mercredi 26 août 2015

Moyen-Orient. Les Arabes se tournent vers Moscou

Les représentants politiques arabes intensifient le dialogue après le règlement du problème nucléaire iranien. Trois dirigeants arabes arrivent en même temps à Moscou pour rencontrer le président russe Vladimir Poutine afin d’évoquer les conflits au Moyen-Orient. Le roi Abdallah II de Jordanie, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi et le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed al-Nahyane. Ils auront chacun leur propre ordre du jour, mais la présence des trois dirigeants arabes à Moscou est qualifiée par les médias de « sommet arabe » ou encore de « débarquement ».

Alors que les relations de la Russie avec l’Occident connaissent un véritable refroidissement, le président russe renforce activement ses relations avec les États arabes, notamment pour s’occuper du processus de paix au Moyen-Orient. Parmi les principaux intérêts de la Russie, on distingue le règlement de la situation en Syrie et la normalisation du conflit en Libye, en pleine guerre civile.
La principale initiative de Poutine sur le dossier syrien a été sa tentative de créer un front commun pour combattre l’organisation terroriste État islamique, interdite en Russie. Le plan du président russe implique la mise en commun des efforts de l’armée irakienne, syrienne et des Kurdes pour lutter contre l’EI avec le soutien matériel et technique de l’Orient arabe. Les terroristes de l’EI gagnent activement du terrain et repoussent les troupes gouvernementales en Syrie et en Irak. En mai, le Pentagone a annoncé que les islamistes avaient réussi à prendre une dizaine de chars Abrams de l’armée irakienne.
Selon l’arabiste Alexandre Ignatenko, directeur de l’Institut de religion et de politique, la visite de ces hauts dirigeants arabes à Moscou montre que la Russie « se transforme en sorte de Mecque de la politique internationale ».
Selon les sources des experts arabes auxquels se réfèrent Alexandre Ignatenko, chaque chef d’État viendra en Russie avec son propre ordre du jour: le prince d’Abou Dhabi soulèvera avec Poutine des questions relatives à l’établissement dans le golfe Persique d’un système de sécurité commun, le roi de Jordanie se penchera sur le problème de la Syrie, et le président égyptien sur le règlement du conflit en Libye. Cependant, en dépit de cette différence d’ordre du jour, le règlement du conflit en Syrie intéresse les trois dirigeants. « C’est un pas vers la formation de la coalition proposée par Poutine pour combattre l’EI, et leur visite indique qu’ils sont enclins à participer à une telle coalition », explique Ignatenko. Ce dernier qualifie la coalition éventuelle de « Plan de Poutine pour le Moyen-Orient ».
Cependant, l’unanimité n’est pas encore atteinte étant donné que les intérêts des pays arabes dans la région divergent. La plupart des États arabes s’opposent au régime du président syrien Bachar al-Assad soutenu par Moscou.
Dans le même temps, la coalition existante, menée par les USA et qui regroupe déjà les pays arabes, échoue en Syrie: les bombardements n’ont aucun effet et ne font que pousser à commettre de nouveaux attentats.
Même si ce rapprochement avec les pays arabes rappelle l’époque de la Guerre froide, quand l’URSS soutenait une partie des pays arabes ayant proclamé le socialisme et irritait ainsi les USA, la situation est différente aujourd’hui. Les pays arabes qui interagissent avec Moscou sont des alliés de l’Amérique. Et l’Arabie Saoudite, avec laquelle la Russie a également établi une collaboration constructive, a été pendant des années le principal partenaire arabe des USA.
Les experts soulignent que les Arabes intensifient leur dialogue avec Moscou dans le contexte du règlement du problème nucléaire iranien. L’Iran a toujours été considéré comme un rival des régimes arabes et aujourd’hui, après la levée des sanctions contre Téhéran, il pourrait renforcer davantage son influence régionale.
Moscou souhaite, pour sa part, attirer les investissements des riches monarchies du Golfe, ainsi que vendre ses armes aux pays arabes. On sait que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (qui est arrivé à Moscou) s’apprête à visiter le salon aérospatial MAKS qui vient d’ouvrir ses portes à Joukovski, dans la région de Moscou et compte notamment voir plusieurs modèles d’avions russes.
La rencontre d’al-Sissi — il s’agira de sa troisième visite — avec le président russe est prévue mercredi, et les experts soulignent que le président-général devient le principal allié de Moscou au Moyen-Orient, comme l’était à l’époque de l’URSS le président égyptien Gamal Abdel Nasser.
Comme le souligne l’orientaliste des Émirats Teodor Karassik, « Poutine et al-Sissi ont la même vision de l’extrémisme comme une force détruisant l’ordre économique en place ».
Al-Sissi, qui combat le radicalisme islamique, est lui-même un autoritariste très intransigeant qui n’hésite pas à se défaire de ses ennemis intérieurs: les Frères musulmans. Des centaines de membres de cette organisation sont aujourd’hui en prison, y compris l’ancien président islamiste et pro-terroriste Mohamed Morsi, qui avait été soutenu, comme tous les terroristes islamistes, par les USA pendant la pseudo révolution du mal nommé Printemps Arabe en Égypte.
L’attitude des USA envers al-Sissi est aujourd’hui ambiguë, souligne Teodor Karassik.
« L’administration Obama est coincée entre le problème des droits de l’homme et le réarmement de l’Égypte en tant qu’allié, tandis qu’al-Sissi jongle entre les USA et la Russie », déclare l’expert.
En dépit des problèmes des droits de l’homme en Égypte, la Maison blanche, qui a levé l’embargo sur les livraisons d’armes au Caire, a autorisé à lui fournir des armes pour 1,3 milliard de dollars.
Plus tôt, l’Égypte avait signé des contrats d’armement avec la Russie à hauteur de 3,5 milliards de dollars, mais toutes ces fournitures — aussi bien de Russie que des USA — sont payées par les crédits de l’Arabie Saoudite intéressée par une éventuelle aide d’allié de l’Égypte. Ce pays dispose aujourd’hui de la plus grande armée bien équipée dans la région.
Des contrats pour la construction en Égypte de centrales nucléaires pourraient également être signés pendant la visite d’al-Sissi en Russie. Si le projet de 6 milliards de dollars pour la construction de deux réacteurs nucléaires était mis en œuvre, ce serait le plus grand contrat civil entre l’Égypte et la Russie depuis le barrage d’Assouan.