mardi 20 octobre 2015

Du Qatar en France aux Kurdes bombardés : non, l’hypocrisie ne paie pas !

Non seulement le Qatar est fort d’une idéologie bien définie -l'islamisme wahhabite- mais en plus il sert ses intérêts nationaux qui n’ont pas de frontières, l’islamisme étant expansionniste par définition. Au passage, il parvient à combler ses intérêts économiques. Qu’en est-il de la France ? Du réalisme de ses dirigeants ? Leur politique n’est qu’un mélange d’hypocrisie et de surréalisme desservant les intérêts nationaux qu’ils prétendent défendre. La politique islamiste qatarie est quant à elle réaliste et opportunément hypocrite.
Depuis l’introduction de la loi constitutionnelle numéro 2007-238 du 23 février 2007, la notion de haute trahison n’existe plus. C’est ainsi que l’on est arrivé à rayer d’un trait de plume un des piliers juridiques et éthiques de la Constitution de 1958 qui est ni plus ni moins que le texte fondateur de la Vème République. Tout en continuant à vivre au rythme de cette République gaulliste, la France n’adhère plus aux normes éthiques qui la caractérisaient et qui permettaient, jusqu’à nouvel « ordre », de juger un Président dont les actes relèveraient de la trahison. Pour autant, est-ce qu’un chef d’Etat ne peut plus être démis aujourd’hui de ses fonctions ? Non, il le pourrait éventuellement, mais en cas d’incompétence manifeste. Allez savoir comment et par qui est-ce que ce degré de manifestation est défini. Ce qui est patent, c’est que le peuple ne participe pas à cette définition. Si demain François Hollande passe au-dessous de la barre des 5% d’opinion favorable, l’Elysée n’en changerait pas pour autant de maître.
Quand la presse alternative française, nationale ou nationiste, condamne la politique UMP-iste puis PS-iste du « Tout-Qatar », on l’accuse de conspirationnisme aggravé car islamophobe. Comme si le Qatar, cette immense base militaire américaine à l’idéologie a priori mouvante mais au fond wahhabite, était représentatif du monde musulman dans son ensemble. Le Qatar veut projeter une image détournée de sa véritable nature en proposant un trompe-l’oeil associé à ce que certains hauts dignitaires occidentaux qualifient d’islam des Lumières alors donc que lesdites Lumières sont le fait des modèles baasistes que la Syrie, malencontrueusement contrariée par la Russie dans son processus de démocratisation genre pax americana, incarne par excellence. Un poète qatari critique de l’Emir est condamné à perpétuité : qu’importe, c’est l’affaire du Qatar … enfin, tant qu’il n’est pas décapité puis crucifié comme risquerait de l’être le pauvre opposant saoudien Ali al-Nimr ! Assad se fait réélire ? Le projet du gazoduc qatari passant par Homs et Lattaquié ne le rend pas enthousiaste ? Assad est à virer, idéal démocratique oblige !
Le problème, c’est que l’hypocrisie des alliés conjoncturels de la France est celui de ses dirigeants. On comprend mieux pourquoi al-Nosra, créature qatarie avérée, faisait du bon boulot selon M. Fabius. Qui ne connaît pas les liens intimes de Doha avec les socialistes? Le ministre des Affaires étrangères français y a bien entendu sa place d’honneur. On comprend mieux le sens profond de cette pièce cornélienne jouée par la Coalition anti-EI sachant, de un, qu’al-Nosra, selon le juste terme de M. de Villiers, est le cousin germain de l’EI, de deux, que la majeure partie des 22 de cette preuse Coalition est partagée entre l’envie d’en finir avec un Etat embryonnaire dont la volonté de puissance menace la sécurité de l’Europe et l’envie de continuer à l’utiliser contre Assad.
La position du Qatar semble floue. Difficile à cerner surtout par rapport à la Syrie baasiste que Doha soutenait jusqu’à la fin des années 2000 contre le tandem Egypte/Arabie Saoudite avant de se ranger sous la bannière anti-chiite de Riyad. En fait, le point fort du Qatar, c’est de savoir « se placer du bon côté de l’Histoire » comme le constate Nabil Ennasri, auteur de l’« Enigme du Qatar ». Si opportuniste soit-il, le Qatar a une idéologie que la France, à l’image de l’UE, n’a pas. Il n’est pas choquant qu’une monarchie wahhabite crée et finance des chaînes comme Al-Jazeera. Il semble autrement plus étrange que la France ait envisagé le lancement de cette chaîne à la renommée sulfureuse sur son territoire avec des prédicateurs salafistes comme Cheikh Youssouf al Qardawi dont la haine des régimes arabo-musulmans laïcs n’a d’égal que sa haine du Juif. Hollande avait lancé l’opération Serval au Mali. Or, il est bien connu que les djihadistes d’Ansar Dine sont entraînés aux frais de Doha. On pourrait étaler le même type de paradoxes sur plusieurs pages mais je pense que c’est inutile l’essentiel ayant été établi. On se demande maintenant, ces faits à l’appui, comment est-ce que les élites politiques françaises, cela depuis 2005, s’évertuent à vendre la France à une monarchie wahhabite ? Car le terme « vendre » est bien approprié. De PSG livré à un prix dérisoire et des injections considérables dans la Bourse de Paris aux tentatives de s’investir dans le capital d’Aeronautic Defence and Space company ou, pis encore, dans celui du géant nucléaire Areva, le Qatar s’invite non seulement dans le sport ou l’immobilier mais aussi, ces derniers temps, dans des secteurs hautement stratégiques dont dépend directement la sécurité et de la France, et de l’Europe dans son ensemble. Qu’en serait-il si le Qatar mettait la main sur l’immense potentiel nucléaire français ? Rien qu’a y songer, on en ferait des cauchemars.
Au stade où nous en sommes, mâcher ses mots est un crime. Une lâcheté. Stratégiquement parlant, la politique du « Tout-Qatar » porte atteinte à la sécurité de la France que ses élites politiques vendent à une monarchie soutenant Al-Nosra, les Frères musulmans et Ansar Dine (la liste n’est pas exhaustive). En cas de conflit entre l’univers salafiste qui tend à s’élargir et l’UE aux portes grandes ouvertes, qui est-ce que le Qatar va soutenir ? Lorsque Philippe Cohen et Marc Endeweld de Marianne décrivent la manière dont s’exerce le « soft power » qatari en France, on ne puit que leur donner raison ! Investir, acheter, racheter – autant de moyens pour mieux s’infiltrer à un niveau idéologique. Cela, Doha excelle à le faire. C’est bien Al-Jazeera qui avait galvanisé des foules encore crédules à l’époque en faisant miroiter les bienfaits des fameux printemps arabes. La Tunisie avait alors appris à quel point est-ce que le jasmin pouvait être nauséabond. En investissant dans les banlieues françaises, chaudes non point parce que musulmanes mais parce qu’en bien des points salafo-communautaristes, le Qatar s’immisce astucieusement dans les zones grises délictieuses du paysage français. Pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, Mezri Haddad, philosophe et ancien ambassadeur tunisien, se tue à le répéter. Il sait de quoi il parle lui et sans doute bien mieux que nous autres Européens avec nos repères d’Européens.
Il faut donc voir bien au-delà des investissements qataris dans Vinci, Bouygues, Suez et Casino et affronter la réalité. Le Qatar est bien gentil d’aider l’UMP-PS à gérer ses banlieues mais il serait bien plus naturel qu’il aide l’UE à gérer la crise migratoire qui l’inonde en recevant les musulmans persécutés du Moyen-Orient.
Non seulement le Qatar est fort d’une idéologie bien définie mais en plus il sert ses intérêts nationaux qui n’ont pas de frontières l’islamisme étant expansionniste par définition. Au passage, il parvient à combler ses intérêts économiques. Qu’en est-il de la France ? Du réalisme de ses dirigeants ? Leur politique n’est qu’un mélange d’hypocrisie et de surréalisme desservant les intérêts nationaux qu’ils prétendent défendre. La politique islamiste qatarie est quant à elle réaliste et opportunément hypocrite. Je vous laisse apprécier la différence. Lorsque l’OTAN a bombardé, dimanche 11 octobre, les positions kurdes dans la province d’Alep, c’est une mine à retardement qu’il a posé … en Europe. Oui, bien dans les frontières de l’UE les Américains n’ayant pas grand-chose à perdre du fait de leur position géographique, du fait qu’ils se soient remis à jouer la carte kurde à la fois contre Ankara et Assad – c’est à se demander quels pays de l’OTAN ont bombardé les Kurdes d’Alep – et du fait que leur véritable relation à l’EI apparaît de plus en plus trouble. Comme preuve a contrario, on pourrait mentionner le refus de Washington de soutenir la création d’un comité de sauvetage des pilotes abattus par l’EI. Serait-ce parce que le projet appartient au Kremlin ou parce que le Pentagone a la certitude que le sort horrible du pilote jordanien capturé fin décembre 14 ne sera jamais celui d’un pilote US ? Je me garde bien de dire « de tout pilote de la Coalition » puisque le pilote en question qui a été brûlé vif devant les caméras de Daesh faisait partie de la Coalition.
S’il est vrai que les USA mènent une politique étrangère totalement criminelle et parfois idiote, le suivisme de l’UE est quant à lui totalement dénué de logique et suicidaire. Faisant le lit du salafisme tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, elle est vouée à tomber dans un double piège qui annonce l’ « affrontement eschatologique » évoqué par l’écrivain Guillaume de Thieulloy mais avec ce seul et crucial rectificatif qu’il ne s’agirait alors pas d’un affrontement contre l’islam mais contre sa déviation parachevée d’un « isme ». L’hypocrisie ne paie pas et il faudra bien, volens nolens, s’en rendre compte un jour. Peut-être que ce jour-là ou le jour qui suivra une expiation collective dont personne ne voudrait, le crime de haute trahison sera enfin rétabli.
Françoise Compoint