Il y a quatre jours, nous
avons posé cette question : Est-ce que le « modéré
Al-Qaïda » s’est fixé le Hezbollah pour cible ? La réponse
implicite de cet article était « Oui, la guerre arrive au Liban ».
Aujourd’hui, le Premier
ministre libanais Saad Al-Hariri a démissionné en faisant une
déclaration écrite par l’Arabie Saoudite sur la chaîne de télévision saoudienne
Al Arabia (vidéo). C’était la première salve.
L’axe
Saoudo-Israélo-Américain perdra cette guerre et c’est l’Iran et la Russie qui
vont y gagner.
Au début de la semaine, Thamer al-Sabhan, le ministre saoudien extrêmement sectaire des Affaires du Golfe, avait menacé le Hezbollah libanais et annoncé une surprise :
Le belliqueux ministre saoudien des Affaires du Golfe, Thamer
al-Sabhan, a appelé lundi à « renverser le Hezbollah » et a annoncé
des « développements étonnants » dans les « jours à venir ».
...
Se référant à son tweet de dimanche sur le gouvernement libanais,
le ministre a déclaré : « J’ai envoyé ce tweet au gouvernement parce
que le parti de Satan (Hezbollah) y est représenté et que c’est un parti
terroriste. Le problème n’est pas de renverser le gouvernement, mais plutôt de
renverser le Hezbollah. »
« Les développements à venir vont en étonner plus,
c’est certain », a ajouté M. al-Sabhan.
Pendant qu’il y avait des combats en Syrie et en Irak, le Liban
était en paix. Maintenant que ces guerres se terminent, les luttes par
procuration reprennent au Liban. Joseph Bahout l’avait prédit à la
mi-octobre :
Au niveau régional, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis
cherchent maintenant un autre endroit d’où ils pourraient défier et faire
saigner l’Iran pour compenser la perte de la Syrie. Le violent désir de
renverser la donne régionale pourrait les amener à tenter de reprendre pied au
Liban. Les États du Golfe, Israël et les États-Unis ne veulent pas que l’Iran
récolte les fruits d’une victoire en Syrie. S’ils cherchent à rééquilibrer la
relation régionale avec Téhéran au Moyen -Orient, le seul endroit pour le faire
serait le Liban, malgré les nombreux risques que cela comporterait.
Dans un tel cas, et malgré sa réticence à mettre en péril son
sanctuaire libanais, le Hezbollah pourrait ne pas avoir d’autre choix que
d’accepter le défi, surtout s’il a une composante israélienne.
La politique libanaise est organisée selon un accord compliqué. Le
camp sunnite, financé par les Saoudiens, occupe le poste de premier ministre.
Le poste de président est occupé par l’ancien général chrétien Michel Aoun. Le
poste de président du parlement est occupé par le leader du mouvement chiite
Amal Nabih Berri. Il y a deux mois, Berri avait proposé d’élire un nouveau parlement avant
la fin de l’année. Une élection affaiblirait probablement la position sunnite.
Saad Al-Hariri est devenu premier ministre après une longue
querelle au Liban qui s’était ravivée avec l’assassinat du père de Saad, Rafic Hariri,
l’ancien premier ministre. Le Hezbollah a été accusé de cet assassinat mais il
s’agissait plus probablement d’une opération secrète israélienne.
La famille Hariri s’est enrichie grâce à Saudi Oger, une
entreprise de construction en Arabie Saoudite dont elle est propriétaire. Les
Hariri ont des passeports saoudiens. Les affaires ont mal tourné sous Hariri
junior. En juillet, Saudi Oger a fermé ses portes et le bruit court que la
famille d’ex-milliardaires serait en faillite. Les dirigeants saoudiens les
soutiennent financièrement.
Hariri avait récemment nommé un ambassadeur libanais en Syrie.
Hier, Hariri a reçu la visite à Beyrouth d’Ali Velayati, un haut
conseiller de Khamenei, le chef suprême d’Iran. Les Saoudiens n’ont apprécié ni
l’un ni l’autre événement. Le plan de Thamer a été mis en marche. Ils ont
envoyé un jet privé et ramené Hariri à Riyad. Là, le prince clown saoudien
Mohammad bin Salman a donné à Hariri la lettre de démission (écrite par
Thamer ?) qu’il a lue à la TV saoudienne.
Comble de l’ironie : Le Premier ministre libanais (qui a un
passeport saoudien) démissionne sur ordre de l’Arabie Saoudite, en Arabie
Saoudite, à la télévision saoudienne. Dans sa lettre de démission écrite par
les Saoudiens ( extraits), il accuse l’Iran d’ingérence
étrangère dans la politique libanaise.
(Hariri prétend également que son assassinat était planifié au
Liban. Cela n’a pas de sens. L’organisation de sécurité intérieure libanaise
affirme qu’elle n’a pas connaissance d’un tel complot.)
Hariri a besoin d’un prétexte pour rester en dehors du Liban et échapper à la
colère de ceux qui lui faisaient confiance. Les médias saoudiens essaient de
fabriquer une histoire fantastique à partir de ce supposé assassinat, mais il
n’y a aucune preuve de quoi que ce soit.)
La démission de Hariri a pour but de provoquer une crise
constitutionnelle au Liban et d’empêcher de nouvelles élections parlementaires.
Voilà la suite probable du plan saoudien :
- L’administration Trump annoncera de nouvelles sanctions contre le Hezbollah et contre le Liban.
- Le gouvernement saoudien infiltrera au Liban une partie de ses combattants par procuration d’Al-Qaïda/EI de Syrie et d’Irak (éventuellement via la Turquie par la mer). Il financera des opérations terroristes libanaises locales.
- Des extrémistes sunnites se livreront à des nouvelles tentatives d’assassinat, à des attentats terroristes et à des émeutes contre les chrétiens et les chiites au Liban.
- Les États-Unis essayeront de pousser l’armée libanaise à déclarer la guerre au Hezbollah.
- Israël tentera de provoquer le Hezbollah et de détourner son attention avec de nouvelles machinations à la frontière libanaise et à la frontière syrienne. Mais il n’entamera PAS une vraie guerre.
Le plan a peu de chances de
réussir :
· Le peuple libanais dans son ensemble ne veut pas d’une nouvelle guerre civile.
· L’armée libanaise ne
s’impliquera avec un camp ou un autre et au contraire tentera de maintenir le
calme partout.
· Les sanctions contre le Hezbollah frapperont tout le
Liban, y compris les intérêts sunnites.
· Un nouveau premier ministre sunnite sera installé à la
place de la marionnette saoudienne qui a démissionné.
· Le Liban constituera un nouveau marché pour les Russes et les
Iraniens. Les compagnies russes s’engageront dans l’extraction gazière et
pétrolière libanaise en Méditerranée et remplaceront les États-Unis.
Le plan saoudo/américano/israélien contre le Hezbollah a tout
l’air d’une crise de rage impuissante provoquée par leur défaite en Syrie et en Irak.
Les troupes irakiennes ont, malgré les protestations des États-Unis,
débarrassé les zones frontalières avec la Syrie de l’EI. Des milices irakiennes
ont franchi la frontière pour aider les troupes syriennes à reprendre Abu Kamal,
le dernier endroit contrôlé par l’EI. Cela ouvrira enfin une route directe de
la Syrie vers l’Irak et au-delà. Les États-Unis avaient prévu de prendre Abou
Kamal avec leurs forces par procuration kurdes/arabes et de bloquer cette
route. Les forces gouvernementales syriennes se dépêchent de les en empêcher.
Pour la quatrième journée consécutive, les bombardiers Tu-22M3 à long rayon
d’action de la Russie ont soutenu le combat avec de grands raids effectués
directement depuis la Russie. Le Hezbollah a réinjecté des milliers de
combattants. Cette force massive va submerger les défenses de l’État islamique.
La Syrie gagnera la course pour prendre la ville ainsi que la bataille.
L’État islamique parrainé par l’Arabie saoudite en Irak et en
Syrie a été anéanti, il n’existe plus. Certains de ses éléments formeront des
petits groupes terroristes dans le désert - cruels mais sans effet sur la
situation globale.
L’Irak a retrouvé sa souveraineté nationale. Il a vaincu l’EI,
empêché les Kurdes de s’approprier une partie du territoire arabe, et déjoué
toutes les tentatives de relancer une guerre civile. Les combats en Syrie contre al-Qaïda, ainsi que
l’ingérence turque, israélienne et américaine, dureront encore un an. Mais il
est très probable que la puissante alliance de la Syrie, de l’Iran, de la
Russie et du Hezbollah remportera la guerre. La Syrie a subi beaucoup de
dommages mais elle a gardé son unité et son indépendance et elle survivra.
La guerre lancée contre le Hezbollah et donc contre le Liban se
terminera probablement de la même manière.
Les efforts maniaques des Saoudiens et des États-Unis pour
contrecarrer une prétendue influence iranienne (et russe), ont permis à l’Iran
(et à la Russie) d’améliorer et de sécuriser leur situation bien mieux qu’ils
n’auraient jamais pu l’espérer autrement. Je ne comprends vraiment pas pourquoi
les Saoudiens pensent que leur nouvelle aventure au Liban va avoir une issue
différente. Cela me dépasse.
Moon Of Alabama 4 novembre 2017
Traduction : Dominique
Muselet
Commentaire
Le lendemain de la visite d’un haut émissaire iranien
à Beyrouth, Ali Akbar Velayati, rencontré par le Premier Ministre Saad
HARIRI, ce dernier fut
convoqué à Ryad et annonça sa démission en jetant l’invective sur l’Iran et le
Hezbollah. Nul n’est besoin d’être expert en géopolitique pour
comprendre cette annonce surprise puisqu’elle est signée d’Arabie Saoudite :
le royaume veut « faire le ménage » au Liban, y compris en arrêtant
le Prince Al Walid Bin Talal connu pour ses sympathies libanaises et ses
investissements dans le pays et accentuer sa lutte contre l’Iran dans laquelle il est appuyé par Israël
et les États-Unis.
Le Liban risque donc d’entrer à nouveau dans une
période d’incertitudes sinon de troubles, à moins que l’union nationale ne
puisse se faire autour d’un nouveau Premier Ministre nécessairement sunnite du
fait de la Constitution, car les Libanais de toutes confessions sont las des
disputes de leurs responsables et aspirent à un état fort qui puisse soutenir
les forces de sécurité nationale, Armée et Police, qui dépassent, elles, les
clivages confessionnels pour montrer une grande capacité opérationnelle sur un
terrain difficile avec les djihadistes de Syrie à ses frontières- et sans doute
aussi à l’intérieur- et les deux millions de réfugiés syriens qu’il accueille
généreusement sur son petit territoire, en plus des centaines de milliers de
Palestiniens qui ont dû fuir leur pays au fur et à mesure des guerres
successives d’Israël.
Il semble clair que l’Arabie veuille monter d’un cran
dans sa lutte contre l’Iran et y inciter ses alliés. Mais au Moyen-Orient désormais les États-Unis ne
dirigent plus les opérations et ont échoué dans leurs tentatives en Syrie et en
Irak, notamment avec l’échec du referendum kurde ; la diplomatie
russe a su prendre le temps de placer ses atouts un peu partout et est sans
doute en mesure d’empêcher une guerre que souhaiteraient l’Arabie et Israël, en
offrant une porte de sortie honorable à l’Amérique qui n’aurait rien à gagner
dans l’ouverture d’un front militaire, de même que les autres protagonistes. La
politique vindicative de l’Arabie Saoudite pourrait être contreproductive pour
les États-Unis et les états de la région, y compris même au sein du royaume
dont certains piliers sont chancelants. Contrairement à ce que pense le
gouvernement du Likoud à Tel-Aviv, Israël ne peut pas rayer l’Iran de la carte
et ferait mieux, dans son propre intérêt, d’adopter une politique plus sage et
retenue vis-à-vis de son environnement proche comme éloigné.
Alain Corvez (5
novembre 2017)