Spécialiste
des questions européennes, Pierre Lévy note que la résolution récemment adoptée
par le Parlement européen contre la «propagande russe» souligne
involontairement un succès de Moscou.
Si le Parlement
européen n’existait pas, il faudrait l’inventer. Juste pour rire.
Celui-ci se
définit en effet par trois caractéristiques essentielles : il est
illégitime ; il est insignifiant ; et il est grotesque.
Il est
illégitime parce qu’il usurpe indûment son titre. Quel que soit le régime,
l’époque ou la latitude, un Parlement se définit par le fait qu’il représente
un peuple (plus ou moins bien, là n’est pas la question). Or il n’y a pas de
peuple européen – les dirigeants de l’UE s’en lamentent assez.
L’adoption du
texte strasbourgeois risque à nouveau de mettre à mal la sobriété du président
russe
Les
«parlementaires» de Strasbourg ne représentent donc rien ni personne. Qu’ils
soient formellement élus ne change rien à l’affaire. Du reste, les électeurs ne
s’y trompent guère, qui boycottent massivement ce scrutin quinquennal – plus de
57% d’abstentions en 2014. Et si l’on décidait d’abolir cette docte assemblée,
il n’y aurait pas le plus petit mouvement populaire pour s’en émouvoir.
Ce désintérêt
massif est également lié au fait qu’aucune décision importante ne se joue à Strasbourg.
Quand bien même les prérogatives formelles des eurodéputés ont été renforcées
par le traité de Lisbonne, les vrais choix ont lieu évidemment ailleurs.
Comme
«l’aventure européenne» se heurte à une hostilité populaire croissante, les
honorables euro-parlementaires, multiplient coups d’éclat solennels et coups de
menton agressifs
Enfin, le côté
grotesque tient au contraste entre l’indifférence des électeurs et la très
haute idée que les eurodéputés se font de leur importance – les plus acharnés
vont même jusqu’à imaginer qu’ils servent à quelque chose, et que les citoyens
ont les yeux rivés sur eux.
Du coup, comme
«l’aventure européenne» se heurte à une hostilité populaire croissante, les
honorables europarlementaires, multiplient coups d’éclat solennels et coups de
menton agressifs. Le vote de deux résolutions – purement déclaratoires –
respectivement les 22 et 23 novembre vient d’illustrer une nouvelle fois cet
autisme boursouflé.
La première en
appelle à accélérer l’intégration militaire, que certains dirigeants de l’UE
souhaitent engager, mais qui se heurte à de sévères contradictions.
La seconde est
un modèle d’hystérie antirusse qui mérite de rester dans les annales. On a beau
connaître les tropismes qui hantent l’hémicycle strasbourgeois, on ne peut
totalement maîtriser ses zygomatiques à la lecture de la résolution approuvant
le rapport sur «la communication stratégique de l’Union visant à contrer la
propagande dirigée contre elle par des tiers» rédigé par la Polonaise
Elzbieta Fotyga, ancien ministre de son pays.
Les tiers en
question sont deux : Moscou et Daesh. La mise sur le même plan de cette
double cible est tellement caricaturale qu’elle a mis mal à l’aise 179
eurodéputés qui ont voté contre, 208 s’abstenant. Il s’est tout de même trouvé
304 «représentants du peuple» pour adopter ledit texte.
Celui-ci
s’alerte de la volonté russe «de déformer la vérité, d’instiller le doute,
de diviser les États membres, d’entraîner un découplage stratégique entre
l’Union européenne et ses partenaires d’Amérique du Nord, de paralyser le
processus décisionnel, de discréditer les institutions de l’Union et les
partenariats transatlantiques – dont le rôle dans l’architecture de sécurité et
économique européenne est reconnu – aux yeux et dans l’esprit des citoyens de
l’Union et des pays voisins, et de saper le discours politique européen fondé
sur des valeurs démocratiques, les droits de l’homme et l’état de droit».
Ouf. Si propagande russe il y a, rendons lui hommage : elle sait au moins
faire des phrases plus courtes.
Il rend en effet
hommage, bien involontairement, au succès des médias que la Russie a mis en
place en direction des opinions publiques occidentales
Strasbourg sonne
donc la mobilisation générale, et propose de promouvoir la coopération avec «le
centre d’excellence en matière de communication stratégique de l’OTAN». Communication
stratégique, voilà qui sonne tout de même mieux que propagande.
On l’a souvent
signalé ici : quand les dirigeants européens ont un malheur, leurs
fidèles commentateurs assènent régulièrement que «Vladimir Poutine va pouvoir
sabler le Champagne» – ce fut le cas par exemple avec le CETA ou les
référendums au Danemark, aux Pays-Bas, et bien sûr au Royaume-Uni.
L’adoption du
texte strasbourgeois risque à nouveau de mettre à mal la sobriété du président
russe. Car ladite résolution pourrait bien constituer une bonne nouvelle pour
le Kremlin.
Et comme un
malheur n’arrive jamais seul, on vient d’apprendre que Martin Schulz renonçait
à briguer la prolongation de son mandat de président du Parlement européen. Le
social-démocrate allemand a dû jeter l’éponge face à ses partenaires
chrétiens-démocrates qui lui ont rappelé le marché passé il y a deux ans et
demi : la moitié du temps pour les uns, la moitié du temps pour les autres
– telle
va l’opposition frontale entre les deux principales forces présentes à
Strasbourg.
Allez, Vladimir
Vladimirovitch, encore une coupe ?