Rivarol :
Votre livre Chroniques du sionisme est une analyse globale de
l’évolution récente du sionisme. Quelle est la situation géopolitique d’Israël
au Proche-Orient ?
Youssef
Hindi : La
situation géopolitique actuelle d’Israël est précaire. La Syrie, que l’État
juif voulait détruire, tient debout, et Assad, que les alliés occidentaux
d’Israël ont tenté de faire tomber, est toujours au pouvoir. Dans cette guerre,
la Syrie est soutenue par une grande puissance nucléaire, la Russie ; la plus
grande puissance de la région, l’Iran ; sans parler du Hezbollah libanais et
des Kataeb Hezbollah irakiens.
La
destruction de l’Irak de Saddam Hussein en 2003 par l’armée américaine –
provoquée par les dirigeants israéliens et leur lobby aux États-Unis[i] – a laissé la voie libre à l’Iran, qui
s’y est depuis implanté et s’est frayé un couloir passant par la Syrie, l’Irak,
et jusqu’au Liban, au grand dam d’Israël, dont l’objectif initial était de
faire sauter le verrou irakien empêchant son expansion.
La marge de
manœuvre d’Israël n’a cessé de se réduire, tout particulièrement depuis octobre
2015 avec l’engagement de l’armée russe sur le terrain en Syrie, et plus encore
à partir du 17 septembre 2018, date à laquelle un avion russe a été abattu à
cause d’une manœuvre de l’aviation israélienne.
Les relations russo-israéliennes se sont alors considérablement refroidies. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, qui appela alors son homologue israélien pour le menacer, déclara dans un communiqué que « la responsabilité du crash d’avion russe et de la mort de l’équipage repose entièrement sur la partie israélienne »[ii]. Le Kremlin a, dans la foulée, autorisé la livraison des missiles S-300 à la Syrie, limitant le champ d’action des avions de chasses de Tsahal.
Les relations russo-israéliennes se sont alors considérablement refroidies. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, qui appela alors son homologue israélien pour le menacer, déclara dans un communiqué que « la responsabilité du crash d’avion russe et de la mort de l’équipage repose entièrement sur la partie israélienne »[ii]. Le Kremlin a, dans la foulée, autorisé la livraison des missiles S-300 à la Syrie, limitant le champ d’action des avions de chasses de Tsahal.
En résumé,
l’État hébreu est, pour le moment, dans une impasse géopolitique.
R. : Pour vous le sionisme est une
force politique mondiale. Comment s’articulent ses réseaux à l’échelle
planétaire ? Existe t-il une unité en son sein ou plusieurs tendances ?
Y. H. : C’est surtout à l’échelle
occidentale que ces réseaux sont les plus puissants et les mieux organisés. Ils
s’étendent des États-Unis à la Russie, en passant par l’Angleterre, la France
et bien sûr au cœur de l’Union européenne.
Vous avez,
aux États-Unis, plusieurs organisations qui forment le lobby pro-israélien qui
influent sur la politique étrangère américaine, au premier chef,
l’incontournable l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), des
think tank comme le PNAC (Project for the New American Century),
fondé par deux néo-conservateurs juifs américains, William Kristol et Robert
Kagan.
En Europe,
les groupes de pression israéliens sont bien plus nombreux et actifs que l’on
peut l’imaginer.
En
Grande-Bretagne seulement, on en trouve plusieurs. Par exemple, chacun des deux
grands partis politiques qui s’alternent au pouvoir, le parti conservateur et
le parti travailliste, a en son sein un groupe pro-israélien : le Conservative
Friends of Israel et le Labour Friends of Israel.
En France,
tout le monde connaît le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de
France), mais très peu de gens ont eu vent de l’existence du European
Friends of Israel (EFI, Les amis européens d’Israël), un des groupes
de pression israéliens les plus influents à Bruxelles, au cœur de la structure
de l’Union européenne.
Parmi les
commanditaires du lancement de l’European Friends of Israel on trouve le
complexe militaro-industriel israélien, le Israel Aerospace Industries
(anciennement Israel Aircraft Industries)[iii].
L’on ne peut
être que stupéfait lorsqu’on se penche dans le détail sur l’étendue et le
maillage de ces réseaux pro-israéliens. Pour vous en donner une idée :
L’un des
donateurs de ce puissant lobby israélien en Europe que j’ai mentionné a été
Alexander Machkevitch, un milliardaire juif ayant la double nationalité kazakhe
et israélienne[iv].
Et quand on
cherche à identifier les fondateurs et les pourvoyeurs de fonds du Parlement
juif européen (créé en 2012), installé à Bruxelles au Parlement européen,
l’on découvre deux milliardaires juifs ukrainiens, Igor Kolomoisky et Vadim
Rabinovitch. Ce Parlement juif européen a été présidé par un
banquier et oligarque juif russe, Vladimir Sloutsker (ancien sénateur qui a
représenté la République de Tchouvachie au Parlement russe, et également
co-fondateur et président du Congrès juif israélien), auquel a succédé Joël
Rubinfeld, haut représentant du lobby juif européen, qui a été président,
de 2007 à 2009, du CRIF belge, le Comité de Coordination des Organisations
Juives de Belgique (CCOJB).
Et je
pourrais continuer à énumérer longuement les différentes organisations juives
pro-israéliennes implantées en Amérique et en Europe, ainsi que les
milliardaires de confessions juives qui jouent le rôle de pourvoyeurs de fonds
de toutes ces structures. Des milliardaires qui financent également des partis
politiques aux États-Unis, à l’instar de Sheldon Adelson (principal
financier du Parti républicain), et qui sont proches du pouvoir, que ce soit à
Washington, à Paris, à Londres ou à Moscou.
Le sionisme international est fondé sur une tripartition : une
idéologie commune qui détermine la direction et l’agenda politiques ; un
réseau d’influence au sein des partis politiques et des structures
étatiques ; des financements qui alimentent et renforcent ces réseaux.
Pour
répondre à votre seconde question, il existe, au sein du sionisme
international, comme dans l’État hébreu, des dissensions, des rivalités, des
divergences. C’est propre à toutes les sociétés et organisations politiques.
Les deux
grandes tendances qui s’affrontent actuellement à l’échelle internationale et
en Israël sont le sionisme religieux (correspondant à la droite israélienne) et
le sionisme laïc (à gauche de l’échiquier politique).
R. : Vous remarquez qu’un fossé
existe entre les sionistes les plus radicaux et la diaspora juive occidentale.
De quand date l’apparition de ce décalage ?
Y. H. : Il s’agit de cette opposition entre
la tendance religieuse et la tendance laïque du sionisme. Ces deux tendances
cohabitent depuis la naissance de l’État d’Israël et antérieurement, mais leur
opposition a éclatée au grand jour à partir de la guerre des Six jours en 1967.
Nous avons abordé cet important épisode de l’histoire israélienne dans un e-book
paru récemment (disponible à l’achat sur strategika.fr [v]) et intitulé « Notre Dame, Al Aqsa et le troisième Temple – La
géopolitique des religions ».
Dans mon
ouvrage, Chroniques du sionisme, j’analyse ce clivage qui a
resurgi et a impacté, sur le plan idéologique, la géopolitique mondiale.
J’explique qu’il s’agit d’une fracture dans le système impérial
judéo-américain, et j’en expose les causes. En guise d’illustration, j’évoque
l’attaque du président du Congrès juif mondial, Ronald Lauder, contre
Benjamin Netanyahou ; le premier ayant pourtant financé la carrière
politique du second.
Lauder s’en
est pris à Netanyahou à deux reprises dans le New York Times[vi] en 2018. En cause, le tournant religieux
et extrême-droitier de l’État hébreu opéré par « une minorité en Israël »
qui met ainsi en danger une grande partie du peuple juif.
En clair, l’affirmation juive, au sens religieux et ethnique, de
l’entité sioniste, et sa politique
ouvertement raciste et ethnocidaire, contribuent à faire augmenter
tendanciellement l’hostilité du monde envers Israël, et par suite, au judaïsme
et aux juifs à travers le monde ; ce qui met par conséquent en péril la
diaspora.
Entre sa
sécurité et son train de vie fastueux en Occident, et la survie du petit État
colonialiste, le choix de la diaspora juive occidentale est rapidement fait.
R. : Faut t-il être de confession
juive pour être sioniste ?
Y. H. : Non, bien évidemment il se trouve
des sionistes non juifs. Des pro-israéliens opportunistes, qui le deviennent,
parfois du jour au lendemain, au bénéfice de leur carrière politique ou médiatique.
Et il
existe, historiquement, des sionistes de conviction religieuse qui ne sont pas
juifs. Il s’agit des chrétiens sionistes, ces évangéliques protestants qui,
depuis le XVIIe siècle, soutiennent le projet de rapatriement du
peuple juif en Terre sainte et la refondation du royaume d’Israël.
R. : Justement, comment expliquer
l’alliance entre l’évangélisme protestant et le sionisme ?
Y. H. : J’ai consacré quelques pages de mon
premier ouvrage, « Occident & Islam – Tome I : Sources et
genèse messianiques du sionisme » (2015, Éditions Sigest), à cette
alliance.
Au XVIIe siècle, la kabbale et le
messianisme juifs ont pénétré et influencé le protestantisme puritain et
millénariste. Ces
protestants fanatiques, dont faisait partie Olivier Cromwell, ont adopté
le projet messianique du judaïsme, consistant, entre autres choses, à rapatrier
le peuple juif en Terre sainte, et ainsi « hâter le retour du
Christ ».
Plusieurs
chercheurs et historiens, à l’instar de Shlomo Sand, ont alors cru que
le proto-sionisme était né dans ces milieux protestants anglais du XVIIe siècle
; or, mes travaux ont démontré que l’origine de ce messianisme actif et
sioniste, visant à hâter la fin des temps, est d’origine juive et médiévale
(XIIIe siècle) et qu’il a influencé un certain protestantisme.
Ce même
protestantisme qui s’est implanté en Amérique du Nord avec les Pères pèlerins
britanniques qui s’identifiaient aux Hébreux et voyaient dans cette nouvelle
terre vierge à conquérir la nouvelle Jérusalem.
Leurs
héritiers contemporains sont les dizaines de millions d’évangéliques, chrétiens
sionistes. Pour être plus précis, aux États-Unis on compte 100 millions
d’évangéliques, et parmi eux 30
millions se disent « chrétiens sionistes »[vii].
Au sein de
l’administration Trump, deux des postes les plus importants sont occupés par
des évangéliques fanatiques : le secrétaire d’État, Mike Pompeo, et
le vice-président Mike Pence.
R. : En France, ce type d’alliances
sont-elles possibles ?
Y. H. : De facto, le pays légal, la République, est l’allié d’Israël
et l’obligé du CRIF, mais le
pays réel n’adhère ni à la politique israélienne, ni au diktat du CRIF et de la
LICRA, ni aux valeurs du judaïsme.
Rapprocher
le peuple français, aujourd’hui dans sa grande majorité athée et très méfiant
vis-à-vis des religions quelles qu’elles soient, d’un État juif religieux et
racialiste, me semble impossible, sauf révolution majeure dans les mentalités.
Raison pour
laquelle les
propagandistes juifs sionistes tentent, depuis quelques années de réécrire
l’histoire de France pour la faire coller à celle d’Israël. Leur
objectif est de faire entrer au forceps dans la tête des Français que le
royaume de France a été fondé sur le modèle du royaume antique d’Israël, que
les deux nations ont un destin commun, et que le catholicisme et le judaïsme
partagent les mêmes valeurs.
C’est
précisément le rôle d’individus tels que Gilles-William GOLDNADEL et Eric
ZEMMOUR.
R. : La « fable » de « Saint-Louis,
le roi juif » est pour le coup un symbole de cette démarche ? Vous pouvez
revenir sur cette tentative de détournement historique pour nos lecteurs ?
Y. H. : Oui, « Saint Louis, le roi juif »
est le titre d’un chapitre du dernier livre d’Éric ZEMMOUR, Destin français
(paru en septembre 2018).
Il n’est
plus besoin de décrypter quoi que ce soit dans le discours de ZEMMOUR car le
but de cette grossière manœuvre est explicité noir sur blanc dans son ouvrage.
Ainsi, il est écrit : « Israël a été
pendant des siècles le modèle de la France… Israël est aujourd’hui la nation
que la France s’interdit d’être… Sans le nationalisme juif, la France s’abîme
dans la sortie de l’Histoire… » [viii]
Mais qu’il
n’y ait pas de méprise, il ne s’agit pas d’une idée qui aurait soudainement
traversé l’esprit « fertile » de l’éditorialiste du Figaro. Il
exécute, en France, une mission conforme à un agenda élaboré il y a fort
longtemps, par d’autres. Tout cela je l’ai exposé en détail dans mon premier
ouvrage, Occident & Islam – Sources et genèse messianiques du
sionisme.
D’ailleurs,
dans Chroniques du sionisme, je fais la critique d’un texte
publié antérieurement au livre de ZEMMOUR, et qui tentait déjà ce détournement
de l’histoire de France. Il s’agit d’une tribune publiée le 3 janvier 2017 dans
Valeurs Actuelles[ix], et dont l’auteur est Gilles-William
GOLDNADEL, agent d’influence israélien (qui a la double nationalité
franco-israélienne), nommé membre du comité directeur du CRIF (en 2010),
président de France-Israël (2004-2018) et ami de Benjamin NETANYAHOU.
Ce que l’on
trouve dans le livre de ZEMMOUR était dans la tribune de GOLDNADEL, à savoir
« le lien historique sacré entre Paris et Jérusalem, Saint Louis et
David, la France chrétienne et l’État juif. »[x]
Ces discours
et ces falsifications historiques visent à, pour ceux qui ne l’auraient pas
encore compris, attirer dans le giron pro-israélien toute la droite française
et catholique, afin qu’elle participe à une nouvelle grande boucherie pour les
besoins d’un « choc des civilisations », qui ne va pas sauver, mais
plutôt achever les civilisations ; et cela au service d’une guerre
eschatologique qui est le fondement de la doctrine géopolitique israélienne.
R. : Quelles sont les relations de
la Russie et de Vladimir Poutine avec Israël ?
Y. H. : La Russie de Poutine a toujours
entretenu de bonnes relations diplomatiques avec Israël, et ce pour plusieurs
raisons.
La
géopolitique de la démographie occupe une place importante dans les relations
entre la Russie et Israël, même si c’est un non-dit.
1 million de
Russes vivent en Israël (sur une population totale de 9 millions), dont 900.000
qui s’y sont installés entre 1989 et 2002. Une part importante de ces russes
israéliens ne sont pas assimilés à la culture juive et ne parlent pas hébreu,
en témoigne ce chiffre : 35% de ces nouveaux immigrés avaient des épouses
et des enfants non juifs. Il s’agit d’une communauté hautement éduquée, occupant
des postes de chercheurs, médecins, enseignants, ingénieurs…[xi]
En cas de
conflit, ouvert ou non, avec l’État hébreu, la Russie pourrait utiliser contre
Israël ce levier d’influence géopolitique par le bas, c’est-à-dire par la
société civile. De ce point de vue, c’est Tel-Aviv, et non pas Moscou, qui a
intérêt à maintenir les bonnes relations israélo-russe.
Dans l’autre
sens, Israël exerce sur le pouvoir russe – de plus en plus difficilement – une
influence par le haut, via
les oligarques juifs russes proches du Kremlin et de Vladimir Poutine.
Ces milliardaires communautaristes ont joué un rôle important dans le maintien
des bonnes relations russo-israéliennes. À l’instar de Vladimir Soultsker,
dont j’ai parlé plus haut et qui est un acteur important de l’International
sioniste.
En 2004,
Sloutsker a accédé à la présidence du Congrès juif russe (il resta en
poste jusqu’en 2005) qui est censé représenter toutes les organisations juives
en Russie. Suite à sa nomination à la tête de l’organisation juive, le journal
israélien Haaretz lui a consacré un article titré « Le nouvel oligarque juif va rendre la vie facile au Kremlin »[xii]. Vladimir Sloutsker y est décrit comme
un « oligarque juif », un « professeur de kabbale »,
ayant des « liens étroits avec le Kremlin ». Un homme qui
« est au cœur de l’élite d’affaires et de la politique » et
dont « le cercle de connaissances comprend de nombreux Juifs, des
hommes d’affaires et des membres importants du gouvernement. »
Le Congrès
juif russe a été fondé en 1996 en grande pompe par un groupe d’oligarques
juifs mené par le magnat des médias russes Vladimir Goussinski, qui en a
été le premier président et qui a essayé d’en faire un lobby puissant sur le
modèle de l’organisation juive américaine Conference of Présidents of
Major American Jewish Organizations[xiii].
Mais le
projet de Goussinski est stoppé dans son élan par l’arrivée au pouvoir de
Vladimir Poutine. Goussinski, à l’instar d’autres oligarques juifs, a utilisé
son média pour attaquer Poutine. Le résultat a été la fuite de Goussinski vers
Israël en 2000 ; ce dont a pâti le Congrès juif russe qui est passé
d’un budget initial de 10 millions de dollars par an à quelques centaines de
milliers de dollars par an.
Trois ans
plus tard, le second président du Congrès juif russe, Leonid Nevzlin,
un des propriétaires de la compagnie pétrolière russe Ioukos[xiv], s’est également exilé en Israël.
Pour
schématiser : Vladimir
Poutine a mis au pas un certain nombre d’oligarques juifs russes qui lui
étaient hostiles, et a laissés en place d’autres qui lui étaient favorables.
Et Sloutsker en fait partie. D’ailleurs, le Kremlin avait publiquement adressé
ses félicitations à Vladimir Sloutsker lors de sa nomination.
En résumé, ils n’ont pas pu couper la main de Poutine, alors ils la
baisent, tout en faisant de leur mieux pour infléchir sa politique en faveur
d’Israël.
L’arrivée de
V. Sloutsker à la tête du Congrès juif russe, permise par Vladimir
Rissen, « l’adjoint au maire juif de Moscou », est advenue,
d’après Haaretz, dans « une période creuse dans les relations
israélo-russes ». En effet, en janvier 2005, le gouvernement russe « a
décidé de vendre des missiles à la Syrie », et « il a annoncé
qu’il fournirait à l’Iran le combustible nécessaire au fonctionnement du
réacteur nucléaire de Bouchehr ».
Le rôle de
Sloutsker et du lobby juif qu’il représente en Russie était, et il est
toujours, de contrer cette politique russe défavorable à Israël et que
« l’oligarque juif » attribuait à « certains organes et
centres de pouvoir dans le pays (en Russie) où la pensée du passé
prévaut, selon laquelle les pays arabes font partie de ‘‘notre’’ camp, et
Israël et les sionistes font partie de l’autre camp. »
Il y a donc une guerre sourde dans l’appareil d’État
russe et autour de Poutine, une guerre opposant les juifs pro-israéliens et les
patriotes.
Comme je
l’ai rapporté et analysé dans Chroniques du sionisme, les relations
russo-israéliennes se sont dégradées ces dernières années autour de la question
syrienne et iranienne, et tout particulièrement, comme je l’ai dit
précédemment, depuis que l’aviation israélienne a causé la destruction d’un
avion russe et la mort de son équipage.
Durant cet
épisode, le Grand Rabbin de Russie, Berel Lazare, qui fait partie de la
direction du Congrès juif russe et qui est proche de Vladimir Poutine,
s’est opposé à la livraison des missiles S-300 à la Syrie au nom de sa «
sensibilité à propos de nos frères en Israël, à Sion ».
Jusque-là,
les Russes s’étaient abstenus de livrer les S-300 à la Syrie, en raison du
lobbying des Israéliens qui arguaient que cela limiterait la capacité de l’État
hébreu à neutraliser les « menaces terroristes », incluant le
Hezbollah.
Mais après
la destruction de l’avion russe à cause de Tsahal, la realpolitik, les
alliances géopolitiques de la Russie et son armée – le ministre de la Défense
Sergueï Choïgou au premier chef – ont prévalu sur les desiderata du lobby
pro-israélien en Russie.
D’ailleurs,
la dégradation des relations entre Vladimir Poutine et les tenants du sionisme
international s’est bien illustrée en mars 2018, lorsque des organisations juives en Israël (L’Union
sioniste) et aux États-Unis (Le Comité juif américain) ont qualifié le
président russe d’antisémite.
Je dois dire
que ce refroidissement entre la Russie et Israël ne m’a guère surpris, mais à
au contraire confirmé mes articles de prospectives géopolitiques écrits depuis
septembre 2015.
Et à mon
sens, les rapports israélo-russes vont continuer à se détériorer.
R. : Comment comprendre la
politique pro-sioniste de Donald Trump ? Vous pensez qu’il gagne du temps
actuellement en donnant des gages aux néo-conservateurs et aux pro-sionistes de
son entourage ?
Y. H. : La politique pro-sioniste de Donald
Trump se comprend très simplement : personne ne peut, aux États-Unis, accéder à la présidence
sans faire allégeance au lobby pro-israélien. C’est ce qu’on démontré
les deux universitaires américains, Stephen Walt et John Mearsheimer,
dans leur livre Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine.
Je ne
prétends pas, comme ceux qui sont fanatiquement pro ou anti Trump, être dans la
tête du président américain et sonder son cœur et ses reins. Je m’en tiens à la
réalité des faits. Ma méthode est empirique.
Et la
réalité c’est que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump est le résultat d’un
processus historique de décomposition du système et de l’idéologie du
libre-échange, et de l’hégémonie impériale des USA.
Sur le plan
économique, le discours protectionniste et ré-industrialiste de Trump a fait
écho aux attentes de l’électorat issu de la classe moyenne et du
« prolétariat » qui a, à cause du libre-échange, soit perdu son
emploi soit vu son salaire subir une pression à la baisse.
Tandis que
son positionnement géopolitique isolationniste correspond à une partie l’establishment
étasunien, notamment au Pentagone – à l’instar le lieutenant-général Michael T.
Flynn (soutien de Trump et son éphémère conseiller à sécurité nationale qui a
subi les foudres de l’État profond) – qui a compris que la fuite en avant
impérialiste et guerrière de l’Amérique la conduirait à sa perte, en tant que
nation.
Face à eux,
il y a l’État profond impérialiste, les Faucons, les
néo-conservateurs pro-israéliens qui ont conduit l’armée américaine
dans un certain nombre de guerres, notamment dans le monde musulman, au seul profit d’Israël et au
détriment des États-Unis.
Autour de
Donald Trump, ces deux tendances cohabitent et s’affrontent. Et il doit, par
conséquent, pour satisfaire les pro-israéliens, faire des concessions –
déplacer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, insulter et menacer Assad,
accentuer les sanctions contre l’Iran, assassiner le général Soleimani – sans
toutefois entrainer son pays dans une guerre mondiale.
R. : Au niveau mondial, l’épidémie
de Coronavirus a provoqué une crise sanitaire et économique sans précédent.
Comment le sionisme pourrait utiliser cette situation à son avantage ?
Y. H. : À ce stade, il est encore trop tôt
pour y répondre précisément et définitivement.
Faire de la
prospective, visuellement, c’est comme prolonger les courbes correspondant à
des tendances sur un diagramme.
Cette
épidémie accentue certaines tendances. En d’autres termes, elle constitue, non
par sa gravité réelle mais par les mesures prises à l’échelle mondiale et leurs
effets rétroactifs, une
accélération historique, notamment sur les plans géopolitique et économique.
Ceci étant
dit, revenons au sionisme et à Israël, et reprenons les faits
chronologiquement :
Deux mois
environs après le déclenchement officielle de l’épidémie en Chine (décembre
2019), l’on apprenait, fin février 2020 par les médias israéliens (Jerusalem
Post et i24NEWS) qu’une équipe de scientifiques de l’Etat hébreu
étaient déjà en train de mettre au point un vaccin contre le coronavirus,
et qu’il serait prêt quelques semaines après l’annonce et disponible 90 jours
après la même annonce faite par le ministre israélien des Sciences et de la
Technologie, Ofir Akunis.
Or, le
docteur Chen Katz, chef du service de biotechnologie du MIGAL,
l’organisme israélien qui est en train de produire le vaccin en question,
affirme que leur concept de base est de « développer la technologie, et
non spécifiquement un vaccin pour ce type de virus », et de conclure
« appelons cela de la chance »[xv].
Il y a
manifestement là une précipitation israélienne qui relève plus du domaine du
marketing que de celui de la science. Ceci traduit une volonté ancienne
d’Israël d’apparaître comme la nation messianique qui va « sauver
l’humanité ».
Mais depuis,
une alternative au vaccin est apparue sur la scène publique : l’hydroxychloroquine et le protocole du professeur Didier
Raoult.
Suite à
cela, le président des États-Unis a annoncé le jeudi 19 mars que
l’hydroxychloroquine serait utilisée dans son pays pour combattre le virus. Et
dès le lendemain, le vendredi 20 mars, le géant israélien des médicaments
génériques Teva a sauté sur l’occasion et a annoncé qu’il allait fournir
gratuitement aux hôpitaux américains dix millions de doses de sa molécule
antipaludique hydroxychloroquine.
L’entreprise
israélienne a précisé que SIX MILLIONS de doses seraient fournies aux hôpitaux
américains avant la fin du mois de mars, et plus de dix millions courant avril[xvi].
Mais tout
cela reste dérisoire au regard de l’ampleur et des implications du phénomène
coronavirus. De plus, le sionisme n’est pas un mouvement historique autonome.
Il est, et c’est une de mes thèses, une des branches d’un mouvement messianique
global, au sens où ce messianisme a pour finalité de révolutionner, de
bouleverser le monde entier ainsi que tous les aspects de la vie humaine, et
ce, bien sûr, au niveau politique également.
Par
conséquent, il faut relier,
dans notre réflexion, le sionisme à sa branche sœur, le globalisme.
Et de ce point de vue, la crise du coronavirus constitue une rupture
historique, ce que Karl Marx appelait un « saut
qualitatif » ; un concept qu’il a, peut-être à son insu, emprunté au
messianisme juif ayant structuré également le globalisme ; il s’agit du
bouleversement que j’évoquais, permettant de faire passer le monde dans un
nouveau paradigme.
C’est ce dont parlait Jacques Attali en mai
2009 quand il écrivait que « L’Histoire nous apprend que l’humanité n’évolue significativement
que lorsqu’elle a vraiment peur… La pandémie qui commence (le H1N1)
pourrait déclencher une de ces peurs structurantes… », et on en viendrait selon lui « beaucoup plus vite que ne l’aurait
permis la seule raison économique, à mettre en place les bases d’un
véritable gouvernement mondial. »[xvii]
Cet utopique gouvernement mondial aurait pour capitale,
toujours selon Attali, Jérusalem[xviii].
Mais ce que
l’on constate pour l’instant avec la crise du coronavirus, ce n’est pas une
unification de la planète mais un retour à la nation, et un renforcement de la
multipolarité.
Cette
crise va donc accentuer l’opposition entre globalisme et souverainisme. Quant aux sionistes, on les trouve
dans ces deux camps. Si le sionisme est une émanation du messianisme au même
titre que le globalisme, il apporte, par opportunisme, instinct de survie et
hypocritement, son soutien aux souverainistes.
Mais à mon
sens, la multipolarité et le souverainisme (je ne parle pas du nationalisme
israélo-compatible) bien compris se retourneront à terme contre le sionisme qui
en est l’ennemi ontologique, de la même manière que les nations syrienne,
iranienne et russe, constituent des entraves géopolitiques à Israël.
Propos
recueillis par Monika BERCHVOK
[i] Voir : Stephen Walt & John
Mearsheimer, Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine,
2007, La Découverte.
[ii] https://fr.sputniknews.com/international/201809181038131610-crash-avion-russe-
syrie-israel-responsable/
[iii]
« European Friends of Israel », Powerbase, 13/11/2012. https://powerbase.info/index.php/European_Friends_of_Israel
[iv] Gary
Rosenblatt, « Being Alexander Machkevitch: Jewish billionaire from nowhere
with big plans », The Jewish Week, 12/04/2011.
[v] https://strategika.fr/2020/02/10/notre-dame-al-aqsa-et-le-troisieme-temple-la-geopolitique-des-religions/
[vi] https://www.nytimes.com/2018/03/18/opinion/israel-70th-anniversary.html?rref=collection%2Ftimestopic%2FIsrael&action=click&contentCollection=world®ion=stream&module=stream_unit&version=latest&contentPlacement=1&pgtype=collection
[vii] https://solidariteetprogres.fr/nos-actions-20/declarations/liberons-trump-de-l-emprise-des.html
[ix] Gilles-William Goldnadel, « L’ONU,
pompier incapable devenu pyromane », Valeurs Actuelles, 03/01/2017.
[x] Goldnadel citait Pierre Boutang qui
a publié un livre issu d’articles écrits en 1967, et titré La Guerre des Six
jours.
[xi] Howard Sachar, A History of Israel. From the Rise of Zionism to Our Time, 2007,
chapitre A Russian success story, p. 1080-83.
[xiv] Ioukos était contrôlé par
l’oligarque juif russe Mikhaïl Khodorkovski, emprisonné en 2003 pour
« escroquerie à grande échelle » et « évasion fiscale ».
[xv] https://www.i24news.tv/fr/actu/israel/1582822846-coronavirus-dans-3-semaines-un-vaccin-sera-pret-scientifiques-israeliens
[xvi] https://www.i24news.tv/fr/actu/international/1584712791-l-entreprise-israelienne-teva-va-offrir-10-millions-de-doses-d-anti-paludique-aux-usa
Entretien réalisé par Rivarol.
Source : Youssef
Hindi
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