Les supplétifs régionaux
des États-Unis au Moyen-Orient et en Ukraine sont engagés
dans un saccage de leur propre histoire, faisant tout ce qu’ils
peuvent pour enterrer le passé de leurs pays afin de construire
plus facilement leur version d’un avenir utopique.
Cette tendance à la guerre contre l’histoire est
endémique suite à la militarisation de la mémoire historique que les
États-Unis déploient partout en Eurasie. Avec DAESH saturant les manchettes
mondiales des journaux après la saisie de Palmyre et la menace urgente que cela
pose sur ce site du patrimoine mondial de l’UNESCO, il est
intéressant de revoir comment la croisade anti-historique du groupe
terroriste est identique à ce que les nazis de Kiev font en Ukraine, et
comment toutes ces destructions sont liées au nouveau type de
guerre asymétrique que les États-Unis pratiquent à travers l’Eurasie.
Rompre (physiquement) avec le passé
DAESH et les nazis de Kiev sont acharnés
à éliminer tous les liens vers le passé qui ne correspondent pas à
leurs idéologies radicales respectives du wahhabisme et du fascisme. Voici
une brève vue du carnage historique qu’ils ont mené jusqu’à présent.
CNN a rendu compte en avril
des traces de destructions historiques que DAESH a laissées dans son
sillage. Leur liste complète, étonnamment détaillée, des dommages causés
aux anciennes villes de Nimrud, Khorsabad, et Hatra, ainsi que la destruction
du musée de Mossoul (où seraient maintenant des répliques), la Bibliothèque de Mossoul, et le
tombeau de Jonas. Pourtant, ce ne sont que des exemples pour
représenter la plupart des attaques de grande envergure que le groupe
a réalisées sur les objets historiques, comme il est assuré qu’ils ont fait
beaucoup plus de dégâts à des artefacts de relativement moindre importance ou
de moindre renommée.
Alors que certains de leurs exploits ont été
utilisés à des fins de propagande, ils ne nuisent pas à la sincérité de
l’intention des terroristes de forcer à réécrire l’histoire. L’objectif de
DAESH semble évidemment être l’élimination de tous les symboles
civilisationnels fédérateurs qui datent d’avant l’aube de l’Islam afin de créer
la fausse impression que les terres qu’ils occupent actuellement n’avaient pas
d’antécédents pour les occuper avant cette période. Le groupe estime apparemment
que leur militantisme contre des objets historiques renforce en quelque sorte
leur légitimité et les rend plus attrayants (et craints).
Les nazis de Kiev
Le régime pro-occidental à Kiev participe aussi pour
sa part au révisionnisme historique physique, ayant renversé plus de cinq cents
monuments de Lénine à travers le pays dans la dernière année
seulement. Cette obsession violente contre Lénine est tragiquement
ironique puisque c’est lui qui a effectivement créé l’Ukraine moderne. Mais pour un
fasciste ukrainien, il ne représente rien de plus qu’un supposé contrôle
russe sur la région et, par conséquent, doit être éliminé de la vue et de
l’esprit.
Allant plus loin, Kiev a banni les
symboles communistes et changé à la fois la date et la manière
dont le Jour de la Victoire [sur l’Allemagne nazie] sont célébrées.
Le pays force maintenant à utiliser le symbole du pavot à
la place du ruban de St. George et commémore l’événement (appelé le Jour du Souvenir et de la réconciliation)
un jour avant la Russie, en conformité avec les Européens de l’Ouest. Quel est
le but de Kiev ? Créer une distorsion dans la continuité
historique entre le Banderistes [les fascistes ukrainiens] et le
post-coup d’État en Ukraine, en éliminant de manière sélective des éléments de
son histoire, datant de l’ère soviétique, qui malencontreusement se dressent
sur le chemin de ce mythe, sans évoquer bien sûr la création de l’Ukraine
moderne par les Soviétiques.
Manipulation de l’avenir
Les attaques physiques de DAESH et Kiev sur l’histoire
sont dirigées autant contre l’avenir que contre le passé. La lustration historique à
laquelle les deux participent à pour objet de pousser les populations
qu’ils contrôlent à réinterpréter le passé pour faciliter
des ambitions futures très spécifiques. En changeant l’histoire, ils
changent l’identité des personnes, et avec elle, le cours de leur
développement. Ainsi, ils utilisent l’outil de la mémoire historique afin de
modifier, par la force, le destin des territoires qu’ils
administrent, peu importe la durée de leur emprise sur eux.
Ceci est possible car la guerre qu’ils mènent est
terriblement inégale, en ce que les agresseurs sont capables d’attaquer un
monument historique ou de créer un événement de leur choix, tandis que les
défenseurs n’ont rien d’équivalent pour riposter. Il s’agit
essentiellement d’une guerre défensive sans fin qui doit être combattue par la
vérité sur l’histoire, tandis que les révisionnistes militants sont libres de
choisir quand et où ils lancent leur prochaine offensive. Dans le cas de Kiev,
le gouvernement contrôle la plupart de l’État ukrainien et peut donc
se présenter à l’Occident avec une carte blanche [pour agir chez lui
comme il l’entend, NdT], mais DAESH ne contrôle pas l’ensemble de la Syrie ou
de l’Irak, donnant ainsi aux deux États, et civilisations, la
possibilité de défendre au moins certaines parties de leur patrimoine physique.
Il faut souligner que peu importe combien de temps DAESH
ou Kiev règnent sur leurs territoires, ils ont déjà commis des dommages
historiques irréparables sur ce point. La destruction par DAESH
d’anciens sites millénaires parle par elle-même, alors que la campagne de Kiev,
en dépit de ne pas être aussi grande que celle de son homologue du
Moyen-Orient, a réussi à rendre schizophrénique l’identité de l’État
retrouvé. Même s’ils sont finalement vaincus, il est impossible pour chaque
territoire affecté de retourner au statu quo ante bellum, démontrant ainsi
que les assassins éphémères (et potentiellement périodiques) wahhabites et
fascistes sont capables de réaliser d’immenses dommages historiques dans
une très brève période de temps. On devrait malgré tout se souvenir que ce
n’est pas totalement sombre, car la résistance du peuple dans la lutte contre
ces maux peut constituer la base d’une nouvelle mémoire historique qui pourrait aider à
aplanir les clivages du passé si le conflit se termine en leur faveur.
Similitudes frappantes
Les similitudes de DAESH et Kiev ne se
résument pas à leur révisionnisme violent et à leurs manipulations
futures, car ils partagent aussi quelques autres détails essentiels :
Asymétrie
DAESH et les nazis Euromaïdan sont arrivés au
pouvoir, dans leurs domaines respectifs, par des moyens asymétriques, avec une
préférence pour le terrorisme urbain. Après avoir atteint leurs positions
actuelles, ils ont alors commencé à mettre en œuvre des tactiques
conventionnelles hybrides; ainsi, DAESH a saisi des véhicules
militaires américains et irakiens, tandis que Kiev réquisitionnait l’ensemble
des Forces armées ukrainiennes. On peut donc constater, comme un état de
fait, que les deux entités ont des motivations militaires dans la
poursuite de leurs objectifs, et ce n’est pas une coïncidence non plus de
constater que ces deux objectifs, renverser le gouvernement syrien et
affaiblir l’Irak d’un côté, expulser d’Ukraine les Russes et leur
influence, recouvrent exactement les objectifs stratégiques des
États-Unis, et ont obtenu le soutien américain direct dès l’origine.
Patronage américain
Cela met en évidence le fait que les deux groupes
ont été créés par les États-Unis, même si parfois ils finissent par échapper à
leur contrôle direct. Beaucoup a déjà été écrit sur le soutien des États-Unis,
de $5 Mds, pour les opérations ukrainiennes de
changement de régime et la participation active de Victoria Nuland dans
l’Euromaïdan, mais les connexions de DAESH avec
l’establishment états-unien n’ont pas attiré l’attention des médias
traditionnels. Cependant, la Russie n’a pas gardé le silence sur le lien entre
les deux, avec Lavrov dénonçant la stratégie US des bons et des mauvais
terroristes, et même le directeur du GRU s’en prenant à Washington
pour la création du terrorisme islamique. Peu importe la manière dont on
essaie de bricoler les faits, DAESH et le fascisme ukrainien
doivent leur forme actuelle aux graines semées par les Américains, peu importe
la honte que ce fait peut provoquer chez les contribuables du pays
qui paient pour ça.
«Révolution»
Les wahhabites et les fascistes
se dédient avec véhémence à renverser les gouvernements stables et
établis qui sont venus avant eux, qu’ils soient républicains laïcs ou
simplement pragmatiques (mais loin d’être parfaits) en équilibrant leurs
rapports avec l’Est et l’Ouest. Ils envisagent d’imposer le contraire de
ce qui existait avant eux, respectivement une dictature wahhabite et un État
occidental-vassal fasciste. Grâce à leurs campagnes de propagande dans
les médias sociaux, les deux mouvements radicaux tentent de se
vendre eux-mêmes comme des révolutionnaires romantiques à la masse de
la jeunesse rebelle et vulnérables qui constitue leurs recrues de base. Ils ont
manipulé le Zeitgeist [esprit du moment] semi-globalisé
de la suspicion anti-gouvernementale, conçue et diffusée par
l’Occident dans le but de promouvoir les Révolutions de Couleur
[ironiquement par le détournement du dégoût des gouvernements provoqué par
Wikileaks et Snowden] pour légitimer leur changement de régime et
leurs tentatives révisionnistes forcenées d’attaquer la mémoire
historique.
Réflexions pour conclure
La promotion par les États-Unis
du révisionnisme historique militant au Moyen-Orient et dans
l’Est de l’Europe est extrêmement importante pour signaler le
début d’une dangereuse escalade des tactiques guerrières postmodernes.
L’utilisation de la mémoire historique comme une arme physique sur le
champ de bataille pour gagner les cœurs et les esprits dépasse ce
que la société a connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bien
que de telles tactiques soient occasionnellement apparues
depuis l’Antiquité jusqu’en 1945, il semblait que le monde était enfin sur
le point de réaliser combien elles sont inutiles et nuisibles à la
civilisation humaine; c’est le moment que choisissent DAESH et les nazis ukrainiens
pour commencer leurs campagnes anti-historiques (en détruisant des
vestiges qui avaient survécu pendant des milliers d’années à
l’antagonisme d’une multitude d’ennemis). La plus grande honte est que la
complicité et le soutien des États-Unis aux deux groupes
pourraient annoncer une sauvagerie historique, où aucun des monuments
ou objets ne sera plus considéré comme sacré pour la mémoire
historique de la civilisation dans son ensemble. L’ouverture de ces vannes ne
présage rien de bon pour le destin de tout ce que l’humanité a
accompli au cours des 70 dernières années, mais en gardant à l’esprit que les
États-Unis créent le chaos pour maintenir leur emprise sur l’Eurasie,
il est facile de prévoir que d’autres assassins historiques apparaîtront
dans les années à venir, pendant la nouvelle guerre froide.
Source : le Saker Francophone
Titre original : Parade US contre l’Eurasie : ISIL, les nazis de Kiev, et la rage contre l’Histoire
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