Si vous vous demandez pourquoi les Américains s’embourbent
depuis des années dans un pays comme l’Afghanistan, un pays qui n’a même
pas de pétrole ; que vous avez cherché la réponse dans Le Monde et en êtes ressorti l’esprit encore plus embrouillé ; alors ce livre est pour vous.
Le Grand Jeu est un livre qui vous propose une explication
claire et très bien documentée (plus de 700 références de bas de page)
sur les stratégies suivies par les États-Unis pour garder la main sur le
monde de l’après-guerre froide, spécialement face à une Russie en plein
regain de puissance militaire et diplomatique et une Chine en pleine
croissance économique.
Comme le présente l’auteur :
Il n’est pas un géopolitologue qui ne parle à présent d’un nouveau Grand Jeu en Eurasie, moins romanesque mais tout aussi passionnant, dont les ramifications s’étendent à l’échelle de la planète et qui vise, ni plus ni moins, à la prééminence mondiale. Une partie de poker infiniment plus complexe, à plusieurs joueurs – Russie, États-Unis et Chine, auxquels il faut ajouter les éternels frères ennemis Inde et Pakistan, l’Iran, la Turquie, les pays européens –, le tout saupoudré d’islamisme et de terrorisme, de ressources énergétiques fabuleuses, d’une guerre des pipelines sans merci et de conflits locaux irréductibles, dans la zone la plus disputée du globe : le cocktail est explosif.
Ce Grand Jeu mené par « l’Empire américain », comme le nomme
l’auteur, consiste à empêcher tout rapprochement possible entre le
Heartland et le Rimland, c’est-à-dire entre la Russie et le reste du
continent eurasiatique, en particulier la Chine.
Voilà ce que ce livre va vous présenter d’une manière sérieuse et
documentée mais avec un style littéraire où l’ironie, voire l’humour,
rend sa lecture légère et permet de garder une certaine distance avec
ces politiques dont des centaines de milliers d’individus subissent
malheureusement les conséquences tous les jours.
Par ailleurs, le début du premier chapitre, qui va aborder l’histoire récente de l’Ukraine, donne d’entrée le ton :
9 février 2014, place Maïdan de Kiev. Le froid empêche Bernard-Henri Lévy de déboutonner le haut de sa chemise mais ne calme en rien l’ardeur de son vibrant discours, empli des mots « Europe », « liberté » ou « civilisation » face au dangereux « matamore » du Kremlin. Bien qu’il ne neige point ce jour-là, le givre semble pourtant oblitérer sa vue. Comment ne voit-il pas, dans la foule amassée devant lui, les drapeaux noir et rouge de la milice armée ultra-nationaliste Pravy Sektor ? Ni ceux, plus nombreux encore, de Svoboda, créé dans les années 1990 sous le doux nom de Parti social-nationaliste d’Ukraine, référence directe au NSDAP d’un certain Adolf Hitler ? Le « libérateur » de la Libye aurait-il encore des grains de sable dans les yeux ?
Viennent ensuite les chapitres sur l’Afghanistan et la « guerre des oléoducs », sur l’Organisation de la Coopération de Shangai dite OCS, qui devient petit à petit un redoutable concurrent à l’OTAN occidental, sur le « containment » de la Russie, au temps de sa grandeur soviétique puis de la Chine, au 21eme
siècle, sur le retour de la Russie sur l’échiquier international après
la période noire qui a suivi la chute de l’URSS, le rôle de Poutine dans
cet inattendu retour, et enfin sur la guerre en Syrie.
Ce livre va nous montrer une vision du monde à l’opposé de la vision
occidentalo-centrée que cherchent à nous imposer les médias grand
public, privés ou d’État. Vision où les occidentaux sont forcément le
parti de « l’axe du bien » et leurs adversaires, russes, chinois, iraniens… forcément le parti de « l’axe du mal ».
En cela, sa lecture risque de heurter la sensibilité de personnes trop
nourries de propagande médiatique française. Mais la qualité du travail
de documentation qui a précédé son écriture empêche de le rejeter d’un
lapidaire « écrit par un pro-Poutine » et pourrait instiller quelques doutes dans l’esprit des plus fervents lecteurs du Monde.
Un livre à mettre entre les mains de ceux qui cherchent à trouver une
logique aux actualités internationales. Ils la trouveront grâce à la
pédagogie de Christian Greiling et ne manqueront pas de l’entretenir en
continuant à le lire sur son blog, évidement intitulé Les chroniques du Grand jeu.
Part Wayan, pour le Saker Francophone.
SF : Pourriez-vous présenter votre parcours d’analyste géopolitique ? Comment vous informez-vous ?
CG : Je suis venu à la géopolitique par l’histoire, ce qui est somme
toute on ne peut plus logique. La géopolitique, c’est l’histoire en
marche, une histoire qui se déroule sous nos yeux et dont les
conséquences seront étudiées par les chercheurs du futur.
Une formation d’historien me semble très importante pour étudier les
soubresauts de notre monde. Elle pousse à réfléchir sur le temps long et
à ne pas s’attacher à des épiphénomènes médiatiques. Elle apporte
également une certaine éthique intellectuelle et structure la démarche
de recherche en permettant de sélectionner les informations, de les
soupeser, de les confronter afin d’en retirer la substantifique moelle.
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire Le Grand Jeu ?
Fatigué par la désinformation systématique des médias grand public
concernant la Syrie et l’Ukraine, mais aussi par l’incompréhension d’une
grande partie de la presse dite alternative sur ces événements, j’ai
d’abord créé il y a cinq ans un blog intitulé Chroniques du Grand jeu.
Si certains billets relatent l’événementiel, d’autres, plus
analytiques, s’efforcent de décrypter les causes profondes des conflits
et crises auxquels nous assistons.
Très vite, ce blog a vite connu un certain succès auprès d’un public
éclairé qui refusait d’avaler la marmelade déversée par les médias
mainstream, mais qui n’était pas non plus convaincu par les explications
souvent simplistes voire infantiles données par les sites alternatifs.
Ce public sentait confusément qu’il y avait autre chose, sans pouvoir
mettre un mot dessus.
Avec cette clé de décryptage que constitue le Grand jeu, beaucoup de
choses devenaient soudain limpides : l’histoire d’amour entre Washington
et l’islam – contrairement au mythe du choc des civilisations ; les guerres du Kosovo, de Tchétchénie, de Géorgie ou de Syrie ; les « révolutions colorées »
made in Soros ; le soutien des États-Unis aux maoïstes – en pleine
Guerre froide ! ; leurs manigances énergétiques à 20 000 kilomètres de
chez eux pour du pétrole ou du gaz dont ils ne consommeront pas une
goutte ; leur présence en Asie orientale où le régime nord-coréen est
l’idiot utile de l’empire ; leurs tentatives de sabotage des nouvelles
routes de la Soie chinoises ; la guerre de l’information ; le refus de
Poutine de reconnaître l’indépendance du Donbass…
Le Grand jeu, affrontement colossal entre la puissance maritime
américaine et l’Eurasie, est une grille de lecture fondamentale pour
comprendre l’immense majorité des convulsions de notre planète. Après le
blog, l’étape suivante se devait d’être un livre réunissant toutes ces
analyses pour donner, en 300 pages, une explication cohérente des
événements passés et présents.
Personnellement, que pensez-vous de la situation actuelle du monde ? L’économie, la démographie, les idéologies dominantes ?
Dans ce livre, je reviens aux sources de la géopolitique, qui est
l’étude de l’influence de la géographie sur la politique internationale,
sur les relations entre puissances. J’insiste là-dessus car cette
méconnaissance du rôle de la géographie est précisément l’une des
raisons de la pauvreté des analyses.
Quand on ne comprend pas le monde, on recourt souvent à des
explications toutes faites. La grande mode depuis quelques décennies est
de tout expliquer par l’économie, même si les tenants de cette
interprétation sont incapables de nous dire en quoi l’économie peut être
la cause du bombardement de la Serbie, du soutien américain aux
Tchétchènes ou des « révolutions colorées » en Géorgie, au Kirghizstan…
En France, nous avons un problème supplémentaire : depuis nos révolutions du XIXème
siècle qui ont eu, il est vrai, une certaine influence sur le reste de
l’Europe, nous avons tendance à croire que ce sont les grandes idées
politiques, les beaux sentiments idéologiques ou droit-de-l’hommistes
qui font évoluer le monde.
Et ne parlons pas d’une certaine presse alternative qui nous explique
sans rire que ce sont les lobbies qui dirigent la politique américaine,
sans préciser bien sûr quel lobby pourrait bien être derrière le putsch
en Ukraine, l’extension de l’OTAN ou le soutien américain aux
Ouïghours. Peut-on, par exemple, sérieusement envisager que le lobby
pétrolier ait poussé à la construction de pipelines hors de prix dans le
Caucase et en Asie centrale ou au régime de sanctions contre la Russie,
alors que ces décisions lui ont fait perdre des milliards de dollars ?
Tout cela ne tient pas une seconde et je montre dans ce livre qu’il
s’agit de quelque chose de beaucoup plus sérieux, profond et
fondamental.
Les Anglo-Saxons, les Russes et les Chinois savent parfaitement, eux,
que la géographie conditionne la stratégie, que le monde est divisé
depuis toujours entre puissances maritimes et puissances continentales,
que c’est la volonté obsessionnelle de la thalassocratie américaine de
diviser l’Eurasie qui explique 90% des conflits auxquels nous assistons.
Comment arrivez-vous à différencier le vrai du faux dans un
monde ou le faux envahit autant les médias sociaux que les journaux
grand public ? Peut-on encore réformer le « Système » ?
Reconnaître le vrai du faux est une habitude qui se prend au fil des
années. Il faut une bonne connaissance de l’histoire, du monde et de ses
mécanismes géopolitiques, un certain savoir-faire permettant de piocher
les bonnes informations et de laisser de côté les mauvaises, un solide
bon sens et une réelle honnêteté intellectuelle.
Précisons tout de même que la désinformation n’est pas nouvelle, même
si elle a atteint des niveaux rarement vus depuis trente ans. Mais il
suffit de lire Cicéron, dont les écrits sont bourrés de propagande, pour
comprendre que l’humanité reste désespérément la même.
Êtes-vous, vous même, sensible à cette propagande
occidentaliste ? Vous parlez notamment page 65 de Ben Laden comme
l’auteur désigné des attentats du 9/11, puis page 195 du royaume
wahhabite impliqué dans ces attentats. C’est une allusion aux fameuses
25 pages classifiées ? Qu’elle est votre analyse de ces attentats qui
ont révolutionnés fort à propos le Grand Jeu ? Opportunisme ? Inside Job ?
Les attentats du 11 septembre n’ont absolument pas révolutionné le
Grand jeu qui, sous des formes diverses, dure depuis deux siècles et n’a
pas attendu 2001 pour renaître. Tout juste en sont-ils un épiphénomène
sur lequel, effectivement, je ne m’attarde guère car il y a une foule de
problématiques bien plus pertinentes.
Pour répondre à votre question, j’insiste encore une fois sur la
nécessité d’être neutre et objectif dans sa réflexion, de soupeser les
informations, d’en juger la vraisemblance ou l’invraisemblance. Un
complot interne regroupant des dizaines de conspirateurs (militaires,
politiques, aiguilleurs du ciel) et n’ayant donné lieu à aucune fuite
(malgré l’ampleur médiatique de l’événement) est-il vraisemblable ? Le
simple bon sens indique que non.
Est-ce à dire que la thèse servie par la Commission d’enquête a fait
toute la lumière sur ces attaques ? Non puisque, comme vous le rappelez,
son rapport est incomplet, certaines informations ayant été
classifiées. Il n’y a d’ailleurs même pas de « thèse officielle » à vrai dire ; celle-ci verra le jour dans quelques décennies, quand tous les documents seront déclassifiés.
Nous sommes donc dans un entre-deux, entre une thèse dite officielle
qui ne l’est pas et des théories complotistes tellement extravagantes
qu’elles poussent, par réaction, le grand public à ne plus se poser de
questions. Il y en a pourtant beaucoup, et des plus intéressantes.
Le sénateur Bob Graham, patron du Senate Select Committee on Intelligence,
l’a dit et répété : des gouvernements étrangers ont été, directement ou
indirectement, impliqués dans les attentats. Quels sont-ils ? Nous
sommes à peu près sûrs que l’Arabie saoudite, Israël et le Pakistan
étaient au courant de ce qui allait se passer. Ont-ils prévenu
Washington ? Si oui, pourquoi l’administration américaine n’a-t-elle
rien fait ? Si non, pourquoi ne s’en est-elle pas prise à ces trois pays
au lieu d’attaquer Saddam et de harceler l’Iran ? Dans les deux cas, on
voit bien que l’administration Bush est totalement indéfendable et il
n’y a pas besoin d’une abracadabrante conspiration pour le montrer.
Ajoutons même que les thèses complotistes ruinent ces passionnantes
questions puisque, selon elles, rien de tout cela n’est arrivé…
Je profite de votre question pour rebondir sur un autre point
important. Au risque d’en décevoir certains, les crises surmédiatisées
telles que les attentats du 11 septembre ou le conflit
israélo-palestinien n’ont qu’une importance mineure dans la colossale
partie d’échecs qui se joue entre l’empire maritime et l’Eurasie. Ces
phénomènes ont de surcroît ancré des clichés absurdes dans la psyché
collective, comme le supposé choc civilisationnel entre l’Amérique et
l’Islam, légende urbaine reprise à la fois par les pro et les
anti-américains primaires.
En réalité, conflit israélo-palestinien mis à part, l’empire US a
toujours soutenu des pays/groupes musulmans contre des non-musulmans :
les Afghans contre l’URSS, les Bosniaques contre les Serbes, le Pakistan
contre l’Inde, les Tchétchènes contre la Russie, les Kosovars encore
contre les Serbes, les Ouïghours contre la Chine, les Rohingyas contre
la Birmanie etc. Et au sein du monde musulman, Washington a toujours
flirté avec les courants les plus religieux contre les moins religieux :
pétromonarchies fondamentalistes face au courant nassérien, Talibans et
Hekmatyar contre Massoud en Afghanistan, « rebelles modérés » syriens contre Assad etc.
Penser qu’il existe un antagonisme entre l’empire américain et
l’Islam est d’une naïveté confondante : c’est se condamner à ne
strictement rien comprendre au film des événements depuis 1945…
Quel est votre prospective sur l’avenir du monde ? Y
aura-t-il toujours un Empire thalassocratique pour attaquer le ventre
mou de l’Eurasie ? Ou alors faute d’énergie le Grand jeu va-t-il cesser ?
Le Grand Jeu,
Christian Greiling
Éditions Héliopoles
296 pages -24 €
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C’est maintenant au tour des États-Unis d’être en difficulté, égalés
ou dépassés militairement par la Russie et économiquement par la Chine,
en retrait sur à peu près tous les fronts eurasiens. Historiquement, le
passage de témoin entre la puissance déclinante et la puissance montante
ne se passe jamais bien. Assistera-t-on au Piège de Thucydide
entre l’Amérique et le duopole sino-russe ? Les États-Unis,
profondément imprégnés de messianisme, accepteront-ils de redevenir une
puissance parmi d’autres dans un monde multipolaire ? Ce sont les
grandes questions du siècle qui s’ouvre…
Où le lecteur intéressé peut-il se procurer votre livre ? En existe-t-il une version électronique ?
Le lecteur peut acheter le livre dans toutes les bonnes librairies,
sur les grandes plateformes de vente par correspondance type Fnac ou Amazon ou encore sur le site de l’éditeur. Une version électronique existe bien sûr.
La Grande-Bretagne même au sommet de sa puissance renonça à la conquête de l'Afghanistan, les Russes y perdirent l'URSS, et l'Amérique des milliards d'argent. Le mieux c'est de laisser ce pays en paix. Il y a assez de problèmes à régler dans nos pays.
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