lundi 23 mars 2020

Le COVID-19 nous montre qu'un nouveau monde est en gestation


Les rédacteurs de Foreign Policy lisent-ils nos Chroniques ? Quelques jours après notre billet sur la montée en puissance du soft power humanitaire chinois en ces temps pandémiques, la revue néo-impériale a publié un article qui fera peut-être date, intitulé "Le coronavirus pourrait remodeler l'ordre mondial".

Le chapeau - "La Chine manœuvre vers le leadership mondial pendant que les États-Unis fléchissent" - annonce clairement la couleur et les auteurs se lamentent :
Le statut des États-Unis en tant que leader global durant les sept dernières décennies a été bâti non seulement sur la richesse et la puissance mais également, tout aussi important, sur la légitimité d'une bonne gouvernance intérieure, la fourniture au monde de biens et la capacité de rassembler et coordonner une réponse globale aux crises. Le coronavirus teste ces trois éléments et Washington est en train de rater l'examen.

Pendant que les États-Unis fléchissent, Pékin avance rapidement pour profiter des erreurs américaines, comblant le vide pour se positionner en tant que leader global. Les Chinois vantent leur propre système, fournissent une assistance matérielle aux autres États et aident même les gouvernements à s'organiser (...) La Chine comprend que, si elle est vue comme leader dans cette crise et que Washington donne l'impression d'être incapable de le faire, cette perception pourrait fondamentalement affaiblir la posture américaine dans les relations internationales et grandement modifier la lutte pour le leadership mondial au XXIème siècle.
Des dizaines de pays bénéficient maintenant de l'aide chinoise et les euronouilles, totalement perdus par le reflux du suzerain US, ne savent plus à quel saint se vouer. Pendant que certains tentent encore maladroitement de sauver les meubles en pointant du doigt la "propagande chinoise", d'autres sont pris d'une nostalgie résignée :
L’histoire retiendra peut-être ces journées de mars 2020, lorsque la Chine est venue au secours de l’Europe. La semaine dernière, c’était en Italie, et hier, la Chine a envoyé un million de masques en France, où il existe un risque de pénurie.

Geste symbolique d’un pays devenu une grande puissance et qui le montre à la manière dont nous, les puissants du monde d’hier, le faisions autrefois, par l’action humanitaire. Il y a, au-delà du symbole, le reflet d’un nouveau rapport de force international qui change tout.
Un article de The Intercept résume parfaitement la situation : "Pendant que les États-Unis incriminent la Chine pour la pandémie du coronavirus, le reste du monde lui demande son aide" Le renversement de paradigme est en effet saisissant. L'hyperpuissance américaine n'est plus que l'ombre d'elle-même et se claquemure pour contenir une épidémie dont la courbe prend une dangereuse tangente (aucun autre pays n'a connu une telle progression après autant de semaines) :

Ce qui n'empêche d'ailleurs pas les illuminés de Washington-sur-Potomac de débattre d'une escalade contre l'Iran, pourtant très durement touché par le corona. Les faucons, où l'on retrouve sans surprise Pompeo et O'Brien, le Conseiller à la Sécurité nationale, se sont toutefois cognés au mur des militaires (Esper, supremo du pentagone, ou encore Milley, le chef d'état-major), bien moins enthousiastes d'aller en découdre avec Téhéran, ce qui est d'ailleurs la ligne de Donaldinho lui-même.
Fidèle à elle-même, l'inénarrable Union européenne brille, quant à elle, par sa mollesse impuissante. Même ses thuriféraires habituels ne peuvent cacher le fiasco monumental. Comme le dit un autre article de Foreign Policy, le virus a réduit en cendres l'héritage de Merkel. Quatorze années d'européisme acharné, de péroraisons sur la "solidarité européenne" ou l'austérité financière parties en fumée en quelques jours...
Nous avions déjà vu dans un billet précédent que le président serbe ironisait sur le "conte de fée" eurocratique.
Clou dans le cercueil, la Lombardie, région la plus touchée d'Italie, a fait une croix sur le soutien de Bruxelles et vient de demander l'aide de la Chine, de Cuba et... du Venezuela ! Ô ironie.
Un dernier mot sur la Russie qui, bien que de manière moins spectaculaire que Pékin, aide aussi son (proche) prochain. Des dizaines de milliers de kits de dépistage ont été fournis à tous les membres de l'Union économique eurasienne (où la solidarité semble mieux fonctionner que chez sa consœur européenne) et de l'Organisation du traité de sécurité collective, regroupant plusieurs ex-républiques de l'URSS. D'autres alliés/pays amis ont bénéficié ou bénéficieront dans les prochains jours de l'aide de Moscou : Iran, Serbie, Venezuela, Mongolie, Égypte, Italie...
La presse américaine, elle, regrette que les sanctions impériales d'hier contre la Russie lui aient permis d'être bien mieux armée, aujourd'hui, que l'immense majorité des États de la planète face à la pandémie. Nous avons montré à plusieurs reprises (ici ou ici par exemple) que ces sanctions, parfois gênantes à court terme, étaient en réalité une bénédiction à long terme pour l'ours, réduisant sa dépendance vis-à-vis de l'Occident et l'obligeant à ne compter que sur lui-même.
Auto-suffisante sur le plan agricole, libre de dette et disposant de réserves considérables, la Russie va désormais empocher les dividendes de cette politique clairvoyante. "Gouverner, c'est prévoir" : personnifié par Colbert qui, en son temps, fit planter un million d'hectares d'arbres pour servir de bois de construction à la marine pour les siècles à venir, ce célèbre adage est repris avec sérénité du côté de Moscou.
Ce vieux fond de sagesse russe, ou chinoise, contraste avec le spectacle de dirigeants occidentaux sautant en tout sens comme de petites puces affolées tentant de se raccrocher aux branches. Le temps long face à l'esclavage de l'immédiateté, encore et toujours...
Source : Chroniques du Grand Jeu


Commentaire
Nous citons ici Michael McCaffrey, qui vit à Los Angeles où il est scénariste et consultant, notamment auprès d’acteurs de cinéma. (Mais sur son site  mpmacting.com, il se définit plutôt comme « philosophe à temps partiel, prophète, pugiliste, poète », ce qui est somme toute beaucoup plus sympathique.)
Son propos va au cœur de la psychologie américaniste, de “l’âme de l’Amérique“ s’il y en avait une, – et s’il voit la possibilité d’une fin un jour de la crise Covid-19, il ne croit pas que l’Amérique se relèvera jamais du coup qu’elle essuie aujourd’hui, – ce qui ne semble pas lui déplaire après tout.
« Les Américains ordinaires ne peuvent plus s’aveugler et s’enivrer  avec le sport et la gloutonnerie, ce qui leur permettrait en principe de voir clairement le caractère maléfique de la classe dirigeante qui les exploite et les méprise. Si seulement ils pouvaient ouvrir les yeux sur cette réalité.
» Quiconque a des yeux pour voir peut clairement comprendre que l’Amérique est un empire en déclin rapide qui est résolument entré dans sa phase ultime de survie. Ce fait a été clairement mis en évidence grâce à Covid-19. Comme il y a maintenant une pénurie de pain, comme les rayons des supermarchés sont vides, comme la distraction du cirque des sports a été indéfiniment ôtée de leur de la culture, les Américains n'ont plus grand-chose pour les distraire de la réalité froide et dure...[...Ils] auront de plus en plus de mal à ignorer la vérité sur leur pays et ses médias, ses finances, son gouvernement, son éducation et ses systèmes de santé, tout cela déplorablement corrompu et les narguant sans vergogne.
» Comme le dit le vieil adage, la crise révèle le caractère, et la contagion du coronavirus est une crise aux proportions épiques qui nous montre à l’évidence que l’Amérique est totalement dépourvue de tout caractère rédempteur.
» Si l’Amérique était un pays sain et rationnel, ce serait une grande opportunité de changement... hélas, ce n'est pas le cas. L’Amérique est une nation folle, malsaine et irrationnelle, et tout changement véritable est donc inconcevable.
» Par exemple, cette crise a une fois de plus révélé le château de cartes de l’enfumage et les miroirs déformants définissant  l'économie américaine. L’économie américaine a depuis longtemps été minée et trafiquée par la financiarisation, quand les rachats d'actions et les manigances comptables gonflent le marché boursier mais ne créent rien de substantiel pour les masses sauf l'illusion de la prospérité. Ici, en Amérique, l'économie a depuis longtemps cessé de fonctionner pour les gens ordinaires... [...]
» Les putes du Corporate Power, des deux partis, qui sont au Congrès et à la Maison Blanche, informent également avec entrain les Américains que les soins de santé universels que tous les autres pays industrialisés du monde possèdent déjà sont une chimère complète et une impossibilité.
» Elles nous disent qu’elles ne pourront jamais payer pour quelque chose d'aussi décadent et luxueux que les soins de santé, mais elles sortent par magie $1 500 milliards de leurs trous du cul plaqués or afin d'éviter un effondrement dont elles sont responsables. Il est étonnant de voir comment les Seigneurs de la Finance peuvent faire apparaître de l'argent par miracle pour faire avancer les choses lorsque que leur richesse exorbitante est en jeu, et non la santé et le bien-être des Américains ordinaires.
» Le coronavirus est une crise qui révèle l'horrible vérité sur l'Amérique et le caractère maléfique de sa classe dirigeante. La crise du Covid-19 va s'aggraver avant de se résoudre, mais elle finira par se résoudre. Au contraire, l’état de l’Amérique ne fera qu'empirer, sans aucun espoir d'amélioration. »
L’intérêt ici est de constater combien les réactions et commentaires devant l’installation de la crise Covid-19 aux USA déclenchent aussitôt des réflexions fondamentales sur le sort même de l’Amérique, plutôt que de s’arrêter à la crise sanitaire comme c’est le cas dans les commentaires dans les autres pays. L’aspect sanitaire, justement, est au second plan, et nos commentateurs vont aussitôt aux aspects dits-“collatéraux“, mais en réalité essentiels, qui concernent la cohésion structurelle de l’Amérique, son ontologie, – ou, dirait-on plutôt, son simulacre d’ontologie ; et il s’agit essentiellement pour l’essentiel, au travers des aspects sociaux de la tragédie, de la vulnérabilité fondamentale de l’Amérique, qui est la cohésion de sa population..
Source : dedefensa.org

3 commentaires:

  1. A ceci il faudrait ajouter le fait que les "citoyens" états-uniens
    procèdent à des achats massifs d'armes et le décors est planté pour une grosse pagaille....

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  2. Un constat très intéressant plein de bon sens de Michael McCaffrey.
    On pourrait changer le mot amerique par France, grande Bretagne,Allemagne Espagne, le constat est le même.

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    1. Un homme armé et un Citoyen, un homme désarmer et un sujet.

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