«À mesure que la liberté politique et
économique diminue, la liberté sexuelle tend à augmenter pour compenser. Et le
dictateur – à moins qu’il n’ait besoin de chair à canon et de familles pour
coloniser des territoires vides ou conquis – fera de son mieux pour
encourager cette liberté.» – Aldous Huxley, Brave New World
Le pouvoir corrompt.
Quiconque croit différemment n’y a
pas porté attention.
Politique, religion, sports,
gouvernement, divertissement, entreprises, forces armées : peu importe
l’arène dont vous parlez, ils sont tous criblés de comportements minables,
sordides, décadents, lugubres, dépravés, immoraux et corrompus, en quelque
sorte un laissez-passer gratuit quand il implique l’élite riche et puissante en
Amérique.
À l’ère de la politique partisane et
d’une population profondément polarisée, la corruption – en particulier quand
elle implique la débauche sexuelle, la dépravation et les comportements
prédateurs – est devenue le grand égalisateur.
Prenez Jeffrey Epstein, le
milliardaire des hedge funds, pédophile, reconnu coupable et qui a été
récemment arrêté
sous des accusations d’agression sexuelle, de viol et de traite de dizaines de
jeunes filles à des fins sexuelles.
On pense qu’Epstein a exploité son
réseau de trafic sexuel personnel non seulement pour son propre plaisir mais
également pour
le plaisir de ses amis et collègues de travail. Selon le Washington Post,
«plusieurs des jeunes femmes […] disent qu’elles ont été offertes aux riches
et célèbres partenaires sexuels lors des soirées d’Epstein». À diverses
reprises, Epstein a emmené ses amis dans son avion privé, surnommé
le « Lolita Express. »
Cela fait partie des bas-fonds
minables de l’Amérique.
Comme je l’ai expliqué dans
l’article de fond que j’ai écrit cette
année, le trafic sexuel
impliquant des enfants – l’achat et la vente de femmes, de jeunes
filles et de garçons pour le sexe, certains dès l’âge de neuf ans – est devenu une activité rentable
en Amérique. C’est le secteur du crime
organisé qui connaît la plus forte croissance et le deuxième produit le
plus lucratif, échangé illégalement, après la drogue et les armes à feu.
Les adultes achètent
des enfants pour des relations sexuelles au moins 2,5 millions de fois par
an aux États-Unis.
Il n’y a pas que les jeunes filles
qui sont vulnérables à ces prédateurs.
Selon un rapport
d’enquête de 2016, «les garçons représentent
environ 36% des enfants capturés dans l’industrie du sexe aux États-Unis
(environ 60% sont des femmes et moins de 5% sont des hommes et des femmes
transgenres)».
Qui achète un enfant pour le
sexe ?
Des hommes, par ailleurs
ordinaires, de tous les horizons. « Ce pourrait être votre
collègue, votre médecin, votre pasteur ou votre épouse », écrit
le journaliste Tim Swarens, qui a passé plus d’un an à enquêter sur le commerce
du sexe en Amérique.
Des hommes ordinaires,
oui.
Mais il y a aussi les hommes extraordinaires, tels que Jeffrey Epstein, qui
appartiennent à un segment
puissant, riche et élitiste de la société qui fonctionne selon ses propres
règles ou, plus précisément, qui est plutôt autorisé à contourner des règles
qui, enfreintes par le reste d’entre nous, sont gravement sanctionnées.
Ces hommes échappent à toute responsabilité en tirant
parti d’un système de justice pénale qui se plie aux volontés des puissants, des
riches et de l’élite.
Il y a plus de dix ans, quand
Epstein a été accusé d’avoir violé et agressé des jeunes filles, il avait
obtenu un accord de plaidoyer secret avec le procureur US, Alexander
Acosta, actuel secrétaire au travail du président Trump, qui lui a permis
de se soustraire à des incriminations fédérales et de recevoir l’équivalent
d’une tape sur les doigts : autorisé à «travailler» à la maison six
jours par semaine avant de retourner en prison pour dormir. Cet accord de
plaidoyer secret a depuis été jugé illégal par un juge fédéral.
Pourtant, voici le problème : Epstein n’a
pas agi seul.
Je parle non seulement des complices
d’Epstein, qui ont recruté
et formé les jeunes filles qu’il est accusé d’avoir violées et agressées, dont
beaucoup sont sans abri ou vulnérables, mais aussi de son cercle d’amis
et de collègues influents, dont Bill Clinton et
Donald Trump. Clinton
et Trump, deux coureurs de jupons réputés, également
accusés d’irrégularités sexuelles par un nombre important de femmes, ont été
des passagers
du Lolita Express.
Comme le souligne Associated
Press, « L’arrestation
du milliardaire financier pour des accusations de traite sexuelle d’enfants
soulève des questions sur le degré de connaissance, par ses collaborateurs
puissants, des interactions du gestionnaire de hedge funds avec des filles
mineures, et sur le point de savoir s’ils ont fermé les yeux sur des conduites
potentiellement illégales. »
En fait, une récente décision de la
Cour d’appel du deuxième circuit autorisant la diffusion d’un document de 2.000
pages lié à l’affaire Epstein évoque
des allégations d’abus sexuel impliquant « de nombreux politiciens américains éminents, de
puissants dirigeants d’entreprise, des présidents étrangers, Premier ministre
et autres dirigeants mondiaux. »
Ce n’est pas un incident
mineur impliquant des acteurs mineurs.
C’est le cœur des
ténèbres.
Esclaves Sexuels. Trafic
sexuel. Sociétés secrètes. Puissantes élites. Corruption gouvernementale.
Dissimulation judiciaire.
Encore une fois, la réalité dépasse
la fiction.
Il y a vingt ans, Eyes Wide
Shut, le dernier
film de Stanley Kubrick [1],
offrait aux spectateurs un aperçu sordide d’une société secrète du sexe qui
répondait aux pires exigences de ses membres fortunés en s’attaquant à des
jeunes femmes vulnérables. Ce n’est pas si différent du monde
réel, où des hommes puissants, en toute impunité, se livrent à leurs
pulsions de base.
Kubrick a laissé entendre que ces
sociétés secrètes s’épanouissent,
car nous nous contentons de naviguer dans la vie les yeux fermés, dans le déni
des réalités affreuses et évidentes qui règnent parmi nous.
Ce faisant, nous devenons complices
de comportements abusifs autour de nous.
C’est ainsi que la corruption de
l’élite au pouvoir s’étend.
Pour chaque Epstein qui est
finalement appelé à rendre
compte de ses exploits sexuels illégaux après des années de protection
de la part des élites au pouvoir, il y en a des centaines –
peut-être des milliers – dans les labyrinthes du pouvoir et de la
richesse, dont les prédations contre les plus vulnérables d’entre nous continuent
sans relâche.
Bien que les crimes
allégués d’Epstein soient suffisamment odieux en eux-mêmes, ils font partie
d’un récit plus vaste expliquant comment une culture du droit devient
une fosse d’aisance et un terrain fertile pour les despotes et les prédateurs.
Vous souvenez-vous de «Madame
DC» chargée d’exploiter une entreprise de sexe par commande
téléphonique ? Parmi ses clients figuraient des milliers de
fonctionnaires, de lobbyistes et d’employés du Pentagone [2], du FBI et de l’IRS, ainsi que des avocats
notables , dont aucun n’a jamais été exposé ni tenu pour responsable.
Le pouvoir corrompt.
Pire, comme l’a conclu l’historien
du 19ème siècle, Lord Acton : « Le pouvoir absolu corrompt absolument. »
Peu importe que vous parliez d’un
politicien, d’un nabab du divertissement, d’un PDG
d’entreprise ou d’un agent de police : donnez à une personne – ou à une
bureaucratie gouvernementale – un pouvoir excessif et laissez-la croire
qu’elle est intouchable et ne sera pas tenue responsable de ses actes, et
ces pouvoirs finiront par faire l’objet d’abus.
Nous voyons cette dynamique se jouer
tous les jours dans des communautés à travers l’Amérique.
Un flic tire sur un citoyen non armé
sans raison crédible et s’en sort. Un président utilise des décrets pour
contourner la Constitution et s’en sort. Un organisme gouvernemental surveille
les communications de ses citoyens et s’en sort. Un nabab du divertissement
harcèle sexuellement les actrices en herbe et s’en tire à bon compte. L’armée
américaine bombarde un hôpital civil et s’en va, c’est tout.
L’abus de pouvoir, l’hypocrisie
nourrie par les ambitions, et le mépris délibéré des actes
répréhensibles, rendant ces abus possibles, fonctionnent de la même
manière, qu’il s’agisse de crimes sexuels, de corruption du gouvernement ou de
l’état de droit.
C’est la même vieille
histoire : l’homme atteint le pouvoir, l’homme abuse horriblement du
pouvoir, l’homme intimide et menace de représailles, ou pire, quiconque le
défie, et l’homme s’en tire à cause d’une culture de la conformité dans
laquelle personne ne parle parce qu’ils ne veut pas perdre son travail,
son argent ou sa place parmi l’élite.
Nous ne devons pas nous inquiéter
uniquement des prédateurs sexuels.
Pour chaque Jeffrey Epstein –
ou Bill Clinton ou Harvey Weinstein ou Roger Ailes ou Bill
Cosby ou Donald Trump – qui est finalement interpellé pour
son comportement sexuel, il y a des centaines – des milliers – d’autres dans
l’État policier américain qui s’en tirent après un meurtre – dans de nombreux
cas, littéralement – simplement parce qu’ils le peuvent.
Le policier qui tire en premier sur
le citoyen non armé, et pose des questions ensuite, risque de prendre un
congé payé ou de travailler pour un autre service de police, mais ce n’est
qu’une tape sur les doigts. Les fusillades et les raids de l’équipe SWAT ainsi
que le recours excessif à la force se poursuivront, car les syndicats de
policiers, les politiciens et les tribunaux ne feront rien pour l’arrêter.
Les faucons de guerre qui réalisent
des profits en menant des guerres sans fin à l’étranger, en tuant des civils
innocents dans des hôpitaux et des écoles, ou chez eux, et en transformant la
patrie américaine en champ de bataille continueront à le faire, car ni le
président ni les politiciens n’oseront défier le complexe.
La National Security Agency,
chargée de la surveillance sans mandat des réseaux Internet et téléphoniques
américains, continuera de le faire, car le gouvernement ne veut renoncer à
aucun de ses pouvoirs mal acquis et à son contrôle total sur la population.
À moins que quelque chose ne change
dans la façon dont nous traitons ces abus de pouvoir flagrants, les prédateurs
de l’État policier continueront de causer des ravages sur nos libertés, nos
communautés et nos vies.
Les policiers continueront à tirer
et à tuer des citoyens non armés. Les agents du gouvernement, y compris la
police locale, continueront à s’habiller et à se comporter en soldats sur un champ
de bataille. Les agences gouvernementales obèses continueront à tromper les
contribuables tout en érodant nos libertés. Les techniciens du gouvernement
continueront à espionner nos courriels et nos appels téléphoniques. Les
sous-traitants gouvernementaux continueront de tuer tous leurs ennemis en
menant des guerres sans fin à l’étranger.
Les hommes puissants – et les
femmes – continueront à abuser des pouvoirs de leur charge en considérant
ceux qui les entourent comme des citoyens basiques et de seconde classe
indignes de considération, et ne respecteront pas les droits légaux et les
protections qui devraient être accordés à tous les américains.
Comme le remarque Dacher
Keltner, professeur de psychologie à l’Université de Californie, Berkeley,
dans la Harvard Business Review :
"Bien que les gens acquièrent généralement le pouvoir
par le biais de traits et d’actions favorisant les intérêts des autres, tels
que l’empathie, la collaboration, la franchise, l’équité et le partage ;
quand ils commencent à se sentir puissants ou à jouir d'une position
privilégiée, ces qualités commencent à s'estomper. Les puissants sont plus
susceptibles que les autres de se livrer à un comportement grossier, égoïste et
contraire à l'éthique."
Après avoir mené une série
d’expériences sur le phénomène de corruption du pouvoir, Keltner conclut :
"C’est juste par l’attribution aléatoire du pouvoir et
de toutes sortes de méfaits qui en résultent, que les gens vont devenir
impulsifs. Ils mangent plus de ressources que leur juste part. Ils prennent
plus d'argent. Les gens deviennent plus immoraux. Ils pensent qu'un
comportement contraire à l'éthique est acceptable s'ils s'y engagent. Les gens
sont plus susceptibles de stéréotyper. Ils sont plus susceptibles d’arrêter de
s’occuper des autres avec soin."
Le pouvoir corrompt.
Et le pouvoir absolu corrompt
absolument.
Cependant, il faut une culture du
droit et une nation de citoyens dociles, volontairement ignorants et divisés
sur le plan politique pour fonder la tyrannie.
Comme l’ont découvert les chercheurs
Joris Lammers et Adam Galinsky, les dirigeants ont non seulement
tendance à abuser de ce pouvoir, mais ils se sentent également autorisés à en abuser :
"Les personnes avec un
pouvoir qu'elles considèrent comme justifié enfreignent les règles non
seulement parce qu'elles peuvent s'en sortir, mais aussi parce qu’elles se
sentent intuitivement avoir le droit de faire ce qu’elles veulent."
Comme je le souligne dans mon livre intitulé
Battlefield America : La guerre contre le peuple américain, les
Américains ont trop longtemps toléré une oligarchie dans laquelle un groupe
puissant d’électeurs riches tirait
les ficelles. Ils ont rendu hommage au patriotisme tout en permettant au
complexe militaro-industriel de propager mort et destruction à l’étranger.
Et ils ont fermé les yeux sur toutes sortes d’actes répréhensibles quand
c’était politiquement opportun.
Nous devons rétablir l’état de droit
pour tous, sans exception.
Voici ce que la primauté du droit
signifie en un mot : cela signifie que tout le monde est traité de la même
façon par la loi, chacun est tenu de la même manière de respecter la loi, et
personne ne reçoit un laissez-passer gratuit basé sur sa politique, ses
relations, sa richesse, son statut ou tout autre argument brillant utilisé
pour conférer un traitement spécial à l’élite.
Cette culture de la conformité doit
cesser.
L’autonomisation des petits tyrans
et des dieux politiques doit prendre fin.
L’état de déni doit cesser.
Ne permettons pas à ce scandale
sexuel d’Epstein de devenir une nouvelle étape du cycle de la presse, qui
disparaît trop tôt, vite oublié lorsqu’un autre titre aguichant prend sa place.
Le trafic sexuel, comme beaucoup de maux parmi nous, est une maladie
culturelle enracinée dans le cœur ténébreux de l’état policier américain. Cela dénote une corruption de
grande envergure qui s’étend des plus hautes sphères du pouvoir aux recoins les
plus cachés et qui repose sur notre silence et notre complicité en fermant les
yeux sur les actes répréhensibles.
Si nous voulons mettre fin à ces
torts, nous devons garder les yeux grands ouverts.
Par John W. Whitehead −
Le 9 juillet 2019 − Source Rutherford Institute
Le 9 juillet 2019 − Source Rutherford Institute
Traduit par jj, relu par San pour le Saker
Francophone
Pour la France, compte tenu de la résidence française d'Epstein, nous sommes en droit de nous poser la question par rapport à certaines personnalités "influentes"telles que par exemple J. Attali, BHL et son épouse, J.Lang, l'actuel président et son épouse, une grande partie du gouvernement, les présidents précédents et leurs gouvernements respectifs...quant à leur possible "amitié" avec ce personnage.
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