Pour limiter la propagation du coronavirus, de nombreux pays ont fermé
leurs frontières et multiplié les restrictions de circulation. Effet notable de
cette dynamique de fermeture, un grand nombre d’Européens se retrouvent
dans une position (certes temporaire) d’immobilité, alors
que leurs passeports leur permettaient il y a peu de visiter près de
180 pays sans autorisation préalable. Rarement, sauf en temps de guerre,
les citoyens européens ont-ils connu de telles restrictions à leur
mobilité, non seulement à l'extérieur mais aussi à l'intérieur de l’Europe.
Cette restriction des mouvements revêt une dimension inédite : elle s’applique
désormais aux populations du nord, alors qu’elle s’impose en temps normal aux «
migrants » du sud.
La
protection des frontières comme protection des vies
Toutefois,
si la crise sanitaire a momentanément modifié les modalités du contrôle des
frontières européennes, l’essence de sa rationalité, fondée sur la «
protection » des populations des pays du nord vis-à-vis de celles du sud,
demeure largement intacte. Ces restrictions s’inscrivent tout d’abord dans une
logique de protection de (certaines) vies, et non pas dans une logique
traditionnelle de la souveraineté de l’Etat, sécuritaire, économique ou encore
identitaire, associée souvent à une incompatibilité culturelle fantasmée. En
vertu de cette protection, et en particulier de l’impératif de préserver la
santé, les gouvernements britannique, français ou allemand, entre autres, ont
mis des millions d’euros à disposition
pour rapatrier leurs citoyens.
En
outre, cette logique de protection de la vie des Européens se manifeste dans la
reconfiguration des catégories de migrants considérés comme utiles. Les personnes exerçant des
professions liées à la protection des vies sont devenues désirables et
leur mobilité comme leur résidence dans les pays du nord ont été facilitées.
Ainsi, les États-Unis ont levé des restrictions en matière de
visa pour les professionnels de santé étrangers tout en maintenant, voire
en limitant, le déplacement d’autres migrants. Au Royaume-Uni, en Espagne et en
Allemagne, des processus accélérés de reconnaissance des diplômes étrangers
pour les métiers du secteur médical ont été mis en place pour mobiliser les
migrants médecins. Dans le secteur agricole, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou
encore les Pays-Bas ont également fait appel à des migrants d’Europe de l’Est
pour travailler à la récolte des fraises et des asperges, afin d’assurer la continuité alimentaire des
populations. Jusqu’à 80.000 « saisonniers » pourraient venir en
Allemagne, et 90.000 au Royaume-Uni, pour ces récoltes.
Les migrants comme menace biologique ?
En même
temps, comme dans tous les contextes de fermeture des frontières, les
traversées illégales vers l’Europe représentent toujours un danger mortel. Les
autorités italiennes et maltaises ont officiellement fermé leurs ports début avril à
toute arrivée de bateaux de migrants. Après l’arrivée en Sicile d’un
groupe de 276 Africains sauvés par une ONG, dont aucun n’était infecté par
le coronavirus, l’ancien ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini a
demandé la démission du Premier Ministre au nom de la protection de la
population italienne, en affirmant « qu’il n’était pas capable de
défendre l’Italie et les Italiens ». A l’image des discours sur la « menace terroriste »,
le Covid-19 est construit en tant que danger provenant de « l’extérieur » et
véhiculé par les corps migrants [1].
Le Président des États-Unis, Donald Trump, a même procédé à une racisation de la maladie, en
parlant d’un « virus chinois », afin de justifier et de renforcer son
agenda sécuritaire envers les migrants. En 2015, alors candidat à
l’élection présidentielle, Trump présentait déjà les migrants mexicains
comme des prédateurs et des agresseurs et
comme porteurs de maladies infectieuses.
L’accusation
selon laquelle les migrants importent bactéries, virus et maladies et mettent
en danger la vie des natifs n’est pas nouvelle. C’est cette lecture des migrations comme menace
biologique qui a été prôné lors de la première conférence internationale
de santé globale entre les puissances coloniales britannique, ottomane,
française, néerlandaise et belge à Istanbul en 1865, à la suite de l’épidémie de choléra qui
avait débuté pendant le pèlerinage à la Mecque. Cette association a également
mené à la création du centre de rétention et de tri d’Ellis Island en 1892 à
New York après une autre épidémie mondiale de
choléra.
Au nom
de cette association avec les maladies, les migrants sont accusés de faire
peser une charge sur les systèmes de santé des pays du nord. En période de
pandémie plus que jamais, on insiste sur une pénurie des ressources. Selon cet
argument, les États européens disposeraient de capacités de soins
limitées, ce qui les empêcherait de recevoir et de prendre soin des
migrants. Ils se réfèrent à un point de basculement imaginaire au-delà duquel
les sociétés européennes passeraient de la cohésion sociale au chaos. Cette
notion de « basculement » justifie alors l’exclusion des migrants.
Dans
certains contextes, les migrants sont ainsi livrés à eux-mêmes. Non seulement
les frontières leur sont fermées mais les procédures d’asile sont souvent
suspendues – comme en Espagne, en Grèce, aux Pays-Bas et en Hongrie –
ou fortement ralenties, dans toute l’Europe. Privés non seulement de l’accès
aux soins mais aussi aux démarches juridiques ainsi qu’à d’autres ressources et
services vitaux tels que le soutien des associations, le confinement pour un
migrant exacerbe souvent la précarité. Certains camps deviennent des lieux
de quarantaine sous le prétexte d’éviter une contamination des populations
européennes. En Grèce, une campagne d’information du gouvernement intitulée
"StayInCamps" a été
orchestrée à l’attention des résidents des camps et des hotspots du
pays, sur le modèle de l’appel à rester chez soi adressé aux citoyens et aux
résidents. En Serbie, la quarantaine a été imposée à
toutes les structures de rétention. Ces mesures de confinement ont été élargies
à des groupes sociaux présentés comme dangereux, notamment les populations roms.
La
précarité affecte souvent plus fortement les migrants travaillant dans certains
secteurs tels que celui du care, qui dans de nombreux pays repose sur le
travail des femmes étrangères employées à domicile comme nounous, aides
ménagères ou badante (aides à domicile, en italien) qui s’occupent des
personnes âgées et dépendantes. Si dans quelques pays, comme en France, le
gouvernement a annoncé qu’il remboursera les employeurs des heures non
travaillées (qui seront payées à hauteur de 80%), dans la plupart des pays, ces migrants, qui sont surtout
des migrantes, ne disposent d’aucune protection sanitaire et sociale.
Les travailleurs les plus exposés, tels les caissières, le personnel
d’entretien ou les livreurs des plateformes, sont par ailleurs souvent les plus
précaires en termes de statut et d’emploi.
Une troisième voie universaliste ?
Au-delà
des deux régimes exposés ici - l’un qui vise à filtrer les migrants selon leur
capacité à protéger et guérir les populations, et l’autre fondé sur une
exclusion généralisée de tous les migrants présentés comme une menace
biologique pour le corps national - une troisième réponse
s’esquisse également. Dans certains pays, la crise sanitaire portée par le
Covid-19 a été l’occasion de mettre en œuvre des mesures inclusives envers les
migrants. Le Portugal a ainsi commencé la
régularisation temporaire des étrangers en situation irrégulière le 30
mars. Le gouvernement italien a annoncé quant à lui vouloir prendre des
mesures similaires pour les sans-papiers, notamment ceux qui travaillent aux
champs, les quelques « 600.000 personnes sous-payées et
exploitées de façon souvent inhumaine » selon la ministre de
l’Agriculture.
Ces
mesures relèvent-t-elles d’une stratégie d’incitation pour augmenter la
productivité des migrants, ou bien témoignent-elles d’une solidarité envers les
migrants, dans une logique humanitaire de protéger les plus vulnérables ? Selon
une autre perspective, elles pourraient être un moyen de protéger la
population, en soignant tous les malades sur place afin d’éviter une future
contamination. Ces mesures pourraient-elles, enfin, être l’expression d’une
vision cosmopolite, au sein de laquelle le corps social n’est plus divisé par
les frontières ?
En
somme, la crise sanitaire révèle non seulement la pluralité des régimes de
maintien de la vie mais aussi, au sein d’un même régime, des stratégies et des
cartes mentales disparates. L’issue « migratoire » de cette crise
sanitaire demeure donc incertaine, à l’instar de la pluralité et des
antagonismes de ces régimes frontaliers.
*Source : SciencesPo.fr
Comme le montre la carte ci-dessus, qui date de ce jour, ce sont l'Europe et les États-Unis qui contaminent le reste du monde. Ce sont les immigrés qui reviennent de ces pays qui ramènent le Covid avec eux. C'est ce que l'on constate partout en Afrique, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient. |
Hannibal Genséric
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