Des textes pullulent désormais sur l’hypothèse largement substantivée
par de nombreux détails dont il est impossible de vérifier la véracité
de la présence grandissante des Russes en Syrie, et sur les modalités
de ce qui apparaît de plus en plus assurément comme une intervention
militaire directe importante sinon massive en Syrie.
Il existe un grand nombre de références aussi bien
d’origine arabe que d’origine israélienne donnant des indications extrêmement
précises sur la situation russe au Moyen-Orient et, pour les Israéliens, le
voyage de Netanyahou pour aller rencontrer Poutine à Moscou hier. En dernière
minute, le Premier ministre israélien a pris dans ses bagages son chef du
renseignement militaire et son chef d’état-major des forces armées avec
leurs conseillers. Cela indique qu’on a parlé boutique, et même arrière-boutique,
d’une manière extrêmement sérieuse impliquant la recherche d’arrangements de
règles d’intervention, sinon comme certains le pensaient de coordination de
planification, pour empêcher des incidents, essentiellement aériens, entre
Russes et Israéliens sur et surtout au-dessus du territoire syrien. Les
Israéliens ne veulent absolument pas risquer un combat ou une destruction par
inadvertance entre avions russes et israéliens, ce qui est évidemment également
une préoccupation russe.
• Du
côté israélien, effectivement, les spéculations vont bon train sur les
intentions exactes des Russes, quelle dimension ils veulent donne à leur
intervention, quel est leur but stratégique prioritaire, – la défense et l’aide
du régime Assad ou l’intervention contre Daesh, avec l’observation
évidente que les deux peuvent se combiner. Plus largement, il y a
l’interrogation des buts stratégiques de la Russie à plus long terme, et là les
hypothèses les plus favorisées sont que la Russie entend bien imposer une
présence stratégique majeure qui lui redonnerait un rôle d’influence
considérable au Moyen-Orient, comme du temps où l’URSS y était fortement
implantée mais dans des conditions très différentes. Diverses sources, dont DEBKAFiles
et Haaretz, font état de la présence de types d’avions de supériorité
aérienne (outre les MiG-31 déjà signalés), des Soukhoi Su-27 ou Su-30), et,
pour DEBKAFiles, des batteries de missiles sol-air
S-300 en cours de déploiement. DEBKAFiles s’inquiètent de la présence de
ces systèmes qui n’ont rien à voir avec les capacités de Daesh, qui n’a
pas d’aviation, tandis que Haaretz, qui parle des Su-27, estime y voir
l'indication que « la Russie n’envoie pas des forces dans la région
uniquement pour combattre l’État Islamique, ce qui est l’argument avancé en
général par les Russes, mais qu’elle entend y établir une présence stratégique
beaucoup plus significative et durable ».
• La visite
de Netanyahou semble avoir principalement porté sur des modalités techniques
d’informations réciproques en cas d’incidents possibles, de rencontres
incontrôlées, etc., entre les forces israéliennes et les forces russes
essentiellement dans le domaine aérien. Ce n’est pas une coordination où l’on
pourrait trouver une dimension politique mais simplement un mécanisme technique
entre militaires. Des détails sur cet accord ont été apportés
notamment par DEBKAFiles.
• Il est
difficile de fixer précisément la vérité de la situation, comme l’on sait, dans
l'extraordinaire profusion d'articles publiés sur le sujet de la Russie dans la
presse du Moyen-Orient. . Nous avons préféré un choix, dans la presse arabe
qui fourmille de nouvelles et de commentaires sur l’“engagement russe”, porté
sur un texte d’un journaliste de bonne réputation, Elijah J. Magnier, dans
un quotidien koweitien également de bonne réputation, Al-Rai.
A partir de Damas, Magnier décrit, le 19 septembre, ce que ses sources lui
rapportent comme étant les intentions russes, en deux phases d’engagement qu’on décrit comme
“soutien tranquille” (première phase) et “soutien tempétueux” (deuxième phase).
Magnier y ajoute des détails, à partir de rencontres qu’il aurait faites avec
des officiers russes engzagés sur le terrain ; il termine également avec
des appréciations intéressantes sur les conceptions stratégiques des Russes,
notamment par rapport aux préoccupations israéliennes. La position générale de
la Russie est détaillée selon l’idée fondamentale, nourrie par les menaces qui
pèsent sur sa partie caucasienne dans des foyers terroristes comme la
Tchétchénie, que “la sécurité nationale de la Russie est en jeu [en Syrie]
à cause de l’expansion du terrorisme. La Russie n’est pas engagée dans une
bataille en Syrie mais dans la guerre contre la terreur sur le sol syrien,
comme elle pourrait le faire en d’autres lieux où existerait un environnement
hostile [qui menacerait sa sécurité nationale]. La Russie n’abandonnera pas
ni ne reculera dans ce conflit, en Syrie, quelles que soient les pressions
internationales dans ce sens.”
• On
pourrait choisir comme conclusion (temporaire) de ces diverses évaluations et
révélations, un commentaire du Wall Street Journal, décrivant l’impasse
où se trouvent les USA, – car c’est bien là la caractéristique principale de la
situation générale du point de vue des forces en présence. On s’en remet à Sputnik-français
qui donne (le 22 septembre) un résumé de cet article nous disant l’essentiel,
qui est résumé par le constat qu’effectivement l’intervention de la Russie et l’alliance
entre la Russie et l’Iran pour cette démarche décisive dans le conflit syrien
conduisent les USA à constater l’impasse de la stratégie, avec comme seule
issue honorable de devoir s’aligner sur les russo-iraniens pour combattre
Daesh, et, par le fait même, sauver et renforcer le régime Assad en Syrie.
« “Selon des personnalités
officielles des Etats-Unis et des pays du Proche-Orient, l'intensification de
la coopération entre la Russie et l'Iran, qui cherchent à aider le président
Bachar el-Assad à maintenir son contrôle sur le point d'appui dans la zone
littorale, fait obstacle à la réalisation des objectifs diplomatiques de
Washington”, fait savoir le journal américain tout en expliquant que ces
buts consistent avant tout à démettre Assad. Selon le Wall Street Journal, le
soutien accordé au président syrien par la Russie et l'Iran “pousse l'administration d'Obama
dans une impasse des points de vue diplomatique et stratégique”.
» Ainsi,
Washington a réduit ses exigences et n'appelle plus à la démission de Bachar
el-Assad “avant que le processus de transfert du pouvoir ne soit lancé dans le
pays”. En outre, le secrétaire d'Etat des Etats-Unis John Kerry a déclaré le
week-end passé que le président syrien pouvait jouer un rôle dans la transition
du pouvoir à un nouveau gouvernement, a rappelé le journal. Le quotidien
américain cite également une source qui estime que le renforcement des
positions russes en Syrie “pourrait contribuer au règlement de la situation en
Syrie par des moyens diplomatique” selon les conditions imposées par Moscou, et
non pas par Washington.
» Selon le journal, des diplomates
russes et iraniens, des généraux et des stratèges militaires se sont rencontrés
à Moscou à plusieurs reprises afin de mener des négociations sur la protection
éventuelle du président syrien ainsi que sur le déploiement de troupes russes
sur le territoire du pays. Le Wall Street Journal souligne que la province
syrienne de Lattaquié, placée sous le contrôle d'Assad, est la zone principale
de coordination des actions conjointes. »
• Faut-il
parler de cette nouvelle sorte de conflit ? – Ce déroulement à la
fois spectaculaire et étrange de ce qui semble désormais une “intervention
militaires discrète” mais destinée à s’avérer puissante et significative, voire
une intervention de rupture stratégique, montre que la Russie, après le
précédent de la Crimée, maîtrise les modalités opérationnelles et surtout la
couverture de la communication (dans le sens de l’information qu’on en a et de
la perception qu'on en recueille) d’une nouvelle sorte de conflit dont on parle
beaucoup et qu’elle (la Russie) est la seule à utiliser avec une réelle
maestria. Ce n’est pas vraiment inattendu, justement à la lumière du précédent
de la Crimée, mais c’est extrêmement significatif du fait de l’éloignement du
théâtre où se déroule l’opération.
On a ainsi
la sensation que les Russes ont maîtrisé et mettent en pratique une véritable
nouvelle forme de guerre, qui pourrait être défini comme une “guerre stealthy” (“guerre furtive”), et qui suggère une meilleure
définition que le terme de “guerre hybride” souvent employé depuis le conflit
ukrainien ; et effectivement, comme le distinguent certains chefs du bloc BAO (des
USA) qui ne parviennent pas à l’appliquer pour leur propre compte, la
communication y tient une place considérable.
Cette
impuissance du bloc BAO vis-à-vis de cette “nouvelle forme de guerre” est sans
doute une partie de l’explication de l’impression qui se dégage de l’actuelle
situation syrienne, de l’espèce d’impunité dont semblent jouir les Russes pour
déployer leur intervention, notamment de la part des USA et d’Israël. Cette
“partie d’explication” est complétée par le sentiment que l’on a d’une certaine
impuissance de ces mêmes acteurs, et d’une impuissance certaine pour certains,
vis-à-vis des Russes, dans la situation actuelle. Nous rappelons à nouveau que
le 25 octobre 1973, une simple préparation d’intervention russe au Moyen-Orient
(en Égypte) avait conduit à une crise très intense bien que très courte (un peu
moins de 24 heures), qui était rapidement montée au niveau de la menace de l’affrontement nucléaire entre
les deux superpuissances. A cette époque, la communication ne laissait aucune
zone d’ombre et ne berçait pas les esprits de fantasmagories diverses comme si
la caverne de Platoon avait envahi le monde ; à cette époque, elle était assez
discrète et servait directement les stratégie, alors qu’aujourd’hui les
stratégies sont le plus souvent conduites par la communication, essentiellement
dans les pays du bloc BAO. Chez les Russes, la stratégie conserve la position
dominante et inspiratrice, mais ce qui est complètement nouveau tout de même
c'est l’emploi
exceptionnellement habile et efficace qu’ils font de la communication
en tant qu’arme de perception publique du déroulement des évènements,
jusqu'à modifier les modalités de la stratégie quand l'occasion s'en
présente et qu'il y a un intérêt à le faire ... Les Russes ne fabriquent
pas des narrative, qui sont surtout le produit des exigences de la pathologie
des bureaucraties-Système et direction-Système du bloc BAO mais ils jouent à
leur avantage de cette profusion de narrative développées à leur propos pour
rendre leurs actes discrets, dissimulés, difficiles à comprendre, encore plus
difficiles à contrôler, etc.
Quoiqu’il en
soit, rien de sérieux n’est opposé à leur expansion, et il y a ainsi la marque d’un
affaiblissement radical de la puissance des forces en place du bloc BAO, USA et
Israël notamment. De la part d’Israël, chez qui la puissance n’est
jamais prise en tant que telle mais construite selon une alliance précise
avec une puissance beaucoup plus fort que lui, il y a, par rapport aux
Russes, une très forte dose de réalisme colorée d’une certaine estime de
l’“adversaire-partenaire” que sont justement ces Russes. Les Israéliens ont
beaucoup plus de respect pour les capacités militaires et la direction
politique russes que les USA et ainsi ont-ils tout de suite admis que
l’intervention russe, une fois qu’elle se dessine, devient aussitôt un fait
stratégique majeur, et une chose extrêmement
sérieuse avec laquelle il faut composer dans les meilleurs
termes possibles pour les intérêts israéliens.
Pour les
USA, c’est complètement différent. Ils n’ont vraiment d’estime que pour
eux-mêmes et ils n’ont pas vu venir les Russes selon une vérité de situation
nouvelle, bien qu’ils dénonçassent leurs interventions et leurs intentions
perverses partout, en Ukraine, en Syrie, etc., selon les narrative
diverses. Placés devant la vérité de la situation (“The Russians are
vraiment coming !”), le système de l’américanisme se trouve
brusquement confronté à sa propre impuissance, à sa paralysie interne, à
l’éclatement extraordinaire de son pouvoir, et sa réaction est erratique,
confuse, presqu’embourbée dans un immobilisme significatif, affichant
ouvertement les conflits internes, à la Maison-Blanche même, où l’on ne sait
même pas si la Russie est amie ou ennemie puisque certains veulent
coopérer avec elle et d’autre la dénoncer sinon la contrer pour son aide à
l’inimitable immondice que persiste à être Assad. On dit même que certains
détachements, soit de la DIA soit de la CIA, alliées pour l’occasion, écœurés
par l’épisode CENTCOM/DIA, collaborent d’eux-mêmes
avec le FSB et le SVR russes en leur passant des données sur le terrorisme, et
sur Daesh, – notamment celles que le général Austin caviarde consciencieusement pour que Washington
puisse continuer à dormir sur ses deux oreilles. Le résultat de tout cela est
qu’aucune réponse coordonnée des USA n’attend les Russes en Syrie, que ce soit
pour coopérer à la manière des USA (les USA commandent, le reste suit), que ce
soit pour leur montrer une hostilité qui peut conduire à des incidents graves
dont les USA feraient l’hypothèse que la perspective ferait reculer les Russes.
Il y a bien eu au départ de vagues et grotesques accusations de
“déstabilisation” dans le chef de la possible intervention russe, et puis plus
rien qu’un “bruit de fond” de type cacophonique... Au contraire, les Russes
s’installent en Syrie sans interférence majeure, bref avec la bénédiction
fatiguée et par défaut des divers centres américanistes qui ne s’intéressent
qu’aux querelles internes des salons de Wadshington D.C. et aux détails de
la nouvelles narrative en formation dans les think-tank spécialisés dans
le groupthink. Ainsi les USA pourraient-ils bien
passer la main au Moyen-Orient, par inadvertance, par indifférence, par
lassitude, et surtout par une violente et insupportable allergie, jusqu’à la
nausée, à toute vérité de situation.
Source : http://www.dedefensa.org/article/la-narrative-face-au-fait-accompli