«L'effondrement de l'Union soviétique a
supprimé la seule limite au pouvoir de Washington qui l’empêchait d'agir
unilatéralement à l'étranger... Soudain, les États-Unis se sont retrouvés le
seul pouvoir, la seule superpuissance mondiale. Les néoconservateurs
ont proclamé la fin de l'histoire.» Paul
Craig Roberts, ancien secrétaire adjoint du Trésor Américain
Proverbe russe : «Ce n’est pas la faute du
miroir si votre visage est tordu.»
Le 10 Février 2007, Vladimir Poutine a prononcé un discours à la 43e Conférence
sur la sécurité de Munich qui a ouvert un fossé entre Washington et Moscou,
fossé qui n’a fait que s’approfondir au fil du temps. Une heure durant, le
président russe a critiqué de manière cinglante la politique étrangère
américaine, se livrant à un acte d’accusation en bonne et due forme des
interventions américaines dans le monde entier et de leur effet dévastateur sur
la sécurité du monde. Poutine n’a probablement pas réalisé l’impact qu’aurait
son réquisitoire sur l’assemblée réunie à Munich, ni la réaction des éminences
grises états-uniennes, pour qui ces déclarations ont représenté un tournant
dans les relations américano-russes. Mais, le fait est que l’hostilité de
Washington envers la Russie remonte à cet incident particulier, à ce discours
dans lequel Poutine s’est engagé publiquement en faveur d’un système mondial
multipolaire, rejetant par là-même les prétentions à un Nouvel ordre mondial
des élites américaines. Voici ce qu’il a dit:
«Je suis convaincu que le moment est venu de réfléchir sérieusement à
l’architecture de la sécurité internationale. Et nous devons rechercher un
équilibre raisonnable entre les intérêts de tous les participants au dialogue
international.»
En disant cela, Poutine a contesté le rôle de seule superpuissance mondiale
et de seul responsable de la sécurité mondiale des États-Unis, une position
privilégiée que Washington estime avoir méritée par sa victoire dans la guerre
froide et qui autorise les États-Unis à intervenir unilatéralement lorsqu’ils
le jugent opportun. Le discours de Poutine a mis fin à des années de querelles
et de discussions entre les analystes des groupes de réflexion sur la question
de savoir si la Russie pouvait être intégrée au système dirigé par les
États-Unis ou non. Désormais, ils savaient que Poutine ne danserait jamais sur
l’air de Washington.
La question est pourquoi? Pourquoi Washington est-il aussi déterminé à éliminer Poutine?
Poutine a répondu lui-même à cette question récemment lors de la Journée
des travailleurs diplomatiques de Russie. Il a dit que la Russie poursuivrait
une politique étrangère indépendante malgré les pressions dans ce qu’il appelle
l’environnement international complexe d’aujourd’hui.
«En dépit des pressions que nous subissons, la Fédération de Russie
continuera à mener une politique étrangère indépendante, dans l’intérêt
supérieur de notre peuple et dans le respect de la sécurité et de la stabilité
mondiales.» (Reuters)
Voilà le crime impardonnable de Poutine, C’est le même crime qu’ont commis
le Venezuela, Cuba, l’Iran, la Syrie et d’innombrables autres nations qui
refusent d’obéir aux directives de Washington.
Poutine a également résisté à l’encerclement de l’Otan et aux efforts
états-uniens pour piller les vastes ressources naturelles de la Russie. Et tout
en faisant le maximum pour éviter une confrontation directe avec les Etats-Unis,
Poutine n’a pas reculé sur les questions qui sont vitales pour la sécurité
nationale de la Russie, au contraire, il l’a souligné à maintes reprises, non
seulement la menace que pose à Moscou l’avancée de l’Otan, mais aussi les
mensonges qui ont précédé son expansion vers l’est. Poutine en a aussi parlé à
Munich:
«Je voudrais citer le discours du Secrétaire général de l’OTAN, M.
Woerner à Bruxelles le 17 mai 1990. Il a dit à l’époque que le fait que
nous soyons prêts à ne pas placer une armée de l’Otan en dehors du territoire
allemand donne à l’Union soviétique une solide garantie pour sa sécurité… Où
sont ces garanties?»
Où, en effet. Apparemment, ce n’étaient que des mensonges. Comme l’a dit
l’analyste politique Pat Buchanan dans son article Poutine n’a-t-il pas
raison sur un point?:
«Bien que l’Armée rouge se soit retirée volontairement d’Europe de l’Est et
soit rentrée chez elle, et que Moscou ait compris que nous n’étendrions pas
l’Otan vers l’est, nous avons saisi toutes les occasions de faire l’inverse.
Non seulement nous avons fait entrer la Pologne dans l’Otan, mais aussi la
Lettonie, la Lituanie et l’Estonie, et la quasi-totalité des pays du Pacte de
Varsovie, ce qui amenait l’Otan à la porte d’entrée de la Mère Russie. Il y a
maintenant un projet en cours de réalisation pour y faire entrer l’Ukraine et
la Géorgie, un pays du Caucase où est né Staline…
… »Nous semblons maintenant déterminés à rendre permanentes les bases en
Asie centrale que Poutine nous avait laissés installer dans les anciennes
républiques soviétiques pour libérer l’Afghanistan.
… »Par le biais de la National Endowment for Democracy, ses auxiliaires
Démocrates et Républicains et leurs think-tanks exonérés d’impôt, ses
fondations, et ses institutions de droits de
l’homme comme Freedom House, (…) nous avons fomenté des changements de
régime en Europe de l’Est, dans les anciennes républiques soviétiques, et en
Russie elle-même…
Ce sont les griefs de Poutine. N’a-t-il pas un peu raison?» (Poutine n’a-t-il pas raison sur au moins un point?, Pat Buchanan, antiwar.com)
Maintenant, les États-Unis veulent déployer leur système de défense
antimissile en Europe de l’Est, un système qui – selon Poutine – «va fonctionner
automatiquement et faire partie intégrante de la capacité nucléaire des
États-Unis. Pour la première fois dans l’Histoire, et je tiens à le souligner,
il y a des portions de la capacité nucléaire des États-Unis sur le continent
européen. Cela change tout simplement la configuration de la sécurité
internationale dans son ensemble. (…) Nous devons naturellement répondre
à cela.»
Comment Poutine peut-il laisser faire cela? Comment peut-il laisser
les États-Unis installer des armes nucléaires dans un endroit qui augmentera
leur capacité de frapper les premiers, ce qui détruira l’équilibre des forces
de dissuasion et mettra la Russie devant le choix d’obéir aux États-Unis ou
d’être anéantie. Poutine est obligé de s’opposer à cette éventualité, tout comme
il est obligé de s’opposer au principe sur lequel repose l’expansion des
États-Unis, à savoir l’idée que la guerre froide a été remportée par les
États-Unis, et que donc les États-Unis ont le droit de remodeler le monde en
fonction de leurs propres intérêts économiques et géopolitiques. Voici encore
Poutine:
«Qu’est-ce qu’un monde unipolaire? Même si on tente d’embellir ce terme, il
ne s’en réfère pas moins à une situation où il y a un centre d’autorité, un
centre de force, un centre de prise de décision. C’est un monde dans lequel il
y a un seul maître, un seul souverain. Au bout du compte, c’est dommageable non
seulement pour tous ceux qui vivent au sein de ce système, mais aussi pour le
souverain lui-même, car il se détruit de l’intérieur…
»Je considère que le modèle unipolaire est non seulement inacceptable mais
aussi impossible dans le monde d’aujourd’hui (…) le modèle lui-même est vicié à
la base car il n’est pas et ne peut pas être le fondement moral de la
civilisation moderne…» (Munich, 2007)
Quel genre d’homme parle de la sorte? Quel genre d’homme parle des fondations
morales de la civilisation moderne ou invoque Franklin
D. Roosevelt dans son discours?
Poutine: «La sécurité de l’un d’entre nous est la sécurité de tous.
Comme l’a dit Franklin D. Roosevelt pendant les premiers jours de la Seconde
Guerre mondiale : Quand la paix a été rompue quelque part, la paix de tous
les pays est partout en danger. Ces mots restent d’actualité
aujourd’hui.»
J’exhorte chacun à regarder au moins les dix premières minutes du
discours de Poutine et à décider par lui-même si la description (et la
diabolisation) de Poutine dans les médias est juste ou non. En faisant
particulièrement attention à la sixième minute où Poutine dit ceci:
«Nous assistons au mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux
du droit international. Et les normes juridiques indépendantes se rapprochent,
en fait, de plus en plus du système juridique d’un État. Cet État c’est, bien
sûr, les États-Unis, qui débordent de leurs frontières nationales dans tous les
domaines. Cela se voit dans les politiques économiques, politiques, culturelles
et éducatives qu’ils imposent aux autres nations. Eh bien, qui aime cela? Qui
est satisfait de cette situation?» (Discours
légendaire de Vladimir Poutine à la Conférence sur la sécurité de
Munich)
Pendant que Poutine parle, la caméra panoramique s’attarde sur John McCain
et Joe Lieberman qui sont assis au premier rang, le visage figé, bouillonnant
de rage à chaque mot prononcé par le président russe. Si on regarde d’assez
près, on peut voir la vapeur sortir de l’oreille de McCain.
Voilà pourquoi Washington veut un changement de régime à Moscou.
C’est
parce que Poutine refuse de se laisser mener par le bout du nez par les
États-Unis. C’est parce qu’il veut un monde régi par des lois
internationales appliquées de manière impartiale par les Nations Unies. C’est
parce qu’il rejette un ordre mondial unipolaire où une nation dit à tout
le monde ce qu’il doit faire et où la guerre devient le moyen préféré des
puissants d’imposer leur volonté aux plus faibles.
Poutine: «Aujourd’hui, nous assistons à une hyper-utilisation, une
utilisation presque sans limites de la force, qui plonge le monde dans un abîme
de conflits permanents. (…) Les États-Unis outrepassent leurs frontières
nationales dans tous les domaines (…) Et bien sûr, c’est extrêmement dangereux.
Il en résulte que plus personne ne se sent en sécurité. Je tiens à le souligner
– personne ne se sent plus en sécurité.» Vladimir
Poutine, Munich 2007.
Poutine n’est pas parfait. Il a ses défauts et ses manquements comme tout
le monde. Mais il semble être une personne honnête qui a permis le
rétablissement rapide de l’économie de la Russie, qui avait été pillée par des
agents des États-Unis suite à la dissolution de l’Union soviétique. Il a élevé
le niveau de vie, augmenté les pensions, réduit la pauvreté et amélioré l’éducation
et les soins, ce qui explique le taux de satisfaction du public, qui plafonne
actuellement à un impressionnant 86 %. Mais ce qui suscite le plus
l’admiration chez Poutine, c’est qu’il ose s’opposer aux États-Unis et bloquer
leur stratégie de pivoter vers l’Asie. La guerre par procuration qu’il mène
en Ukraine a pour but de contrecarrer le plan de Washington de briser la
Fédération de Russie, d’encercler la Chine, de contrôler le flux des ressources
de l’Asie vers l’Europe et de gouverner le monde. Vladimir Poutine est le fer
de lance de cette lutte et c’est pourquoi il a gagné le respect et l’admiration
de beaucoup de gens dans le monde.
Quant à la démocratie, laissons encore la parole à Poutine:
«Suis-je un pur démocrate? (Rires.) Bien sûr que oui. Absolument.
Le problème est que je suis le seul, le seul de mon espèce dans le monde
entier. Il suffit de regarder ce qui se passe en Amérique, c’est terrible, la
torture, les sans-abri, Guantánamo, les personnes détenues sans procès ni
enquête. Et regardez la violence avec laquelle l’Europe traite les
manifestants, des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes sont utilisés
dans une capitale après l’autre, des manifestants sont tués dans les
rues… Je n’ai plus personne à qui parler depuis que Gandhi est mort.»
Bien dit, Vladimir.
Par Mike WHITNEY –
Le 6-8 mars 2015 – Source CounterPunch
Le 6-8 mars 2015 – Source CounterPunch
MIKE WHITNEY vit dans l’État de Washington. Il a contribué à l’ouvrage
« Hopeless: Barack Obama and the
Politics of Illusion (AK Press) « .
On peut le joindre à fergiewhitney@msn.com.
On peut le joindre à fergiewhitney@msn.com.