Composante fondamentale quoique occultée de la Guerre froide 2.0, le
Grand jeu énergétique bat son plein dans les coulisses de l'actualité.
Depuis des décennies, les événements politiques et militaires sur
l'échiquier eurasien sont intrinsèquement liés aux développements
pétroliers ou gaziers, le système impérial tentant par tous les moyens
de contrôler les flux
énergétiques de ses adversaires/alliés afin de conserver sa
prééminence. Là comme ailleurs, il est en train de perdre peu à peu la
main...
Aussi ne faut-il pas s'étonner de ce véritable cri du cœur d'un certain William Silkworth, haut fonctionnaire au sein du
Département d’État américain, lors d'une conférence européenne sur le gaz à Zagreb : "L'extension du Nord Stream est une menace pour la sécurité nationale [!]".
Il est vrai que le doublement du pipeline - Nord Stream II pour les intimes - est en bonne voie, ce que nos Chroniques avaient prévu :
C'est
le genre de petite nouvelle banale qui passe totalement inaperçue, pas
même digne d'être évoquée dans les fils de dépêches des journaux. Et
pour une fois, je ne les en blâme pas, car seuls les initiés peuvent
comprendre la portée de l'information sur notre Grand jeu
énergético-eurasiatique.
Une première livraison de tubes est arrivée
dans la presqu'île de Rügen, sur la côte baltique de l'Allemagne, et il
y en aura désormais 148 par jour, acheminés par trains spéciaux (chaque
tuyau mesure en effet 12 mètres et pèse 24 tonnes). Vous l'avez
compris, il s'agit des composants du Nord Stream II qui devraient
commencer à être assemblés au printemps prochain.
Ainsi,
même si aucune décision officielle n'a encore été prise, ou du moins
annoncée, le doublement du gazoduc baltique semble bien parti. Comme nous l'avions prévu, la grosse Bertha a tendance à mettre de l'eau dans son gewürztraminer dès que certains intérêts teutons sont en jeu [...]
Gazprom
prendrait-il le risque d'acheter ces milliers de tubes et de les
acheminer sans avoir une idée assez sûre du dénouement ?
Les
choses se précisent : 10 400 tubes sont déjà entreposés à Mukran, point
d'arrivée du futur gazoduc, tandis qu'une entreprise spécialisée dans le
revêtement de tuyaux a racheté
une autre compagnie afin de pouvoir utiliser ses installations sur
place. Somme de petits détails qui montrent que le projet est désormais
sur les rails, au grand dam des stratèges US ou de Varsovie...
Laissés
(temporairement ?) à eux-mêmes en l'absence de directives claires
provenant de la tête de l'empire depuis l'élection de Trump, les pays
européens reviennent à plus de réalisme et, invariablement, se rapprochent énergétiquement de la Russie. Continuant sur la lancée de ses livraisons record de 2016, Gazprom a atteint des plus hauts historiques en janvier, faisant tourner le Nord Stream
existant à 110% de sa capacité initialement prévue. Démonstration
imparable de la nécessité de doubler le tube : du petit lait pour
Moscou...
Poutine ne s'arrête d'ailleurs pas en si bon chemin, lui qui supplante les Saoudiens
dans la guerre pétrolière en Asie. De 2015 à 2016, les exportations
d'or noir russe vers la Chine ont bondi de 25% tandis que celles de
Riyad ont péniblement augmenté de 0,9%. Le début de l'année 2017 confirme la tendance.
Les
raisons en sont multiples. Techniquement, si les grandes compagnies d’État chinoises sont tenues de respecter les engagements des contrats à
long terme signés entre autres avec l'Arabie saoudite, les producteurs
indépendants sont plus volatiles et préfèrent se tourner vers le pétrole
russe, d'aussi bonne qualité, légèrement moins cher, plus proche et
transitant par la voie terrestre, plus sûre que les mers. Evidemment, la
volonté de coopération énergético-stratégique entre Moscou et Pékin a également sa part, ainsi que le pétroyuan.
Etant donné que la demande chinoise ne cesse d'augmenter (+5,3% prévus cette année), que l'oléoduc East Siberia-Pacific Ocean (ESPO) va monter en puissance et que les Saoudiens sont tenus par les quotas de l'OPEP qu'ils se sont auto-imposés après leur gambit perdu de 2014, le Kremlin est aux anges. Poutinus energeticus imperator... ou presque.
Les bisbilles avec la Biélorussie que nous avions évoquées
il y a deux semaines ont eu un effet amusant : en signe de
protestation, Minsk a pour la première fois de son histoire acheté du pétrole iranien.
Bien sûr, cela reste symbolique (80 000 tonnes contre 18 millions de
tonnes d'or noir importées de Russie) et les quantités sont de toute
façon sans commune mesure avec les gros bras de la planète (la
Biélorussie consomme en un an ce que la Chine avale en moins d'une
semaine), mais le fait méritait d'être relevé.
L'Iran est d'ailleurs tout feu toute flamme, ayant botté le derrière de son ennemi saoudien sur le marché coréen.
Les exportations de brut perse au Pays du matin calme atteignent le
double des exportations wahhabites. Temps difficile pour les Seoud qui
perdent une après autre leurs positions dominantes en Asie. Et comme le contexte financier et géopolitique ne leur sourit vraiment pas, les lendemains s'annoncent difficiles pour les garants du pétrodollar...
20 Février 2017
,
Rédigé par Observatus geopoliticus