Ce texte est
un extrait actualisé du nouvel ouvrage publié par Michael Maier. Il y analyse
les conséquences des guerres modernes pour l’Allemagne et l’Europe. L’essence
de ces guerres est l’anonymat : personne ne sait plus qui est l’ennemi,
qui et l’ami. La peur devient le sentiment dominant mondial créant ainsi les
conditions idéales pour la violence, la répression et le totalitarisme. Il n’y
a plus d’îles des bienheureux.
Pour la
première fois depuis des décennies, toutes les grandes puissances européennes,
ainsi que la Russie et les États-Unis, vont entrer en guerre en Syrie. Ensemble
ou les unes contre les autres, ce n’est pas encore clair. Le fait est que ces
guerres font rage depuis longtemps sous une forme ou une autre. Elles ont un
potentiel de destruction énorme. Car personne ne sait exactement qui est ennemi
et qui est ami. La situation est éminemment dangereuse.
Le
déploiement militaire de toutes les grandes puissances européennes – la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne – ainsi que l’engagement actuel des
États-Unis et de la Russie en Syrie mènent à une situation géopolitique
extrêmement dangereuse. De nombreux acteurs agissent masqués, de manière
anonyme ou par procuration. L’escalade est l’aboutissement d’une évolution qui
dure depuis plusieurs années – exploitée par les stratèges militaires, les
services secrets et des groupes radicaux. «Nous sommes confrontés à une
Troisième Guerre mondiale rampante», a déclaré le vice-chancelier autrichien
Erhard Busek – qui n’est vraiment pas un catastrophiste – dans une interview de
l’automne 2015.
Strictement
parlant, nous n’avons pas affaire à une guerre mondiale, mais à quatre niveaux
différents de guerres, étroitement imbriqués les uns aux autres.
L’interconnexion
du monde n’a notamment pas, contrairement à ce qui était espéré, conduit à une
libération complète, à plus de justice, d’égalité, de protection des minorités
et de diversité : l’internet, inventé un jour par l’armée comme une nouvelle
structure de communication, a été capturé par les services secrets, les grands
groupes économiques, les agitateurs politiques et les grands faiseurs de
profits. Nous vivons la révolution techno-industrielle par son côté destructeur
: la guerre s’est approprié les possibilités de la modernité. La mort par la
technologie, cela semble être l’avant-garde avec laquelle la révolution balaie
le globe.
Le premier
niveau concerne les guerres réelles : avec les moyens technologiques il
est aujourd’hui possible de tuer de manière apparemment propre. Les drones sont
guidés à distance avec un joy-stick – quelle dénomination obscène dans ce
contexte – et tuent. Il n’y a pas de déclaration de guerre. La différence entre
civils et soldats est abolie. Les auteurs de ce qu’on appelle des assassinats
ciblés restent dans l’ombre. Il n’y a plus non plus d’armées régulières :
des mercenaires combattent partout, des sectes politiques sont envoyées dans
des guerres par procuration. Les seuls qui ont encore un visage sont ceux qui
doivent en supporter les conséquences. Les morts nous restent pour la plupart
cachés – comme s’ils étaient abusés une nouvelle fois à des fins de propagande.
Les
accusateurs muets de ces guerres réelles ont pourtant un visage : ce sont
les réfugiés, qui sont arrivés par centaines de milliers en Europe en 2015. Ils
avaient été chassés par les guerres, dont personne ne connaît les chefs. Ils
sont venus perturber l’Europe dans son confort et nous font savoir qu’il y a la
guerre dans le monde.
La deuxième
guerre est la guerre financière : grâce à l’interconnexion mondiale, il
est possible de faire circuler l’argent sur toute la terre à la vitesse de la
lumière. De nombreuses manifestations hostiles actuelles, qui nous semblent des
énigmes, sont préparées longtemps à l’avance. Elles sont le résultat d’attaques
ciblées sur d’autres systèmes financiers. Les gouvernements des grands pays
commandent des armées entières de guerriers financiers. Ils agissent sans qu’on
les connaisse. Ils peuvent à tout moment provoquer la chute d’un autre
gouvernement ou d’une entreprise. Ils sont mis en position de manipuler,
d’attaquer ou de riposter. On ne les voit pas, on ne les entend pas, on ne les
connaît pas. Et pourtant ces véritables armes de destruction massive peuvent
précipiter en une nuit des continents entiers dans le malheur.
La troisième
guerre est ce qu’on appelle la cyberguerre : l’internet, attendu par les
fous d’informatique et les adorateurs de Steve Jobs comme un nouveau
paradis, est devenu l’antichambre de l’enfer de la destruction. Là aussi les
auteurs et les tireurs de ficelles restent inconnus. Des infrastructures
entières peuvent être paralysées par des hackers professionnels. Jusqu’où ces
structures sont dangereuses et dans quelle mesure elles se sont développées
entretemps se manifeste dans le fait que les États-Unis et la Chine ont
récemment entamé des négociations sur un accord de désarmement : on veut
se mettre d’accord sur le principe que la destruction de barrages, de centrales
électriques, de centrales nucléaires et d’installations de transport doivent
être exclues. La négociation des grandes puissances sur leur volonté d’éviter
la destruction le prouve : aujourd’hui, elles sont déjà en situation de
détruire. Ces possibilités offertes par la guerre intelligente font passer la
bombe atomique pour un gourdin à côté d’un avion de chasse.
La quatrième
guerre qui fait rage à l’ère technologique est la guerre de la propagande. En
fait, il existerait aujourd’hui la possibilité d’une liberté et d’une diversité
insoupçonnée. Pourtant, la crise économique et l’érosion du modèle commercial
ont poussé de nombreux journaux dans les bras des Docteur Diafoirus de la
communication et des machines de relations publiques. Aujourd’hui, les
journalistes disposent de peu de temps et il leur arrive souvent d’être moins
compétents professionnellement. Ils doivent manger dans la main de ceux qui ne
s’intéressent pas à l’information mais à l’induction en erreur. Dans la plupart
des pays d’Europe, les stations publiques de radio et de télévision devraient
effectivement informer l’opinion publique sur l’échec des gouvernements.
Pourtant, ils sont contrôlés par ces gouvernement eux-mêmes qui se
financent par des taxes obligatoires. Cela ne peut pas fonctionner.
C’est ainsi
que les médias sont entraînés dans les guerres de propagande qui doivent
orchestrer les guerres réelles, les guerres financières et les cyberguerres.
Dont les moyens sont inépuisables. Et dont l’absence de scrupules est
universelle.
Les guerres
ne sont jamais déclenchées pour des raisons éthiques.
Et au cours des guerres,
toutes les parties se sont toujours rendues coupables de crimes. Il y a
naturellement des gradations : la Shoah, donc l’assassinat,
rationnellement planifié et techniquement exécuté à une échelle industrielle,
de six millions de juifs en Europe, de même que le meurtre, pratiqué avec la
même précision glaciale, [des opposants politiques, NdT], des Sinti et des
Roms, des homosexuels, des handicapés et d’autres minorités constituent un
événement unique dans l’histoire de l’humanité. Le souvenir des crimes des
nazis et de leurs assistants zélés a conduit à ce que l’Europe, au cri de Plus
jamais la guerre!, bénéficie d’une période inhabituellement longue de paix et
de prospérité.
Mais les
cavaliers de l’Apocalypse n’ont pas disparu. Ils ont seulement changé de
tactique.
Aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, cette époque dorée semble
avoir pris fin : tous les États sont effrayés par la révolution
techno-industrielle, ou en effervescence. Ils utilisent les nouvelles
possibilités pour tester la situation, pour lancer des coups de sonde ou créer
véritablement de nouveaux faits. Ces dernières années, les réalités dans le
monde ont changé. Presque tous les pays ont des problèmes fondamentaux qui les
forcent à agir. Pour nombre d’entre eux, le moyen actuel est la fuite en avant,
donc la guerre. Les nouvelles technologies permettent aux États de détourner
l’attention de leurs problèmes internes par des actions violentes. Ils
recherchent la solidarité de leurs propres citoyens avec de nouveaux boucs
émissaires.
La guerre en
Syrie réunit toutes ces formes de la guerre moderne.
Il n’est pas certain
qu’elle se radicalise. L’avion russe abattu par la Turquie nous fait cependant
voir avec quelle rapidité la situation peut dégénérer. On doit dire de manière
réaliste : si ce n’est pas en Syrie, les hostilités mondiales frapperont
ailleurs.
Le
surendettement mondial, le déséquilibre démographique, la révolution
technologique et ses applications possibles ainsi que l’inégalité croissante
des revenus agissent à l’ère de la mondialisation comme des boutefeux : il
est tout à fait concevable que nous nous trouvions déjà dans une Guerre de
Trente Ans moderne. Si elle continue à s’envenimer, les générations qui viendront
après nous trouveront une terre brûlée, comme après la Guerre de Trente Ans en
Europe [1618-1648 Traité de Westphalie].
Le 30
novembre 2015 – Source Deutsche WirtschaftsNachrichten
Michael
Maier: Das Ende der Behaglichkeit. Wie die modernen Kriege Deutschland und
Europa verändern. FinanzBuch Verlag München, 228 pages, 19,99€.
Traduit par
Diane, édité par jj, relu par Literato pour le Saker Francophone