Wall Street et Washington ne trouvent pas ça drôle du
tout, mais ils n’ont pas les moyens de l’empêcher
Le système
monétaire international de Bretton Woods de 1944 tel qu’il s’est développé
jusqu’à ce jour est devenu, pour être honnête, le plus grand obstacle à la
paix et à la prospérité mondiales.
Maintenant,
la Chine, de plus en plus soutenue par la Russie – les deux grandes nations
eurasiennes – prend des mesures décisives pour créer une alternative vraiment
viable à la tyrannie du dollar américain sur le commerce et les finances
mondiales.
Peu avant la
fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement des États-Unis, conseillé
par les principales banques internationales de Wall Street, a rédigé ce que
beaucoup considèrent, à tort, comme une nouvelle norme d’étalon-or. En vérité, il s’agissait d’une
norme dollar, dans laquelle toutes les autres monnaies membres des pays du
Fonds monétaire international fixaient la valeur de leur monnaie par rapport au
dollar. À son tour, le dollar américain a été fixé face à l’or à la
valeur de 1/35e d’once d’or. À l’époque, Washington et Wall
Street pouvaient imposer un tel système car la Réserve fédérale détenait environ 75% de l’or
monétaire mondial en raison de la guerre et des développements qui s’en
sont suivis. Bretton Woods a établi le dollar comme monnaie de réserve du
commerce mondial détenue par les banques centrales.
L’agonie
d’un standard dollar défectueux
À la fin des
années 1960, avec l’augmentation des déficits du budget fédéral des États-Unis
en raison des coûts de la guerre du Vietnam et d’autres dépenses stupides,
la norme du dollar a commencé à montrer ses profonds défauts structurels. Une
Europe occidentale et un Japon rétablis n’ont plus eu besoin des
milliards de dollars américains pour financer leur reconstruction. L’Allemagne
et le Japon sont devenus des économies d’exportation de classe mondiale avec
une efficacité supérieure à l’industrie américaine du fait de
l’obsolescence croissante de l’outil de production basique américain,
allant de l’acier aux automobiles et aux infrastructures de base.
Washington aurait alors dû dévaluer considérablement le dollar vis à vis de
l’or afin de corriger le déséquilibre croissant du commerce mondial. Une telle
dévaluation du dollar aurait stimulé les revenus d’exportation manufacturiers
des États-Unis et réduit les déséquilibres commerciaux. Cela aurait été un
énorme plus pour l’économie américaine réelle. Cependant, pour les banques de
Wall Street, cela signifiait des pertes énormes. Donc, à la place, les administrations Johnson et
Nixon ont imprimé plus de dollars et ont effectivement exporté l’inflation dans
le monde.
Les banques
centrales, en particulier la France et l’Allemagne, ont réagi à la surdité
de Washington en exigeant de l’or de la Réserve fédérale américaine en
échange de leurs réserves en dollars américains à 35 dollars par billet selon
l’accord de Bretton Woods de 1944. En août 1971, le rachat de l’or avec
des dollars américains gonflés avait atteint un point de crise tel
qu’un ancien responsable du Trésor, Paul Volcker, conseilla à Nixon de déchirer les accords de
Bretton Woods.
En 1973,
Washington autorisa la libre fluctuation de l’or sans le soutien d’un dollar
américain sain. À la place, un choc du prix du pétrole, orchestré en
octobre 1973, a vu le prix en dollars du pétrole s’envoler de plus de 400%
en quelques mois, créant ce que Henry Kissinger appela alors le
pétrodollar.
Le monde
avait besoin de pétrole pour son économie. Washington, dans un accord de 1975 avec la monarchie saoudienne, s’assurait que
l’OPEP arabe refuserait de vendre une goutte de son pétrole au monde pour une
monnaie autre que le dollar américain. La valeur du dollar a grimpé
contre d’autres devises telles que le mark allemand ou le yen japonais. Les
banques de Wall Street étaient inondées de dépôts en pétrodollars.
Le casino du dollar était ouvert et fonctionnait, et le reste du monde
était rançonné.
Dans mon
livre, « Gods of Money : Wall Street and the Death of the
American Century », je détaillais comment les principales
banques internationales de New York telles que Chase, Citibank et Bank of
America ont utilisé les pétrodollars pour recycler les bénéfices pétroliers
arabes vers les pays importateurs de pétrole en voie de développement au
cours des années 1970, semant les graines de la crise de la dette du Tiers
Monde. Curieusement, c’est le même Paul Volcker − un protégé de
David Rockefeller et de la Chase Manhattan Bank, propriété de ce dernier −
qui, cette fois-ci, en octobre 1979, en tant que président de la Fed, a
déclenché la crise de la dette des années 1980 en poussant les taux d’intérêt
de la Fed jusqu’au ciel. Il a menti en affirmant qu’il s’agissait de
réduire l’inflation. C’était pour sauver le dollar et les banques de Wall
Street.
Aujourd’hui, le dollar est un phénomène étrange, pour le dire gentiment.
Les États-Unis depuis 1971 sont passés du rôle de nation industrielle de
premier plan à un casino de spéculation gigantesque gonflé par la dette.
Avec les
taux d’intérêt des Fed Funds entre zéro et un pour cent au cours
des neuf dernières années – fait sans précédent dans l’histoire moderne – les
principales banques de Wall Street, celles dont les malversations financières et la
cupidité criminelle ont créé la crise des subprimes de 2007 et son
tsunami financier mondial de 2008, mis sur pied pour construire une nouvelle
bulle spéculative. Plutôt que de prêter à des villes rongées par des dettes
pour qu’elles réalisent des infrastructures d’urgence ou d’autres voies
productives de l’économie réelle, elles ont créé une autre bulle colossale sur le marché boursier.
Les grandes entreprises ont utilisé des crédits à bon marché pour racheter
leurs propres actions, stimulant ainsi leurs cours dans les échanges de
Wall Street, une hausse alimentée par le battage médiatique et le mythe de la « reprise
économique ». L’indice boursier S & P-500 a augmenté de 320% depuis la
fin de 2008. Je peux vous assurer que l’accroissement de valeur de ces actions
de papier ne signifie pas que l’économie américaine réelle a augmenté de 320%.
Les ménages
américains gagnent moins, en termes réels chaque année, depuis des
décennies. Depuis 1988, le revenu médian des ménages a stagné alors que
l’inflation augmentait, provoquant une baisse du revenu réel. Ils doivent
emprunter plus que jamais dans toute leur histoire. La dette du gouvernement fédéral
est d’un montant de 20 mille milliards de dollars sans contrôle et sans fin
prévisible. L’industrie américaine a mis la clé sous la porte et la
production a été expédiée à l’étranger, la « sous-traitance » est un
euphémisme. La débâcle a laissé derrière elle une immense dette, une « économie
de service » pourrie, où des millions de personnes ont deux emplois à
temps partiel, et même trois, pour rester à flot.
L’armée
américaine et le déploiement d’ONG américaines trompeuses sur toute la
planète, pour faciliter le pillage de l’économie mondiale, sont les
seuls facteurs qui empêchent le dollar de s’effondrer totalement.
Tant que les
sales combines de Washington et les machinations de Wall Street
pouvaient créer des crises comme dans la zone euro en 2010 avec la Grèce, les pays excédentaires du commerce
mondial comme la Chine, le Japon et la Russie n’avaient pas d’autre
alternative pratique que d’acheter plus de dettes du gouvernement des
États-Unis – des titres du Trésor – avec la majeure partie de leurs
excédents de dollars commerciaux. Washington et Wall Street avaient le sourire.
Ils pouvaient imprimer des
quantités illimitées de dollars soutenus par rien de plus précieux que les
F-16 et les chars Abrams. La Chine, la Russie et
d’autres détenteurs d’obligations en dollars ont financé les guerres qui leur
étaient destinées, en achetant des dettes américaines. Ils n’avaient
alors que peu d’options alternatives viables.
Les
alternatives viables émergent
Maintenant,
ironiquement, deux des économies étrangères qui ont permis au dollar une
prolongation de vie artificielle au-delà de 1989 – la Russie et la Chine –
dévoilent prudemment l’alternative la plus redoutée, une monnaie
internationale viable et basée sur l’or et, peut-être, plusieurs monnaies
similaires qui peuvent remettre en cause le rôle hégémonique injustifié du
dollar aujourd’hui.
Depuis plusieurs années, la Fédération de Russie et la
République populaire de Chine ont acheté d’énormes volumes d’or, en grande partie pour ajouter
aux réserves monétaires de leurs banques centrales qui sinon sont
généralement composées de dollars ou d’euros. Jusqu’à récemment, la raison n’en
était pas claire du tout.
Depuis plusieurs
années, on savait sur les marchés de l’or que les plus grands acheteurs d’or
physique étaient les banques centrales de la Chine et de la Russie. Ce qui
n’était pas si clair, c’est la profondeur de leur stratégie, au-delà de la
simple création de confiance dans leurs monnaies dans le contexte des
sanctions économiques croissantes et des menaces belliqueuses de guerre
commerciale venant de Washington.
Maintenant,
la raison est claire.
La Chine et
la Russie, très probablement associées avec leurs principaux partenaires
commerciaux, les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du
Sud), ainsi que les pays partenaires eurasiens de l’Organisation de coopération
de Shanghai (SCO) sont sur le point de compléter l’architecture de travail d’une
nouvelle alternative monétaire à un monde dollar.
Actuellement,
en plus des membres fondateurs, la Chine et la Russie, les membres à part
entière de l’OCS sont le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan,
l’Ouzbékistan et, plus récemment, l’Inde et le Pakistan. Il s’agit d’une population de
plus de 3 milliards de personnes, soit environ 42% de la population mondiale,
se réunissant dans une coopération économique et politique cohérente,
planifiée, et pacifique.
Si nous
ajoutons aux pays membres de l’OCS les États observateurs officiels –
Afghanistan, Biélorussie, Iran et Mongolie – qui ont exprimé le souhait de se
joindre officiellement en tant que membres à part entière, un coup d’œil sur la
carte du monde montrera le potentiel impressionnant de l’OCS émergente. La
Turquie est un partenaire officiel du Dialogue qui explore une possible
demande d’adhésion à l’OCS, tout comme le Sri Lanka, l’Arménie,
l’Azerbaïdjan, le Cambodge et le Népal. Ceci, tout simplement dit, est énorme.
Les
Routes de la soie soutenues par l’or.
Jusqu’à
récemment, les groupes de réflexion de Washington et le gouvernement se sont
moqués des nouvelles institutions eurasiennes comme l’OCS. Contrairement aux
BRICS qui ne sont pas constitués de pays contigus sur un vaste territoire
terrestre, le groupe de
l’OCS forme une entité géographique appelée Eurasie. Lorsque le
président chinois Xi Jinping a proposé la création de ce que l’on appelait la
Nouvelle Route de la soie économique, lors d’une réunion au Kazakhstan en 2013,
peu d’Occidentaux l’ont pris au sérieux. Le nom officiel aujourd’hui est la Belt, Road Initiative (BRI). Aujourd’hui, le monde
commence à prendre au sérieux l’envergure de BRI.
Il est clair
que la diplomatie économique de la Chine, de la Russie et de son groupe de pays
de l’Union économique eurasienne, concerne en grande partie la réalisation de
trains à grande vitesse modernes, de ports, d’infrastructures énergétiques
tissant ensemble un vaste marché nouveau qui, en moins d’une décennie au rythme
actuel, éclipsera tout potentiel économique dans les pays de l’OCDE et de
l’Amérique du Nord en stagnation économique et submergés par la dette.
Ce qui
jusqu’à présent était d’une nécessité vitale, mais pas claire, est une
stratégie visant à libérer
les nations d’Eurasie du dollar et de leur vulnérabilité à d’autres sanctions
et guerres financières venant du Trésor américain, suite à leur
dépendance au dollar. Cela est maintenant sur le point de se produire.
Au sommet
annuel du BRICS, le 5 septembre à Xiamen, le président russe Vladimir Poutine a
fait une déclaration simple et très claire au sujet de la vision russe du monde
économique actuel. Il a déclaré : « La Russie partage les
préoccupations des pays des BRICS concernant l’iniquité de l’architecture financière
et économique mondiale, qui ne tient pas compte du poids croissant des
économies émergentes. Nous sommes prêts à collaborer avec nos partenaires pour
promouvoir les réformes de la réglementation financière internationale et pour
surmonter la domination excessive du nombre limité de monnaies de réserve. »
À ma
connaissance, il n’a jamais été aussi explicite sur les devises. Mettez cela
dans le contexte de la dernière architecture financière dévoilée par Pékin, et
il devient clair que le monde est sur le point de profiter de nouveaux degrés
de liberté économique.
Le
marché à terme chinois des options sur le pétrole brut libellées en yuan
Selon un
rapport publié par la Revue asiatique du Japan Nikkei, la Chine est sur le point de lancer un contrat à terme sur
le pétrole brut libellé en yuan chinois qui sera convertible en or.
Ceci, en liaison avec d’autres actions de la Chine au cours des deux
dernières années afin de créer, à Shanghai, une alternative viable à Londres et
à New York, devient vraiment intéressant.
La Chine est
le plus grand importateur de pétrole au monde, lequel est encore pour
l’essentiel payé en dollars américains. Si le nouveau contrat à terme sur le
pétrole libellé en yuan obtient un large succès, il pourrait devenir l’indice
de référence du pétrole brut le plus important en Asie, étant donné que la
Chine est le plus grand importateur de pétrole au monde. Cela mettrait en
cause les deux contrats de référence pétroliers, dominés par Wall Street, dans
les échanges à terme sur le pétrole, North Sea Brent et West
Texas Intermediate qui jusqu’à maintenant ont donné à Wall Street d’énormes
avantages cachés.
Ce serait un
autre levier de manipulation énorme éliminé par la Chine et ses partenaires
pétroliers, y compris tout particulièrement la Russie. Suite à
l’introduction d’un contrat à terme sur le pétrole à Shanghai, en yuan –
monnaie qui a récemment adhéré au groupe très sélect du panier de devises des
DTS du FMI – les contrats à terme sur le pétrole, en particulier lorsqu’ils
sont convertibles en or, pourraient changer l’équilibre géopolitique des
pouvoirs en faveur de l’Eurasie, extrêmement loin du monde atlantique.
En avril 2016, la Chine a fait un pas important en devenant
le nouveau centre d’échange d’or et le centre mondial du commerce de l’or, l’or
physique. La Chine
est aujourd’hui le plus grand producteur d’or du monde, bien avant un
autre membre du BRICS, l’Afrique du Sud, avec la Russie en numéro deux.
La Chine a
maintenant établi un vaste centre de stockage dans la zone de libre échange
chinoise Qianhai à côté de Shenzhen, la ville d’environ 18 millions d’habitants
immédiatement au nord de Hong Kong sur le delta de la rivière des Perles.
Maintenant, la Chine achève la construction d’une installation permanente de
bunkers pour stocker l’or, y compris un entrepôt douanier, un centre commercial
et des bureaux connexes. La société chinoise d’échange d’or et d’argent basée à
Hong Kong, vieille de 105 ans, s’est associée avec l’ICBC, la plus grande
banque d’État chinoise et sa plus grande banque d’importation d’or, pour créer
le Qianhai Storage Center. On commence à comprendre maintenant pourquoi
les ONG trompeuses de Washington, telles que la National Endowment for
Democracy, ont tenté, sans succès, de créer une révolution de couleur
anti-Pékin, la révolution Umbrella, à Hong Kong à la fin de 2014.
Maintenant,
ajouter le nouveau contrat à terme de pétrole, négocié en Chine en yuan, avec
le soutien de l’or conduira à un changement spectaculaire chez les principaux
membres de l’OPEP, même au Moyen-Orient, qui préféreront le yuan, indexé à l’or, pour
vendre leur pétrole, plutôt que des dollars américains surévalués portant un
risque géopolitique comme celui que le Qatar a connu suite à la visite de Trump
à Riyad il y a quelques mois. Notamment, le géant pétrolier russe Rosneft vient
d’annoncer que la société pétrolière chinoise CEFC China Energy Company Ltd.
vient d’acheter les 14% de part de Rosneft au Qatar. Tout commence à s’emboîter dans une
stratégie très cohérente.
L’imperium
du dollar touche à sa fin et ses patriarches se cachent en réalité
derrière un déni, par ailleurs connu sous le nom de présidence Trump. Pendant
ce temps, les éléments les plus sains de ce monde visent à construire des
alternatives constructives et pacifiques. Ils sont même ouverts à l’idée
d’admettre Washington dans le jeu, selon des règles honnêtes.
C’est
remarquablement généreux, non ?
Par F. William Engdahl – Le 13 septembre 2017
Source : New Eastern Outlook
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
F. William
Engdahl est
consultant en matière de risques stratégiques et professeur, il est titulaire
d’un diplôme en politique de l’Université de Princeton et auteur de
best-sellers sur le pétrole et la géopolitique
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De fait, le mariage aurifère est déjà
assez poussé. La Chine paye en yuans le pétrole russe qu'elle importe.
Avec ces yuans, Moscou se précipite... à Shanghai pour acheter de l'or !
Circuit autarcique dont le dollar est totalement absent.
Assistera-t-on
bientôt à un échange direct pétrole contre or ? Pas impossible vu ce
que nous évoquions précédemment. Mais alors pourquoi Pékin continue de
pousser à l'acceptation de contrats à terme sur le pétrole en yuans dans
l'optique de rendre la monnaie chinoise indispensable sur le marché de
l'or noir - ce que d'aucuns nomment le pétroyuan ? Peut-être bien pour embarquer les Saoudiens dans l'aventure.