lundi 2 mai 2016

Trump, Clinton et 285 000 sociétés partagent la même adresse dans ce paradis fiscal qu’est l’État du Delaware.

Le 1209 rue North Orange à Wilmington, Delaware, est un banal immeuble de deux étages, où résident pourtant Apple, American Airlines, Walmart et deux candidats aux présidentielles.
L’hypocrisie absolue des élites au pouvoir: pendant que le peuple est harcelé d’impôts et qu’on lui impose l’austérité pour cause de déficit budgétaire, les riches, qu’ils soient des individus ou des sociétés, continuent à y échapper en toute impunité, tout en dénonçant ce fait.


Il y a peu de choses sur lesquelles Hillary Clinton et Donald Trump tombent d’accord, d’autant qu’ils courtisent des électeurs très différents dans le Delaware avant la primaire de mardi, mais ils partagent une affinité pour un même banal immeuble de bureaux à deux étages de Wilmington. Un bâtiment qui s’est rendu célèbre en aidant des dizaines de milliers d’entreprises à éviter des centaines de millions de dollars en impôts, grâce au dénommé trou fiscal du Delaware.
La réceptionniste du 1209 rue North Orange n’est pas surprise de voir un journaliste arriver à l’improviste par un jour ensoleillé.
«Vous savez que je ne peux pas vous parler», me dit-elle. Sur un post-it jaune collé sur son écran d’ordinateur on peut lire MEDIA: Chuck Miller, avec le numéro de téléphone du directeur à la communication de la société. Miller ne peut pas non plus répondre à mes nombreuses questions, sauf pour dire que la société ne donne pas de conseils en fiscalité à ses clients.
The Guardian n’est pourtant pas le premier journal à se montrer dans les bureaux du Centre Trust Corporation, et il n’est sûrement pas le dernier.
Ce squat, un immeuble de bureaux en briques jaunes, situé juste au nord du centre-ville délabré de Wilmington, est l’adresse où sont enregistrées plus de 285 000 entreprises. C’est plus que toute autre adresse connue dans le monde, et 15 fois plus que les 18 000 entreprises enregistrées au Ugland House, un immeuble de cinq étages situé aux îles Caïman, que Barack Obama a décrit comme étant «soit le plus grand bâtiment au monde, soit la plus grande escroquerie fiscale connue».
Officiellement, le 1209 rue North Orange abrite Apple, American Airlines, Coca-Cola, Wal-Mart et des dizaines d’autres entreprises listées dans le palmarès Fortune 500 des plus grandes sociétés étasuniennes. Être inscrit dans le Delaware permet à celles-ci de tirer parti des strictes règles sur le secret des entreprises, de tribunaux d’affaires complaisants et du fameux «trou fiscal du Delaware», qui permet aux entreprises de déplacer légalement le bénéfice des autres États américains vers celui du Delaware, où elles ne seront pas imposées sur les revenus générés en dehors de l’État.
Ce trou fiscal a coûté aux autres États plus de 9 milliards de dollars en taxes perdues au cours de la dernière décennie, et le Delaware est décrit comme «l’un des plus grands paradis au monde pour l’évasion et la fraude fiscales ».
Mais il n’y a pas que les grandes entreprises pour avoir choisi de faire du 1209 rue North Orange leur résidence officielle.
Les deux principaux candidats à la présidence – Hillary Clinton et Donald Trump – ont des sociétés enregistrées au 1209 rue North Orange, et ont refusé d’expliquer pourquoi.
Clinton, qui a promis à plusieurs reprises qu’en tant que présidente, elle allait sévir contre «ces scandaleux paradis fiscaux qui sont des échappatoires que les super-riches du monde entier exploitent, au Panama et ailleurs», a recueilli plus de 16 millions de dollars en frais de représentation et en redevance sur ses livres, rien que pour l’année 2014, par l’intermédiaire de sa société du 1209 rue North Orange, selon la déclaration de revenu des Clinton.
À peine huit jours après sa démission en tant que secrétaire d’État en février 2013, Clinton a enregistré la ZFS Holdings SARL dans les bureaux du 1209 rue North Orange. Bill Clinton avait déjà établi WJC SARL, une société écran pour recueillir ses frais de consultation, à la même adresse, en 2008.
Eight days after stepping down as secretary of state in 2013, Hillary Clinton set up ZFS Holdings at CTC’s offices in Wilmington. A spokesman said it was to manage her book and speaking income.Un porte-parole des Clinton a déclaré: «ZFS a été mis en place, lorsque la secrétaire Clinton a quitté le Département d’État, comme une entité pour gérer les revenus des ses livres et de ses discours. Aucune taxe, qu’elle soit fédérale, étatique ou locale, n’a été esquivée par les Clinton grâce à cette structure.»
Les entreprises des Clinton partagent ce bureau avec plusieurs sociétés appartenant à Trump, dont la Trump International Management Corp et plusieurs autres entreprises qui font partie de l’Hudson Waterfront Associates, une société créée pour développer plus de 1 milliard de dollars d’appartements de luxe sur la côte Ouest de Manhattan, dans laquelle Trump est partenaire.
Sur les 515 entreprises déclarées par Trump à la Commission électorale fédérale (FEC), 378 sont enregistrées dans le Delaware, a-t-il révélé après avoir été interrogé par le Guardian pour savoir pourquoi tant de ses sociétés basées à New York sont enregistrées dans cet État.
Il a prétendu avoir demandé à son personnel combien de sociétés il possédait dans le Delaware. «Je pensais qu’ils allaient me répondre juste deux ou trois», a déclaré Trump lors d’un rassemblement à Harrington, dans le Delaware. «Nous avons 378 entités enregistrées dans l’État du Delaware, ce qui signifie que je vous redonne beaucoup d’argent, les gars. Je ne me sens pas du tout coupable, OK? »
Parmi elles, on compte la 40 Wall Street, la Tour Trump de 72 étages du centre ville de New York qui fut le plus haut bâtiment au monde pendant deux mois en 1930, et le Trump Carousel dans Central Park.
L’équipe de campagne de Trump n’a pas répondu à nos questions pour savoir si Trump utilisait le Delaware afin d’éviter de payer des taxes à New York.
Il est courant pour les riches particuliers et les entreprises d’enregistrer leurs sociétés dans le Delaware, en raison de la facilité de création d’entreprise dans l’État, mais les sociétés du Delaware appartenant à Clinton et à Trump sont susceptibles de subir un examen plus minutieux alors que les primaires présidentielles se déroulent dans cet État. Un sondage réalisé par la firme de recherche en marketing Gravis, la semaine dernière, a montré que Trump avait une avance de 37 points sur John Kasich et que Clinton se situait  à 45%, devant Sanders à 38%, dans le même sondage.
Un rapport de l’Institut sur la fiscalité et la politique économique, intitulé Delaware: Un paradis fiscal Onshore, a déclaré que le code fiscal de l’État « agit comme un aimant pour les gens qui cherchent à créer des sociétés fictives anonymes, que les individus et les entreprises peuvent utiliser pour se soustraire à une quantité inestimable de taxes fédérales et étrangères».
Plusieurs experts en comptabilité ont expliqué qu’il y avait beaucoup de raisons légitimes pour lesquelles les entreprises américaines et étrangères désiraient créer des sociétés dans le Delaware, en particulier en raison de sa Cour de Justice et d’un gouvernement très amical envers les entreprises. Le processus de création d’une société peut être expédié en quelques heures seulement et nécessite moins de paperasse que l’inscription à une bibliothèque dans le même État. Il y a plus de 1 million de sociétés enregistrées dans le Delaware – un chiffre supérieur à sa population qui compte 935 000 habitants.
Lors de l’élection présidentielle américaine, le rival de Clinton, Bernie Sanders, a mené la charge contre la cupidité des entreprises, et a dénoncé les paradis fiscaux révélés par les documents du Panama Papers comme preuve que «les personnes les plus riches et les entreprises les plus grandes doivent commencer à payer leur juste part d’impôts».
Clinton a dit que les paradis fiscaux offshore étaient «une perversion» du code juridique, et Obama a appelé à la réforme du système international, ce mois-ci. Même Trump a dit qu’il prendrait en charge l’augmentation des impôts sur les Américains les plus riches, «y compris moi-même», même si son projet fiscal général prévoit une baisse des impôts.

Le Media Group Guardian, propriétaire de theguardian.com, est enregistré à Dover, dans le Delaware. «Le Guardian Media Group a des opérations commerciales au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie», a déclaré un porte-parole du journal. «Les actifs du groupe sont détenus en totalité par les sociétés enregistrées dans ces pays et sont entièrement soumis aux lois et réglementations fiscales en vigueur. Le groupe dispose également d’un fonds de dotation au Royaume-Uni, qui est titulaire d’un mélange d’actifs britanniques et non britanniques et est entièrement soumis aux lois et réglementations fiscales du Royaume-Uni ».
Par The Guardian – Le 25 avril 2016.
Traduit par Wayan, relu par Nadine pour le Saker Francophone