Dans la même dynamique qu’observée
au cours des dernières années, la situation géopolitique du Moyen-Orient a
connu de profonds changements au cours des 12 derniers mois. Par ordre
d’importance, la région a connu le retour de sanctions unilatéralement imposées
par les USA envers l’Iran ; les processus de paix en Syrie et au Yémen ont
connu des progrès, encore superficiels, mais prometteurs ; la fracture
régionale entre d’une part la Turquie et le Qatar et d’autre part l’Arabie
saoudite et Israël a continué de croître ; et l’influence de la Russie,
agissant comme force d’équilibre et de stabilité, s’est encore accrue. Nous
allons à présent passer en revue l’influence que chacun de ces développements
exercera sur la situation régionale au cours de l’année 2019.
Le théâtre romain de Palmyre, en Syrie |
La situation en Iran risque de
basculer vers une instabilité socio-économique prononcée si les USA n’étendent
pas les dispenses de sanctions déjà accordées, et si les partenaires
internationaux de la République Islamique freinent leurs échanges commerciaux
avec ce pays via des canaux alternatifs, par peur de voir leurs entreprises
subir des « sanctions subsidiaires » étasuniennes en répercussion.
Ceci dit, l’Iran dispose déjà d’une solide expérience de survie aux sanctions
économiques les plus sévères du monde, et pourrait de ce fait éviter une crise
politique. Le point à surveiller est de voir si, en réponse à ces pressions, le
pays décide de réorienter sa stratégie d’Asie de l’Ouest vers l’Asie
centrale et l’Asie du Sud-Est: un tel repositionnement géopolitique peut se
produire très rapidement, si le pays considère que son influence au Machrek a
atteint son apogée.
Cette refonte stratégique pourrait
constituer l’un des ingrédients du processus de paix en Syrie, lui-même
hautement simplifié par le projet de retrait étasunien, prévu dans les premiers
mois de 2019. On pourrait voir la Russie « encourager » l’Iran à
opérer un « retrait planifié », avec les honneurs, comme prochaine mesure
de détente, ce qui constituerait un pari selon lequel il serait préférable de
voir Israël reprendre ses bombardements sur les positions syriennes du Corps
des gardiens de la révolution et du Hezbollah. Quant au Nord-Est de la Syrie,
on ne saurait dire pour l’instant s’il va subir une occupation turque sur la
durée, ou si des groupes « rebelles » soutenus par la Turquie vont y
prendre position ; dans les deux cas, une solution politique
« décentralisée » à définir reste sans doute inévitable, ce qui compliquerait
la vie de l’Iran si le pays voulait maintenir une présence militaire en Syrie.
Si nos regards se portent au delà du
Levant, vers la péninsule Arabique, le Yémen présente également des signes qui
pourraient laisser présager un processus de paix, mais de manière bien plus
lente qu’en Syrie : il s’agit d’un processus qui vient de commencer fin 2018. À
l’instar de la République arabe, une solution politique
« décentralisée » pourrait se voir mise en œuvre pour assurer la
souveraineté régionale regagnée ces derniers temps par la région du Sud-Yémen,
et afin de laisser s’auto-administrer dans une certaine mesure les Houthis du
Nord-Yémen. Une telle sortie de crise aurait moins d’impact sur l’Iran que sur
l’Arabie Saoudite, mais cette dernière semble avoir épuisé tant sa volonté
politique et sa puissance de feu militaire que ses ressources financières, et
se montrera sans doute disposée à adopter ce type de compromis (possiblement
facilité par la Russie).
Pour ce qui concerne l’Arabie saoudite, elle travaille en tandem avec
Israël, son
allié – non officiel mais tout le monde l’a compris, pour
« contenir » non seulement l’Iran, mais aussi – et c’est plus
récent – la Turquie : chacun des deux membres du tandem a identifié cette
dernière comme une menace sérieuse pour ses intérêts, pour des raisons
différentes. Riyad est également en rivalité avec Doha, mais Tel-Aviv n’est pas
plus impliquée que cela dans la guerre froide du CCG. Dans tous les cas, un
déshabillage simplifié de la région révèle que l’Arabie saoudite & Israël travaillent plus ou moins
ensemble contre la Turquie et son allié qatari, dans une compétition à
l’échelle du Moyen-Orient, c’est à dire de l’Est de la Méditerranée au golfe
Persique, y compris la mer Rouge si l’on parle par exemple du Soudan.
Le Moyen-Orient, au vu de la vaste
étendue de ces incertitudes, peut apparaître en premier regard comme la région
la plus instable du monde à ce jour, mais le fait est que la stratégie
d’« équilibrage » de la Russie a apporté un semblant de stabilité là
où, sans cette influence, il n’y en aurait aucune. Moscou n’est pas en mesure
de gérer seule le Moyen-Orient, mais peut se positionner – et l’a fait non
sans une certaine réussite – comme intermédiaire neutre entre divers
acteurs, ou à tout le moins en se comportant comme un pont entre eux. Ce positionnement russe
constitue la constante la plus stable de la situation actuelle du Moyen-Orient,
et il devrait jouer un rôle déterminant dans la sortie du guerre en
Syrie – en soi l’un des événements les plus significatifs de la région
depuis une génération – et sans doute également sur les autres dossier
évoqués au long du présent article.
Par Andrew Korybko – Le 31 décembre 2018 – Source orientalreview.org
Andrew Korybko est le commentateur politique
américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième
cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides
: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015).
Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent pour le Saker
Francophone
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