Le JCPOA [Joint
Comprehensive Plan of Action : Plan d’action globale conjoint, accord
international sur le programme nucléaire de l’Iran, signé en 2015 entre l’Iran,
les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’Onu et l’UE, NdT] n’est
pas la cause du succès de l’Iran dans la lutte d’influence régionale, et le
renverser ne privera pas l’Iran de ses gains.
Il y a des signes troublants que
l’administration de Trump brûle d’envie de se frotter à l’Iran. Bien que la
Maison-Blanche ait récemment affirmé que Téhéran se conformait à l’accord
nucléaire, de nouvelles sanctions et des références à peine voilées à un changement de régime
devraient soulever la sérieuse inquiétude que l’administration va chercher
n’importe quelle excuse pour éviter de certifier à nouveau le respect de
l’accord par l’Iran au moment du prochain contrôle en octobre. En fait, le
Président Donald Trump a chargé une équipe de la Maison-Blanche de trouver des
raisons pour refuser la certification à la première occasion. Et dans une
interview du 25 juillet avec le Wall Street
Journal, Trump a préjugé du résultat d’octobre en déclarant
qu’il s’attendait tout à fait à ce que l’Iran soit déclaré non coopératif.
Rompre l’accord nucléaire,
apparemment pour
tenir une promesse de campagne, pourrait entraîner Washington sur une pente
glissante vers une confrontation militaire avec l’Iran. Le sabotage de l’accord
que l’Iran a négocié, non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec la
Russie, la Chine, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, serait interprété
par Téhéran comme un signe que Washington se prépare à une intervention
militaire, et qu’il doit donc se préparer au pire. Cette voie vers la confrontation sèmerait le chaos dans
un Moyen-Orient déjà instable, saperait les intérêts de la sécurité nationale
des États-Unis, et mettrait potentiellement en péril la vie de citoyens
américains.
Washington a de légitimes raisons
de s’inquiéter du comportement de l’Iran. Téhéran a exercé son influence tout
au cœur du Heartland arabe en faisant usage de sa force expéditionnaire Al-Qods
[forces spéciales des Gardiens de la Révolution Islamique en Iran, NdT] et au
travers de son appui à des milices comme le Hezbollah, les unités de
mobilisation populaire irakiennes, les Houthis au Yémen et plus de 100.000
miliciens en Syrie. Sa partie de bras de fer avec les États-Unis en Irak a pour
but d’amener Bagdad plus complètement dans l’orbite politique de Téhéran et de
l’éloigner de Washington. Et il fait étalage de façon provocante de sa
puissance en menant des tests de missiles et en arrêtant les Américains en
visite en Iran.
Mais il est nécessaire de
distinguer les faits de la fiction, particulièrement au milieu des
fanfaronnades de la Maison-Blanche et du Congrès. Il est vrai que l’influence
de Téhéran est
en augmentation constante, particulièrement depuis que la Russie est entrée
en Syrie en 2015 pour soutenir le Président Bachar el-Assad, un objectif
partagé par l’Iran. Mais il est faux de penser que l’accord nucléaire est d’une
manière ou d’une autre responsable du succès de l’Iran dans la lutte
d’influence régionale, et que l’annuler privera l’Iran de cette capacité. Ce qui a donné à l’Iran la
possibilité d’intervenir n’est pas l’accord nucléaire, mais plutôt le grand
vide politique qui existe maintenant en plein milieu du monde arabe. Les
guerres en Syrie et en Irak en particulier, ainsi que le conflit au Yémen, ont
évidé le centre du monde arabe, créant une faille de sécurité béante qui a
attiré l’Iran, mais aussi l’Arabie saoudite et la Turquie dans une sorte de
piège conflictuel dans lequel il est plus facile d’entrer que de sortir.
L’Iran a attisé ces conflits et les
efforts de Washington pour contrebalancer le pouvoir régional de Téhéran sont
sensés. Mais il est important de comprendre que la vraie menace contre les
intérêts de la sécurité nationale des États-Unis n’est pas l’Iran en soi, mais
plutôt le vide créé par les guerres civiles qui permet à Téhéran et à d’autres
puissances régionales d’intervenir. C’est l’effondrement de l’ordre régional,
avec tous les risques sécuritaires que cela induit, qui est la menace réelle
contre les intérêts américains. Par exemple, la guerre civile en Syrie a
engendré une nouvelle branche d’al-Qaïda, Hayat Tahrir al-Cham, qui pourrait
finalement prendre racine ailleurs dans la région. Les conflits en Syrie, en Irak, au Yémen et en
Libye rendent irréalisables les promesses de campagne de Trump d’éradiquer
définitivement l’EI. Plus longtemps les guerres continuent, plus le
risque est grand que des pays déjà affaiblis comme la Jordanie et le Liban
s’enfoncent dans la guerre civile, et plus grande devient la menace
d’instabilité pour l’Arabie saoudite. Et de plus, les guerres en cours donnent
à la Russie l’occasion de renforcer sa position en tant qu’acteur indispensable
au Moyen-Orient, un scénario loin d’être idéal à la fois pour la région et pour
les États-Unis.
Ce sont les effets corrosifs des
guerres civiles qui représentent la réelle menace pour les intérêts américains.
Cela devrait être ce défi primordial, et non une attention exclusive à l’Iran,
qui propulserait le rôle de Washington dans la région.
Se retirer de l’accord sur le
nucléaire risque d’attiser encore plus ces guerres civiles qui représentent le
réel danger pour les intérêts des États-Unis au Moyen-Orient.
Tir et test d’un missile balistique dans un endroit tenu secret, Iran, le 9 mars 2016. REUTERS/Mahmood Hosseini/TIMA |
Voici comment les événements pourraient se dérouler et la
situation régionale se détériorer si Washington rompait l’accord nucléaire.
-
Téhéran interprétera toute
tentative de saper l’accord comme un coup de semonce contre un changement de
régime, et il utilisera tous les moyens à sa disposition, y compris ses atouts
en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen pour renforcer ses capacités de
dissuasion et de représailles.
-
Sous la menace, l’Iran
pourrait attiser l’agitation des chiites au Bahreïn et en Arabie saoudite,
accroître son soutien aux Houthis du Yémen, mettre le Hezbollah en alerte sur
la frontière du Liban avec Israël, et semer plus de désordre en Syrie et en
Irak.
-
Comme ces actions
n’auraient pas lieu en Iran, mais dans les zones les plus instables du
Moyen-Orient, elles conduiraient probablement à une escalade supplémentaire des
guerres civiles et à un plus grand déséquilibre dans la région. Elles
pourraient également représenter une provocation suffisante pour pousser
l’administration de Trump à agir militairement et à tomber dans le
piège du conflit.
Ceux qui préconisent la rupture de
l’accord nucléaire pourraient arguer que les États-Unis ont la capacité de
parer à toute éventualité négative qui pourrait se présenter en utilisant leur
puissance militaire supérieure. Certes, les États-Unis pourraient atténuer
certains effets des agissements de l’Iran en infligeant des dégâts considérables
aux infrastructures militaires du pays. Mais neutraliser les capacités de
représailles et de dissuasion que Téhéran a à sa disposition dans les zones de
guerre civile de la Syrie, de l’Irak et du Yémen — et du Liban — ne sera pas si
facile. L’Iran pallie ses
manques en puissance militaire conventionnelle par ses capacités asymétriques.
Téhéran dispose de milices implantées en plein milieu des parties les plus
vulnérables du monde arabe, comme protection partielle des menaces américaines
et israéliennes. Pour neutraliser ces capacités, les États-Unis ou Israël
devraient affronter l’Iran directement sur le terrain en Syrie, une aventure
périlleuse étant donné que la Russie opère dans le même espace et soutient
l’Iran. Il faudrait aussi probablement se battre au Liban voisin, ce qui
pourrait précipiter ce pays dans la guerre civile.
Pire encore pour les États-Unis,
dans un scénario où l’accord nucléaire est rompu, la communauté internationale donnerait probablement
raison à l’Iran et ferait peser le blâme sur Washington. Ce serait
notamment le cas si l’Iran continue à appliquer les termes de l’accord
nucléaire malgré le refus américain, faisant de Washington le paria. En fait, se retirer de l’accord
nucléaire pourrait cimenter davantage la relation entre l’Iran et la Russie,
transformant des liens aujourd’hui fondés sur une convergence tactique
d’intérêts en Syrie en quelque chose de plus durable et plus stratégique.
Et cela renforcerait certainement la position de la Russie dans le monde, lui
donnant une plus grande capacité de contester la domination étasunienne sur la
scène internationale.
Mais le plus grand risque à long
terme que poserait le sabotage de l’accord sur le nucléaire pour la sécurité
des États-Unis et des pays du Moyen-Orient serait la perte d’opportunités.
L’Iran, avec l’Arabie saoudite et la Turquie, doit être partie intégrante de
toute solution visant à mettre fin aux guerres civiles qui menacent la
sécurité, les actions antiterroristes et les intérêts énergétiques des États-Unis.
La coopération entre les trois principales puissances régionales sera
nécessaire pour mettre fin aux guerres et empêcher l’État Islamique de se
changer en un nouveau type de menace après la fin des campagnes pour libérer
Mossoul et Raqqa. Saper l’accord du nucléaire pourrait inciter l’Iran à être
moins coopératif qu’il ne l’est aujourd’hui, et renforcerait les partisans
d’une ligne dure dans le gouvernement iranien, lesquels sont enclins à
considérer toute coopération avec les États-Unis comme une profanation des
principes de la révolution iranienne.
Que devraient donc faire les
États-Unis? L’utilisation de la menace de la force pour dissuader l’Iran de
créer des problèmes régionaux pourrait avoir du sens si cela faisait partie
d’une stratégie plus globale qui comprenait aussi la diplomatie. Mais la
rupture de l’accord nucléaire gâcherait l’occasion d’essayer les moyens
diplomatiques, cela donnerait à l’Iran davantage d’encouragements à jouer le
rôle de saboteur dans une région déjà déstabilisée, cela éliminerait la
possibilité d’une coopération dans la guerre contre l’État Islamique, et cela
serait sûrement interprété par l’Iran comme un acte de guerre. C’est seulement
en conjuguant pression et diplomatie, ce qui suppose de maintenir l’accord
nucléaire, que Washington peut affirmer le succès de sa politique en Iran et
empêcher une crise dans une région si cruciale pour les États-Unis et la
sécurité mondiale.
Ross Harrisson
enseignant à l’École des Affaires étrangères à l’université de Georgetown, est chercheur à l’institut du Moyen-Orient et est aussi enseignant dans le département de sciences politiques à l’université de Pittsburgh, où il enseigne la politique du Moyen-Orient..
enseignant à l’École des Affaires étrangères à l’université de Georgetown, est chercheur à l’institut du Moyen-Orient et est aussi enseignant dans le département de sciences politiques à l’université de Pittsburgh, où il enseigne la politique du Moyen-Orient..
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement
reproductible en intégralité, en citant la source.