L’étoile du général Khalifa Hifter semble s’élever à nouveau en
Libye, et ce n’est qu’une question de temps avant que nous le voyions
devenir une figure dans un pays qui n’en a pas mais en désire
désespérément une.
Ses ennemis à Misrata et Tripoli ont
toujours remis en questions ses motivations et intentions, mais il reste
à voir s’il sera un dirigeant rassembleur dans un pays divisé ou un
politicien clivant poussant la Libye vers encore plus de divisions.
Durant le mois de mars, Hifter a quasiment complètement libéré
Benghazi et commencé à déplacer ses troupes pour reprendre Syrte dans
l’ouest de la Libye, où l’Etat islamique (EI) a pris le contrôle
depuis plus de deux ans. Les troupes de Hifter ont encerclé la ville,
attendant ses ordres pour attaquer l’EI, qui a mené des combats dans
l’ouest et le sud-ouest de la ville, prenant plus de territoires et de
petits villages tels qu’Abou Grain et Zamzim.
Le but déclaré de Hifter est de libérer la Libye des islamistes, mais
sa prochaine action reste incertaine une fois qu’il aura pris Syrte. La
prochaine grande ville sur le chemin de Tripoli est Misrata, qui a la
plus puissante milice de Libye. Misrata est déjà un ennemi de Hifter, ce
qui signifie que l’attaquer déclenchera dans le pays une guerre plus
longue et dévastatrice.
Alors, qui est cet homme qui a été sur et en dehors de la scène
politique durant les 40 dernières années, changeant de positions selon
le changement de sa fortune, de loyal à Mouammar Kadhafi à prisonnier de
guerre puis ennemi juré de Khadafi et – plus récemment comme chef de l’état-major de l’armée libyenne sous le gouvernement reconnu internationalement de Tobrouk ?
Né dans un important clan de la plus grande encore tribu d’al-Firjan,
prédominante à la fois à Ajdabiya et Syrte, Hifter a été recruté comme
jeune officier par le défunt Kadhafi pour rejoindre le mouvement des officiers libres
inspiré par le dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser. Le mouvement
était secrètement financé par Kadhafi dans les années 60 et utilisé pour
renverser le roi Idris I de Libye en 1969 et prendre le pouvoir.
Hifter a atteint le grade de colonel en 1986 et est devenu le
commandant des troupes terrestres libyennes dans la guerre civile
tchadienne. Il a été capturé en 1987 lorsque sa base a été envahie par
les forces tchadiennes, et a été emmené au Tchad. Kadhafi, niant avoir
des troupes au Tchad, a désavoué Hifter et l’a abandonné, ainsi que 300
hommes de ses troupes, aux mains des autorités tchadiennes. Sous la
pression de l’Occident, et particulièrement de la France, qui soutenait
les factions d’opposition tchadiennes, Kadhafi n’a jamais admis qu’il
avait de quelconques troupes au Tchad.
Les États-Unis, qui avait déjà essayé à plusieurs reprises de chasser Kadhafi du pouvoir – notamment en bombardant sa résidence
en avril 1986 après l’avoir accusé de soutenir le terrorisme – sont
venus au secours de Hifter avec l’espoir d’obtenir son aide contre
Kadhafi.
En échange de la libération des prisons tchadiennes, il a été demandé
à Hifter de rejoindre le groupe d’opposition nouvellement formé, le
Front de salut national libyen, qui bénéficiait du soutien militaire et financier américain. Hifter, déjà en colère d’avoir été laissé sans espoir dans les prisons tchadiennes, a rejoint le front et a été amené aux États-Unis par la CIA avec les troupes désirant le rejoindre.
Hifter vivait confortablement en Virginie, assez près du siège de la
CIA, du début des années 1990 à 2011. Il est apparemment même devenu citoyen américain, mais n’a jamais oublié sa rancune contre Kadhafi.
Ses relations avec la CIA ne sont pas claires. Beaucoup d’aspects de
sa vie en banlieue de Washington sont difficile à expliquer – par
exemple, comment subvenait-il à ses besoins et à ceux de sa famille. On
suppose qu’il est devenu un homme de la CIA contre Kadhafi. Il a
maintenu des liens avec les groupes d’opposition libyens en exil et
l’opposition militarisée à Kadhafi à l’étranger, mais sans succès
jusqu’à la révolte contre Kadhafi qui a éclaté en 2011.
Sentant que le moment était venu de régler ses comptes avec Kadhafi,
Hifter est revenu dans l’Est de la Libye en mars 2011 et a joué un rôle
de direction des rebelles dans la lutte contre le régime, sous la couverture aérienne de l’OTAN.
Après que le régime a été renversé,
Hifter est tombé dans l’oubli à nouveau, et n’a refait surface qu’en
octobre 2012 pour un temps bref lorsque le nouveau gouvernement a décidé
d’envahir Bani Walid,
une ville au Sud-Ouest de Tripoli accusée d’accueillir les anciens
représentants du régime. Il n’y a aucune information sur sa
participation aux combats actuels.
Hifter a encore disparu en février 2014, puis est soudainement apparu à la télévision,
en faisant une déclaration s’apparentant à une annonce de chef
militaire prenant le pouvoir. Dans l’annonce, il a lancé une “Opération
dignité” contre les milices islamistes à Benghazi ; toutefois, personne
n’a pris Hifter au sérieux à ce moment-là étant donné qu’il n’avait ni
rôle militaire officiel ni de milice ralliée à sa personne pour
combattre. Il s’est avéré qu’il était encore en train de préparer ses
forces militaires.
Hifter disparut de nouveau du devant de la scène, passant les mois
suivants à se déplacer entre al-Marj et Benghazi en essayant d’organiser
d’anciens officiers militaires dans une unité de combat, en comptant
sur les anciennes allégeances parmi les vestiges de l’armée libyenne et
de ses connections tribales. Il s’est arrangé pour cultiver un soutien
politique à l’intérieur du gouvernement basé à Tobrouk et reconnu à
l’intérieur du pays, qui l’a nommé chef d’état-major de son armée naissante en mars 2015.
Après avoir gagné une légitimité politique et militaire, Hifter s’est
concentré sur le combat des islamistes à Benghazi, toutefois avec peu
de succès. Son plus grand ennemi juré était Ansar al-Sharia, le groupe
terroriste le plus important de Benghazi à ce moment-là, que les
États-Unis avaient déjà déclaré comme organisation terroriste après
qu’il a été accusé de tuer l’ambassadeur américain en 2012.
Hifter comptait énormément sur ses connections tribales dans l’Est de
la Libye et capitalisait sur la situation d’insécurité à Benghazi. En
mai 2015, il croyait avoir assez de force pour déclarer la guerre au
terrorisme à travers la Libye, et pas juste à Benghazi, où des centaines
d’anciens agents de sécurité, d’officiers de l’armée et de militants
civils et politiques ont été assassinés. Dans un sens il se défendait
lui-même sachant qu’il pouvait être le prochain sur la liste.
Son offensive à Benghazi est restée bloquée pour un temps, les
fragments d’armée qu’il s’est débrouillé à réorganiser étant peu
nombreux et manquant d’entraînement et d’équipement. Par-dessus tout,
beaucoup d’anciens officiers professionnels ne l’avaient pas rejoint car
ni ses motivations ni ses objectifs n’étaient clairs.
Toutefois, cela changea fin 2015 et au début de cette année. En mars
2016, Hifter a établi un contact avec un groupe d’anciens officiers
professionnels et de politiciens exilés en Égypte. Al-Monitor a appris
que deux anciens politiciens haut placés du régime lui ont rendu visite
et sont tombés d’accord pour lui fournir davantage d’anciens officiers
de l’armée avec un certain savoir-faire, notamment une connaissance des
mines et des techniciens d’entretien pour les avions militaires.
L’accord comprenait le retour sans condition de tout ancien officiel
ou officier de l’armée souhaitant revenir en Libye sans être poursuivi
ou menacé. Au moins un ancien politicien de haut rang a déjà été accueilli en Libye. Tyeb al-Safi, un ancien ministre et proche adjoint de Kadhafi, est retourné dans l’Est de la Libye sous la protection de sa propre tribu.
Alors que les intentions militaires définitives de Hifter sont
inconnues après Syrte, ses intentions politiques sont également peu
claires. Il s’est à plusieurs reprises distancé des politiques, mais sa
popularité croissante, surtout dans l’Est de la Libye, pourraient bien
se développer en un phénomène d’ampleur nationale le poussant à adopter
un rôle politique ou même à se présenter comme Président aux prochaines
élections. Dans l’Est de la Libye aujourd’hui, Hifter est le chef de
facto alors qu’il essaie d’étendre son leadership vers l’Ouest. Les
forces qui lui sont ralliées contrôlent déjà des parties de l’Ouest et
du Sud de la Libye.
Une chose, cependant, est certaine : Hifter est là pour rester, et il
jouera un rôle dans le façonnage de la scène politique libyenne, à
l’intérieur du gouvernement d’accord national ou dans les coulisses.
Source : AL Monitor, le 09/05/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.