Pas un – comme toujours – ne l’avait vu venir.
Devinez qui se promenait dans une pièce à Saint-Pétersbourg jeudi
dernier : le futur prince héritier – et ministre de la Défense –
Muhammad bin Salman, le fils favori du roi Salman; le ministre des
Affaires étrangères Adel al-Jubeir (ancien ambassadeur aux États-Unis et
très proche des acteurs clé de la politique à Washington); et le tout
puissant ministre du Pétrole Ali al-Naimi. Ils étaient tous là pour un
face à face avec le président Vladimir Poutine, en marge du Forum
économique de Saint-Pétersbourg.
En principe, il ne pourrait pas y avoir de changement des règles du jeu plus spectaculaire en perspective. Une caravane saoudienne royale venant rendre hommage sous forme d’encens, d’or et de myrrhe (ou des prix du pétrole plus élevés ?). Nul ne sait, cependant, ce que ça produira dans le Nouveau Grand Jeu en Eurasie, dont une des principales retombées est la Guerre froide 2.0 entre les États-Unis et la Russie.
Poutine et le roi Salman – très discrètement – avaient été en contact téléphonique depuis des semaines. Le fils du roi a invité Poutine à Riyad. Accepté. Poutine a invité le roi à Moscou. Accepté. Pas de question, le suspense est déjà en train de tuer tout le monde. Mais est-ce la vraie vie ? Ou de la fumée et des miroirs ?
En supposant que cette entente cordiale conduira finalement à une montée du prix du pétrole, Poutine remporte une grande victoire interne contre ce qui pourrait être décrit comme une Cinquième colonne atlantiste, qui tente de ruiner la voie multipolaire que prend la Russie. En outre, géo-économiquement, il n’y a pas de mal à ce que Moscou soit maintenant capable de compter l’Arabie saoudite parmi les acheteurs importants de systèmes de défense russes avancés.
Les services de renseignement russes sont totalement conscients que la Maison des Saoud a été extrêmement déçue – et c’est un énorme euphémisme – par l’administration ne-pas-faire-de-conneries Obama, comme elle se décrit elle-même, pour de très nombreuses raisons, dont la moins importante est la possibilité concrète d’un accord sur le nucléaire entre l’Iran et les P5+1 le 30 juin prochain; ce qui pourrait se traduire, en fin de compte, par l’acceptation par Washington de briser son propre Mur de méfiance à l’égard de la République islamique, née il y a 36 ans.
Une rencontre au plus haut niveau avec la Maison des Saoud, en Russie par dessus le marché, froisse un très grand nombre de susceptibilités à Washington. Cela ne restera pas impuni – ni pour Moscou ni pour Riyad. Après tout, les vrais Maîtres de l’Univers – pas leurs crieurs de journaux dans les différents secteurs du gouvernement états-unien – ont ruminé pendant un bon moment sur la façon de laisser tomber la Maison des Saoud.
Les services de renseignement russes savent aussi qu’à Washington, la Maison des Saoud dépend des bonnes faveurs du lobby israélien – et qu’il s’agit de diaboliser l’Iran. Et maintenant, un accord avec l’Iran sur le nucléaire – qui normalisera les relations de Téhéran avec l’Occident – ne pourrait pas provoquer d’alerte rouge plus brûlante dans une Riyad déjà vulnérable.
Le message de Poutine à l’Iran est plus complexe. Moscou s’est mobilisé très activement pour que l’accord sur le nucléaire iranien soit un succès ; de manière à réfuter la théorie selon laquelle Moscou pourrait commencer à utiliser Riyad pour arracher des concessions à Téhéran.
Il n’y a pas de concessions. La Russie – et finalement l’Iran – fourniront tous deux de l’énergie sur les marchés européens. Pas tout de suite, parce que la remise à niveau de l’infrastructure iranienne nécessitera des années et des torrents d’investissements. Mais, dès l’année prochaine, un Iran libéré des sanctions pourrait être finalement admis au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
Donc l’Iran ne changera pas d’un jour à l’autre pour devenir fébrilement pro-occidental – comme certaines factions non-néocons de Wahington en rêvent. L’Iran veut affermir sa puissance régionale ; développer des relations normalisées, notamment avec les Européens; mais avant tout, accélérer son intégration eurasiatique, ce qui implique déjà des relations étroites avec la Russie et la Chine. Sans oublier qu’en Syrie, l’Iran et la Russie en sont exactement à la même page géopolitique, qui se trouve être totalement opposée à la Maison des Saoud.
Le coup de Poutine est susceptible d’isoler le Qatar – qui subventionne indirectement, mais très efficacement al-Qaïda en Syrie pour atteindre son but géo-économique suprême: un gazoduc partant de South Pars [gisement offshore de gaz naturel situé à cheval entre les eaux territoriales de l’Iran et du Qatar, NdT] à travers l’Arabie saoudite et la Jordanie pour aboutir à la côte méditerranéenne.
Le projet rival se trouve être le pipeline Iran-Irak-Syrie, aujourd’hui perpétuellement menacé puisqu’un grand Syrak est pris en étau par ISIS/ISIL/Daesh. Ici, nous voyons le faux califat soutenir les desseins géo-économiques du Qatar, et ceux, géopolitiques, de l’Arabie saoudite.
Ce qui est certain, c’est que le pèlerinage du gratin saoudien à Saint-Pétersbourg ne pourrait pas être plus opposé à Bandar Bush (tombé en disgrâce) menaçant Poutine en août 2013 de lâcher les djihadistes tchétchènes sur Sotchi si Moscou ne faisait pas marche arrière sur la Syrie.
Qui est sur le message ?
Il est tentant de regarder ce drame fabuleux en train de se dérouler comme une intrigue secondaire des BRICS – surtout la Russie et la Chine – avançant au Moyen-Orient, avec Washington dans le rôle du perdant. Cela ressemble davantage à Poutine de jouer au Monde multipolaire, et non au Monopoly, et de s’assurer que l’Empire du Chaos devra vraiment transpirer pour garder ses blocs fantoches et vassaux, comme le Conseil de coopération du Golfe, en ligne.
Il reste à voir, sur le long terme, si ce n’est pas un jeu désespéré des Saoud pour arracher des concessions à leur impérial protecteur. Mais supposant que c’est une véritable entente, Moscou conserve la capacité de faire correspondre les intérêts de l’Iran et de l’Arabie saoudite, et de veiller à ce que ce pivot vers le Moyen-Orient concerté devienne aussi spectaculaire que le pivot vers l’Asie de la Russie et la Nouvelle route de la soie de la Chine.
Il n’y a aucune preuve pour l’instant que la Maison des Saoud a définitivement vu dans quel sens souffle le vent, c’est-à-dire vers la caravane de la Route de la soie eurasiatique, quelle que soit l’illusion exceptionnaliste qui soutient le contraire.
Ils ont peur; ils sont paranoïaques; ils sont vulnérables ; et ils ont besoin de nouveaux amis. Nul mieux que Poutine – et les services de renseignement russes – pour jouer le nouveau rythme de multiples manières. On peut difficilement faire confiance à la Maison des Saoud; voyez les tout derniers télégrammes saoudiens, publiés par Wikileaks. Cela peut se révéler une aubaine géopolitique et géo-économique. Mais ce peut aussi être un cas où vous gardez vos amis proches de vous, et vos ennemis encore plus près.
En principe, il ne pourrait pas y avoir de changement des règles du jeu plus spectaculaire en perspective. Une caravane saoudienne royale venant rendre hommage sous forme d’encens, d’or et de myrrhe (ou des prix du pétrole plus élevés ?). Nul ne sait, cependant, ce que ça produira dans le Nouveau Grand Jeu en Eurasie, dont une des principales retombées est la Guerre froide 2.0 entre les États-Unis et la Russie.
Poutine et le roi Salman – très discrètement – avaient été en contact téléphonique depuis des semaines. Le fils du roi a invité Poutine à Riyad. Accepté. Poutine a invité le roi à Moscou. Accepté. Pas de question, le suspense est déjà en train de tuer tout le monde. Mais est-ce la vraie vie ? Ou de la fumée et des miroirs ?
Qui est allié avec qui ?
Tout d’abord, sur le front de l’énergie, essentiel. Poutine discute maintenant ce qui était, jusqu’à présent, une guerre des prix du pétrole, mais qui devient peut-être – et le concept opératoire, ici, est peut-être – une alliance pétrolière (selon les mots de Naimi), directement avec la source : la Maison des Saoud.En supposant que cette entente cordiale conduira finalement à une montée du prix du pétrole, Poutine remporte une grande victoire interne contre ce qui pourrait être décrit comme une Cinquième colonne atlantiste, qui tente de ruiner la voie multipolaire que prend la Russie. En outre, géo-économiquement, il n’y a pas de mal à ce que Moscou soit maintenant capable de compter l’Arabie saoudite parmi les acheteurs importants de systèmes de défense russes avancés.
Les services de renseignement russes sont totalement conscients que la Maison des Saoud a été extrêmement déçue – et c’est un énorme euphémisme – par l’administration ne-pas-faire-de-conneries Obama, comme elle se décrit elle-même, pour de très nombreuses raisons, dont la moins importante est la possibilité concrète d’un accord sur le nucléaire entre l’Iran et les P5+1 le 30 juin prochain; ce qui pourrait se traduire, en fin de compte, par l’acceptation par Washington de briser son propre Mur de méfiance à l’égard de la République islamique, née il y a 36 ans.
Une rencontre au plus haut niveau avec la Maison des Saoud, en Russie par dessus le marché, froisse un très grand nombre de susceptibilités à Washington. Cela ne restera pas impuni – ni pour Moscou ni pour Riyad. Après tout, les vrais Maîtres de l’Univers – pas leurs crieurs de journaux dans les différents secteurs du gouvernement états-unien – ont ruminé pendant un bon moment sur la façon de laisser tomber la Maison des Saoud.
Les services de renseignement russes savent aussi qu’à Washington, la Maison des Saoud dépend des bonnes faveurs du lobby israélien – et qu’il s’agit de diaboliser l’Iran. Et maintenant, un accord avec l’Iran sur le nucléaire – qui normalisera les relations de Téhéran avec l’Occident – ne pourrait pas provoquer d’alerte rouge plus brûlante dans une Riyad déjà vulnérable.
Le message de Poutine à l’Iran est plus complexe. Moscou s’est mobilisé très activement pour que l’accord sur le nucléaire iranien soit un succès ; de manière à réfuter la théorie selon laquelle Moscou pourrait commencer à utiliser Riyad pour arracher des concessions à Téhéran.
Il n’y a pas de concessions. La Russie – et finalement l’Iran – fourniront tous deux de l’énergie sur les marchés européens. Pas tout de suite, parce que la remise à niveau de l’infrastructure iranienne nécessitera des années et des torrents d’investissements. Mais, dès l’année prochaine, un Iran libéré des sanctions pourrait être finalement admis au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
Donc l’Iran ne changera pas d’un jour à l’autre pour devenir fébrilement pro-occidental – comme certaines factions non-néocons de Wahington en rêvent. L’Iran veut affermir sa puissance régionale ; développer des relations normalisées, notamment avec les Européens; mais avant tout, accélérer son intégration eurasiatique, ce qui implique déjà des relations étroites avec la Russie et la Chine. Sans oublier qu’en Syrie, l’Iran et la Russie en sont exactement à la même page géopolitique, qui se trouve être totalement opposée à la Maison des Saoud.
Le coup de Poutine est susceptible d’isoler le Qatar – qui subventionne indirectement, mais très efficacement al-Qaïda en Syrie pour atteindre son but géo-économique suprême: un gazoduc partant de South Pars [gisement offshore de gaz naturel situé à cheval entre les eaux territoriales de l’Iran et du Qatar, NdT] à travers l’Arabie saoudite et la Jordanie pour aboutir à la côte méditerranéenne.
Le projet rival se trouve être le pipeline Iran-Irak-Syrie, aujourd’hui perpétuellement menacé puisqu’un grand Syrak est pris en étau par ISIS/ISIL/Daesh. Ici, nous voyons le faux califat soutenir les desseins géo-économiques du Qatar, et ceux, géopolitiques, de l’Arabie saoudite.
Ce qui est certain, c’est que le pèlerinage du gratin saoudien à Saint-Pétersbourg ne pourrait pas être plus opposé à Bandar Bush (tombé en disgrâce) menaçant Poutine en août 2013 de lâcher les djihadistes tchétchènes sur Sotchi si Moscou ne faisait pas marche arrière sur la Syrie.
Qui est sur le message ?
Il est tentant de regarder ce drame fabuleux en train de se dérouler comme une intrigue secondaire des BRICS – surtout la Russie et la Chine – avançant au Moyen-Orient, avec Washington dans le rôle du perdant. Cela ressemble davantage à Poutine de jouer au Monde multipolaire, et non au Monopoly, et de s’assurer que l’Empire du Chaos devra vraiment transpirer pour garder ses blocs fantoches et vassaux, comme le Conseil de coopération du Golfe, en ligne.
Il reste à voir, sur le long terme, si ce n’est pas un jeu désespéré des Saoud pour arracher des concessions à leur impérial protecteur. Mais supposant que c’est une véritable entente, Moscou conserve la capacité de faire correspondre les intérêts de l’Iran et de l’Arabie saoudite, et de veiller à ce que ce pivot vers le Moyen-Orient concerté devienne aussi spectaculaire que le pivot vers l’Asie de la Russie et la Nouvelle route de la soie de la Chine.
Il n’y a aucune preuve pour l’instant que la Maison des Saoud a définitivement vu dans quel sens souffle le vent, c’est-à-dire vers la caravane de la Route de la soie eurasiatique, quelle que soit l’illusion exceptionnaliste qui soutient le contraire.
Ils ont peur; ils sont paranoïaques; ils sont vulnérables ; et ils ont besoin de nouveaux amis. Nul mieux que Poutine – et les services de renseignement russes – pour jouer le nouveau rythme de multiples manières. On peut difficilement faire confiance à la Maison des Saoud; voyez les tout derniers télégrammes saoudiens, publiés par Wikileaks. Cela peut se révéler une aubaine géopolitique et géo-économique. Mais ce peut aussi être un cas où vous gardez vos amis proches de vous, et vos ennemis encore plus près.
Par Pepe Escobar – le 22 juin 2015 –
Source : Sputnik NewsTraduit par Diane, relu par Hervé pour le Saker Francophone
Source : Sputnik NewsTraduit par Diane, relu par Hervé pour le Saker Francophone