Stéréotypes et conditionnement
Racisme, créativité, a priori, ces deux notions n'auraient rien à
voir. Et pourtant.... Carmit Tadmor et ses collègues suggèrent que la
mentalité propre au racisme, implique une forme de fermeture d'esprit
dont les effets pourraient se ressentir ailleurs, par exemple sur la
créativité. Les considérations racistes impliquent notamment de classer les gens par catégories et de penser par stéréotypes.
Leur idée de départ serait donc que, plus quelqu'un adhère aux
théories racistes, moins cette personne serait créative. Pour voir s'il y
a un réel lien de cause à effet, ils se sont livrés à plusieurs
expériences en Israël, mais aussi aux Etats-Unis.
Dans la première expérience, Tadmor et ses collègues ont divisé les
participants -72 étudiants israéliens- en trois groupes, qu'ils ont conditionné à adhérer ou pas aux théories racistes. Comment? En leur faisant croire que le racisme était scientifiquement fondé ou pas par la lecture d'un article scientifique.
Ils ont donc fait lire aux étudiants du premier groupe un article factice allant dans le sens des théories racistes. À ceux du second groupe, ils ont donné un véritable article opposé à ces théories. Quant aux participants du troisième groupe, ils ont pu lire (ô joie), un article scientifique sur l'eau.
Certes, la lecture d'un unique article ne saurait pas convaincre un
individu de telle ou telle théorie. Cependant, il a été montré que
certaines croyances, et l'état d'esprit qui va avec, peuvent être expérimentalement activées, ce à quoi sert ici la lecture de ces articles. Mais retournons à l'expérience en question.
Test de créativité
Après ces lectures, les participants ont ensuite tous été soumis,
dans le cadre d'une étude qu'on leur a dit être différente, à un test de
créativité appelé le Remote Associates Test (RAT).
Derrière ce nom complexe se cache un principe très simple, il s'agit de trouver quel mot est le point commun entre plusieurs autres termes.
Par exemple, à la question: quel mot associer aux termes "ping pong",
"manger" et "cartes"? La bonne réponse serait le mot "table" (table de
ping pong, manger à table, cartes sur table). Pour réussir ce test, il
faut faire preuve d'un minimum de créativité, trouver les bonnes
associations, bref avoir un peu d'imagination.
Une fois ces exercices terminés, les participants ont dû remplir un questionnaire visant à évaluer leur degré de croyance aux théories racistes afin de pouvoir comparer leurs résultats au test à leur degré de croyance en ces théories.
Le résultat est sans appel. Les participants du groupe qui avait dû
lire l'article raciste ont eu des scores moins bons que les autres.
Fermeture d'esprit
Alors que se passe-t-il vraiment? Comment expliquer que les racistes aient moins bien réussi les tests de créativité?
Pour le savoir, Tadmor et ses collègues ont soumis deux nouveaux groupes de participants, américains cette fois-ci.
Le premier était constitué de caucasiens, le second d'américains d'origine asiatique. Chacun de ces deux groupes a été soumis au même principe que pendant la première expérience. Divisés en trois sous-groupes,
les participants du premier ont été conditionnés par la lecture d'un
article raciste, les seconds par celle d'une étude non raciste, ceux du
troisième par un article neutre.
Comme dans la première expérience, ils les ont ensuite soumis à un autre test de créativité.
Ici, c'est le problème dit de Duncker qu'ils ont dû résoudre. Mis au
point en 1945, ce test a fait ses preuves en tant que mesure de la
créativité. Pour faire simple, c'est une sorte de casse-tête pratique.
L'idée? Trouver le moyen à l'aide d'une bougie, d'une boîte
d'allumettes et de quelques épingles, d'attacher la bougie à un mur.
A priori, cela semble très compliqué. En réalité, cela ne l'est pas,
mais nécessite néanmoins de penser ces objets autrement et notamment la
boîte d'allumette qui, accrochée au mur à l'aide des épingles, va servir
de reposoir à la bougie. Ce n'est pas clair? Un coup d'oeil à la vidéo
ci-dessous vous permettra de bien visualiser le principe de cet
exercice.
Dernière étape de l'expérience, les participants des deux groupes ont dû remplir plusieurs questionnaires. Le premier a servi à évaluer leur degré de racisme. Le second à leur fermeture d'esprit,
laquelle en psychologie n'est pas un concept vague, mais au contraire
très précis et mesurable grâce à une échelle mise au point par les
psychologues Webster et Kruglanski.
Une nouvelle fois, les résultats de ces expériences sont univoques.
Dans les deux groupes, les participants qui ont été
conditionnés par la lecture d'un texte avalisant l'essentialisme raciste
ont été moins créatifs que les autres. Mais leur score a été aussi moins bon sur l'échelle de la fermeture d'esprit,
ce qui tend à indiquer que penser de façon raciste a pour conséquence
de façonner la manière dont nous considérons non pas seulement les
hommes, mais l'ensemble de l'environnement qui nous entoure.
Un comportement qui nous nuit
Pour le dire plus simplement, le racisme n'est pas qu'une idée fausse, c'est aussi un comportement qui nous nuit.
Alors que nous apprend vraiment cette étude? Premièrement, qu'on peut
inverser le raisonnement. Si le racisme rend crétin en ce qu'il nous
pousse à catégoriser le monde qui nous entoure, c'est aussi en
catégorisant, en refusant de voir au-delà du stéréotype qu'on devient
raciste.
Deuxièmement, ce qui est valable pour le racisme l'est certainement
pour d'autres comportements qui tendent à user de stéréotyper et à
catégoriser à outrance. Plus qu'une banale étude comportementale, cette
étude peut donc être lue comme un véritable éloge de la curiosité aux
débouchés pratiques.
Face à un problème à résoudre, une situation inextricable, peut-être
que la meilleure solution serait donc de prendre les devants. Rester
attentif, être ouvert, penser contre soi, faire de la curiosité une
habitude, se remettre en question, voilà quels pourraient être le
meilleur garde fou face à certaines tendances de notre esprit. Au final,
nous n'apprendrons donc rien que nous ne sachions déjà depuis plus de
trois siècles. Mais rien, non plus, qui ne soit inutile de rappeler.
N'en faites cependant pas trop tout de même. Nous en parlons aussi
souvent ici, de nombreuses études montrent que pour rester éveillé, rien
de tel que de rêvasser, faire du sport ou sortir pour une balade en
forêt. Un peu comme si le cerveau était un poumon, qui avait lui aussi
besoin d'air pur pour ne pas s'étouffer, ou pire, s'intoxiquer.
http://www.huffingtonpost.fr/2013/01/15/pourquoi-le-racisme-a-une_n_2478690.html
Les mobiles inconscients du racisme
La
tentation
raciste sommeille au cœur de chacun. Affirmation
brutale, provocante — mais
aussi inquiétante — qui traduit l'extraordinaire
dynamique affective
qu'engendre chez l'individu la conscience de soi-même et de
ses différences
avec autrui. Le racisme est en effet, avec ses contradictions et
ambiguïtés,
refus de l'autre.
La
personnalité
raciste apparaît sous les traits de l'autoritarisme.
Peu enclin à
l'introspection, le raciste entretient avec les autres des relations
dépourvues
d'affectivité, au contenu pauvre et très
conventionnel. Conformiste, il est
avide d'un pouvoir qui donnera libre cours à son
intolérance et à son
agressivité. Car c'est bien celle-ci la composante la plus
apparente de sa
démarche.
Pour
la justifier,
le raciste accentue les différences qui le
séparent de l'Autre. Que celles-ci
soient minimes ou grandes, réelles ou imaginaires, elles
sont immédiatement
généralisées. Un juif est-il avare ?
ils le sont tous ; ce n'est pas un Arabe
qui est paresseux, mais tous les Arabes. Ce qui n'exclut pas d'avoir
généralement son bon juif ou son bon Arabe pour
se donner bonne conscience. Situation
commode pour le raciste qui trouve, dans
l'infériorité supposée de l'autre,
compensation à sa propre médiocrité.
Les
conditions
d'élaboration de cette personnalité en
expliquent la nature. Toute
personnalité se définit de manière
progressive autour d'un point d'équilibre
entre les multiples contraintes psychologiques que subit la
conscience. L'instabilité
est telle que le refus de l'Autre constitue la meilleure
barrière de
protection. C'est dire que selon les individus et leur niveau
d'équilibre,
l'aptitude à résister ou à
céder à la tentation raciste est plus ou moins
grande. Que de frustrations en effet depuis la
première d'entre elles qu'est le
sevrage ou la séparation de la mère !
Inhérentes à la vie familiale, à
l'éducation, elles engendrent
inévitablement une réaction de
révolte. Cette
agressivité — elle-même intériorisée — est porteuse
d'énergie affective que des
soupapes de sûreté projettent sur certains objets.
Parmi ceux-ci figurent les
différences de l'Autre, surtout s'il appartient à
une « race maudite »
historiquement admise.
Le
refus de la
différence apparaît dès lors Refus de
Soi-même détourné sur l'Autre pour
préserver sa propre personnalité. Transfert
d'agressivité qui justifie
d'accuser l'Autre, devenu victime, car porteur d'une menace
supposée. Selon
les impulsions personnelles et le milieu culturel,
l'agressivité se porte
préférentiellement
sur le juif, le musulman, l'homme de couleur ou un autre.
Véritable
haine de
la différence, le racisme traduit non l'ampleur
réelle des disparités mais la
conscience qu'a l'intéressé de sa propre
faiblesse.
La
tentation
raciste est à la mesure d'un Moi demeuré
primitif, peu différencié,
submergé
sous la pression des conflits où la
réalité le jette. Dans une perspective
freudienne, elle interfère au plus profond de la
sexualité et exprime un
fantasme d'auto- engendrement. Y a-t-il meilleur témoin de
celui-ci que la
pureté du sang volontiers invoquée par le raciste
? Démarche liée au besoin
obsédant de nier sa propre castration — donc ses
limites — et apparentée au
désir inconscient de retour à l'état
prénatal. Rien d'étonnant alors à ce
que
l'homme d'une autre race, incarnation de la différence par
son seul physique,
réveille l'idée redoutée, et sans
cesse refoulée, de la mère interdite au
désir
et donc de l'impossible toute-puissance. Charge affective
énorme ainsi
transférée sur la race d'où
l'extraordinaire dynamique et le succès facile des
thèses racistes.
Cet
autre dont les
différences avivent le désir interdit porte la
responsabilité d'une angoisse
qui se retourne contre lui. Il incarne l'animalité la plus
vile ; il doit
expier et disparaître. C'est la condition pour que le raciste
soit libéré de sa
propre angoisse. D'où l'étonnante
vitalité destructrice du racisme dont les
génocides arménien et nazi du
XX° siècle sont une tragique illustration.
L'analyse
psychologique, même sommaire, fait apparaître une
tentation raciste profonde,
menace constante et pernicieuse, toujours prête
à s'éveiller. Il est facile de
se proclamer antiraciste ; sans doute est-il plus
malaisé de ne pas être
raciste.
De l'Ethnocentrisme au Racisme militant
Tout
comme
l'individu, le groupe tient à affirmer son
identité face aux différences
anthropologiques et culturelles qui le séparent des
autres collectivités. Ainsi
s'établit entre les groupes une véritable
surenchère de qualité qui les conduit
à se proclamer collectivement et individuellement les
meilleurs.
Cet
ethnocentrisme
est une attitude universelle mise en évidence dans
les sociétés les plus
primitives : les Cheyennes ne se désignent-ils pas
eux-mêmes d'un mot
signifiant « êtres humains » tout comme
les Indiens Guayakis s'intitulent Aché
ou « personnes », les uns et les autres
exprimant ainsi un sentiment de
supériorité, peut-être vague mais
certain.
Difficilement
maîtrisable, inhérent à la nature
profonde des hommes, l'ethnocentrisme n'est en
soi guère dangereux. Il ne fait que traduire un refus
collectif des différences
aboutissant à une méfiance de «
l'étranger » sans intention
véritablement
agressive. Le comportement de certaines tribus nomades d'Amazonie, qui
évitent
de se rencontrer dans leurs déplacements en est
l'illustration.
Mais
l'ethnocentrisme — s'il n'en est pas la condition
suffisante — porte en germe
une condition nécessaire du racisme. Que les
disparités culturelles soient
rapportées à la nature biologique des
individus — même si cette interprétation
est imaginaire, sans fondement — et le refus de la
différence prend une tout
autre signification ; voici franchi le pas qui conduit à
l'idéologie raciste. Le
contenu de celle-ci inventé, les fantasmes sont
élaborés au nom d'une prétendue
supériorité héréditaire du
groupe. Fort heureusement, le passage de
l'ethnocentrisme au racisme n'a lieu que sous certaines conditions.
Il
faut en effet
que l'ambiance valorise les différences pour que s'explicite
ouvertement la
démarche raciste. L'histoire nous montre le racisme est toujours
étroitement
imbriqué à son déroulement ;
les inévitables tensions qui la jalonnent
constituent en effet le bouillon de culture propre à son
émergence. Ces
épiphénomènes
servent de révélateurs au racisme social latent
qui rapidement détourne désirs
de révolte et haines de leurs objectifs premiers pour les
diriger sur une
minorité bouc-émissaire.
Que
des
antagonismes religieux aient ainsi pu amorcer certains
racismes n'a pas lieu
de surprendre. Sans doute l'antisémitisme est-il
né d'un anti judaïsme
religieux ; mais les théologiens ont abandonné
leur mise en cause et leur
racisme anti juif demeure.
En
fait, c'est dans
les domaines socio-économique et surtout culturel que se
situent les facteurs
révélateurs.
Le
racisme est-il
un substitut à l'opposition des classes dans la
société ? Telle est du moins
l'opinion des marxistes qui y voient un dérivatif dont use
la « classe
dominante » pour imposer son idéologie.
Interprétation excessive sans doute
mais qui a l'avantage de souligner la composante
socio-économique de l'agressivité
raciale. D'ailleurs, même s'ils ne la partagent pas, tous les
sociologues
s'accordent pour faire des contraintes sociales des
révélateurs du racisme ;
les individus « exploités » ou
simplement « frustrés »
tournent toujours leur
agressivité vers les minorités sans
défense. L'Allemagne hitlérienne polarisa
la révolte, née de la crise
économique, contre les juifs tenus pour en être
responsables. Même perfidie chez les exploitants d'Afrique du
Sud ou d'Amérique
qui cachent une politique de profit derrière l'alibi du
racisme anti noir. Il en est de même en Europe aujourd'hui pour le racisme anti musulman, anti arabe et anti noir.
Ce
sont surtout les
oppositions culturelles qui révèlent le racisme.
Toute culture implique un mode
de vie, un système de référence. L'un
et l'autre contribuent à définir
l'identité
du groupe qui en fait — non un acquis — mais une
propriété de nature et
s'efforce de la préserver. Toute confrontation des cultures,
catalyse le souci
de protection du groupe et peut ainsi induire le racisme. Mais
à l'inverse, et
de façon assez curieuse, la dilution des cultures dans
l'égalitarisme croissant
des sociétés modernes fait également
naître un racisme, témoin du désir de
préserver le groupe d'une
homogénéisation susceptible de gommer ses
particularités propres. C'est en ce sens qu'on a pu
qualifier le racisme de «
fruit du siècle des lumières », image
qui n'est paradoxale qu'en apparence.
Au
total, il
apparaît que les mécanismes psychologiques du
racisme échappent par nature à
toute possibilité de maîtrise
définitive. Le racisme s'enracine dans
l'inconscient pour des motifs qui tiennent à l'histoire
affective de
l'individu. Motifs obscurs mais qui n'en sont que plus puissants,
empêchant le
raciste de renoncer à sa démarche même
s'il en perçoit intellectuellement la
fausseté. Il plonge par ailleurs au plus profond de
la culture des sociétés
servant de réponse aux frustrations qu'elles
secrètent.
Gardons-nous
donc
de verser dans l'utopie. Tout autant que nier l'évidence, il
est vain d'espérer
la disparition du racisme. Il faut au contraire compter avec la menace
constante qu'il fait peser sur le monde.
Face
au danger, on se doit de poursuivre un combat inlassable. Non seulement en
dénonçant devant l'opinion tous les faits de
racisme, si mineurs soient-ils, mais
par une mobilisation des esprits, une vigilance de tout instant, un
effort
personnel continu afin que — dans le respect de
l'altérité — se transmette
d'homme à homme un message de fraternité. http://www.ledifice.net/P035-3.html