Le
SPIEF (Saint Petersburg International Economic Forum) ouvre ses portes à
Saint-Pétersbourg. Il rassemble soixante-treize nations. Il démontre
s’il en était besoin l’impact mondial de cette belle cité (on ne va pas
la comparer à Las Vegas tout de même ?), l’intégration de la Russie au
monde des affaires et surtout au monde.
L’importance
des BRICS est même reconnue par un occident jaloux et déphasé qui ne
sait comment se féliciter d’avoir fait de la Russie un « pays isolé et
condamné par tous » sur la scène internationale. Mais même au niveau
européen, on ne peut pas dire que la rencontre de Vladimir Poutine avec
le pape François, Renzi et Berlusconi — qui a demandé la fin des
sanctions — puisse être perçue comme une démonstration que la Russie est
un pays humilié et offensé. On assiste ici surtout à un maelström
médiatique qui concerne exclusivement les journaux et les agences
occidentales qui le promeuvent ; toutes et tous entre les mains d’une
camarilla russophobe et surtout psychotique.
Dans son excellent
livre sur Charlie, qui fait le point sur l’américanisation de l’Europe
occidentale et les déprédations morales qui en découlent,
l’anthropologue et penseur Emmanuel Todd remarque que les élites sont
devenues russophobes en Europe, et ce d’une manière presque
fonctionnelle. Les élites sont passionnément russophobes parce qu’elles
se reconnaissent dans le modèle dit des élites hostiles, le modèle
oligarchique étasunien qui maltraite son peuple et lui impose un cruel
Etat policier, modèle oligarchique qui concentre la richesse entre les
mains d’une poignée de banquiers et de spéculateurs, modèle oligarchique
enfin qui se maintient au pouvoir en créant des dangers imaginaires :
le péril musulman, le péril russe, hier encore le péril jaune,
aujourd’hui toujours le péril jaune ; car la rhétorique antichinoise
prend un tour inquiétant.
Il est facile de contrôler et de
rétribuer de pareilles élites « européennes » : elles vont dans les
cabinets d’affaires étasuniens qui dépècent les biens des peuples, elles
se font inviter toutes fières au Bilderberg, elles touchent des
indemnités royales de la part de la banque Goldman Sachs qui tient les
finances du continent. Théorie de la conspiration : Et Monti, et Draghi,
et Papandréou, et Kissing, et Sutherland d’où viennent-ils et où
vont-ils ? La plupart des commissaires européens sont ainsi recyclés par
des corporations étasuniennes au cours de bourse scandaleux. La
cotisation boursière étasunienne représente 50% du total mondial pour un
PNB qui n’atteint même plus 15%.
Les médias domestiqués
reproduisent fidèlement cette vision oligarchique et psychotique. Le
mythe de la Russie isolée repose sur une vision médiatique biaisée : on
confond les EU, le Royaume-Uni et quelque affidés (l’Allemagne et le
Japon qui restent de simples protectorats étasuniens, écrivait
Brzezinski en 1997 dans son Grand échiquier) avec la communauté internationale, et on confond de façon inepte cette communauté internationale avec le monde.
VOICI LE MONDE DES MÉDIAS OCCIDENTAUX: En vert : la Russie isolée En mauve : la "Communauté internationale" En noir : le "non-Monde" ou "le monde qui n'existe pas" |
Or
la « communauté internationale » n’est pas le monde, et le brouillon
Jeb Bush et l’hilarante Hillary Clinton l’apprendront bientôt à leurs
dépens. La Russie est aujourd’hui l’alliée la plus sûre de la Chine
(seul John Mearsheimer l’a compris outre-Atlantique ; ô pauvres élites
étasuniennes !), et la Chine est aussi l’alliée et la financière de
l’Amérique du sud, et elle développe une Afrique que les saccages
postcoloniaux des occidentaux avaient maintenu dans un ubuesque
sous-développement.
Sagesse de Dieu, folie du monde, dit Saint
Paul ; sagesse du monde, folie de l’Occident pourrions-nous dire ici en
rappelant aussi que la Russie se rapproche aussi de la Turquie ou de
l’Egypte, sous les imprécations et les sarcasmes de la petite presse
occidentale, plus tellement lue, mais tellement subventionnée. Les plans
sociaux des journaux se multiplient en France, Newsweek a disparu des kiosques, le Washington Post aboie pour Amazon et le NYT
pour le mexicain le plus riche du monde. Tout cela explique cette
désagrégation morale de la presse qui soutient les arguties les plus
belliqueuses. Cela n’empêche pas la Russie de vendre aujourd’hui autant
d’armes que la médusée hyper-puissance américaine.
Emmanuel Todd
explique que la Russie a un destin éminemment gaulliste qui permettrait à
l’Europe d’échapper à l’étouffante emprise étasunienne (on croirait le
serpent de Laocoon dans l’Eneide de Virgile, qui d’ailleurs vient
aussi de la mer) ; et que c’est un pays fondamentalement égalitaire, ce
qui nuit à l’emprise agressive, corporative et oligarchique de la
société étasunienne.
Les menaces et imprécations de Washington n’ont pas empêché les faits suivants :
L’Iran a été épargné, l’Amérique du Sud a retrouvé son indépendance et tonne avec Dilma Rousseff contre le modèle du Big Stick étasunien ; la Chine investit en Afrique et crée avec la Russie la sphère de coprospérité asiatique dont le vrai continent (par opposition au vieux continent) avait tant besoin. L’Occident étasunien, lui, se limite à la gesticulation militaire et à la théâtralité offusquée : et ce ne sont pas ses centaines d’experts ou de troufions qui changeront la donne en Asie centrale. Quant à ses prestations en Syrie...
L’Iran a été épargné, l’Amérique du Sud a retrouvé son indépendance et tonne avec Dilma Rousseff contre le modèle du Big Stick étasunien ; la Chine investit en Afrique et crée avec la Russie la sphère de coprospérité asiatique dont le vrai continent (par opposition au vieux continent) avait tant besoin. L’Occident étasunien, lui, se limite à la gesticulation militaire et à la théâtralité offusquée : et ce ne sont pas ses centaines d’experts ou de troufions qui changeront la donne en Asie centrale. Quant à ses prestations en Syrie...
En réalité, il
est temps de le dire : ce n’est pas la Russie qui est isolée, c’est
l’Europe occidentale.
Ce « petit cap de l’Asie », disait le poète
Valéry, vieillit, s’appauvrit, laisse échapper sa chance de contribuer à
la grande aventure eurasiatique pour obéir à son tireur de ficelles
étasunien. La Russie conquiert le monde avec la Chine, dans une libre
communauté de nations jadis pillées par nos banquiers, laissant aux
nouveaux esclaves de l’oncle Tom le soin de péricliter dans la vétusté,
la paranoïa et les émeutes raciales.
Il y a cinquante ans, Enoch
Powell prônait un rapprochement de l’Europe et de la Russie, ainsi
qu’une surveillance de nos frontières au sud. Voyez où nous en sommes :
l’OTAN veut la guerre contre la Russie et a créé l’invasion au sud via
la Libye.
Comme dit Hegel, la sagesse vient au soir du monde, comme la chouette.
Nous verrons bien.
Nicolas BONNAL