L’histoire
de la guerre est celle du mensonge. Dernière proposition américaine, dans une
série qui remonte -pour le moins – au XIXe siècle: vitrifions la Syrie.
Difficile de
survivre quand, sans jugement ni recours, le monde du bien vous classe dans le
camp des salauds. De ceux qui rient dans les cimetières d’enfants en venant
chicaner la réalité d’un bombardement au gaz sarin opéré par l’armée syrienne.
Il faut nous apprendre à vivre avec ce tatouage intime, celui de l’infamie. La
nôtre. Ce qui doit nous réconforter c’est d’être en compagnie de co-inculpés
qui sont à la fois des hommes d’expérience et estimables. Je veux dire qu’ils
ont passé leur vie à tenter de sauver le monde, tout au moins un peu.
L’autre
soutien vient de la nature de ceux qui nous désignent comme compagnons de route
des bourreaux. Être accusé d’inhumanité par un champion de la chose, Donald
Trump, est comme une médaille de la Résistance. A la liste de ceux qui nous
mettent à l’index, je pourrais ajouter les dirigeants de l’Europe, mais c’est
inutile, par contrat ils sont tenus d’obéir à Washington. Quant à l’opprobre de
Madame Arthaud et de Monsieur Poutou, soutiens des bombes de Trump? Elle nous
importe aussi peu qu’un coup de piolet jadis donné dans un crâne barbichettu au
Mexique, et seul Jean Luc Mélenchon garde ses nerfs. Maintenant installés dans
le ghetto des méchants, et pourquoi pas des monstres, promis à la Cour Pénale
Internationale des mauvais penseurs, il est temps de réfléchir à la lecture de
notre acte d’accusation.
Deux
souvenirs forts me viennent aux yeux et en mémoire. Le 13 février 1991 je suis
à Bagdad pour couvrir la Guerre du Golfe. Un ami me réveille à l’aube «les
Américains ont bombardé un abri dans le quartier d’Al Amiria».
Iraqi students at the Amiriya bomb (1991) shelter
in
Baghdad in 2003. Credit Hussein Malla/Associated Press
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Je saute
dans mes chaussures pour arriver devant un édifice lourd, en béton, à demi
enterré. Les parois sont brûlantes comme une forge. Je ne peux m’engager dans
un escalier que pendant quelques mètres avant de faire demi-tour, suffocant. Je
passe ici deux jours et deux nuits. Le temps que les pompiers arrachent à ce
four des corps charbonneux. Il y en a au moins quatre cents. Des femmes, des
enfants et des vieillards venus ici pour se protéger de la guerre.
En écoutant
la BBC, RFI les radios du Monde libre que je peux capter, j’apprends que ce
«shelter» a été bombardé parce que Saddam Hussein se trouvait à l’intérieur…
Ah bon…
Saddam est mort? Bien sûr que c’est une farce, une mauvaise excuse pour des
guerriers décidés à tester, en vrai, l’efficacité de leur avion furtif et des
ces nouveaux missiles perforants. Qu’est-ce que 400 morts tant qu’ils ne font
pas couler les larmes des peuples de la Communauté Internationale.
Madeleine
Albright nous a donné la hauteur de la toise en indiquant que les enfants morts
en Irak ça valait bien le prix de la démocratie. (*) Aujourd’hui, tapez Al
Amaria sur Google… rien n’apparait. Pas de crime, pas d’abri, pas d’enfants
assassinés.
Quelques
années plus tard, au Kosovo, lisant du doigt les titres du Monde qui nous
annonçait «des dizaines de milliers de morts»… j’ai cherché. Et pas trouvé. Les
morts étaient aux abonnés absents. Ce qui est sans doute normal. Ces deux
exemples sont ceux de deux mensonges. Des paroles des rumeurs puisqu’elles sont
émises pour justifier l’attaque, la guerre qui est rarement «juste». Riche de
cette expérience, et de quelques autres, donc chat échaudé, je crains les
communiqués officiels, ceux qui prétendent nous donner les bonnes raisons de la
mort, les justes raisons des missiles et des bombes.
Je ne sais
plus ce que l’on enseigne à l’école? Jadis on enseignait la turpitude de la
«dépêche d’Ems», imbroglio diplomatique qui a servi de prétexte pour engager la
guerre. Un télégramme envoyé le 14 juillet 1870 par le chancelier Otto von
Bismarck à ses ambassades et qui tronquait les propos échangés par son roi et
l’ambassadeur de France.
En février
1898, nous sommes dans la baie de la Havane. Dépêché sur place pour protéger
les intérêts américains, le navire de guerre «USS Maine» explose et coule. Des
articles incendiaires publiés dans la presse jaune par William Randolph Hearst
et Joseph Pulitzer accusent l’Espagne de ce qui est un accident ou un naufrage
volontaire. Et la guerre se met en marche le 25 avril 1898.
Plus d’un
demi-siècle plus tard, même méthode, les 2 et 4 août 1964 la Maison Blanche
nous annonce en urgence que «des accrochages maritimes ont eu lieu dans le
golfe du Tonkin». Des torpilleurs nord-vietnamiens «ont attaqué» deux
destroyers américains. Comme la vérité marche à la vitesse d’escargot, ce n’est
qu’en 2005 que les Américains, via la NSA, vont avouer le mensonge de Lyndon
Johnson: les bateaux de Hanoï n’ont jamais ouvert le feu sur ceux de
Washington. Nous sommes pourtant en route pour dix années de carnage.
En août
1995, il fait chaud à Sarajevo et brûlant quand un obus tombe sur le marché de
Markale. Dans la minute les Serbes sont désignés comme auteurs du carnage.
L’ONU qui
prend le temps d’enquêter désigne clairement que le tir provient de la zone
contrôlée par les Bosniaques. Qu’il s’agit donc d’une provocation au cours de
laquelle des provocateurs tirent sur leur propre peuple. Peu importe.
La cohorte
de la Communauté Internationale pilotée par l’OTAN fait basculer la guerre du
côté qui lui convient: les Serbes, qui vont plus tard donner quelques bonnes
raisons à leurs adversaires- devront rendre gorge.
Dernier
tableau de notre exposition «Docteur Folamour», le 5 février 2003 devant le
Conseil de Sécurité de l’ONU, Colin Powell, Secrétaire d’État, agite un tube
qui contient un élément chimique des armes de destructions massives de Saddam
Hussein. Vous connaissez la suite, le million de morts, un pays brisé, puis Daech,
et une région brisée. Peut- être bientôt un monde puisque ce que nous montre
chaque soir Pujadas n’est pas «Une guerre contre le terrorisme», mais bien plus
la première marche militaire d’une guerre mondialisée.
Le mercredi
5 avril, à l’endroit même où Powell a naguère agité son tube, Nikki Haley,
l’ambassadrice américaine à l’ONU, brandi des photos d’enfants «morts en Syrie
lors d’une attaque chimique» à Khan Cheikhoun. Elle a peut-être raison mais,
comme on le dit dans les commissariats, elle a de bien mauvais antécédents
judiciaires.
En dehors
d’affirmer l’évidence, pourquoi Bachar Al Assad qui remontait la pente
diplomatique et militaire, ce serait lancé dans une entreprise aussi
folle ? A ce jour je n’ai ni trouvé ni lu une réponse convaincante.
Le doute
demeure et la vérité, comme dans l’affaire du golfe du Tonkin, ne doit pas
attendre 30 ans avant d’être validée ou invalidée. Nous, les sceptiques qui
méritons la fosse, sommes dans un doute de bonne compagnie. Ainsi Willy Wimmer,
ancien vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE et ex-secrétaire
d’État auprès du ministère allemand de la Défense n’est pas convaincu par le
jugement et les bombes de Trump. «Les pays tels que les États-Unis, la
Grande-Bretagne et la France, qui ont commencé la guerre en Syrie il y a six
ans, ne reculeront devant rien. Même la Charte des Nations Unies ne suffira pas
à les arrêter. Ils mènent la guerre d’une manière connue. Dans des conflits
qu’ils ont eux-mêmes créés. Nous le savons au moins depuis la guerre en
Yougoslavie. Depuis 1990, il y a eu tant de mensonges. C’est un modèle que nous
voyons dans la politique étrangère des États-Unis…Alors, ou nous arrêtons cela,
ou nous nous attendons à des ennuis!»
Michel
Raimbaud, ancien ambassadeur de France en Syrie enfonce le même clou dans
«Afrique Asie»: «Le moment unipolaire américain de 1991à 2011, a permis à
«l’Empire le plus puissant ayant jamais existé à la surface de la Terre» de
détruire les bases de la légalité internationale en établissant le nouvel ordre
mondial voulu par les faucons de Washington. Ce qui se traduira en un temps
record par l’abandon des principes fondamentaux de la Charte des Nations
Unies : souveraineté, non-ingérence, droit des peuples à
l’autodétermination, droit de tout État à choisir librement son régime
politique hors de toute ingérence étrangère, obligation de négocier en cas de
conflit avant de recourir à l’usage ou à la menace d’usage de la force.
..La
«communauté internationale» atlantique trouvera sa lampe d’Aladin dans un
concept miraculeux, la Responsabilité de Protéger, version relookée du droit
d’ingérence à connotation trop colonialiste. Les Nations-Unies seront
instrumentalisées, voire ignorées lorsque le moteur unipolaire connaîtra ses
premiers ratés: on fera grand cas des délibérations du Conseil de Sécurité lorsqu’il
dit «oui-oui-oui», mais on passera outre lorsqu’il dit non.»
Donner de la
rationalité au coup de folie de Trump est bien difficile, sauf peut-être pour
les exégètes de l’administration américaine qui remarquent qu’un certain KT Mc
Farland est aujourd’hui vice-conseiller à la Sécurité nationale à Washington.
Dans la passé, aux côtés du criminel de guerre Kissinger il a été l’un des
champions de la politique «de l’homme fou». Entendez qu’il faut faire les
choses les moins prévisibles pour surprendre l’adversaire…
Outre la
tentation de faire le fou, Trump a d’autres raisons qui le poussent à oublier
sa promesse de bonne entente avec la Russie. Wall Street a fait remarquer à la
maison Blanche que l’annonce d’une politique apaisée avec Moscou a fait, en quelques
heures, lourdement chuter la bourse. Pour continuer de produire, de vendre,
d’exploiter, de tuer, le lobby militaro-industriel américain a besoin d’un
ennemi qui hante les citoyens et Hollywood, il faut donc raviver la légende:
Poutine et Staline même combat.
Une seconde
affaire d’argent, énorme, vient tout juste de tomber sur le bureau ovale. Lors
de sa visite le 14 mars à Washington le vice-prince héritier d’Arabie saoudite
Mohammed Ben Salmane Al Saoud, qui est également ministre de la Défense du
royaume, a promis 600 milliards d’investissement aux USA afin d’améliorer les
infrastructures. Voilà un thème de campagne de Trump financé, avec en prime
l’odieux mur à la frontière mexicaine. En guise d’intérêts ce prince de la
dictature saoudienne a demandé que Washington révise sa politique en Syrie. Que
disparaisse Bachar et que la République devienne islamique.
Pour ce qui
est du corps du délit, le sarin et les Tomawaks, l’investigation est mince. Sur
59 missiles tirés depuis la mer, 36 ont disparu en vol. Les Russes vantent en
douce la qualité de leur dispositif de protection S 300… En outre le Tomawak,
sauf à être tiré de très près, est plus chargé en carburant qu’en explosif. Ses
effets – je les ai constatés en Irak ou à Belgrade- ne sont pas rédhibitoires.
Ainsi l’aéroport militaire syrien de Shayran, qui était la cible, est-il
intact.
Dans son
geste «d’homme fou», Trump semble avoir fait pas mal d’esbroufe. Comme la
France vengeresse de 1983, après l’explosion du Drakkar, quand elle a bombardé
le désert de la Bekaa pour y tuer un berger et son âne. En ce qui concerne «la
raison réelle» pour laquelle les États-Unis ont attaqué la Syrie, et que nous
cherchons, l’ancien député américain Ron Paul, affirme qu’il s’agissait plutôt
d’une action du “Deep State” contre le président Donald Trump et non pas une
décision du Président lui-même.
Explication
du politicien pour qui l’administration a trompé Trump: « Ce qui s’est
passé il y a quatre ans en 2013, vous savez, tout cela sur le passage de la
ligne rouge? Depuis, les néocons crient et hurlent, et une partie de
l’administration a crié et hurlé à propos d’Assad et des gaz toxiques (comme
Saddam et ses ADM). Il n’a jamais été prouvé en fait qu’Assad en ait utilisé,
et la fonctionnaire de l’ONU, Carla Del Ponte, a déclaré que l’attaque chimique
de 2013 a probablement été faite par les rebelles. Il n’y a aucun sens, pour
Assad, d’utilisation soudaine de gaz toxique. Je pense qu’il n’y a aucune
chance qu’il ait fait cela délibérément. »
Mais que
peut-on tirer comme observations provenant du champ de bataille lui-même?
Quelques détails. Des experts neutres, en particulier une ONG suédoise qui
détient une expertise en matière de soins à apporter aux gazés met en doute la
pratique des secouristes et autres «Casques blancs». On ne manipule pas à mains
nues des corps ou des blessés touchés par le sarin. Les piqûres administrées
aux enfants sont inadéquates.
La seconde
observation extérieure nous vient de la personnalité du médecin, de celui qui a
été le «lanceur d’alerte» lors de cet événement, et de celle aussi de son
acolyte médiatique. Ici je donne la parole à «Zero Hedge», un organe
d’information respecté qui siège à New York, comme on va le voir, le site
reprend quelques une des informations données plus haut:
« Les
observateurs ont également noté que le 1er avril 2017, un médecin sur le
terrain à Khan Sheikhoun, le Dr Shajul Islam, avait reçu plusieurs expéditions
de masques à gaz dans les jours précédant l’incident chimique.
Daily Mail a
rapporté que le Dr Shajul Islam était à un point recherché par le gouvernement
britannique dans le cadre de l’enlèvement de deux journalistes en Syrie, et les
services de sécurité ont déclaré qu’Islam et son frère avaient peut-être des
liens avec le bourreau de l’ISIS «Jihadi John».
Les islamo-terroristes Shajul Islam et Bilal Abdul Kareem |
En outre,
les séquences montraient que les casques blancs portant «secours aux victimes»
d’une manière qui n’était pas conforme au protocole établi sur la façon de
traiter les corps saturés de sarin. Les images semblent montrer que les
opérateurs du casque blanc syriens manipulent des victimes de sarin présumées
avec leurs mains nues, plutôt qu’avec des gants, ce qui est nécessaire pour
empêcher le sauveteur d’être blessé par le produit chimique lui-même. Ils
semblent également utiliser des masques anti-poussières simples, qui ne sont
pas une protection appropriée en cas d’attaque de sarin. «
Pour faire
connaître «la situation sur le terrain», celle les Casques blancs et d’hommes
comme le docteur Shajul Islam ont besoin d’utiliser les médias. Pas de problème.
Chassé d’Alep, le bon docteur a sous la main un magicien. Bilal Abdul Kareem
(1) pratique la vidéo, la photo et l’écrit. Un rêve pour une rédaction. Cet
acteur raté, avant d’être imam à Brooklyn, a quitté les États-Unis après avoir
approuvé un attentat islamiste dans un fort des Marines aux États-Unis.
Après avoir
connu le monde au Soudan, au Rwanda, en Égypte, il est devenu cameraman pour
une chaîne de télévision religieuse saoudienne. Puis a sauté en Syrie, dans
le djihad. A Alep, sa mise en scène des fameux Casques blancs, qui viennent
d’être récompensés à Hollywood, a fait merveille. CNN l’a même engagé comme
pigiste et il a obtenu, en France à Bayeux, un Prix réservé aux correspondants
de guerre! Quand il ne filme pas, Kareem, sur Facebook, donne des conseils aux
jeunes de la planète afin qu’ils respectent au mieux la charia. Est-ce faire
injure à ce distingué confrère que d’estimer qu’il ferait une recrue de grande
qualité pour la CIA.
Reste
aujourd’hui, pour les cerveaux qui ne vont pas plus vite que la musique, pour
les experts militaires, et ceux en gaz de combat, à livrer un verdict. Si
celui-ci est encore possible. S’il tombe, Trump aura déjà vitrifié Damas, fait
sombrer la Corée du Nord dans la mer. Dommage que François Hollande ne soit plus
à l’Élysée pour applaudir à toutes ces merveilles.
Notes
(1)
https://www.legrandsoir.info/bien-pensance-rsf-et-la-ville-de-bayeux-r…
(*) Lesley
Stahl: »Nous avons entendu dire que 500.000 enfants sont morts (en Irak).
Ca fait plus qu’à Hiroshima. Et, vous savez, est-ce que cela en valait le prix?
Secrétaire
d’État US Madeleine Allbright: « Je pense que c’est un choix difficile.
Mais le prix – nous pensons que cela en valait le prix. »
Entretien
télévisé sur CBS 60 minutes, Mai 1996
avril 13, 2017
Jacques Marie Bourget, grand reporter de guerre
(Vietnam, Liban, Irak, Yougoslavie, Palestine) a couvert ces événements pour le
compte des publications suivantes : L'Aurore, Le Canard Enchaîné, L'Express,
VSD et Paris Match. Il est notamment l'auteur d'un ouvrage sur les massacres de
Sabra Chatila.