jeudi 1 décembre 2016

Aveux, bombes, bourdes et Marie-Antoinette



Quel feu d'artifice, mes aïeux, ça part dans tous les sens...
Tandis que les infortunés barbus d'Alep ont, dans la foulée d'hier, perdu la moitié de leur enclave, Erdogan a lâché une véritable bombe : "Pourquoi sommes-nous entrés en Syrie ? Nous n'y avons pas d’intérêt territorial. Il s'agit de redonner la Syrie à ceux qui en sont les vrais propriétaires, de rétablir la justice. Nous sommes entrés en Syrie pour mettre fin au règne du tyran Assad."
Si le sultan nous étonne souvent par son imprévisibilité et ses incessants revirements, il vient de repousser toutes les limites, nous laissant sans voix.
Si ce qu'il affirme est vrai, le timing est en effet désastreux. Pourquoi diable dit-il cela maintenant, alors qu'Alep est en train de repasser entièrement dans le giron loyaliste, que l'ASL turquisée a toutes les peines du monde devant Al Bab, menacée sur ses flancs par les YPG kurdes et que son seul espoir serait une alliance avec Damas pour empêcher la constitution d'un Kurdistan autonome ? Erdogollum contredit ouvertement les déclarations apaisantes de son Premier ministre, détruit la légitimité de l'opération turque, suscite la méfiance définitive de tous. Qu'a-t-il à y gagner ? Un vrai mystère...
Les autres explications - sauver la face, endormir la méfiance kurde pour mieux s'entendre avec Assad etc. - se répartissent sur une échelle de probabilité pour le moins aléatoire. Peut-être le sultan, piètre stratège, est-il tout simplement incapable de tenir sa langue, provoquant des remous irréparables, au grand dam de son entourage et de ses généraux.
 
Toujours est-il que ça ne pouvait pas plus mal tomber. L'ASL pro-turque patine devant Al Bab et voit avec horreur l'alliance entre les forces loyalistes et les Kurdes d'Efrin fondre sur elle après avoir capturé le village stratégique d'Azraq (premier contact entre les soldats syriens et turcs). Les Syro-kurdes sont maintenant à 4 kilomètres seulement d'Al Bab :
La saillie d'Erdogan a dû mettre Moscou dans un certain embarras et donner du grain à moudre à ceux qui pensent que Poutine s'est un peu trop précipité pour renouer avec Ankara. Certes, les Turcs ont fortement réduit leur soutien aux "modérés", ce qui a sans doute facilité la marche victorieuse des loyalistes à Alep. M'enfin, le sultan en a profité pour mener sa petite incursion dans le nord syrien, qui eut été impossible sans la réconciliation russo-turque de l'été. Bref, de quoi refroidir quelque peu l'ours qui ne se presse déjà pas pour lever toutes les sanctions suite à l'incident du Sukhoï l'année dernière.
Pour terminer sur la Syrie, notons le douloureux aveu de la mafia médiatique suite à la libération de la moitié d'Alep-est. Les contorsions de la volaille sont délicieuses, reconnaissant à demi-mot que les civils "bombardés-par-le-boucher-de-Damas-et-l'ogre-moscovite" ont profité de la désorganisation des barbus pour se réfugier... dans les zones gouvernementales ! La BBC ou l'imMonde en ont encore les dents qui grincent...
En parlant de retournement de veste, il convient d'évoquer l'inénarrable Juncker :
«L’Union européenne occupe un territoire de 5,5 millions de kilomètres carrés. La Russie, c’est 17,5 millions de kilomètres carrés. Il faut traiter la Russie comme une grand ensemble et comme une nation fière. La Russie n’est pas comme le disait le président Obama "un pouvoir régional". Lourde erreur d’appréciation. Il n’y a pas d’architecture sécuritaire en Europe sans la Russie, il faut le savoir (...) L'Union européenne est très ignorante concernant la Russie (...) Les Etats-Unis feront ce que les Etats-Unis voudront faire. Les Européens ont leurs propres intérêts et leur propre champ d’actions à gérer».
Soyons honnêtes, ce n'est pas la première fois que l'ami Jean-Claude tient ce genre de propos, nous le relevions l'année dernière :
« Nous devons faire des efforts en vue d'une relation concrète avec la Russie. On ne peut pas continuer comme ça... L’influence des États-Unis sur les relations de l'UE avec d'autres pays doit cesser. La Russie doit être traité de façon décente... Nous ne pouvons pas laisser nos relations avec la Russie être dictée par Washington ».
Au fond de lui-même, l'eurocrator luxembourgeois ne doit pas être si russophobe que ça ; il serait même un chouilla russophile que ça ne m'étonnerait pas. Mais quand on dirige une institution obéissant au doigt et à l'oeil au système impérial US, on n'a plus qu'un remède : la dive bouteille.
Dans la même veine, mais en mode Brutus assumé, l'Australie fait fort. On a déjà vu que Canberra ne s'embarrassait guère de scrupules pour passer du TTP américain mort-né au traité de libre-échange de l'Empire du milieu. Après la défaite de l'hilarante, le pays des kangourous cesse désormais ses dons à la fondation Clinton. Mémé la tremblotte (expression d'un fidèle lecteur) a décidément déçu beaucoup de monde...
En parlant d'allégeance, petite parenthèse libyenne : le chef de l'armée, le général Haftar, est venu solliciter l'aide de la Russie pour lutter contre les djihadistes. Encore un pays "libéré" par le camp du Bien universel mais qui préfère visiblement l'assistance de Moscou aux belles paroles occidentales.
Mentionnons enfin l'étonnant article du Financial Times qui se demande le plus sérieusement du monde si l'establishment n'est pas en train de vivre son "moment Marie-Antoinette". Le FT dresse en effet un parallèle acerbe entre l'aveuglement du pouvoir dans la France pré-révolutionnaire et l'actuelle inconscience têtue des élites politico-économiques. Le lecteur du ce blog ne sera certes point surpris, mais que ce genre d'interrogation ébranle maintenant jusqu'au plus grand journal financier de la planète en dit long sur le degré de panique du système.

30 Novembre 2016 , Rédigé par Observatus geopoliticus 

Réponse mesurée mais ferme de Moscou au "derviche tourneur" Erdogan : 

Moscou rappelle à Ankara que seule l'armée russe est légitimement déployée en Syrie

Alors que Recep Tayyip Erdogan vient d’annoncer que l'armée turque était entrée sur le sol syrien pour mettre un terme au mandat de Bachar el-Assad, le Kremlin rappelle que la Russie est le seul pays dont les troupes sont autorisées à être présentes dans le pays. « Nous sommes entrés (en Syrie, ndlr) pour en finir avec le règne du tyran Assad », a déclaré hier à Istanbul le leader turc Recep Tayyip Erdogan lors de son intervention au Symposium de la Plateforme interparlementaire de Jérusalem.
Le Kremlin espère toutefois qu'Ankara donnera des explications en la matière. « Cette déclaration a eu lieu. La déclaration a été entendue partout dans le monde car la Turquie est notre partenaire et nos chefs d'État ont un contact très intense et confiant. Cette déclaration est tout à fait nouvelle. Voilà pourquoi nous attendons avec impatience une explication de cette position avant de prendre toute décision », a commenté Dimitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine. Il a en outre ajouté que cette déclaration ne coïncidait pas avec les propos précédents de la Turquie ainsi qu'avec la position de Moscou sur cette question, en précisant que seules les troupes russes étaient autorisées à être présentes dans le pays. « Cette déclaration est discordante par rapport à notre compréhension de la situation, comme État dont les forces armées sont les seules à se trouver légitimement sur le territoire de la République arabe syrienne à la demande des autorités légitimes, il est très important d'avoir cela en vue », a souligné le porte-parole du numéro Un russe.
Depuis le 24 août, les militaires turcs mènent l'opération terrestre Bouclier de l'Euphrate dans le nord de la Syrie qui vise à lutter contre le groupe terroriste Daech. L'armée d'Erdogan a pris le contrôle de la ville frontalière de Jerablus, dans le nord de la Syrie, et poursuit son offensive dans le sud-ouest du pays. Le but de la mission, d'après M. Erdogan, est de chasser les terroristes de ce territoire de 5.000 kilomètres carrés afin d'y créer des zone sécurisées pour les réfugiés. 

Hannibal GENSERIC