lundi 12 octobre 2015

Le Général Allard : "Vladimir Poutine a une stratégie claire"

L'OTAN dénonce une escalade de la Russie et l'accuse de ne pas bombarder des positions de Daech mais de l'armée syrienne libre. Peut-on mesurer l'implication réelle de la Russie ? 
Il faudrait revenir en amont. Le président Obama avait dit en janvier «je n'ai pas de stratégie». Il n'en a pas parce qu'il n'arrive pas, et les Occidentaux avec lui, à éclaircir la situation et à poser les bonnes questions.
En stratégie, on se pose une question : de quoi s'agit-il ? 
Et Poutine a répondu clairement : il s'agit de combattre l'islamisme parce qu'il se répand au Moyen-Orient via l'État islamique et d'autres groupes ; au Maghreb et en Afrique ; en Asie centrale et dans les franges sud de la Russie voire en Chine. Donc Poutine a répondu à cette question à laquelle l'Occident à des difficultés à répondre car tout s'imbrique. On sait très bien dès le départ que des groupes islamistes sont soutenus par des alliés de l'Occident comme la Turquie ou les pays du Golfe, ce qui pose un problème.
La 2e question qu'on se pose en stratégie
qu'est ce qui unit ou peut diviser mon ennemi ? En apparence, certains disent que les islamistes sont déjà divisés : Al Nostra, Daech, etc. Ce qu'il faut se poser comme question c'est aussi qu'est-ce qui les unit ? Et c'est l'idéologie islamiste qui est la plus forte et qui a été valorisée par l'État islamique.
Si l'on se rappelle, Al Qaïda c'était «je suis contre l'Occident à coup d'attentats». L'État islamique c'est «je construis une entité islamique dans laquelle je vais appeler ensuite tous les musulmans.»
La stratégie d'Abou Bakr al-Baghdadi, le calife, est simple. Il l'a énoncée à Mossoul dans la grande mosquée en 2014 : unifier le monde islamique dans un califat ; et conquérir Rome c'est-à-dire le monde occidental. Il veut restaurer le califat dans le territoire mythique d'el-Cham qui correspond à l'Irak et à la Syrie – ce qu'il a fait en partie – avec deux capitales alternatives Bagdad et Damas…
Il faut avoir tout cela à l'esprit pour déterminer le centre de gravité de l'État islamique qui est Damas. Si les islamistes conquièrent Damas, il y aura une onde de choc mondiale. Damas serait, militairement parlant, impossible à reprendre car il faudrait y aller par des combats terrestres. Or il y a 4 millions d'habitants au sein desquels se fondraient des islamistes…

Quels objectifs pour Poutine ?

Je pense que Poutine veut certes protéger Assad, les mers chaudes et son influence au Moyen-Orient, mais il veut surtout donner un coup d'arrêt à l'islamisme qui mite le sud de la Russie, avant que la chute de Damas ne renforce le calife al-Baghdadi et permette à tous les groupes islamistes de rejoindre l'État islamique.

Face à la stratégie claire de Poutine, quelle peut être la position de l'Occident, de l'OTAN et de la France en particulier ?

On a du mal à voir parce que tous ces pays n'arrivent pas à se poser les bonnes questions et ne répondent toujours pas à la fameuse question de Foch de quoi s'agit-il ? En 2013, on se demandait s'il fallait punir Bachar pour l'utilisation d'armes chimiques, mais ce n'est pas une vision politique. Les avions russes ont fait récemment une brève incursion dans l'espace aérien turc et l'OTAN fait une réunion pour discuter de ça… De mon point de vue, ce n'est pas sérieux.
Poutine a réussi à mettre en place un système de coordination entre les gouvernements irakien, iranien et syrien. Il a mis en place une tactique qui coordonne une attaque au sol de l'armée syrienne et des frappes aériennes, chose que n'a jamais pu faire l'OTAN. D'une part parce que les Kurdes ne veulent pas sortir de leurs frontières naturelles et d'autre part parce que l'armée irakienne sunnite défaite à Mossoul est incapable d'agir. Aujourd'hui, les Kurdes se demandent si finalement il ne vaudrait pas mieux travailler avec la Russie, car c'est le seul pays qui a une vision claire.

C'est la première fois que des troupes russes et américaines sont sur le même théâtre d'opération. Est-ce un risque ? Certains évoquent une 3e guerre mondiale.

«Vladimir Poutine a une stratégie claire»Quand on évoque la 3e guerre mondiale on imagine que les États-Unis vont se battre contre la Russie et vice-versa. C'est de la folie. Il faut que l'OTAN et les États-Unis conservent leurs nerfs. Je crois que derrière tout cela, il y a quand même des discussions. Les États-Unis ont envie de discuter avec la Russie qui finalement fait le job qu'on leur demandait de faire depuis longtemps…
Il faut que tout le monde garde son calme. Si l'objectif est de vaincre l'islamisme, il faut utiliser les moyens et les alliés ad hoc.