Lors d’une rencontre publique à Rome, en 2013, avec le secrétaire du
Parti communiste syrien, Ammar Bagdash nous donne les causes, le déroulement et les conséquences de la guerre
civile en Syrie. Ou, autrement dit, de la tentative de déstabilisation
d’un pays qui ne fait pas partie des plans pour le contrôle impérialiste
du Moyen-Orient.
Pourquoi cette attaque contre la Syrie ?
La Syrie constitue une digue contre l’expansionnisme nord-américain
au Moyen-orient, surtout après l’occupation de l’Irak. Mais le véritable
protagoniste de ce projet se trouve être en réalité le président
israélien Peres, qui poursuit cet objectif depuis les années 1980. Les
communistes syriens ont donné un nom à ce projet : la grande Sion. La
Syrie a refusé tous les diktats des Etats-unis et d’Israel au
Moyen-orient, a soutenu la résistance irakienne, celle libanaise et le
droit national du peuple palestinien.
Mais comment est née la révolte, la crise et la guerre civile en Syrie ?
Dans l’analyse des communistes syriens, les conditions ont été posées
également par les mesures libérales adoptées en 2005. Cette politique a
eu trois effets négatifs : une augmentation des inégalités sociales ;
l’exclusion sociale de plus en plus diffuse dans les banlieues de
Damas ; la dégradation des conditions de vie de la population. Cela a
favorisé les forces réactionnaires, comme les Frères musulmans, qui se
sont appuyées sur le sous-prolétariat, surtout rural. Quand nous avons
dénoncé tout cela jusqu’au Parlement, on nous a accusé d’adopter une
posture idéologique et d’être des idiots.
En Syrie, ils veulent refaire ce qui s’est passé en Égypte et en
Tunisie. Mais là il s’agissait de deux pays philo-impérialistes. Dans le
cas de la Syrie, c’était différent. Ils ont commencé par des
manifestations populaires dans les régions rurales de Daraa et d’Idleb.
Mais dans les villes, il y eut immédiatement de grandes manifestations
populaires de soutien à Assad. Par ailleurs, au début, la police ne
tirait pas, ce sont certains éléments parmi les manifestants qui ont
commencé les actions violentes. Dans les sept premiers mois, il y eut
plus de morts du côté de la police et de l’armée que dans l’autre camp.
Quand la méthode des manifestations ne marchait plus, ils sont passés au
terrorisme avec des assassinats ciblés de personnes en vue (dirigeants,
hauts fonctionnaires, journalistes), attentats et sabotages
d’infrastructures civiles. Le gouvernement a réagi en adoptant certaines
réformes comme celle sur le multi-partisme et sur la liberté de la
presse, réformes que nous avons soutenu. Mais les forces réactionnaires
ont rejeté ces réformes. Communistes, nous avons réalisé cette
équation : les discours et les actes doivent être confrontés aux
discours et aux actes. Mais le terrorisme doit être confronté par la
souveraineté de la loi, en rétablissant l’ordre.
Ensuite, on est passé à la troisième phase. La véritable révolte
armée. Attentats et assassinats ciblés étaient le signal pour commencer
l’attaque contre Damas. Puis les attaques se sont concentrées contre
Alep, qui par sa position géographique rend plus facile le trafic et le
ravitaillement depuis l’étranger. Le gouvernement a réagi en imposant
l’hégémonie de la loi. Il convient de dire que l’intervention de l’armée
et les bombardements aériens se sont produits dans une zone où
l’essentiel des civils avaient déjà fui. A la contre-offensive de
l’armée syrienne, les rebelles ont réagi de façon barbare, y compris
dans les zones où il n’y avait pas de combattants. Et puis ils ont
assiégé Alep.
Pourquoi la Syrie résiste, que cela signifie-t-il ?
Ces dix dernières années au Moyen-orient, l’Irak a été occupé, la
Libye a dû capituler, la Syrie au contraire non. Par sa plus grande
cohésion interne, ses forces armées plus puissantes, des alliances
internationales plus solides ou parce qu’il n’y a pas encore eu
d’intervention militaire directe des puissances impérialistes ?
En Syrie, à la différence de l’Irak et de la Libye, il y a toujours
eu une forte alliance nationale. Les communistes travaillent avec le
gouvernement depuis 1966, sans interruption. La Syrie n’aurait pas pu
résister en comptant seulement sur l’armée. Elle a résisté parce qu’elle
a pu compter sur une base populaire. En outre, elle a pu compter sur
l’alliance avec l’Iran, la Chine, la Russie. Et si la Syrie reste
debout, des trônes vont tomber parce qu’il deviendra clair qu’il existe
d’autres voies. Notre lutte est internationaliste. Un expert russe m’a
dit : « Le rôle de la Syrie ressemble à celui de l’Espagne contre le
fascisme ».
Quels effets peuvent avoir les événements en Égypte sur la situation actuelle en Syrie ?
Il y a un rapport dialectique entre ce qui s’est passé en Égypte et
ce qui se passe en Syrie. La base commune, c’est le mécontentement
populaire, mais la résistance syrienne a accéléré la chute du régime des
Frères musulmans en Égypte et cela aidera beaucoup la Syrie car cela
montre que les Frères musulmans ont été rejetés par le peuple.
Dans un entretien récent, la président syrien Assad a affirmé : « En
Syrie, nous avons mis en échec l’offensive de l’islamisme politique ».
Qu’en pensez-vous ?
Nous, communistes syriens, n’utilisons pas la catégorie d’Islam
politique. L’Islam connaît une certaine diversité en son sein. Il y a
des réactionnaires pro-impérialistes comme les Frères musulmans et des
progressistes comme le Hezbollah et même l’Iran. Je ne suis pas un
admirateur du modèle iranien mais ce sont nos alliés dans la lutte
contre l’impérialisme. Depuis notre V ème Congrès, nous avons jugé
l’Iran sur la base de sa position sur l’impérialisme. Notre mot d’ordre
est : pour un Front international contre l’impérialisme.
En Italie, une grande partie de la gauche pense que les rebelles
combattent un régime fasciste, celui d’Assad. Que pouvez-vous répondre à
cette position ?
Si nous partons de la définition du fascisme – un mouvement
réactionnaire qui use de moyens violents dans les intérêts du
capitalisme monopoliste – en Syrie, ce n’est pas le capitalisme
monopoliste qui domine. Ce sont plutôt les rebelles qui représentent les
intérêts du grand capital. Les révoltes, comme nous l’enseigne
l’histoire, ne sont pas toujours des révolutions. Pensons aux Contra au
Nicaragua, aux franquistes en Espagne et il y en a d’autres.
Mais l’opposition à Assad est-elle toute réactionnaire ? Ou, comme le
démontrent les affrontements internes entre Armée libre syrienne et
militants djihadistes, ou ces derniers jours entre kurdes et
djihadistes, existent-ils des éléments progressistes avec qui on peut
entamer un dialogue ?
Parmi les opposants, certains ont passé plusieurs années dans les
prisons syriennes et nous avons réclamé et nous sommes battus pour leur
libération. Ces opposants à Assad sont toutefois contre toute ingérence,
intervention étrangère. Certains vivent à Damas et nous travaillons
ensemble pour le dialogue national. Même Haytham Menaa de la
Coordination démocratique condamne l’usage de la violence de la part de
l’opposition armée ainsi que les ingérences extérieures. D’autres comme
Michel Kilo viennent de la gauche, mais ont trahi ces idées mais ils ne
peuvent de toute façon pas changer la nature réactionnaire de la
rébellion.
Comment expliquez-vous l’intensification des divergences entre Arabie saoudite et Qatar, et qui se répercute également dans les divisions au sein des milices rebelles ?
C’est vrai, l’influence et le rôle du Qatar diminuent, ceux de
l’Arabie saoudite augmentent. L’affaire des affrontements avec les
kurdes, c’est une autre histoire. Il y a eu des affrontements entre
kurdes de l’Union démocratique kurde et les militants djihadistes d’Al
Nusra, mais il y a eu également des affrontements entre divers groupes
kurdes.
Que se passe-t-il pour les Palestiniens qui vivent dans les camps de réfugiés en Syrie ?
J’ai rencontre récemment le responsable de l’OLP et il m’a dit : « Si
la Syrie tombe, adieu la Palestine ». Le Hamas a agi parfois dans la
précipitation, il a fait beaucoup d’erreurs et a causé des problèmes.
Nous pouvons dire que l’organisation, qui appartient au monde des Frères
musulmans, est revenue à ses origines et elle est désormais sous l’aile
du Qatar. Mais c’est dangereux également pour eux. Maintenant, après ce
qui s’est passé en Egypte, que se passera-t-il à Gaza ? La majorité des
militants qui sont entrés dans les camps de réfugiés palestiniens en
Syrie n’étaient pas palestiniens. La majorité des Palestiniens est
totalement contre toute ingérence dans les affaires syriennes.
A Yarmouk, 70% des habitants sont syriens car les camps de réfugiés
en Syrie ne sont pas des ghettos comme dans les autres pays. Il y a
encore des combats à Yarmouk mais la population syrienne est partie. Le
Comité exécutif de l’OLP s’est rendu deux fois en Syrie pour poser la
question de la protection des camps de réfugiés. Yarmouk a été assiégé
par Al Nusra avec l’aide du Hamas qui a cherché à provoquer l’armée,
laquelle a reçu l’ordre de ne pas réagir.
On en parle peu, mais quel rôle joue la Jordanie dans la crise et la guerre civile en Syrie ?
La monarchie jordanienne a toujours collaboré avec l’impérialisme et
il y a une intense activité des Frères musulmans. La Jordanie a accepté
la présence de militaires états-uniens sur son territoire et la
quatrième attaque contre Damas est partie justement du territoire
jordanien.
Et quel jeu joue Israël en Syrie ?
Israël soutient les rebelles armés, mais quand ils n’arrivent pas à
toucher leurs objectifs, ce sont les avions de combat israéliens qui
prennent le relais. Cela s’est passé à Damas mais aussi il y a quelques
jours à Latakia.
Comment sortir de la tragédie ?
On ne peut réaliser aucun progrès social, ou la démocratie, si on est
soumis à des forces extérieures. Le mot d’ordre est de défendre la
souveraineté nationale et les conditions de vie de notre peuple. Comme
je l’ai déclaré à l’ANSA, le principal moyen de sortir du massacre
syrien passe d’abord par un arrêt des aides à l’opposition armée de la
part des pays réactionnaires et impérialistes. Une fois que les aides
extérieures seront arrêtées, on pourra mettre un terme à toutes les
opérations militaires, y compris de la part du gouvernement syrien. Et
relancer un processus démocratique avec des élections législatives et
des réformes politiques, ce qui n’est évidemment pas possible dans cette
phase de la lutte armée. L’avenir politique de la Syrie se décidera par
les élections, notamment celles présidentielles de 2014.
Source : Le PCF, 13-08-2013
Source : http://www.les-crises.fr/2013-entretien-avec-ammar-bagdash-secretaire-du-parti-communiste-syrien/