mardi 29 septembre 2015

Au bout d’un an, quel est le bilan de la coalition internationale contre l’EI ?

L’Assemblée générale des Nations unies a donné lieu, lundi 28 septembre à New York, à une virulente passe d’armes entre les présidents russe et américain, qui ont exposé de nouveau leurs divergences sur le conflit syrien. Vladimir Poutine a dénoncé « l’arrogance » du monde occidental, dont les interventions sont, selon lui, source de « déstabilisation », tandis que Barack Obama a accusé les « grandes puissances dont la conduite contrevient au droit international ». La joute entre les deux dirigeants s’est poursuivie par une rencontre en tête à tête, la première depuis deux ans, qui a abouti à un accord de coopération tactique de leurs armées respectives, dans le but d’éviter les incidents entre des forces qui interviennent désormais toutes deux en Syrie, officiellement contre le même ennemi : l’organisation djihadiste Etat islamique (EI).
Alors que la France a également mené des frappes en Syrie, le président Hollande s’est de son côté montré ouvert à l’idée d’une « large coalition » contre l’EI – à condition de mettre un terme aux bombardements du régime contre les zones civiles et d’instaurer une « solution politique » qui « passe par le départ de Bachar Al-Assad ». 
Cet article du Monde (alias l'Immonde)  est à prendre avec des pincettes, car il épouse le point de vue américano franco sioniste. H.G.

En un an, l’action de la coalition internationale emmenée par les Etats-Unis a permis de freiner l’expansion de l’organisation terroriste et de l’affaiblir, mais pas de la faire reculer de façon déterminante ni d’anéantir ses capacités offensives.
  • De quels effectifs l’Etat islamique dispose-t-il ?
L’EI regroupe aujourd’hui cent mille à cent vingt-cinq mille combattants en Syrie et en Irak, dont près de quinze mille étrangers. Les djihadistes français seraient au nombre de huit cents, principalement en Syrie, et occupés à des tâches administratives, financières, médiatiques et du recrutement.
  • Qui intervient en Irak ?
Les Etats-Unis ont engagé, le 8 août 2014, une campagne de frappes en Irak à l’invitation des autorités de Bagdad.
A la suite de la formation, en septembre 2014, d’une coalition internationale contre l’EI, comprenant soixante pays, la France, la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Australie, le Danemark et le Canada se sont joints à cette campagne.
  • Qui intervient en Syrie ?
Les forces américaines ont étendu leurs opérations à la Syrie le 23 septembre 2014, sans l’accord du président Bachar Al-Assad. Ces frappes ont visé l’EI, mais aussi Al-Khorasan, proche d’Al-Qaida.
L’Arabie saoudite, la Jordanie, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Qatar ont mis un terme à leur participation en Syrie après la mise sur pied, à la fin de mars 2015, d’une coalition arabe sous bannière saoudienne contre "les rebelles houthistes" au Yémen.
En avril, le Canada s’est joint à la campagne syrienne, suivi de la Turquie, qui cible pour sa part l’EI et les forces kurdes.
La Grande-Bretagne a annoncé en septembre avoir mené des frappes ponctuelles contre des cibles présentant un danger immédiat pour ses intérêts.
  • Quelle est la nature des interventions ?
En 415 jours de campagne, 7 085 frappes ont été menées – 506 en Irak et 2 579 en Syrie –, selon un décompte établi le 24 septembre par le collectif indépendant Airwars.
Les États-Unis ont mené 70 % de leurs frappes en Irak, jusqu’à présent au cœur de leur stratégie de lutte contre l’EI.
Ces frappes, qui ont permis d’endiguer l’expansion de l’EI dans le nord du pays, autour de Sinjar et au Kurdistan irakien, ont été élargies aux provinces où les forces irakiennes combattent les djihadistes, au nord de Bagdad et à l’ouest, dans l’Anbar.
Elles visent principalement les centres de commandement, les stocks de munitions, les chefs de l’EI et les convois d’armes et de combattants.
Washington, qui a exclu l’envoi de forces au sol, dit vouloir s’appuyer, sur le terrain, sur les forces locales.
  • Quels sont les appuis de la coalition internationale en Irak ?
En Irak, la coalition internationale agit en appui aux peshmergas kurdes et aux forces gouvernementales irakiennes.
« Les forces gouvernementales et leurs alliés — la mobilisation populaire (MP), les peshmergas, les tribus sunnites — se sont beaucoup affaiblis, car ils sont divisés sur des lignes politiques et confessionnelles », constate l’analyste irakien Hicham Al-Hachémi, spécialiste de l’EI.
Les Etats-Unis ont déployé trois mille cinq cents conseillers, dont quatre cent cinquante formateurs et cent conseillers pour former les forces gouvernementales mises en déroute par l’EI en 2014, et les peshmergas kurdes. Seuls treize mille combattants ont été formés.
Washington fait pression sur les autorités chiites de Bagdad pour former un nombre accru de combattants sunnites, considérés comme la clé de la reconquête des provinces sunnites, notamment de l’Anbar.
La défiance des autorités et partis chiites envers la population sunnite, accusée de complicité avec l’EI, est un obstacle majeur.
Le programme de formation américain lancé en mai dans l’Anbar n’a permis, à ce stade, de former que onze cents combattants sunnites, selon Hicham Al-Hachémi.
Les Etats-Unis entendent par ailleurs limiter la participation des milices chiites pro-iraniennes, majoritaires parmi les forces de la mobilisation populaire (MP), une force d’appoint pro gouvernementale de cent trente mille hommes, fer de lance sur le terrain.
Invoquant la crainte d’exactions contre les populations sunnites et le refus d’une grande partie des clans sunnites de rallier des forces gouvernementales menées par les milices chiites, les forces de la coalition exigent, à quelques exceptions près, le retrait de ces milices comme préalable à toute intervention.
  • Sur qui les Américains s’appuient-ils en Syrie ?
En Syrie, le soutien américain aux forces rebelles s’est révélé tardif. Les Américains invoquent la fragmentation de l’opposition armée et la difficulté d’identifier des forces dites « modérées » sur le terrain.
Après un programme de formation lancé en Jordanie pour les combattants du front sud syrien, Washington a commencé au printemps 2015 à former et à équiper des rebelles syriens en Turquie pour combattre l’EI.
A la mi-septembre, le commandant des forces américaines au Moyen-Orient (CentCom), le général Lloyd J. Austin, a reconnu que seuls quatre ou cinq combattants se trouvaient sur le terrain, rejoints par soixante-quinze autres hommes. Soit bien loin des objectifs fixés de quinze mille combattants formés en trois ans.
Du fait des stricts critères de sécurité imposés par Washington, les volontaires manquent à l’appel. Ces combattants font l’objet de critiques au sein de la rébellion, voire d’attaques d’autres groupes armés, du fait de l’objectif qui leur a été fixé de combattre l’EI et non les forces du régime du président Bachar Al-Assad.
  • Quel est le bilan global des interventions ?
La coalition internationale affirme avoir tué plus de quinze mille combattants de l’Etat islamique depuis le début de la campagne aérienne. Selon Hicham Al-Hachémi, dix-neuf des quarante-trois grands chefs de l’EI ont été tués.
« Ils sont remplacés, mais Daech ne dispose pas d’un important vivier de chefs historiques, avec une histoire djihadiste comparable aux chefs d’Al-Qaida », estime-t-il.
  • Quelles sont les positions de l’EI en Irak ?
En Irak, l’intervention de la coalition internationale a permis d’endiguer l’expansion de l’EI au Kurdistan irakien, dans la plaine de Mossoul et dans la région du Sinjar. Les djihadistes, qui se trouvaient à cent kilomètres au nord de Bagdad en juin 2014, ont été repoussés des provinces de Salaheddine et de Diyala.
Mais, pour Hicham Al-Hachémi, les forces gouvernementales appuyées par la coalition internationale n’ont à ce jour pas remporté de « bataille décisive » contre l’EI.
Depuis la libération de Tikrit, capitale de la province de Salaheddine, en avril 2015, les forces gouvernementales piétinent à Baiji, à deux cents kilomètres au nord de Bagdad, et dans la province sunnite de l’Anbar, dans l’Ouest, où elles ont enregistré en mai leur plus grand revers, avec la prise par l’EI de Ramadi.
La bataille de Mossoul, dans le nord du pays, annoncée comme prioritaire en septembre 2014, a été reportée sine die.
  • Quelle est la situation de l’EI en Syrie ?
Dans le nord-est de la Syrie, les combattants kurdes des unités de protection du peuple (YPG) ont réussi, avec le soutien de la coalition internationale, à repousser les combattants de l’EI de Kobané, de Tal Abyad et de la frontière turque.
Mais, de leur fief de Rakka, dans l’est du pays, les djihadistes ont poursuivi leur expansion vers Deir ez-Zor, plus à l’est, où ils assiègent les forces du régime, ainsi que dans la province d’Alep, jusqu’à la frontière turque, autour de Palmyre — conquise le 20 mai 2015 — et au sud-est de Damas.
Cette expansion s’est faite au détriment des forces rebelles syriennes qui combattent à la fois le régime de Bachar Al-Assad et les djihadistes de l’EI.
  • Des djihadistes étrangers continuent-ils à entrer en Irak et en Syrie ?
L’intervention de la coalition internationale et les mesures prises récemment par la Turquie pour empêcher l’entrée de djihadistes étrangers par son territoire n’ont pas permis d’endiguer le flot de recrues. « Jusqu’à février 2015, entre cinq et dix nouvelles recrues étrangères rejoignaient chaque jour le mouvement », indique M. Hachémi.
Les services américains estiment que près de trente mille djihadistes étrangers se sont rendus en Syrie et en Irak depuis 2011, la plupart pour rejoindre les rangs de l’EI, rapportait samedi 27 septembre le New York Times. L’EI continuerait ainsi de recruter une moyenne d’un millier de combattants étrangers par mois.
  • Pourquoi et comment la Russie intervient-elle en Syrie ?
Craignant un effondrement du régime du président Assad, dont les forces ne contrôlent plus qu’un tiers du pays, autour de Damas, de Homs et du littoral, la Russie a déployé une trentaine d’avions de reconnaissance et d’attaque au sol, des Soukhoï 24 et 30.
Elle pourrait procéder à des frappes, notamment contre le Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida, qui de la province d’Idlib (Nord-Ouest) menace le régime.

  • Avec qui les Russes agissent-ils en Syrie ?
Une cellule de coordination militaire avec les forces syriennes, iraniennes et les milices chiites irakiennes qui combattent en Syrie a été mise sur pied, selon le centre américain Institute for Study of War (ISW).
La Russie joue également un rôle accru en Irak. Dimanche 27 septembre, le premier ministre, Haidar Al-Abadi, a annoncé une coopération sécuritaire et en renseignement accrue entre la Syrie, la Russie, l’Iran et l’Irak.
Selon l’ISW, citant des informations non confirmées, une cellule de coordination conjointe entre la Russie et l’Iran, qui inclurait des généraux russes, a été mise sur pied à Bagdad.
  • Existe-t-il une coordination des actions entre les Russes et la coalition ?
La Russie a exigé de la coalition internationale qu’elle coordonne avec elle et avec Damas ses frappes en Syrie. Cette coordination est de facto nécessaire. Les avions russes pourraient rapidement entrer en action en Syrie, et, depuis peu, les troupes de Bachar Al-Assad frappent de nouveau les combattants de l’EI autour de Deir ez-Zor et de Rakka.
La coordination militaire sera au programme des discussions entre le président russe, Vladimir Poutine, et le président américain, Barack Obama, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’est ouverte lundi 28 septembre à New York.
  • La coalition anti-Etat islamique pourrait-elle être étendue ?
Les pays membres de la coalition contre l’organisation EI ont, à ce stade, refusé le principe d’une coalition intégrant le président Assad et l’Iran, comme le propose la Russie.
Hélène Sallon
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