Mme Habiba Menchari (…) ne cache pas son visage derrière le voile de soie, s’est fait couper et onduler les cheveux, porte des robes de la rue de la Paix et chausse des souliers Louis XV. Elle n’a plus de musulmane que l’esprit de sa religion et le velouté de ses grands yeux noirs (…). La jolie Mme Menchari a conservé un mauvais souvenir de sa vie cloîtrée et est ravie du monde, nouveau pour elle, dans lequel elle évolue2.
À l’heure dite, Mme Menchari, une charmante jeune femme, est venue, le visage découvert, nous attendrir sur le sort malheureux de ses sœurs d’infortune privées “d’air et de lumière“, vivant sous le triple carcan de l’ignorance, du qu’en-dira-t-on et… du voile. L’exposé fut vivant, pittoresque, parfois émouvant, parce que, nous assura la conférencière, profondément sincère. Il obtint un accueil chaleureux. Je demeure d’ailleurs persuadé que, si on s’en était tenu là, la cause “antivoiliste“ aurait fait un pas sérieux en gagnant à elle la presque totalité des hésitants.Mais… les Européens présents, « socialistes notoires pour la plupart », dont le leader local de la SFIO Joachim Durel ne purent s’empêcher d’en rajouter, de distiller « des attaques et des railleries ». Bourguiba intervient alors :
Avons-nous intérêt à hâter, sans ménager les transitions, la disparition de nos mœurs, nos coutumes, bonnes ou mauvaises, et de tous ces petits riens qui forment par leur ensemble, quoi qu’on dise, notre personnalité ? Ma réponse, étant donné les circonstances toutes spéciales dans lesquelles nous vivons, fut catégorique : Non !4
Décidément, il tient bon. Discours enflammés, raisonnements impeccables, conférences tapageuses, rien n’y fait. Il résiste toujours (…). À l’issue de la séance, aucune des dames musulmanes, venues pour y assister, n’a osé jeter son voile aux orties. La nuit du 4 août du voile avait fait fiasco.
M. Durel assure à qui veut l’entendre qu’il a pour nous une “amitié véritable“ (…). Seulement, le programme qu’il préconise pour assurer notre bonheur risque de tourner à notre désavantage et d’aboutir à tout autre chose qu’à notre relèvement social. M. Durel nourrit par exemple la noble ambition de faire de nous des “hommes“ ; or, il voit que nous persistons à être des “Arabes“. Alors il nous crie “casse-cou“. Il nous dit : “Vous vous noyez“. À ceux qui objecteraient qu’il n’est pas facile à de simples “Arabes“ d’accéder brusquement au grade d’“hommes“, il répond, imperturbable : “Qu’à cela ne tienne ! Il n’est que de changer d’habit, de substituer le complet à la gandoura, de troquer la chéchia contre le chapeau, et tout est dit“5.Ainsi, c’est ce même Tunisien, devenu le leader incontesté du pays nouvellement indépendant, qui mènera une lutte tenace pour le dévoilement. En janvier 1957, il interdira le voile, qualifié de « chiffon »6, dans les écoles publiques. Il avait trente ans plus tôt dénoncé la tentative de passage au forceps des socialistes français dans son pays. Il avait défendu non le principe du voile, mais le droit des femmes de son pays de ne pas obéir aux injonctions des Français, fussent-ils les mieux intentionnés. Les « circonstances toutes spéciales » évoquées par le jeune orateur portaient un nom : la situation coloniale.
Il fut finalement plus facile de sortir de cette situation que de la mentalité du même nom. Transmis à Jean-Michel Blanquer qui, ministre de l’éducation nationale, devrait tout de même savoir que l’apprentissage de l’histoire, un des piliers de la citoyenneté, fait partie des prérogatives de son poste. Et que la France, naguère, a dominé des sociétés musulmanes qui, elles, ont de la mémoire.
MERCI ! Quel article ! EXCELLENT !
RépondreSupprimerA voir !
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=0fswb4a9jcU