Dans la grande lutte entre le système impérial et la Russie, chacun répond désormais du tac au tac, sans faiblir, sans reculer. Le dernier épisode, très peu commenté pour l'instant, a lieu dans la Baltique, l'un des points chauds maritimes du Grand jeu où s'affrontent la volonté du Heartland eurasien de s'ouvrir les portes de l'océan-monde et, à l'inverse, la tentative américaine d'encercler et contenir l'Eurasie.
Provocations diverses et variées, intimidations, interceptions d'avions, survols spectaculaires de bateaux, manoeuvres navales conjointes sino-russes... la Baltique a déjà connu son lot de péripéties ces dernières années.
Or la nouvelle vient de tomber que des exercices russes
avec tirs de missiles auront lieu du 6 au 8 avril dans les eaux
internationales à proximité de la Suède. Ça, c'est nouveau. Jamais
l'ours n'était allé aussi loin à l'ouest ni aussi près des frontières
suédoises. L'état-major scandinave en est tout retourné et le trafic
aérien civil devra d'ailleurs être modifié durant ces deux jours...
Rebondissant sur la pseudo-affaire Skrypal, nouveau jalon dans la Guerre froide 2.0, Poutine a répliqué en renvoyant
dans leurs pénates le même nombre de diplomates occidentaux que leurs
homologues russes expulsés. Il double maintenant la mise en organisant
ces manœuvres navales aussi près que possible d'Otanlandia.
Cela participe sans doute du refus maintenant catégorique de Moscou de reculer d'un iota face à l'empire. C'est bien sûr la présentation le mois dernier, par Vladimirovitch himself, des "armes inarrêtables" réduisant à néant le bouclier anti-missile US et le discours historique qui l'a accompagnée - le Pentagone en est tout ému ("Nous sommes sans défense face aux armes hypersoniques russes et chinoises" dixit). Que le nom le plus voté par le public russe pour baptiser ces missiles - Bye bye America - n'ait finalement pas été retenu ne change rien à l'affaire...
C'est aussi, à l'ONU, le remarquable et remarqué veto
du Kremlin à la résolution britannique condamnant l'Iran pour sa
supposée implication au Yémen. Pour la première fois, la Russie a
torpillé une tentative de l'empire concernant un conflit dans lequel
elle n'est pas impliquée. Rappelons que Moscou, malgré son opposition,
n'avait pas mis son veto en 2008 (admission du Kosovo à l'ONU), ni en
2011 (intervention otanesque en Libye).
La signification est double et porteuse de considérables changements dans les relations internationales futures :
- La Russie s'opposera désormais par principe aux tentatives hégémoniques américaines, où qu'elles sévissent.
- Moscou est prêt à se mouiller diplomatiquement et officiellement pour protéger ses alliés.
L'autre
grand enseignement de la flambée baltique est évidemment à mettre en
rapport avec le gaz, qui sous-tendait le psychodrame de Salisbury mais
n'a vraisemblablement pas eu les effets escomptés
Les
euronouilles ont, la main sur la couture du pantalon, parlé comme d'un
seul homme pour "condamner" Moscou mais se sont bien gardés de discuter
gaz et d'évoquer la moindre sanction. Et pour cause : les stocks
européens d'or bleu sont quasiment vides ! Frau Milka a beau lancer l'idée
de "réduire la dépendance au gaz russe" en projetant un terminal GNL,
elle ne revient pas sur son acceptation du Nord Stream II, au grand dam de la MSN. Le commerce germano-russe est au beau fixe malgré les sanctions et il serait suicidaire pour Berlin de renoncer à devenir le hub gazier de l'Europe.
Il n'aura échappé à personne que l'annonce russe des exercices navals à venir intervient juste après le feu vert allemand au Nord Stream II
et que ceux-ci sont prévus précisément sur le tracé du futur pipeline.
Pourquoi alors Poutine souhaite-t-il ce feu d'artifice de missiles à
l'endroit même où passera le tube ? Il s'agit peut-être d'un message à
destination du... Danemark.
Le placide pays scandinave fait en effet face à un écrasant dilemme, sa "plus importante décision de politique étrangère depuis la Seconde Guerre Mondiale" : permettre ou non le passage du Nord Stream II par ses eaux territoriales.
Le
projet doit également recevoir dans les prochains mois les
autorisations finales de la Russie (c'est couru d'avance), de la
Finlande et de la Suède. Mais concernant ces deux dernières, il s'agit
uniquement de leur zone économique exclusive, régie par le droit
international de la mer sur lequel les gouvernements suédois (très
russophobe) et finlandais (plus équilibré) ont de toute façon peu de
prise.
Seul le Danemark est concerné dans sa souveraineté même, et
il s'en serait bien passé. Les émissaires américains et bruxellois
poussent le gouvernement à empêcher le passage des 139 km du Nord Stream II par ses eaux territoriales tandis que Moscou et Berlin l'encouragent à accepter.
Copenhague
peut-elle se mettre à dos son principal partenaire (Allemagne) et la
principale puissance militaire européenne (Russie), qui vient d'ailleurs
essayer quelques missiles à proximité ? Le système impérial
réussira-t-il à manœuvrer afin de torpiller le pipeline comme ce fut le
cas avec le South Stream
? Les exercices militaires russes constituent-ils un coup de pression
et, si oui, fonctionnera-t-il ou n'est-ce pas une arme à double
tranchant qui se retournera contre son promoteur ? Nous le saurons au
prochain épisode...
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