La
guerre en Libye s’est transformé en conflit par procuration entre de nombreux
acteurs internationaux.
Le
gouvernement d’entente nationale (GNA), dirigé par le Premier ministre Fayez
al-Sarraj, est soutenu par les Frères musulmans. Son principal sponsor
politique et financier est le Qatar et son principal allié militaire est la
Turquie. L’Italie soutient également Sarraj. Le GNA contrôle la capitale,
Tripoli, et Misrata dans l’ouest du pays.
Du côté
opposé, on trouve l’ancien agent de la CIA, Khalifa Haftar, et son armée
nationale libyenne (ANL). Il contrôle l’est de la Libye et la plupart des ressources
pétrolières. Il est soutenu par les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite,
l’Égypte, la Grèce et la France.

La Russie se voit dans le conflit en tant qu’arbitre.
Elle
veut rétablir ses intérêts commerciaux à long terme en Libye, qui s’étaient
volatilisés après la guerre que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont
menée contre ce pays en 2011. Elle a vendu des armes à Haftar via les EAU et a
permis à des mercenaires russes de prendre part à la guerre aux côtés de l’ANL
d’Haftar.
Depuis avril 2019,
Haftar tente de prendre Tripoli et d’expulser le GNA. Le combat a été plus
difficile et a duré beaucoup plus longtemps qu’il ne s’y attendait. La
situation économique des deux camps est imbriquée et complique
la guerre. En janvier, la Russie a demandé à Haftar d’arrêter de se battre.
Elle a tenu une conférence de paix à Moscou et l’a
exhorté à signer un accord de cessez-le-feu :
Après
des heures de négociations négociées par la Russie et la Turquie, Haftar a
demandé, lundi soir, d’avoir jusqu'à mardi matin pour étudier l'accord déjà
signé par Fayez al-Sarraj, le chef du gouvernement d'entente nationale (GNA)
reconnu par les Nations unies.
Mais
Haftar, dont les forces avaient lancé, en avril, une offensive pour s'emparer
de Tripoli, la base du GNA, a quitté Moscou sans signer l'accord, a déclaré
mardi le ministère russe des affaires étrangères, selon l'agence de presse
TASS.
Cette attitude
envers la Russie ne sera pas oubliée.
Avant la réunion
de Moscou, la Turquie avait promis un soutien militaire au GNA. En échange, le
GNA avait signé un accord avec la Turquie pour délimiter une frontière maritime
entre la Turquie et la Libye. Cette frontière convenue ignore les droits de la
Grèce et de Chypre et ne sera jamais reconnue au niveau international. Mais la
Turquie utilise l’accord pour revendiquer des droits étendus en Méditerranée
orientale.
Une semaine
après l’échec des pourparlers à Moscou, une autre tentative de négociation d’un
cessez-le-feu, cette fois à Berlin, a également échoué. L’Allemagne a de
nouveau tenté de faire entendre raison à Haftar, lors d’une visite en mars,
mais sans résultat.
Pendant ce
temps, le conflit s’intensifie grâce aux fournitures turques de drones et
d’artillerie et aux 13 000 « rebelles syriens » engagés par
la Turquie comme mercenaires pour renforcer le GNA. L’opération turque est
financée par le Qatar, qui est également intervenu récemment pour arrêter la
chute de la livre turque.
Les Émirats
arabes unis ont contré cette poussée turque en fournissant à la LNA davantage
de systèmes de défense aérienne Pantsir, de fabrication
russe, et en recrutant davantage de mercenaires en Russie et au Soudan. Face
aux Pantsirs, les drones turcs sont tombés par douzaines, les lignes de front
ne bougeant pratiquement pas.
Le 17 mai, la
donne a changé. Les drones turcs ont soudainement pu frapper les Pantsirs et,
en une journée, en ont détruit au moins six. Au même moment, les mercenaires
russes ont reçu l’ordre de se retirer du front. Laissées sans protection, les
forces de Haftar ont pour la plupart fui et le GNA a avancé. Ces cartes
montrent les changements récents.
8 mai 2020 :
8 juin 2020 :
Il n’y a pas eu
de fuites sur ce qui s’est passé en coulisses. Il est possible que la Turquie
ait réussi à brouiller électroniquement le radar des Pantsirs afin que ses
drones puissent les éliminer. Mais si elle avait cette capacité, pourquoi ne
l’a-t-elle pas utilisée plus tôt ?
Certains pensent
que la Russie en a assez des entourloupes d’Haftar et juge nécessaire de le
punir pour son attitude.
Mais la Russie
ne l’a pas complètement laissé tomber. Peu après l’attaque sur les Pantsirs,
des avions de chasse russes ont été acheminés de Russie en Libye et installés
sur la base aérienne d’Al-Jufra, qui est sous le contrôle de l’ALN. Ils
permettront à la Russie de maintenir un équilibre entre les parties en conflit.
Jusqu’à présent,
ce plan a bien fonctionné. Samedi, l’Égypte a annoncé un
nouveau cessez-le-feu en Libye à partir d’aujourd’hui et Haftar l’a finalement
accepté :
Haftar
et Aguila Saleh, présidente de la Chambre des représentants basée à Tobrouk,
ont participé à la conférence du Caire. Plusieurs diplomates étrangers, dont
des envoyés américains, russes, français et italiens, y ont assisté. Haftar et
Saleh sont des alliés.
Il
n'y avait pas de représentants de l'administration de Tripoli, ni de ses
principaux bailleurs de fonds, la Turquie et le Qatar, à la conférence.
Vendredi, le GNA
a pris Tarhuna, une ville située à 60 kms au sud-est de Tripoli. Les « rebelles
syriens » ont immédiatement commencé à piller la ville. Cette action
a mis fin au siège de Tripoli qu’Haftar tenait depuis 15 mois.
La Russie aurait
dit à la GNA de ne pas se déplacer plus à l’est et de respecter le
cessez-le-feu qu’Haftar avait accepté. Elle veut qu’Haftar garde le contrôle de
l’Est. La Russie a tracé une ligne traversant Syrte, une ville qui couvre les
champs pétrolifères de l’Est, ce qui va également créer des profits pour
Moscou. La base aérienne d’Al-Jufra, à 220 kms au sud de Syrte, est également
censée rester sous le contrôle d’Haftar. Le pays serait ainsi divisé en deux
moitiés.

Mais la victoire
du 17 mai est montée à la tête du GNA et de ses commanditaires et leur a donné
de mauvaises idées. La Turquie a soudainement changé
ses objectifs de guerre :
À
la lumière des derniers développements, la Turquie a identifié un nouvel
objectif en Libye. Ankara ne cherche plus à forcer Haftar à participer aux
négociations diplomatiques. La nouvelle mission consiste plutôt à mettre hors
d'état de nuire cette source d'instabilité, cet homme qui assassine la
population civile de Tripoli.
Le gouvernement
du GNA a posé une
condition à son acceptation du cessez-le-feu :
Le
ministre de l'intérieur basé à Tripoli, Fathi Bashagha, a déclaré que la partie
gouvernementale n'engagerait des discussions politiques qu'après avoir pris
Syrte et la base aérienne intérieure de la Jufra, au sud. Le mois dernier, les
États-Unis ont accusé la Russie de déployer au moins 14 avions sur la base pour
soutenir les mercenaires russes soutenant Haftar, une accusation rejetée par
Moscou.
Prendre
Syrte ouvrirait la porte aux milices alliées à Tripoli pour faire pression
encore plus loin vers l'est, afin de prendre potentiellement le contrôle
d'installations pétrolières vitales, de terminaux et de champs pétrolifères que
les tribus alliées à Haftar ont fermés au début de l'année, asséchant ainsi la
principale source de revenus de la Libye.
Depuis vendredi,
les « rebelles syriens » sous commandement turc tentent de
prendre Syrte, qui est aux mains de l’ALN. Mais soudain, les avions récemment
livrés par la Russie sont entrés en action. Plusieurs convois du GNA, qui se
dirigeaient vers Syrte, ont été bombardés. Les drones turcs tombent à nouveau du
ciel.
L’Égypte a
commencé à positionner des équipements militaires lourds sur sa frontière
occidentale. Elle ne veut pas d’une Libye contrôlée par les Frères musulmans
comme voisin. La zone tampon que l’ALN d’Haftar lui fournit est une priorité
pour sa propre sécurité. L’Égypte, ainsi que la France, la Grèce, Chypre et les
Émirats arabes unis, ont également
rejeté les aspirations turques en Méditerranée orientale.
Si la Russie
retirait son soutien et renonçait complètement à Haftar, l’Égypte serait
obligée d’intervenir en Libye. Une guerre turco-égyptienne sur le sol libyen
deviendrait alors probable.
Les États-Unis
sont quasiment restés en dehors du jeu actuel. Mais s’ils semblaient auparavant
favoriser Haftar, ils ont récemment exprimé leur inquiétude quant au rôle de la
Russie en Libye et ont fait quelques remarques positives à l’égard du GNA.
L’Europe est
divisée sur la question, la France et la Grèce étant du côté de l’ANL tandis que
l’Italie du côté du GNA. Il est donc impossible pour l’UE de jouer un rôle
important.
La Russie tente
de parvenir en Libye à la même situation qu’en Syrie (et en Ukraine). Elle veut
geler le conflit actif en pressant les deux parties de s’en tenir à une ligne
et en n’intervenant que lorsque cette ligne est franchie par l’une ou l’autre
des parties. Elle continuera à faire pression pour que des négociations soient
menées entre les deux parties en conflit et leurs parrains.
Par Moon of Alabama – Le 8 juin 2020
Via le Saker
Francophone
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