Voici la manière dont les choses sont censées
fonctionner sur cette planète : aux États-Unis, les structures de pouvoir
(publiques et privées) décident ce qu’elles veulent que le reste du monde
fasse. Elles communiquent leurs vœux par les canaux officiels et officieux, et
comptent sur une coopération automatique. Si la coopération n’intervient pas
immédiatement, elles appliquent des pressions politiques, économiques et
financières. Si cela ne produit toujours pas l’effet escompté, elles tentent de
changer de régime par une révolution de couleur, un coup d’état militaire ou en
organisant et finançant une insurrection conduisant à des attaques terroristes
et à la guerre civile chez la nation récalcitrante. Si cela ne fonctionne
toujours pas, ils bombardent le pays le réduisant à l’âge de pierre. C’est
ainsi que cela fonctionnait dans les années 1990 et 2000, mais dernièrement une
nouvelle dynamique a émergé.
Au début, elles se concentraient sur la Russie, mais
le phénomène s’est depuis répandu dans le monde et est même prêt à engloutir
les États-Unis eux-mêmes. Il fonctionne comme ceci : les États-Unis
décident ce qu’ils veulent que la Russie fasse et communiquent leurs souhaits
dans l’expectative d’une coopération automatique. La Russie dit
« Niet ». Les États-Unis alors entreprennent toutes les étapes
ci-dessus à l’exception de la campagne de bombardement, à cause de la puissance
de dissuasion nucléaire russe. La réponse reste « Niet ». On pourrait
peut-être imaginer qu’une personne intelligente au sein de la structure du
pouvoir étasunien dirait : « Sur la base des preuves que nous avons
devant nous, dicter nos conditions à la Russie ne fonctionne pas ; nous
allons essayer de négocier de bonne foi avec elle, comme des égaux ». Et
puis tout le monde applaudirait disant : « Oh ! C’est
génial ! Pourquoi n’y avions-nous pas pensé ? » Mais au lieu de
cela, cette personne serait le jour-même virée parce que, voyez-vous,
l’hégémonie mondiale étasunienne est non-négociable. Et donc ce qui se passe à
la place est que les étasuniens déconcertés, se regroupent et essayent de
nouveau ; ce qui donne un spectacle tout à fait amusant.
L’ensemble de l’imbroglio Snowden était
particulièrement amusant à suivre. Les États-Unis exigeaient son extradition.
Les Russes ont répondu : « Niet, notre constitution
l’interdit ». Et puis, de manière hilarante, quelques voix en Occident ont
demandé alors que la Russie change sa constitution ! La réponse, ne
nécessitant pas de traduction, était « ha-ha-ha-ha-ha ! ».
L’impasse sur la Syrie est moins drôle : les étasuniens ont exigé que la
Russie aille de pair avec leur plan pour renverser Bachar al-Assad. L’immuable
réponse russe a été : « Niet, les Syriens décideront de leurs
dirigeants, pas la Russie ni les États-Unis ». Chaque fois qu’ils
l’entendent, les étasuniens se grattent la tête et ... essayent de nouveau.
John Kerry était tout récemment à Moscou, pour engager une « session de
négociations » marathoniennes avec Poutine et Lavrov.
Ce qu’il y a de pire est que d’autres pays entrent
dans ce jeu. Les Étasuniens ont dit aux Britanniques exactement comment voter,
cependant ceux-ci ont dit « Niet » et ont voté pour le Brexit. Les
Étasuniens ont dit aux Européens d’accepter les conditions désastreuses que
voulaient imposer leurs grandes transnationales, le Partenariat pour le
commerce et l’investissement transatlantique (TTIP), et les Français ont dit
« Niet, ça ne passera pas ». Les États-Unis ont organisé un nouveau
coup d’état militaire en Turquie pour remplacer Erdoğan par quelqu’un qui ne
tentera pas d’essayer de faire le gentil avec la Russie. Les Turcs ont dit
« Niet » à cela aussi. Et maintenant, horreur des horreurs, c’est
Donald Trump qui dit « Niet » à toutes sortes de choses :
l’OTAN, la délocalisation des emplois étasuniens, l’entrée à des vagues de
migrants, la mondialisation, les armes pour les ukrainiens nazis, le
libre-échange ...
L’effet psychologiquement corrosif du
« Niet » sur la psyché hégémonique étasunienne ne peut être
sous-estimé. Si vous êtes censé penser et agir comme un hégémon, mais où seule
fonctionne la partie penser, le résultat est la dissonance cognitive. Si votre
travail est d’intimider les nations tout autour, et que les nations refusent de
l’être, alors votre travail devient une blague, et vous devenez un malade
mental. La folie qui en résulte a récemment produit un symptôme tout à fait
intéressant : quelque membres du personnel du Département d’état
étasunien, ont signé une lettre - rapidement fuitée - appelant à une campagne
de bombardement contre la Syrie pour renverser Bachar al-Assad. Voilà des
diplomates !
La diplomatie est l’art d’éviter la guerre, par la
négociation. Les diplomates qui appellent à la guerre ne sont pas tout à fait
... des diplomates. On pourrait dire que ce sont des diplomates incompétents,
mais ce ne serait pas suffisant (la plupart des diplomates compétents ont
quitté le service pendant la seconde administration Bush, beaucoup d’entre eux
à cause du dégoût d’avoir à mentir au sujet de la justification de la guerre en
Irak). La vérité est, qu’ils sont malades, des va-t-en-guerre non-diplomates
mentalement dérangés. Voilà la puissance de ce simple mot russe qui leur a fait
perdre littéralement la tête.
Mais il serait injuste de mettre en avant le
Département d’Etat. C’est l’ensemble du corps politique étasunien qui a été
infecté par un miasme putride. Il imprègne toutes les choses et rend la vie
misérable. En dépit de l’augmentation des problèmes, la plupart des autres
choses aux États-Unis sont encore un peu gérables, mais cette chose-là :
l’incapacité d’intimider l’ensemble du monde, ruine tout. C’est le milieu de
l’été, la nation est à la plage. La couverture de plage est mitée et râpée,
l’ombrelle trouée, les boissons gazeuses dans la glacière pleines de produits
chimiques nocifs et la lecture estivale ennuyeuse ... et puis il y a une
baleine morte qui se décompose à proximité, dont le nom est « Niet ».
Elle ruine tout simplement toute l’ambiance !
Les têtes bavardes des media et des politiciens de
l’ordre établi, sont à ce moment, douloureusement conscients de ce problème, et
leur réaction prévisible est de blâmer ce qu’ils perçoivent comme la source des
maux : la Russie, commodément personnifiée par Poutine. « Si
vous ne votez pas pour Clinton, vous votez pour Poutine » est une
devise puérile nouvellement inventée. Un autre est « Trump est l’agent
de Poutine ». Toute personnalité publique qui refuse de prendre une
position favorable à l’ordre établi est automatiquement étiquetée « idiot
utile de Poutine ». Prises au pied de la lettre, de telles allégations
sont absurdes. Mais il y a une explication plus profonde en ce qui les
concernent : ce qui les lie toutes ensemble est la puissance du
« Niet ». Le vote pour Sanders est un vote pour le
« Niet » : l’ordre établi du Parti démocrate a produit une
candidate et a dit aux gens de voter pour elle, et la plupart des jeunes ont
dit « Niet ». De même avec Trump : L’ordre établi du Parti
républicain a fait trotter ses sept nains et dit aux gens de voter pour l’un
d’eux, et pourtant la plupart des ouvriers blancs laissés pour compte ont dit
« Niet » et voté pour un outsider, Blanche neige.
C’est un signe d’espoir de voir que les gens à travers
le monde dominé par Washington, découvrent la puissance de « Niet ».
L’ordre établi peut encore apparaître, pimpant de l’extérieur, mais sous la
nouvelle peinture brillante, il cache une coque pourrie, qui prend eau à toutes
les jointures. Un « Niet » suffisamment retentissant sera
probablement suffisant pour le faire couler, permettant quelques changements
très nécessaires. Quand cela se produira, je vous prie de vous rappeler que
c’est grâce à la Russie ... ou, si vous insistez, Poutine.
Dmitry Orlov
Dmitry Orlov est né à Leningrad et a immigré aux
États-Unis en 1970. Il est l’auteur de Reinventing Collapse, Hold Your
Applause ! et Absolutely Positive. Il publie toutes les
semaines sur le très populaire blog www.ClubOrlov.com.