Je me dois de clarifier ma position
exprimée dans "Je vote" rendue publique par le magazine Leaders hier
dimanche 5 octobre 20014, et largement diffusée sur Facebook. Elle été
criblée par des critiques, qui sont loin d’être majoritaires, émanant
pour une bonne part de l’extrême gauche. On a même évoqué La trahison
des clercs, de Benda.
Ma mue de l’extrême gauche à une ouverture critique sur le phénomène de
la mondialisation s’est faite à la toute fin des années 1980. Edouard
Glissant la nomme pour les poètes mondialité afin de se démarquer de la
mondialisation qui, pour le malheur du monde et des peuples, offre aux
banquiers une hégémonie malsaine et dévastatrice.
Le poète, nomade d’un nouveau genre, est désormais transfrontalier, il
dépasse l’opposition Orient/Occident, Nord/Sud, il se défait du prurit
identitaire souvent associé au réflexe de la diabolisation de l’Occident
par la non-Europe (concept qui opère dans La crise des intellectuels
arabes, essai écrit par l’historien Abdellah Laroui paru dans les années
1970). Le pète puise dans toutes langues, dans toutes les traditions,
classiques ou vernaculaires, écrites ou orales, pour donner des
fragments du miroir brisé d’un poésie à venir.
Ma propre mutation s’est aussi précipitée à la lecture de deux écrivains
latino-américains, le romancier colombien Mario Vargas Llossa et
surtout le poète et essayiste mexicain Octavio Paz qui ont, l’un et
l’autre, suscité une vaste polémique en s’attaquant aux idées d’extrême
gauche, si prégnantes dans le milieu intellectuel sous-continent. Ils
ont associé ces idées de leur collègues à des utopies qui entravent,
sinon à de vaines illusions, à des chimères, ou, plus grave encore, à
des dogmes. Nos deux écrivains rappellent souvent que l’idée
d’extrême-gauche est souvent atteinte par la maladie de l’idenité qui
clôture les champs de la création et de la pensée et qui voue aux
gémonies la chose occidentale. Non, disent-ils, l’Occident n’est pas le
mal absolu, il n’est pas d’un seul tenant, nous avons à cheminer avec sa
part positive. Pourtant, ni Llossa ni Paz n’ont rompu avec Gabriel
Garcia Marquez qui, lui, est resté fidèle à l’idée communiste, sans
jamais partager le sentiment de phobie que suscite l’Occident.
Et Régis Debray, si impliqué par son passé dans le maquis guévariste, a
procédé lui aussi à une mue qui allait dans le même sens.
Après l’apocalypse du 11 septembre à New-York City, deux philosophes que
tout sépare, Derrida et Habermas, ont convenu de faire du nine eleven
un concept qui oblige à revenir aux positivités de legs occidental : eux
qui en étaient, chacun à sa manière, archi critiques, se sont accordés
pour ce retour aux Lumières tel qu’elles se sont cristallisée à travers
la cosmopolitique de Kant ; et à la démocratie, qui même où elle est
enracinée, reste toujours marquée par des manques ; elle est toujours à
venir.
De même, Edouard Glissant, dans la polémique suscitée par la créolité
(qui appelait à s’enraciner dans l’identité des Caraïbes et à être
phobique de l’Occident, institué ennemi à jamais) ; eh bien ! Edouard a
refusé et l’enfermement dans l’enclos de l’identité et la condamnation
de l’Occident ou des Lumières, à cause de leur implication dans ces
péchés cardinaux que sont l’esclavage et le colonialisme. Mais il n’est
de pardon que de pardonner l’impardonnable, dirait Derrida.
Ce fut cet horizon-là que traça Mandela pour son action politique.
Toutefois, ne fut possible la réconciliation dans une Afrique du sud
multicolore, que par la théâtralisation à l’échelle de toute une société
par des procès qui mettent face à face la victime et le « perpétrateur
», néologisme préféré à « bourreau ». Ainsi, dans la réconciliation
obtenue après l’instruction du crime perpétré au nom de l’Apartheid,
idéologie raciste s’il en est, il restera toujours la part de
l’irréconciliable entretenue dans le cœur de la victime.
Je finirai par l’évocation d’une zone effervescente de la Non-Europe, je
nomme l’Inde. Ses écrivains, ses intellectuels, ses académiques ont
décidé d’adopter les Lumières occidentales enrichies par leur annonce
dans les traditions indiennes. Cela a été la ligne de conduite de
Gandhi, ce qui lui donne une position morale supérieure au colonisateur
britannique, traître à sa plus belle invention. C’est Gandhi qui honore
l’invention occidentale des Lumières, affermie et enrichie par les
annonces qui en étaient les signes avant-coureurs tapis sous les plis
des traditions d’Inde.
Ce sera désormais la tâche de la non-Europe, pour la mondialité
cosmopolitique à venir, que pratiquent déjà des nomades d’un nouveau
genre, transfrontaliers, pèlerins, errants.
C’est de ce climat, de cette évolution historique que j’écris du poème à
l’annonce d’un choix dans une situation politique qui exige l’urgence
et engage ce que Heidegger nomme le destinal d’un peuple, d’une nation.
C’est la ligne d’horizon que je me suis tracée. Et ma prise du position
dans Je vote s’inscrit dans cette même urgence, ce même destinal.
Certains me reprochent d’avoir abandonné l’art de la nuance qui m’est en
effet cher. Mais dans l’urgence et affronté au destinal, il faut être
aussi tranchant qu’un sabre de samouraï.
Vous aurez aussi compris que je ne suis pas les lignes multiples tracées
par Bourdieu, Toni Negri, Aganben ou encore Badiou. Pourtant, je
continue de les fréquenter et de les lire avec, bien sûr, mes lunettes
et mon tamis. De leurs marges, de leurs digressions, de leurs détails,
j’en tire une substantifique moelle.
Vous aurez de même compris que, pour moi, la référence à Benda et consorts, est obsolète.
Sachez enfin que toute critique est la bienvenue, sauf celle qui
contrevient à la civilité par l’usage de l’insulte. C’est pour cette
raison que j’efface les insultes.
Par Abdelwahab Meddeb le 6 septembre 2014
Ci-dessous, cette prise de position qui vient d’être publiée sur le site du magazine « Leaders »:
Abdelwahab Meddeb
Abdelwahab Meddeb
Je vote Nidâ’ Tounis, pour les
législatives et Béji Caïd Essebsi pour les présidentielles, en dehors de
toutes autres considérations, car si l’on se met à les considérer, il y
aurait beaucoup à dire, il y aurait matière à empêcher un tel choix. Je
vote Nida’ et BCE car ce sont le seul parti et la seule personnalité
qui ont les moyens de rééquilibrer le paysage politique pour le rendre
au moins conforme aux rapports de force qui divisent notre société.
C’est un vote de salut public.
L’enjeu
concerne l’avenir au long cours de notre pays. Nous sommes devant le
choix entre d’une part une société ouverte, dynamique, adaptée aux mœurs
du notre siècle, n’ayant pas peur de regarder vers l’avenir ; et,
d’autre part, une société close, régressive, archaïque, engluée dans la
confusion entre religion et politique, ramenant la croyance à l’adhésion
à un dogme appauvri, aminci, stérile, assimilé à une vérité
indiscutable, dépouillé de sa propre culture fondée sur une théologie du
doute, de la pluralité des opinions, de la controverse comme de
l’interrogation et du sentiment de perplexité, d’angoisse, que suscite
la question religieuse.
Nous
estimons que la vision globalisante de l’islam s’est transformée en une
idéologie totalitaire qui ne peut conduire qu’au fascisme. Pour
retrouver l’air frais de la liberté et nous éloigner de l’étouffement
que procure la colonisation des âmes, je vote Nida’ et Béji. En dehors
de toute autre considération. Cela s’appelle voter utile pour le bien
public. C’est vers ce choix que devrait s’orienter la volonté du peuple
afin que sa souveraineté soit affermie.
"Si
les Tunisiens nous font confiance", a également indiqué M. Essebsi,
"notre première priorité sera la sécurité. La Tunisie connaît le
terrorisme, ce qui n'est pas dans ses habitudes. La solution au problème
passe par une stratégie à l'échelle régionale, en accord avec les pays
voisins, la Libye, l'Egypte, l'Algérie, le Mali ou le Niger."
Quelque 5,2 millions d'électeurs (dont 359.000 électeurs en France) sont appelés aux urnes en Tunisie pour élire, avec près de deux ans de retard sur le calendrier initial, 217 députés dans 33 circonscriptions, y compris six à l'étranger. Ils retourneront aux urnes le 23 novembre pour choisir leur futur président.
VOIR AUSSI :
BEJI CAÏD ESSEBSI, UN SUFFETE MODERNE...
Commentaire
BCE : c'est l' "alternative à l'islamisme"
Lors d'une conférence de presse tenu à Nice début octobre 2014, Béji Caïd Essebsi (BCE) s'est posé en "principale alternative à l'islamisme", du parti
Ennahdha. "La différence fondamentale entre nous et ce parti, a indiqué
M. Essebsi, c'est que nous sommes entrés
dans un processus démocratique, alors que les islamistes, eux, prennent
leurs ordres auprès de Dieu, et pas du peuple. Les électeurs vont
trancher entre notre projet, inscrit dans la modernité et le XXIe
siècle, et un autre projet, religieux."
Quelque 5,2 millions d'électeurs (dont 359.000 électeurs en France) sont appelés aux urnes en Tunisie pour élire, avec près de deux ans de retard sur le calendrier initial, 217 députés dans 33 circonscriptions, y compris six à l'étranger. Ils retourneront aux urnes le 23 novembre pour choisir leur futur président.
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