacts entre les économies des tiers et celles de ses ennemis. C’est ce qu’ils reprochaient à l’Angleterre de leur faire subir durant la guerre de 1812.

Jour funèbre parce que, quelle que soit la dette de 1944, c’est une autre forme d’occupation que nous voyons se développer. Les moyens de la puissance sont plus subtils à Washington qu’à Moscou (l’économie et non les territoires), mais la finalité n’est pas la défense d’un backyard(« arrière-cour »), somme toute pluriséculaire (l’Ukraine), mais une sorte d’empire universel façon Habsbourg : Americae est imperare orbi universo (« la destinée de l’Amérique est de diriger le monde »).

Funèbre aussi parce que l’Europe n’a pas de Richelieu. Depuis une décennie que ce terrorisme a commencé, pas un homme politique européen n’a élevé la voix. L’Union européenne et la France, sous ses ministres successifs des affaires étrangères, en ont au contraire rajouté sur Washington. Là où la législation américaine laisse au président la flexibilité requise pour accorder des exemptions à tous les entrepreneurs américains qui veulent exporter à Cuba ou en Iran, l’Europe, tombée dans le piège, durcit les embargos à qui mieux mieux, et n’a pas jugé utile d’incorporer cette indispensable soupape de sécurité à son dispositif. Les exportations américaines vers l’Iran n’ont donc cessé de croître tandis que Washington obligeait les Européens à couper les relations économiques et financières avec ce grand pays.

DANS L’AFFAIRE BNP PARIBAS, PARIS TEND L’AUTRE JOUE


Ce qui vient de se passer sonne à terme le glas de l’universalité du dollar. Nous en sommes cependant encore loin et l’urgence du moment est de rappeler les Etats-Unis, au besoin fermement, à la raison. A cet égard, le traitement politique de l’affaire BNP Paribas a donné le spectacle de tout ce qu’il ne fallait pas faire.

Se réveillant au dernier moment (c’était il y a des années qu’il fallait agir), les autorités françaises ont enfourché le mauvais cheval, appelant à la modération, là où c’est pour le principe qu’il fallait se battre. Comment un président des Etats-Unis aussi indifférent à l’Europe que Barack Obama aurait-il senti une contrainte là où le président François Hollande a pu l’entendre, à Washington, menacer les entreprises françaises prospectant l’Iran sans élever la moindre protestation ?

Pis, la France, tendant l’autre joue, a dans l’affaire BNP Paribas mis ses moyens judiciaires à la disposition des Etats-Unis, là où la nature politique des poursuites lui aurait permis de ne pas le faire. Bruxelles, où les Etats-Unis ont compris que le droit est un instrument de pouvoir, a négocié des traités d’entraide empreints d’angélisme et dont les Américains ne conçoivent du reste le fonctionnement qu’à sens unique. Il faut remettre en question ces traités. Il faut se mettre en situation de rendre coup pour coup.

Mais au-delà de la riposte que Washington rend hélas inévitable, c’est aussi notre droit international qu’il faut revoir. Un droit, celui des années 1920 (c’est l’arrêt Lotus), qui laisse chaque Etat libre de définir comme il l’entend sa compétence pénale internationale et de l’asseoir sur le rattachement le plus infime, n’est plus adapté à un monde globalisé où, par les circuits swift ou par Internet, tout transite en permanence à travers les frontières.

Mais, de toute façon, l’essentiel est acquis. Les Etats-Unis viennent de choisir la voie juridique pour annoncer au monde que, dans leur gestion du dollar, ils renonçaient à la priorité « monnaie de transaction internationale assurant la sécurité des opérations de tous ceux qui l’utilisent » au profit de la priorité « monnaie américaine au service des intérêts géopolitiques des Etats-Unis ». Plus de cent nations ont là de quoi s’inquiéter.

Il est donc de toute première urgence de trouver un substitut, une monnaie internationale de transaction garantissant la sécurité absolue de tous les opérateurs qui l’utilisent. Le franc suisse est trop petit, le yen est disqualifié par la crise japonaise. Le yuan chinois n’est manifestement pas prêt. Il n’en est qu’une de possible, l’euro. Il peut jouer ce rôle. Il doit le jouer, c’est une urgence et une nécessité absolues. Il ne le peut que s’il est couvert et garanti par les autorités de l’Union. Ce sera la première tâche de Jean-Claude Juncker et d’Herman Van Rompuy que d’ouvrir ce chantier.

Mais la City est tellement l’alliée de Wall Street dans ces affaires que ce ne sera possible que si la Grande-Bretagne est partie…
Source : Le Monde


Commentaire 

Washington a encore trouvé un moyen de replâtrer l’économie américaine chancelante. Les autorités des Etats-Unis ont ouvert des affaires pénales contre des banques de la Grande-Bretagne, de la Suisse et de la France.  Commerzbank, la deuxième plus grosse banque d’Allemagne, attend son tour.
Les Américains essaient de profiter de leur position de centre financier et économique le plus gros du monde par lequel passent les flux et où les décisions sur la gestion de l’économie moderne sont prises. Aux Etats-Unis, se trouvent les sièges des plus grosses corporations transnationales régies par la juridiction américaine. Et l’Etat américain cherche à faire en sorte que ces avantages économiques soient favorables à ses intérêts politiques.
La justice américaine dicte sa volonté non seulement aux compagnies, mais aussi aux Etats. Récemment, la Cour Suprême des Etats-Unis a obligé l’Argentine à payer presqu'un milliard et demi de dollars aux propriétaires de titres qui ont refusé de restructurer la dette. Les experts considèrent cela comme une pression politique de Washington. Seule, la construction d’un monde multipolaire pourra mettre fin à cette « justice ».