Un livre
très intéressant a récemment été publié : « La garde
prétorienne de Poutine : les confessions des meilleurs trolls du Kremlin »
par Phil Butler. C’est un bon livre à lire pour tous
ceux qui veulent regarder au-delà du miroir déformant mis en place
par les médias occidentaux. Il comprend des contributions de personnes qui ont
été actives face au barrage médiatique d’une presse spécialisée dans la
contrefaçon émanant des usines à « fausses nouvelles » que
sont le Washington Post, le New York Times et CNN.
Le titre est
facétieux : les personnes en question ne sont pas des trolls car les
trolls en question n’existent pas. Les trolls du Kremlin sont un faux
mème qui est systématiquement déployé pour couvrir les propres échecs du
système mais n’est pas utilisé en cas de succès.
Par
exemple : l’establishment politique de Londres a manipulé avec succès le
référendum sur l’indépendance écossaise pour le faire échouer avec une
combinaison de pots-de-vin et de tactiques alarmistes ; par conséquent,
les trolls fantômes du Kremlin n’y ont joué aucun rôle. Mais Londres n’a pas
réussi à le faire avec le référendum sur le Brexit ; par conséquent, les
trolls du Kremlin ont été utilisés comme têtes de Turcs pour ce
résultat non voulu et non scénarisé.
Un autre
exemple : Madrid a échoué dans ses efforts pour empêcher le référendum sur
l’indépendance catalane ; l’exercice s’est transformé en une tentative de
contrecarrer un exercice d’autodétermination démocratique ; il y a eu du
sang dans les rues. Alors, sortons les trolls du Kremlin, et
accusons-les. Mais maintenant que l’usure du référendum s’est installée et que
la majorité de la population a dit avoir des doutes sur cette indépendance, les
trolls ont apparemment fait leurs bagages et sont rentrés chez eux.
Et puis bien
sûr, il y a aussi celui-là : Hillary Clinton a perdu son élection,
inexplicablement dans son esprit et dans l’esprit de ses partisans, alors
qu’elle a vraiment été une très mauvaise candidate qui a fait des choses
inexplicablement absurdes, comme de traiter la moitié de son électorat
potentiel de « panier de déplorables ». Alors, sortons les trolls
du Kremlin encore une fois.
Et
maintenant que tout le récit de l’« ingérence russe »,
poursuivi sans relâche par les médias des « fausses nouvelles »
depuis l’élection de Trump, s’enfonce dans un cul de sac où tout le monde doit
admettre que le tout était un montage crapuleux, Washington décide de mettre en
scène une attaque contre Russia Today, la forçant, elle seule parmi tous
les médias étrangers tels que la BBC, Al Jazeera et bien d’autres, à
s’inscrire en tant qu’agent étranger. En substance, ce faisant, Washington a
admis que son « ordre mondial » pouvait être abattu par un
simple échange libre d’informations ! Si ce n’est pas une position
d’extrême faiblesse, qu’est-ce que c’est ?
Bref, il est
clair que les trolls du Kremlin se matérialisent spontanément au milieu
de la défaite et se voient automatiquement remettre les lauriers de la
victoire. Qu’est-ce que les trolls doivent faire pour s’assurer de cette
victoire ? Mais rien du tout ! En fait, ils n’ont même pas besoin
d’exister ! Mais pourquoi perdre une si bonne occasion de se lever, de
faire un tour de terrain sous les ovations, de s’incliner devant cet honneur,
d’accepter les lauriers, etc. Mais parce que quelqu’un pourrait s’en attribuer
le mérite à notre place. Si tout ce que vous avez à faire pour gagner est
d’émettre une déclamation assez populaire pour montrer que vous existez, cela
semble être une proposition à très faible risque. Et les gens les plus
méritants s’avèrent être ceux qui se sont constamment opposés à ces faux récits
anti-Russes émanant de divers porte-parole occidentaux, comme moi-même.
On ne sait
pas vraiment si la Russie en général ou le Kremlin tirent un réel bénéfice de
ces victoires putatives des trolls du Kremlin, sauf
peut-être comme une sorte de service de relations publiques, en faisant passer
les ennemis de la Russie pour des idiots. Mais tout ce problème provient de la
totale incompétence des dirigeants occidentaux – ce qui peut difficilement être
considéré comme positif pour l’Occident, ou pour la Russie ou même le monde
entier. Et voici comment les soi-disant « prétoriens de Poutine »,
les « trolls du Kremlin » de Phil Butler, peuvent et jouent
parfois un rôle positif : en expliquant au reste du monde comment nous
sommes gouvernés (ou, devrais-je dire, « manipulés ») par
certains choix stupides, et comment ce n’est pas nécessairement une bonne
chose. Il faut donc leur donner plus de pouvoir. Alors s’il vous plaît achetez
et lisez
ce livre. En attendant, je vous confie à mon ami le Saker, un Russe
blanc qui a abandonné la doctrine arbitraire de son milieu ancestral et a
appris à respecter Poutine.
Par Dmitry Orlov – Le 28 novembre 2017 – Source Club Orlov
Comment je suis devenu un troll du Kremlin, par le Saker (extrait)
Chers amis,
Aujourd’hui, avec l’aimable autorisation de Phil Butler, je publie le texte complet de ma contribution à son livre « Putin’s Praetorians : Confessions of the Top Kremlin Trolls » (La
garde prétorienne de Poutine : confessions d’importants trolls du
Kremlin). Je le fais pour diverses raisons. La principale est que je
crois fermement que ce livre mérite une bien plus grande visibilité que
celle qu’il a reçue (c’est aussi pourquoi, exceptionnellement, je place
ce billet dans la catégorie « analyses » et pas ailleurs). Et lisez ma recension
pour savoir pourquoi ce livre me tient tant à cœur. Je suis franchement
assez choqué par le très petit nombre de recensions que ce livre a
suscitées. Je ne sais même pas si quelqu’un, à part Russia Insider
a pris la peine d’en écrire une ou non, mais même si quelqu’un l’a
fait, cela reste une honte criante que cet ouvrage très intéressant ait
été ignoré jusqu’à présent par les médias alternatifs, y compris ceux
qui sont amicaux envers la Russie. En publiant ma propre contribution
ici, je veux ramener ce livre « à la première page », en
quelque sorte, de notre communauté. Ensuite, je veux vous demander votre
aide. En ce moment, la version Kindle du livre a 15 critiques sur
Amazon et il n’y en a qu’une pour la version papier. Ce n’est pas
suffisant. Je vous demande donc 1) d’acheter le livre (Amazon veut des
critiques des acheteurs) et 2) d’écrire un commentaire sur Amazon. Les
gars, c’est quelque chose que la plupart d’entre vous pouvez faire, donc
faites-le ! Nous devons montrer au monde qu’il y a ce que j’appelle
« un autre Occident » qui, loin d’être russophobe, est en réalité
capable de fournir de vrais amis et même des défenseurs de la Russie. Donc
s’il vous plaît, faites votre part, aidez Phil dans sa lutte héroïque,
achetez la version papier de ce livre et commentez-le sur Amazon !
Merci beaucoup pour votre aide, amitiés et bravo.
The Saker
Comment je suis devenu un troll du Kremlin, par le Saker
De naissance, expérience et formation, j’avais vraiment tout ce qu’il fallait pour haïr Poutine. Je suis né dans une famille de « Russes blancs » dont l’anticommunisme était total et viscéral.
Mon enfance a été remplie d’histoires (vraies pour la plupart) sur
les atrocités et les massacres commis par les bolcheviques pendant la
révolution et la guerre civile qui a suivi. Depuis que mon père m’a
quitté, j’ai un archevêque orthodoxe russe comme père spirituel et, à
travers lui, j’ai appris toutes les persécutions génocidaires que les
bolcheviques ont déclenchées contre l’Église orthodoxe.
À 16 ans, j’avais déjà lu les trois volumes de « L’Archipel du goulag »
et soigneusement étudié l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. À 18
ans, j’étais impliqué dans de nombreuses activités anti-soviétiques
telles que distribuer de la propagande anti-URSS dans les boîtes aux
lettres de diplomates soviétiques ou organiser l’importation illégale de
livres interdits en Union soviétique à travers sa marine marchande et
sa flotte de pêche (la plupart du temps aux îles Canaries). Je
travaillais aussi avec un groupe clandestin de chrétiens orthodoxes,
envoyant de l’aide, principalement sous forme d’argent, aux familles des
dissidents emprisonnés. Et comme je parlais couramment le russe, ma
carrière militaire m’a amené, d’une formation de base dans la guerre
électronique à une unité spéciale de linguistes pour l’état-major de
l’armée suisse, jusqu’à devenir analyste militaire pour le service de
renseignement stratégique de la Suisse.
Les autorités soviétiques m’avaient repéré depuis longtemps, ainsi
que toute ma famille, comme de dangereux activistes anti-soviétiques si
bien que je ne pouvais pas me rendre en Russie, jusqu’à la chute du
communisme en 1991. J’ai immédiatement pris le premier vol disponible et
je suis arrivé alors que les barricades construites contre le coup
d’État du Comité d’État pour l’état d’urgence (GKChP) étaient encore en
place. Vraiment, en ce fatidique mois d’août 1991, j’étais un parfait
militant anti-soviétique et un anti-communiste pur et dur. J’ai même
pris une photo de moi tout près de la statue renversée de Felix
Dzerjinsky (le fondateur de la Tchéka – la première police politique
secrète soviétique), ma botte pressée sur sa gorge de fer. Ce jour-là,
j’ai ressenti que ma victoire était totale. Elle a été aussi de courte
durée.
Au lieu d’apporter au peuple russe, qui avait si longtemps souffert,
la liberté, la paix et la prospérité, la fin du communisme en Russie n’a
amené que chaos, pauvreté, violence et exploitation abjecte par la pire
classe de racailles que le défunt système soviétique avait produite.
J’étais horrifié. Contrairement à de nombreux autres activistes
anti-soviétiques, qui étaient russophobes, je n’ai jamais confondu mon
peuple avec le régime qui l’opprimait. Donc tandis que je me réjouissais
de la fin d’une horreur, j’étais également consterné de voir qu’une
autre horreur avait pris sa place. Pire encore, il était indéniable que
l’Occident jouait un rôle actif dans toutes les formes d’activités
anti-russes, allant de la protection totale des gangsters russes au
soutien des insurgés wahhabites en Tchétchénie pour culminer dans le
financement d’une machine de propagande qui essayait de transformer le
peuple russe en consommateurs inconscients de la présence de « conseillers »
(ouais, c’est ça !) occidentaux dans tous les ministères importants.
Les oligarques pillaient la Russie et provoquaient une souffrance
immense, et tout l’Occident, le soi-disant « monde libre », non
seulement ne faisait rien pour aider, mais soutenait tous les ennemis
de la Russie par tous les moyens dont il disposait. Bientôt les forces
de l’OTAN ont attaqué la Serbie, un allié historique de la Russie, en
violation complète des principes les plus sacrés du droit international.
L’Allemagne de l’Est n’a pas seulement été réunifiée mais immédiatement
incorporée à l’Allemagne de l’Ouest et l’OTAN a poussé aussi loin que
possible vers l’Est. Je ne pouvais pas prétendre que tout cela pouvait
s’expliquer par la peur de l’armée soviétique ou par une réaction à la
théorie communiste de la révolution mondiale. En vérité, il est devenu
clair pour moi que les élites occidentales ne haïssaient pas le système
ou l’idéologie soviétique, mais qu’elles haïssaient le peuple russe
lui-même, et la culture et la civilisation qu’il avait créée.
Au moment où la guerre contre la nation serbe en Croatie, en Bosnie
et au Kosovo a éclaté, je me suis trouvé dans une situation unique : je
pouvais lire toute la journée des rapports classifiés de la FORPRONU et
des rapports militaires sur ce qui se passait dans cette région et,
après le travail, je pouvais lire la propagande anti-serbe, contraire
aux faits, que les siomédias occidentaux répandaient tous les jours.
J’étais horrifié de voir que littéralement tout ce que les médias
disaient était totalement mensonger. Ensuite il y a eu les interventions
sous faux drapeau, d’abord à Sarajevo mais plus tard également au
Kosovo. Mes illusions sur le « monde libre » et « l’Occident » se sont effondrées. Rapidement.
Le destin m’a conduit en Russie en 1993 lorsque j’ai vu le carnage perpétré par le régime « démocratique »
de Eltsine contre des milliers de Russes à Moscou (beaucoup plus que ce
que la presse officielle a rapporté). J’ai aussi vu les drapeaux rouges
et les portraits de Staline autour du bâtiment du Parlement. Mon dégoût
d’alors était total. Et lorsque le régime Eltsine a décidé de mettre au
pas la Tchétchénie de Doudaïev, provoquant un nouveau bain de sang
inutile, ce dégoût s’est transformé en désespoir. Ensuite, il y a eu les
élections volées de 1996 et le meurtre du général Lebed. À ce
moment-là, je me souviens avoir pensé : « La Russie est morte ».
Donc lorsque l’entourage a subitement nommé un inconnu à la
présidence de la Russie, j’étais plutôt dubitatif, pour user d’un
euphémisme. Le nouveau n’était pas un oligarque ivre ou arrogant, mais
il avait l’air plutôt insignifiant. C’était aussi un ancien du KGB, ce
qui était intéressant : d’une part, le KGB avait été toute ma vie mon
ennemi mais, d’autre part, je savais que la partie du KGB qui s’occupait
des renseignements étrangers était composée des plus brillants et
qu’ils n’avaient rien à voir avec la répression politique, le goulag et
tout le reste des horreurs dont une autre direction du KGB (la 5e) était chargée (ce département avait été supprimé en 1989). Poutine venait de la première direction générale du KGB, le « PGU KGB ».
Mes sympathies allaient cependant davantage au service du renseignement
militaire (le GRU) – beaucoup moins politique – qu’au très politique
PGU qui, j’en étais sûr, avait un épais dossier sur ma famille et moi.
Ensuite, deux événements cruciaux se sont produits en parallèle : le « monde libre » et Poutine ont montré leurs vrais visages : le « monde libre »
comme un Empire anglosioniste porté sur l’agression et l’oppression, et
Vladimir Poutine comme un vrai patriote russe. En fait, Poutine a
lentement commencé a me paraître un héros : très progressivement,
d’abord par petites étapes, il a commencé à transformer la Russie,
notamment sur deux aspects essentiels. Il essayait de la faire redevenir
un pays « souverain », de la rendre de nouveau souveraine et
indépendante, et il a osé l’impensable : il a ouvertement dit à l’Empire
que non seulement il se trompait, mais qu’il était illégitime (lisez
seulement la transcription de l’étonnant « discours de Munich » de Poutine en 2007).
Poutine m’a poussé à faire un choix dramatique : resterai-je accroché
à mes préjugés toute ma vie ou laisserai-je la réalité me prouver que
mes préjugés de toute une vie étaient faux ? La première option était
beaucoup plus confortable pour moi, et tous mes amis l’approuveraient.
La seconde était beaucoup plus délicate, et elle me coûterait l’amitié
de beaucoup de gens. Mais quel était le meilleur choix pour la Russie ?
Se pourrait-il que ce soit la bonne chose pour un « Russe blanc » d’unir ses forces avec l’ancien officier du KGB ?
J’ai trouvé la réponse ici, sur une photo d’Alexandre Soljenitsyne et de Vladimir Poutine.
Si cet anti-communiste pur et dur de la vieille génération qui,
contrairement à moi, avait passé du temps au goulag pouvait serrer la
main de Poutine, alors je le pouvais aussi !
En fait, la réponse était évidente depuis le début : si les principes et les idéologies des « Blancs » et des « Rouges »
étaient incompatibles et s’excluaient mutuellement, il ne fait
également aucun doute qu’actuellement, on peut trouver de vrais
patriotes de Russie aussi bien dans les anciens camps « Rouge » et « Blanc ». Pour le dire autrement, je ne pense pas que les « Blancs » et les « Rouges »
seront jamais d’accord sur le passé, mais nous pouvons, et nous devons,
être d’accord sur l’avenir. D’ailleurs l’Empire se fiche de savoir si
nous sommes « Rouges » ou « Blancs » – l’Empire nous veut tous soit esclaves soir morts.
Poutine, en attendant, est toujours le seul dirigeant mondial à avoir
assez de tripes pour dire ouvertement à l’Empire combien il est
mauvais, stupide et irresponsable (lisez son discours de 2015 à l’ONU).
Et lorsque je l’écoute, je vois qu’il n’est ni « Blanc » ni « Rouge ». Il est simplement russe.
C’est ainsi que je suis devenu un troll du Kremlin et un fan de Poutine.
The Saker
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