L’une des
conséquences de l’intervention de Moscou en Syrie est l’ouverture à la marine
russe d’un accès permanent à la Méditerranée.
Le désengagement
partiel de la Russie en Syrie ordonné par Vladimir Poutine va essentiellement
servir à renforcer les défenses Russes en Europe face à l’arrivée de nouvelles unités
américaines et du déploiement de nouvelles forces de l’OTAN dans les Pays
Baltes, en Ukraine et en Pologne.
Sur le plan
politique une importante décision a été prise en Allemagne où la Bundestag (le
Parlement allemand) a voté le 1-er décembre 2016 la possibilité juridique pour
l’Allemagne de mener une guerre contre un autre pays (La Loi № 80 StGB du Code
pénal interdisait à l’Allemagne de mener une guerre depuis la Seconde Guerre
Mondiale). En remerciements de sa bonne volonté, l’Allemagne a obtenu le
commandement militaire des troupes de l’OTAN dans les pays baltes avec la
possibilité d’y installer une base permanente.
La machine de
propagande occidentale jusqu’alors focalisée sur la Syrie avec les descriptions
des imaginaires « crimes de guerre » Russes et syriens, le soutien
aux « terroristes modérés » combattant le tyran Assad etc. etc.,
s’est maintenant mise en ordre de bataille contre la Russie: Après les
accusations de piratage des élections américaines, la Russie est accusée de
vouloir pirater les élections allemandes et françaises pour y installer des
« pantins » favorables à Moscou. Des instructions en Allemagne et en
France ont été données aux grands groupes médiatiques – qui ne survivent que
grâce aux subventions gouvernementales – pour lancer la charge contre la Russie
sur ce sujet électoral.
Aux États-Unis
le Parlement a annoncé clairement que les ordres de Donald Trump pourraient
être considérés comme nuls (Lire ici). Donald Trump aura-t-il la volonté et la
puissance nécessaire pour faire cesser ce mouvement allant inexorablement vers
une guerre entre la Russie et l’OTAN? Rien n’est moins certain d’autant plus
que la situation financière aux États-Unis est clairement impossible à relever
avec un déficit de près de 20.000 milliards de dollars (Lire ici). Une guerre pourrait donc être considérée comme
un excellent moyen de relancer l’économie tout en déclarant nulles les créances
détenues par les pays étrangers.
C’est dans cette
configuration que la Russie continue de renforcer ses défenses intérieures avec
par exemple l’installation dans le jour à venir de nouveaux systèmes
anti-aériens en Crimée, le déploiement de tels systèmes à Kaliningrad fin 2016,
et donc le redéploiement de ses forces de Syrie en Europe.
La Russie et la Méditerranée.
L’une des
conséquences de l’intervention de Moscou en Syrie est l’ouverture à la marine
russe d’un accès permanent à la Méditerranée. Le succès d’une telle politique dans laquelle les
Tsar et l’URSS avaient échoué, nécessite la mise à disposition de points
d’appui.
Celui de
Syrie étant sécurisé et l’Égypte se rapprochant de plus en plus de la Russie,
Vladimir Poutine regarde maintenant vers la Libye et le port en eau profonde de
Tobrouk en Cyrénaïque. D’où son soutien au général Haftar.
Mais le
président russe voit plus loin. En appuyant le Maroc dans la question du Sahara
occidental, c’est désormais l’ouverture sur l’océan atlantique qu’il
prépare. Une telle réussite laisse sans voix les « castrats » de
Bruxelles et les « beaux merles » du Quai d’Orsay. Quant à l’Algérie,
la voilà paralysée et mise hors-jeu en raison de son soutien-boulet au
Polisario.
De la Crimée
au Maroc, cette politique russe qui rebat les cartes de la géopolitique
méditerranéenne, a été menée en sept étapes et en moins de trois ans.
Étape
1 : le rattachement de la Crimée à la Russie
Au mois de
février 2014, en rendant à la Russie sa province de Crimée, Vladimir Poutine a
posé les bases de la nouvelle politique méditerranéenne russe. Désarmés par
leur inculture historique et par leurs errances idéologico-analytiques, les
Européens n’ont pas saisi la véritable portée de cet évènement. Le retour de la
Crimée à la Russie, condition de la sanctuarisation de la base navale de
Sébastopol, était en effet le préalable à toute projection en Méditerranée.
Étape
2 : sauver la Syrie
Ses arrières
en Crimée étant assurés, la Russie a engagé la phase 2 de son plan qui était la
sécurisation de ses bases de Tartous et de la région de Lattaquié, ce qui
passait par le sauvetage du régime de Damas.
Cet objectif
fut atteint dès le mois d’octobre 2015.
Étape
3 : la réalpolitique avec la Turquie
L’erreur des
pilotes turcs qui, le 27 novembre 2015, abattirent un avion russe, permit à
Vladimir Poutine d’intimider à ce point le président Erdogan, que ce dernier
comprit qu’il valait mieux s’entendre avec son puissant voisin plutôt que le
provoquer. D’autant plus que ses alliés américains de l’OTAN soutenaient les
séparatistes Kurdes et accordaient l’asile à son mortel ennemi, le chef du
mouvement Gülen.
Résultat de ce quasi retournement
d‘alliances, la nouvelle coopération d’intérêt entre Moscou et Ankara garantit
la liberté de circulation des navires russes dans les Détroits. Tout en
affaiblissant l’Otan.
Étape
4 : l’Égypte renverse ses alliances
Le
nécessaire élargissement du périmètre de sécurité russe se fit ensuite vers l’Égypte
à travers un spectaculaire rapprochement entre le général Sissi et le président
Assad, devenu effectif au mois d’octobre 2016.
Il s’agit là
d’une autre considérable réussite de la diplomatie russe et d’un bouleversement
géopolitique dont la portée n’a pas été évaluée à sa juste mesure par les
observateurs européens. L’Égypte qui dépend de l’aide économique de l’Arabie
saoudite, ennemie acharnée d’une Syrie alliée de Moscou et de Téhéran, a en
effet osé se dresser face à son donateur sur deux dossiers
essentiels :
- Alors que
les Saoud sont en guerre totale contre le président Assad, au Conseil de
sécurité de l’ONU, l’Égypte a voté avec la Russie au sujet de la Syrie,
s’attirant une l’amère remarque suivante de l’ambassadeur saoudien aux Nations
Unies : « Il est pénible que les Sénégalais et les Malaisiens aient des
positions plus proches du consensus arabe que celle du représentant arabe au
Conseil de sécurité ».
- Cette
position indépendante de l’Égypte venait après le refus du Caire d’envoyer des
troupes combattre les Houtistes pro-iraniens du Yémen aux côtés des troupes
saoudiennes.
Cette
réorientation de la diplomatie égyptienne débouchera-t-elle sur une
normalisation des relations égypto-iraniennes ? Les prochains mois nous le
diront. Quoiqu’il en soit, comme au même moment Moscou tente de rapprocher les
points de vue d’Ankara et de Téhéran, tous les équilibres régionaux pourraient
être bientôt bouleversés.
Ulcérée,
l’Arabie saoudite a répliqué en cessant de fournir à l’Égypte du pétrole sous
forme de dons ou de tarifs préférentiels et en appuyant l’Éthiopie dans son
projet de construction de barrage de la Renaissance. Or, pour l’Égypte, il
s’agit là d’une provocation car ce chantier va entraîner la baisse du niveau du
Nil. Le Caire a donc dénoncé cette décision saoudienne comme une
« démarche politique dangereuse constituant un acte d’intrigue publique
visant à nuire aux intérêts de 92 millions d’Égyptiens ».
Enfin, signe
très clair du retour de Moscou en Égypte, au mois d’octobre 2016, des
parachutistes russes ont participé à des manœuvres militaires communes avec
l’armée égyptienne dans le désert occidental séparant l’Égypte de la
Cyrénaïque. A proximité donc de la région contrôlée par le général Haftar…
Étape
5 : L’appui au général Haftar en Libye
Face au
chaos libyen, s’obstinant à nier le réel et encalminées dans le paradigme
démocratique, l’ONU et l’UE ont prétendu reconstruire la Libye autour d’un
fantomatique gouvernement d’ « union nationale » appuyé sur les
milices islamistes et salafistes de Tripolitaine.
Face à cette
politique de gribouille, la Russie a déroulé un plan réaliste appuyé sur les
véritables rapports de force militaires et tribaux.
Sa
conclusion fut le voyage que le général Haftar effectua à Moscou les 27 et 28
novembre 2016 à l’occasion duquel le président Poutine accorda officiellement
l’appui de la Russie à l’homme avec lequel, niant le réel avec une rare
obstination idéologique, la diplomatie de l’UE refuse de parler directement…
Or, le
général Haftar est le maître de la Cyrénaïque et de Tobrouk, seul port en eau
profonde entre Alexandrie et Mers-el-Kebir. Il dispose de la seule force
militaire du pays. Il contrôle 85% des réserves de pétrole de Libye, 70% de
celles de gaz, 5 de ses 6 terminaux pétroliers et 4 de ses 5 raffineries. Tout
le croissant pétrolier par lequel est exporté 60% du pétrole libyen est en son
pouvoir.
De plus, il a l’appui de la
confédération tribale de Cyrénaïque et des tribus kadhafistes de Tripolitaine [1].
Fort de
l’appui russe, trois possibilités s’offrent désormais à lui :
1)
La tentative de conquête de toute la Libye et l’élimination des multiples
milices gangstéro-islamistes qui gangrènent le pays. Une telle politique ne
pourra être tentée que si Misrata décidait de demeurer neutre. Cette cité-État
étant alignée sur la Turquie, nous verrons si les accords de réalpolitique
passés entre Moscou et Ankara s’étendent à la Libye.
2)
Une sanctuarisation de la seule Cyrénaïque, prélude à une partition de fait
entre Tripolitaine et Cyrénaïque. Une telle option laisserait les islamistes
maîtres de la Tripolitaine avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer.
3)
La constitution d’un gouvernement national dans lequel le général
Haftar serait l’homme fort. Une telle option ne serait viable que si le général
éliminait les milices, ce qui nous ramène à l’option n°1.
Étape
6 : L’Algérie ou le Maroc ?
Toute
politique maritime nécessitant des points d’appui [2], les stratèges russes ont
réfléchi à l’hypothèse algérienne avec la base de Mers-el-Kébir. D’autant plus
que les relations militaires entre Moscou et Alger sont anciennes et que
l’armée algérienne est largement équipée en matériel russe.
Cette option
fut cependant écartée pour deux raisons :
1)
La première est qu’en 2013, l’Algérie avait catégoriquement refusé d’accorder
des facilités logistiques et opérationnelles à la flotte russe.
2)
La seconde procédait d’une analyse géostratégique. La Méditerranée est en effet
une mer fermée, comme l’est la mer Noire. Pour aller de cette dernière à la
Méditerranée, les détroits turcs constituent un passage obligé. De même, sortir
de la Méditerranée afin de déboucher sur l’océan atlantique, ou y entrer,
implique que le couloir maritime situé entre Gibraltar et le cap Spartel soit
libre.
Le Maroc est donc le partenaire idéal car il contrôle
la rive sud du détroit de Gibraltar. De plus, avec le Sahara occidental, il
possède une immense façade atlantique s’étendant depuis Tanger, au nord,
jusqu’à la frontière de Mauritanie, au sud.
Étape
7 : le soutien au Maroc
Pour le
Maroc, la question du Sahara occidental n’est pas négociable. Or, le mardi 15
mars 2016, à l’issue du voyage officiel que le roi Mohamed VI effectua en
Russie, le Kremlin affirma « (…) prendre dûment compte de la position du
Maroc dans la question du Sahara occidental ».
Par cette
déclaration, la Russie qui tirait ainsi un trait sur plus d’un demi-siècle
d’étroites relations avec l’Algérie, parrain du Polisario, mouvement
indépendantiste saharaoui. Elle prenait également le contre-pied de M. Ban
Ki-Moon, secrétaire-général de l’ONU, qui avait aventureusement qualifié d’«
occupation » la présence marocaine dans ses provinces sahariennes.
Cette
déclaration russe qui renforce considérablement la position de Rabat, tout en
affaiblissant d’autant celle du Polisario et de l’Algérie, prépare l’ouverture
de « facilités » marocaines aux navires russes…