Non
seulement le Qatar est fort d’une idéologie bien définie -l'islamisme wahhabite- mais en plus
il sert ses intérêts nationaux qui n’ont pas de frontières, l’islamisme
étant expansionniste par définition. Au passage, il parvient à combler
ses intérêts économiques. Qu’en est-il de la France ? Du réalisme de ses
dirigeants ? Leur politique n’est qu’un mélange d’hypocrisie et de
surréalisme desservant les intérêts nationaux qu’ils prétendent
défendre. La politique islamiste qatarie est quant à elle réaliste et
opportunément hypocrite.
Depuis
l’introduction de la loi constitutionnelle numéro 2007-238 du 23
février 2007, la notion de haute trahison n’existe plus. C’est ainsi que
l’on est arrivé à rayer d’un trait de plume un des piliers juridiques
et éthiques de la Constitution de 1958 qui est ni plus ni moins que le
texte fondateur de la Vème République. Tout en continuant à vivre au
rythme de cette République gaulliste, la France n’adhère plus aux normes
éthiques qui la caractérisaient et qui permettaient, jusqu’à nouvel «
ordre », de juger un Président dont les actes relèveraient de la
trahison. Pour autant, est-ce qu’un chef d’Etat ne peut plus être démis
aujourd’hui de ses fonctions ? Non, il le pourrait éventuellement, mais
en cas d’incompétence manifeste. Allez savoir comment et par qui est-ce
que ce degré de manifestation est défini. Ce qui est patent, c’est que
le peuple ne participe pas à cette définition. Si demain François
Hollande passe au-dessous de la barre des 5% d’opinion favorable,
l’Elysée n’en changerait pas pour autant de maître.
Quand la
presse alternative française, nationale ou nationiste, condamne la
politique UMP-iste puis PS-iste du « Tout-Qatar », on l’accuse de
conspirationnisme aggravé car islamophobe. Comme si le Qatar, cette
immense base militaire américaine à l’idéologie a priori mouvante mais
au fond wahhabite, était représentatif du monde musulman dans son
ensemble. Le Qatar veut projeter une image détournée de sa véritable
nature en proposant un trompe-l’oeil associé à ce que certains hauts
dignitaires occidentaux qualifient d’islam des Lumières alors donc que
lesdites Lumières sont le fait des modèles baasistes que la Syrie,
malencontrueusement contrariée par la Russie dans son processus de
démocratisation genre pax americana, incarne par excellence. Un poète
qatari critique de l’Emir est condamné à perpétuité : qu’importe, c’est
l’affaire du Qatar … enfin, tant qu’il n’est pas décapité puis crucifié
comme risquerait de l’être le pauvre opposant saoudien Ali al-Nimr !
Assad se fait réélire ? Le projet du gazoduc qatari passant par Homs et
Lattaquié ne le rend pas enthousiaste ? Assad est à virer, idéal
démocratique oblige !
Le problème, c’est que l’hypocrisie des
alliés conjoncturels de la France est celui de ses dirigeants. On
comprend mieux pourquoi al-Nosra, créature qatarie avérée, faisait du
bon boulot selon M. Fabius. Qui ne connaît pas les liens intimes de Doha
avec les socialistes? Le ministre des Affaires étrangères français y a
bien entendu sa place d’honneur. On comprend mieux le sens profond de
cette pièce cornélienne jouée par la Coalition anti-EI sachant, de un,
qu’al-Nosra, selon le juste terme de M. de Villiers, est le cousin
germain de l’EI, de deux, que la majeure partie des 22 de cette preuse
Coalition est partagée entre l’envie d’en finir avec un Etat
embryonnaire dont la volonté de puissance menace la sécurité de l’Europe
et l’envie de continuer à l’utiliser contre Assad.
La position du
Qatar semble floue. Difficile à cerner surtout par rapport à la Syrie
baasiste que Doha soutenait jusqu’à la fin des années 2000 contre le
tandem Egypte/Arabie Saoudite avant de se ranger sous la bannière
anti-chiite de Riyad. En fait, le point fort du Qatar, c’est de savoir «
se placer du bon côté de l’Histoire » comme le constate Nabil Ennasri,
auteur de l’« Enigme du Qatar ». Si opportuniste soit-il, le Qatar a une
idéologie que la France, à l’image de l’UE, n’a pas. Il n’est pas
choquant qu’une monarchie wahhabite crée et finance des chaînes comme
Al-Jazeera. Il semble autrement plus étrange que la France ait envisagé
le lancement de cette chaîne à la renommée sulfureuse sur son territoire
avec des prédicateurs salafistes comme Cheikh Youssouf al Qardawi dont
la haine des régimes arabo-musulmans laïcs n’a d’égal que sa haine du
Juif. Hollande avait lancé l’opération Serval au Mali. Or, il est bien
connu que les djihadistes d’Ansar Dine sont entraînés aux frais de Doha.
On pourrait étaler le même type de paradoxes sur plusieurs pages mais
je pense que c’est inutile l’essentiel ayant été établi. On se demande
maintenant, ces faits à l’appui, comment est-ce que les élites
politiques françaises, cela depuis 2005, s’évertuent à vendre la France à
une monarchie wahhabite ? Car le terme « vendre » est bien approprié.
De PSG livré à un prix dérisoire et des injections considérables dans la
Bourse de Paris aux tentatives de s’investir dans le capital
d’Aeronautic Defence and Space company ou, pis encore, dans celui du
géant nucléaire Areva, le Qatar s’invite non seulement dans le sport ou
l’immobilier mais aussi, ces derniers temps, dans des secteurs hautement
stratégiques dont dépend directement la sécurité et de la France, et de
l’Europe dans son ensemble. Qu’en serait-il si le Qatar mettait la main
sur l’immense potentiel nucléaire français ? Rien qu’a y songer, on en
ferait des cauchemars.
Au stade où nous en sommes, mâcher ses mots
est un crime. Une lâcheté. Stratégiquement parlant, la politique du «
Tout-Qatar » porte atteinte à la sécurité de la France que ses élites
politiques vendent à une monarchie soutenant Al-Nosra, les Frères
musulmans et Ansar Dine (la liste n’est pas exhaustive). En cas de
conflit entre l’univers salafiste qui tend à s’élargir et l’UE aux
portes grandes ouvertes, qui est-ce que le Qatar va soutenir ? Lorsque
Philippe Cohen et Marc Endeweld de Marianne décrivent la
manière dont s’exerce le « soft power » qatari en France, on ne puit que
leur donner raison ! Investir, acheter, racheter – autant de moyens
pour mieux s’infiltrer à un niveau idéologique. Cela, Doha excelle à le
faire. C’est bien Al-Jazeera qui avait galvanisé des foules encore
crédules à l’époque en faisant miroiter les bienfaits des fameux
printemps arabes. La Tunisie avait alors appris à quel point est-ce que
le jasmin pouvait être nauséabond. En investissant dans les banlieues
françaises, chaudes non point parce que musulmanes mais parce qu’en bien
des points salafo-communautaristes, le Qatar s’immisce astucieusement
dans les zones grises délictieuses du paysage français. Pour ne citer
qu’un exemple parmi d’autres, Mezri Haddad, philosophe et ancien
ambassadeur tunisien, se tue à le répéter. Il sait de quoi il parle lui
et sans doute bien mieux que nous autres Européens avec nos repères
d’Européens.
Il faut donc voir bien au-delà des investissements
qataris dans Vinci, Bouygues, Suez et Casino et affronter la réalité. Le
Qatar est bien gentil d’aider l’UMP-PS à gérer ses banlieues mais il
serait bien plus naturel qu’il aide l’UE à gérer la crise migratoire qui
l’inonde en recevant les musulmans persécutés du Moyen-Orient.
Non
seulement le Qatar est fort d’une idéologie bien définie mais en plus
il sert ses intérêts nationaux qui n’ont pas de frontières l’islamisme
étant expansionniste par définition. Au passage, il parvient à combler
ses intérêts économiques. Qu’en est-il de la France ? Du réalisme de ses
dirigeants ? Leur politique n’est qu’un mélange d’hypocrisie et de
surréalisme desservant les intérêts nationaux qu’ils prétendent
défendre. La politique islamiste qatarie est quant à elle réaliste et
opportunément hypocrite. Je vous laisse apprécier la différence. Lorsque
l’OTAN a bombardé, dimanche 11 octobre, les positions kurdes dans la
province d’Alep, c’est une mine à retardement qu’il a posé … en Europe.
Oui, bien dans les frontières de l’UE les Américains n’ayant pas
grand-chose à perdre du fait de leur position géographique, du fait
qu’ils se soient remis à jouer la carte kurde à la fois contre Ankara et
Assad – c’est à se demander quels pays de l’OTAN ont bombardé les
Kurdes d’Alep – et du fait que leur véritable relation à l’EI apparaît
de plus en plus trouble. Comme preuve a contrario, on pourrait
mentionner le refus de Washington de soutenir la création d’un comité de
sauvetage des pilotes abattus par l’EI. Serait-ce parce que le projet
appartient au Kremlin ou parce que le Pentagone a la certitude que le
sort horrible du pilote jordanien capturé fin décembre 14 ne sera jamais
celui d’un pilote US ? Je me garde bien de dire « de tout pilote de la
Coalition » puisque le pilote en question qui a été brûlé vif devant les
caméras de Daesh faisait partie de la Coalition.
S’il est vrai
que les USA mènent une politique étrangère totalement criminelle et
parfois idiote, le suivisme de l’UE est quant à lui totalement dénué de
logique et suicidaire. Faisant le lit du salafisme tant à l’extérieur
qu’à l’intérieur, elle est vouée à tomber dans un double piège qui
annonce l’ « affrontement eschatologique » évoqué par l’écrivain
Guillaume de Thieulloy mais avec ce seul et crucial rectificatif qu’il
ne s’agirait alors pas d’un affrontement contre l’islam mais contre sa
déviation parachevée d’un « isme ». L’hypocrisie ne paie pas et il
faudra bien, volens nolens, s’en rendre compte un jour. Peut-être que ce
jour-là ou le jour qui suivra une expiation collective dont personne ne
voudrait, le crime de haute trahison sera enfin rétabli.
Françoise Compoint