Pendant
la
conversation, le général Bonaparte dit aux cheikhs que les Arabes
avaient cultivé les arts et les sciences du temps des califes, mais
qu'ils étaient aujourd'hui dans une ignorance profonde et
qu'il ne leur restait rien des connaissances de leurs ancêtres : le
cheikh Sadat répondit qu'il leur restait le Coran qui renfermait toutes
les connaissances. Le général demanda si le Coran
enseignait à fondre les canons. Tous les cheikhs présents
répondirent hardiment que oui." (cité par
Laurens, L'Expédition d'Égypte, Armand Colin, 1989).
Islam dans le Monde |
Ceux-ci
n'ont jamais fait le tour des causes de leur déclin, ils n'ont jamais
eu leur réforme pour briser la voie de la pensée
unique qui leur a été imposé par des Oulémas rétrogrades il y a
mille ans. Jusqu’à nos jours, ils restent autistes à ces réformes nées
des révolutions européennes. Au contraire. Après des indépendances prometteuses des années 50/60, après un printemps arabe qui a agréablement surpris les incrédules, voici que des régimes islamo-obscurantistes s'installent de Rabat à Bagdad, en passant par Tunis, Tripoli et Le Caire, transformant des citoyens aspirant à la dignité, en sujets encore plus soumis, plus démunis, plus ignorants et plus réprimés que sous les dictatures disparues.
1. De la grandeur au déclin.
Au
Moyen Âge, le monde musulman atteint son apogée, il domine
intellectuellement, techniquement, scientifiquement, se trouve au
carrefour des échanges et son économie est la plus développée. Le
flux de technologie allait de façon écrasante de l'Islam vers l'Europe,
exactement le contraire d’aujourd'hui. Les flux nets
s'inversent vers 1500, après la chute de Grenade (1492), dernier
royaume musulman en Espagne. Cependant, certains auteurs situent le
sommet de la civilisation musulmane en 1187, quand Saladin
reprend Jérusalem aux croisés. Une autre date avancée est celle des
invasions mongoles et la destruction de Bagdad (1258). Pour d’autres
historiens, le monde musulman aurait atteint son zénith
politique en 1550, durant les dernières années de Soliman le
magnifique. Quelle que soit la date, le déclin est incontestable et est
devenu endémique. Les dernières élections « libres »
en Tunisie, en Egypte et au Maroc le confirment.
Tous
les pays arabes, qui étaient plus riches que l'Europe occidentale au
Moyen Âge, ont décroché ensuite et se retrouvent au XXe
siècle parmi les nations arriérées. Il faut donc chercher plus loin
que l'explication strictement économique, aller vers une explication
institutionnaliste, au sens large du mot institution, celui
qui évoque les croyances, les règles du jeu, les mentalités, ou
encore un ensemble de coutumes cristallisées.
2. Aspects du retard
Malgré tout leur pétrole et tout leur gaz, les pays musulmans ne produisent que 6 % des richesses mondiales alors qu'ils représentent 20 % de la population.
Indice de sous-développement autour de la Méditerranée |
3. Les causes du déclin
En route vers le paradis islamiste |
3.1. L’agriculture
Les
traits de l'agriculture sont façonnés par la rareté de l'eau. Les
techniques d'irrigation héritées de l'Antiquité sont
raffinées par les paysans musulmans : les séguias, les norias, les
barrages et les canalisations sont des exemples de ces méthodes qui
impliquent une gestion commune de l’eau ainsi qu'une
intervention de l'État. Les agriculteurs cohabitent avec les
éleveurs dans une relative harmonie : on a parlé de symbiose entre
culture et élevage dans le monde musulman. La propriété est
publique pour l'essentiel : les terres conquises sont attribuées au
calife et exploitées directement par l'État (faire-valoir direct), ou
indirectement par des particuliers en régime de métayage
(une part des récoltes est versée à l'État). Les terres privées sont
soumises à l'impôt (kharaj). Les productions sont librement
commercialisées et les principales libertés économiques sont
respectées.
Cependant
l'économie rurale va se dégrader sous les Ottomans. L'institution de la
ferme fiscale, l'iltizam, est considérée par
de nombreux auteurs comme un facteur de ruine progressive de
l'agriculture et par là de déclin de l'empire. Les impôts sur les terres
sont affermés aux multazim pour des durées courtes. Ils
versent à l'État à l'avance les sommes et se chargent ensuite de les
récolter auprès des paysans. Ce système est extrêmement négatif, car le
multazim ne détenant que pour une courte durée
sa ferme fiscale, surexploite les paysans provoquant ainsi la ruine
de l'agriculture. La mise en valeur du sol reste très incomplète et très
archaïque. Dans ces conditions, rien d'étonnant à
l'absence de progrès dans le monde rural, sans parler d'une
révolution agricole, une stagnation qui se répercute sur l'ensemble de
l'économie.
3.2. Échanges extérieurs
Le
recul des échanges dans le monde musulman est l'explication classique
du déclin pour de nombreux historiens qui rappellent
comment le commerce du Levant est contourné par les Européens : les
Portugais font le tour de l'Afrique pour aller chercher directement les
épices, les Espagnols traversent l'Atlantique et
finissent par trouver, non seulement un nouveau continent, mais
aussi de nouvelles routes vers l'Asie. Le monde musulman devient alors
une sorte de cul-de-sac commercial (alors qu'il était jusque
là au centre géographique des continents connus) et les nouvelles
voies du commerce mondial seront désormais celles de l'Atlantique.
Les
techniques maritimes occidentales sont plus avancées et les navires
marchands turcs ou égyptiens ne peuvent rivaliser. Les
échanges sont déséquilibrés, Istanbul importe massivement sans avoir
grand-chose à offrir en retour. Au XVIIIe siècle, l’empire ottoman
exporte quelques matières premières et achète en Europe la
plupart de ses produits de luxe et de ses biens manufacturés, un
commerce qui passe par les étrangers, une double situation de dépendance
économique. Dès 1788, l'ambassadeur de France pouvait
écrire que l'Empire ottoman était une des plus riches colonies de
la France .
3.3. Institutions
On
a vu qu'autour de l'an mille, les sciences et les techniques islamiques
dépassaient celles de l'Europe. La science islamique,
dénoncée comme hérétique par des zélotes religieux musulmans, fut
ensuite étouffée sous les pressions théologiques du conformisme
spirituel, ce qui pouvait représenter une question de vie ou de
mort pour les penseurs et les savants. Ceci nous rappelle le
comportement des islamistes radicaux tunisiens d’aujourd’hui dans les
lycées, les universités et dans les lieux publics, avec la
complicité tacite du gouvernement « provisoire ».
Les
pays musulmans interdirent longtemps l'imprimerie pour des raisons
religieuses, l'idée que le Coran puisse être imprimé
était inacceptable. Les juifs et les chrétiens avaient des presses à
Istanbul, mais pas les musulmans. En Europe au contraire, personne ne
pouvait mettre un couvercle sur les nouvelles
techniques. Le résultat est que le monde musulman se coupa du flux
de connaissances propagé par les livres, favorisant la ségrégation
intellectuelle, le retard technique et la dépendance
industrielle.
Dans
un ouvrage récent sur les causes du déclin de l'Islam, Bernard Lewis
(2002) met en cause la fermeture du monde musulman sur
lui-même, la certitude dans sa supériorité, la confiance aveugle
dans sa suprématie, et donc le refus d'adopter les idées et les
techniques occidentales, venues de peuples longtemps jugés avec
mépris. Ainsi les musulmans, à l’inverse des Européens, ne
voyageaient pas en Occident, ils ne pouvaient pas vivre chez les
infidèles, ils n'avaient même pas d'ambassades permanentes. Ils ne
connaissaient pas et ne cherchaient pas à apprendre les langues des
Occidentaux. Lorsque Rached Ghannouchi déclare que l’apprentissage du
français par les jeunes tunisiens est une pollution de
leur identité arabo-musulmane, il ne fait que perpétuer cette
tradition. Les arabo-musulmans n'avaient pas d'occidentalistes, comme
il y avait des orientalistes en Europe. Le monde musulman
va se fermer aux apports extérieurs, sauf en matière militaire, et
considérer que toutes les réponses aux questions ont déjà été données
par les générations précédentes et qu'il suffit donc de
répéter les traditions.
3.4. Démographie
Le
monde musulman était sous-peuplé par rapport à l'Occident, du fait des
conditions naturelles plus difficiles, de la présence
de nombreuses zones arides, et de l'absence de progrès techniques
dans le domaine agricole. L'explosion démographique ne se produira qu'au
XXe avec l'introduction de la médecine moderne. En
outre, l'Islam est plus exposé aux incursions des envahisseurs
asiatiques, comme on l'a vu avec le cas des Mongols, mais aussi des
nomades venus du désert, les bédouins qui pillent régulièrement
les villes et les paysans sédentaires, tout cela provoquant une
insécurité permanente, obstacle au développement. Il est plus exposé
également aux épidémies, par sa situation centrale aux portes
de l'Asie : la peste est endémique dans l'Empire ottoman tandis
qu'elle est simplement exportée en Europe. Elle le restera jusqu'au XIXe
siècle, alors qu'elle est efficacement endiguée en
Occident au XVIIe par des mesures de prévention comme la
quarantaine, que les musulmans ignorent. Ainsi, la différence majeure
est que l'entrée dans la transition démographique et la sortie du
piège malthusien en Occident représentent un mécanisme endogène, lié
aux progrès agricoles et industriels, tandis qu'elles sont exogènes
dans le monde musulman, apportées de l'extérieur par des
techniques favorables à une baisse de la mortalité.
3.5. Statut de la femme et de l’esclave
Beaucoup
a été écrit sur la condition de la femme dans nos pays. Nous n’allons
pas y revenir. Aujourd'hui dans les pays
musulmans, les choses ont peu changé et la participation féminine à
l'économie est la plus faible de toutes les civilisations.
On
considère qu’il y a trois inégalités de base qui caractérisaient le
monde arabo-musulman médiéval : maîtres et esclaves,
hommes et femmes, croyants et infidèles : tous les trois –
l'esclave, la femme et le non-croyant – étaient vus comme devant remplir
des fonctions sociales nécessaires, mais étaient sujets à une
loi strictement appliquée qui limitait leur capacité, imposant des
contraintes quotidiennes.
L'esclavage
et le commerce des esclaves occupaient alors une place importante dans
l'économie musulmane. L'image de l'esclave
est attachée à la notion de travail, et le travail est donc méprisé,
ce qui explique le peu d'intérêt des Arabes dans les techniques
productives, par exemple le fait que les moulins à eau sont
connus par les Romains, mais que les Arabes n'ont pas essayé de les utiliser
sur une grande échelle, alors que le Moyen Âge européen connaîtra une
véritable révolution technique avec leur
généralisation. De même, les Arabes ont complètement raté le saut technologique de la roue.
3.6. Géographie
Les causes géographiques du déclin ont été étudiées par divers auteurs. La mer, dit-on, est la grande civilisatrice des
nations.
C'est
la disposition géographique unique de l'ouest européen, fortement
pénétré par la mer, sa thalassographie
particulière, qui explique le succès européen, et inversement le
retard de l'Islam, de la Chine ou de l'Inde. En Europe, les échanges
sont facilités, du fait de l'omniprésence de la mer et
des rivières navigables, ce qui conduit à une division du travail
plus marquée, génératrice de croissance, laquelle permet un surplus pour
financer les chercheurs et les savants. La prospérité
économique, liée aux échanges et à la mer, est le premier facteur de
progrès technique et scientifique européens.
Le
deuxième facteur, toujours liée à la présence de la mer, est la
division de l'Europe en nations stables, protégées par des
barrières naturelles évidentes (les côtes et les montagnes dessinent
par avance les frontières de l'Espagne, de la Grande-Bretagne, de la
Grèce, de l'Italie, des Pays-Bas, du Danemark, etc.). La
division politique stable est un facteur de rivalité créative dans
le domaine scientifique et technique, chaque pays tendant à favoriser
les recherches pour avoir un avantage sur l'autre.
A l'inverse, dans les empires unifiés et puissants, comme ceux de l'Islam ou de la Chine, l'absence d'émulation et le rôle
néfaste des groupes de pression hostiles aux changements, l'invention n'a pas bénéficié de circonstances aussi favorables.
3.7. Les villes
Une
autre thèse est le rôle spécifique des villes dans le monde européen
occidental, qui profitent de la chute d'un pouvoir
central – la disparition de l'Empire romain et l'émiettement
politique total qui suit au Moyen Âge – pour affirmer leur autonomie et
leurs franchises, et inventer les libertés économiques qui
caractérisent le capitalisme de marché (liberté d'échanger, liberté
d'entreprendre, liberté des prix, etc.). Ainsi les villes se mirent très
tôt à lutter, souvent avec succès, pour se transformer
en communes bourgeoises libres de toute allégeance à une autorité
supérieure.
Les villes du monde musulman – comme d'ailleurs du monde chinois ou indien – ne bénéficieront jamais de ces libertés, dans la
mesure où elles restent soumises à des empires forts et centralisés.
4. Le mariage de la carpe et du lapin
Au
terme de ce panorama des explications, il apparaît qu'un faisceau de
facteurs, plus qu'une explication unique, permet de
rendre compte d'un déclin entamé il y a mille ans environ. Les
aspects religieux (interprétation intégriste de la religion) sont les
plus déterminants. Les aspects géographiques semblent
expliquer à la fois les facteurs économiques (déplacement des
échanges vers l'ouest avec la découverte de l'Amérique, type de
transport utilisé, système foncier, sol semi aride) et les facteurs
institutionnels (absence de réforme politique, stagnation des
techniques, ostracisme vis-à-vis des évolutions venant de l’étranger).
Une
vue optimiste peut laisser espérer à des changements rapides, profonds
et positifs,
dans les pays musulmans. Ces changements rapides passent par une
démocratisation, mais celle-ci est souvent bloquée, comme on l'a vu, par
le fait que les islamistes tendent de monopoliser le
pouvoir, après avoir monopolisé l’opposition. Le recul de
l'islamisme apparaît donc comme la condition sine qua non de l'évolution du monde musulman. Car, de la même manière qu’on ne
peut marier une carpe à un lapin, on ne pourra pas non plus marier islamisme et modernisme.
ernisme et islamisme.
Hannibal Genséric
ernisme et islamisme.