Le prix d’une
audience avec Donald Trump est élevé et continue de monter. Selon les
estimations, l’Arabie Saoudite a déjà promis 300 milliards de dollars de
contrats de défense pour la prochaine décennie et 40 milliards de dollars
d’investissements dans des infrastructures. Le chiffre final, selon certains initiés de Wall Street, pourrait encore
grimper à 1.000 milliards de dollars d’investissements dans l’économie
américaine.
Au moment où il
a atterri à Riyad ce vendredi, Trump avait dans ses bagages le plus gros
contrat d’armement de l’histoire américaine. Il a ainsi rempli sa promesse de faire payer la maison des Saoud, même pour
des roquettes qu’elle n’utilisera jamais.
S’il y a une
guerre avec l’Iran, ce seront les États-Unis qui la livreront. La Corée du Sud,
un pays beaucoup plus proche d’escarmouches avec son voisin, s’avère être un
acheteur plus difficile de systèmes de défense antimissiles américains. Le pays
rechigne à payer 1 milliard de dollars pour le système THAAD. Pas Riyad.
La Maison
Blanche était en liesse devant l’effet que cet argent saoudien tombé du ciel d’Allah
et de son pétrole, pourrait avoir sur les emplois à l’intérieur des USA, alors qu'en Arabie, résorber
le chômage dans le royaume est un défi majeur du plan "Vision 2030",
l'ambitieux programme de réformes destiné à diversifier l'économie saoudienne,
dépendante du pétrole, et réduire une fonction publique pléthorique. Le Programme de
transformation nationale (PTN) prévoit ainsi de réduire le taux de chômage de
11,6% à 9% en 2020. En 2015, le
Fonds monétaire international (FMI) a relevé un taux de chômage
"très élevé, en augmentation" chez les jeunes saoudiens,
dans un pays où les moins de 25 ans représentent plus de 50% de la population.
D’après le compte-rendu officiel de la rencontre qui a eu lieu le mois
dernier entre le vice-prince héritier Mohammed ben Salmane et Trump,
jusqu’à un million d’emplois pouvaient être créés directement à l’intérieur du
pays et des millions d’autres pouvaient l’être dans la chaîne
d’approvisionnement.
La question que
se posent les Saoudiens qui, contrairement au prince de 31 ans, n’ont pas
les moyens de s’acheter sur un coup de tête le yacht d’un milliardaire russe ou
un
archipel dans les Maldives, est la suivante : « Comment, pour
l’amour de Dieu, pouvez-vous inonder les Américains de tant d’argent alors que
vous êtes si réticents à le faire pour votre propre peuple ? ».
En effet, en Arabie, le
taux de chômage officiel est de 12 % et le pourcentage réel est
beaucoup plus élevé. Alors que les hôpitaux ont du mal à trouver des
médecins, le plus grand fonds du royaume, la General Retirement Foundation, qui
verse les retraites des travailleurs du secteur public et de l’armée, a annoncé la semaine dernière que ses réserves étaient
épuisées. À quelle déclaration du ministre adjoint de l’Économie Mohammed
al-Tuwaijri la plupart des Saoudiens croient-ils le plus ? Celle où il a annoncé que le royaume avait réduit de plus
de moitié son déficit au premier trimestre en raison de mesures d’austérité, ou
la
déclaration antérieure lors de laquelle il a prévenu que le royaume serait
en faillite en quatre ans si le prix du baril de pétrole restait entre 40 et
45 dollars ? Il n’était pas le seul. Le FMI aussi a averti le royaume qu’il risquait la faillite. Quel Saoudien
ne se dit pas qu’une intensification des mesures d’austérité et de nouvelles
taxes sur la TVA se profilent à l’horizon ?
Les jours révolus des bureaux et des fauteuils
roulants
Il existe deux
raisons possibles pour lesquelles le royaume est prêt à inonder ses riches
cousins américains de plus de richesses.
La première est personnelle. Mohammed ben Salmane paie une
rançon de roi ou, du moins, l’espère sincèrement. Il est loin le
temps où les cadeaux offerts par les États étaient modestes. Une des pièces
exposées à Riyad dans le musée du fondateur du royaume, le roi Ibn Saoud, est
un modeste bureau que le président Franklin D. Roosevelt lui a offert après
leur première rencontre à bord d’un destroyer américain. Il a également reçu
l’un des deux fauteuils roulants du président américain. Ces jours-ci, un
bureau ou un fauteuil roulant serait une insulte, comparé à un dessous-de-table
pour un contrat d’armement.
La seconde raison est collective. Le
royaume a subi un tel choc de la part d’une administration Obama qui a fait de
la paix avec l’Iran son objectif principal qu’il souhaite ne plus jamais se
sentir exposé aux vents du désert. L’Arabie saoudite paie pour se protéger,
même pour des armes qu’elle pourrait ne jamais utiliser.
Il serait
toutefois prématuré de prendre les affirmations de Ben Salmane pour argent
comptant. Même si c’est son ambition, Ben Salmane parle-t-il toutefois au nom
de son pays ou même de la famille royale ? Il est toujours écarté de la
succession au trône et son cousin plus âgé – et certains diraient plus
sage – Mohammed ben Nayef n’a pas l’intention de céder la pole position en
tant que prince héritier
.
.
Une brouille au Yémen
Tous les princes
héritiers font profil bas et gardent le silence. Ben Nayef est toujours
responsable d’une des trois forces militaires du royaume, le puissant ministère
de l’Intérieur qui contrôle les frontières. Il n’est pas rare pour les
visiteurs étrangers invités par Ben Salmane de passer des moments gênants
d’interrogatoires pratiqués par les services de contrôle aux frontières de Ben
Nayef dans le simple but d’envoyer un message. En privé, Ben Nayef reste calme
et confiant.
Ben Nayef a tout
d’abord soutenu la campagne aérienne lancée par son jeune cousin et ministre de
la Défense contre les Houthis au Yémen. La rumeur court que ce n’est plus le
cas aujourd’hui. La dernière catastrophe qui est arrivée à Ben Salmane a été la
brouille entre le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi dont il protège la
légitimité et le principal allié militaire des Saoudiens, le prince héritier
émirati d’Abou Dhabi Mohammed ben Zayed.
Après un
échange de piques entre Hadi et Ben Zayed en février sur le contrôle
de l’aéroport d’Aden, les alliés yéménites de Ben Zayed se sont séparés de la
sphère de contrôle du président exilé, divisant ainsi les forces qui tentent de
reprendre le Yémen aux Houthis en au moins deux factions. La politique de Ben Salmane est
en proie au chaos. Il dépend de Hadi comme source de légitimité pour ses
attaques aériennes mais doit l’empêcher de s’envoler pour le sud libéré du
Yémen.
Ben Zayed, pour
sa part, n’est pas prêt à céder. Il a toujours eu au Yémen une mise plus
importante que les Houthis soutenus par l’Iran. En effet, comme je l’ai signalé
auparavant, il a tout d’abord encouragé les Houthis à se soulever contre Hadi
jusqu’à ce que leur insurrection échappe à tout contrôle. Son objectif est
l’éradication du mouvement al-Islah affilié aux Frères musulmans.
Par l’intermédiaire
du fils de l’ancien dictateur Ali Abdallah Saleh, Ben Zayed poursuit des
négociations actives avec le principal partenaire militaire des Houthis. Et à
travers ses représentants, Ben Zayed est déterminé à poursuivre ses objectifs
originels.
Ben Zayed est
tout sauf incohérent.
Et si…
Jouons à un
petit jeu de réflexion. Imaginons qu’au lieu de s’opposer au Printemps arabe et
aux soulèvements populaires de 2011, l’Arabie Saoudite ait décidé d’investir
dans le développement du monde arabe. Imaginons que la Maison des Saoud ait
versé 340 milliards de dollars pour soutenir les résultats d’élections
libres en Égypte, en Libye et au Yémen au lieu de soutenir des coups d’État
militaires et des contre-révolutions.
Où en seraient
aujourd’hui la Maison des Saoud et le monde arabe ? Les choses ne seraient
pas de tout repos. Les premiers dirigeants arrivés au pouvoir après la
dictature auraient été évincés depuis longtemps mais, au moins, la tradition du
recours aux urnes plutôt qu’aux armes pour y parvenir serait établie.
Les économies
seraient bien sur la voie de la transition. Le monde arabe serait rempli de
touristes occidentaux. Les plages de Tunisie et les pyramides d’Égypte ne
seraient pas vides aujourd’hui. Il pourrait y avoir un mouvement de sécession
au Sinaï, mais l’État islamique n’y jouirait d’aucune présence. Les djihadistes
seraient retournés depuis longtemps dans leurs grottes en Afghanistan. Ils
auraient considéré leur mission comme un échec.
Les membres de
la maison des Saoud, alors banquiers du changement pacifique, seraient
maintenant salués comme des héros. Ils pourraient avoir autant de yachts de
luxe ou d’îles qu’ils le souhaitent. Ils n’auraient pas à verser le prix du
sang à Trump. Leur monde serait tellement plus sûr s’ils s’étaient déjà lancés
dans le seul voyage qu’il leur reste : d’une monarchie absolue à une
monarchie constitutionnelle.
Dans l’état
actuel des choses, 56 dirigeants musulmans et arabes vont se réunir à
Riyad pour écouter Trump leur donner une leçon de démocratie et prêcher devant
eux au sujet de l’islam. Nous vivons dans un monde étrange.
David Hearst