L‘image crue de
la Turquie s’éloignant de l’OTAN au profit du partenariat stratégique
russo-chinois a été fournie, de plusieurs façons, par le président turc Tayyip
Erdogan lors de sa visite au président chinois Xi Jinping à Pékin,
juste après le G20 d’Osaka.
La Turquie est
une plate-forme de la nouvelle Route de la Soie (New Silk Roads, ou Belt and
Road Initiative) qui voit le jour. Erdogan est un maître pour vendre la Turquie
comme carrefour ultime Est-Ouest. Il a également manifesté beaucoup d’intérêt
envers le statut de membre de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS),
dirigée par la Russie et la Chine, dont le sommet annuel a eu lieu à Bichkek,
quelques jours avant Osaka.
Parallèlement,
contre vents et marées – des menaces de sanctions du Congrès américain aux
avertissements de l’OTAN – Erdogan n’a jamais dévié de la décision d’Ankara
d’acheter des systèmes russes de missiles de défense S-400, un contrat de 2,5
milliards de dollars, selon Sergei Chemezov, de Rostec.
Les S-400
commencent à être expédiés en Turquie dès cette semaine. Selon le ministre turc
de la Défense Hulusi Akar, Ils devraient commencer à être déployés en
octobre. Au grand dam de Washington, la Turquie est le premier État membre de
l’OTAN à acheter des S-400.
Xi, en
accueillant Erdogan à Pékin, a souligné le message qu’il avait élaboré avec Poutine
lors de leurs précédentes réunions à Saint-Pétersbourg, Bichkek et Osaka : La Chine et la Turquie doivent
« maintenir un ordre mondial multilatéral avec les Nations-Unies en son
centre, un système fondé sur le droit international ».
Erdogan, pour sa
part, a mené une offensive de charme – de la publication
d’une tribune dans le Global Times [parution affiliée au People’s
Daily, titre de presse officiel du Comité central du PCC, NdT] vantant une
vision commune de l’avenir jusqu’à sa présentation assez détaillée. Son objectif est de
consolider les investissements chinois dans de nombreux domaines en Turquie,
qu’ils soient directement ou indirectement liés à la Belt and Road.
Sur le très
sensible dossier ouïghour, Erdogan a habilement exécuté une pirouette. Il a
contourné les accusations de son propre ministère des Affaires étrangères selon
lesquelles « de la torture et du lavage de cerveau politique »
étaient pratiqués dans des camps de détention ouïghours et a préféré dire que
les Ouïghours « vivent heureux » en Chine. « C’est un fait
que les peuples de la région chinoise du Xinjiang vivent heureux grâce au
développement et à la prospérité de la Chine. La Turquie ne permet à personne
de créer des désaccords dans les relations Turquie-Chine. »
C’est d’autant
plus surprenant qu’Erdogan lui-même, au cours de la dernière décennie, avait
accusé Pékin de génocide. Et dans une célèbre affaire de 2015, des centaines d’Ouïghours
sur le point d’être expulsés de Thaïlande vers la Chine avaient fini, à grand
bruit, par être réinstallés en Turquie.
La nouvelle
caravane géopolitique
Erdogan semble
avoir enfin réalisé que les nouvelles Routes de la Soie sont la version
numérique 2.0 de l’ancienne Route de la soie, dont les caravanes reliaient
l’Empire du Milieu, via le commerce, à de multiples terres d’Islam – de
l’Indonésie à la Turquie et de l’Iran au Pakistan.
Avant le XVIe
siècle, la principale ligne de communication à travers l’Eurasie n’était pas
maritime, mais une suite de steppes et de déserts, du Sahara à la Mongolie,
comme Arnold Toynbee l’avait merveilleusement observé. Sur ses routes, on
trouvait des marchands, des missionnaires, des voyageurs, des lettrés, jusqu’à
des Turco-Mongols d’Asie centrale qui migraient vers le Moyen Orient et la
Méditerranée. Ils ont tous représenté l’interconnexion et les échanges
culturels entre l’Europe et l’Asie – bien au-delà des différences
géographiques.
On peut dire
qu’Erdogan est maintenant capable de lire les signes des temps. Le partenariat
stratégique entre la Russie et la Chine – directement impliqué dans
l’intégration de la Belt and Road dans l’Union économique eurasienne et le
Corridor de transport international Nord-Sud – considère la Turquie et l’Iran comme
des plate-formes absolument indispensables au processus de l’intégration
eurasiatique en cours et ce, à plusieurs niveaux.
Un nouvel axe géopolitique et
économique Turquie-Iran-Qatar progresse lentement mais sûrement en
Asie du Sud-Ouest [C’est ainsi que Pepe Escobar appelle le Moyen-Orient, NdT],
de plus en plus lié à la Russie et à la Chine. Le dessein en est l’intégration
de l’Eurasie, visible par exemple à travers une frénésie de construction de
voies ferrées destinées à relier les Nouvelles Routes de la Soie et le corridor
de transport Russie-Iran à la Méditerranée orientale et à la Mer Rouge et, vers
l’est, le corridor Iran-Pakistan au Corridor économique Chine – Pakistan, l’une
des entreprises-phares de la Belt and Road.
Tout cela est
soutenu par des accords de coopération en matière de transport interdépendants Turquie-Iran-Qatar et Iran-Irak-Syrie.
Le résultat
final consolide non seulement l’Iran en tant que plate-forme de la connectivité
de la Belt and Road et partenaire stratégique de la Chine, mais aussi, par
contiguïté, la Turquie – le pont vers l’Europe.
Comme le
Xinjiang est le passage, à l’ouest de la Chine, qui se connecte aux multiples
corridors de la Belt and Road, Erdogan a dû trouver un compromis – minimisant
ainsi, dans une large mesure, les vagues de désinformation et la sinophobie
venues de l’Occident. En appliquant la pensée de Xi Jinping, on pourrait dire
qu’Erdogan a choisi de privilégier la compréhension culturelle et les échanges
interpersonnels plutôt que la lutte idéologique.
Prêt à jouer
les médiateurs
Parallèlement à
son succès à la cour du Roi Dragon, Erdogan se sent maintenant suffisamment sûr
de lui pour offrir ses services de médiateur entre Téhéran et l’administration
Trump – reprenant une suggestion qu’il avait faite au Premier ministre japonais
Shinzo Abe au G20.
Erdogan n’aurait
pas fait cette offre si elle n’avait pas été discutée au préalable avec la
Russie et la Chine – qui, rappelons-le, sont membres signataires de l’accord
nucléaire iranien ou du Plan d’action global conjoint (JCPOA).
Il est facile de
voir pourquoi la Russie et la Chine peuvent considérer la Turquie comme la
médiatrice parfaite : Elle est voisine de l’Iran, c’est le pont légendaire
entre l’Orient et l’Occident, et c’est un membre de l’OTAN. La Turquie est
certainement beaucoup plus représentative que l’UE-3 (France, Royaume-Uni,
Allemagne).
Trump semble
vouloir – ou du moins donne l’impression d’imposer – un JCPOA 2.0, mais sans la
signature Obama. Le partenariat russo-chinois pourrait facilement mettre fin à
son bluff en proposant une nouvelle négociation incluant la Turquie, après
l’avoir préparée avec Téhéran. Même si l’inefficace UE-3 demeurait, avec la
Russie, la Chine et la Turquie, il y aurait un véritable contrepoids aux
exigences des USA.
De tous ces
mouvements importants dans l’échiquier géopolitique, une motivation ressort
parmi les principaux acteurs : L’intégration eurasienne ne peut pas progresser de manière
significative sans remettre en cause l’obsession des sanctions de Trump.
Par Pepe Escobar
Traduction Entelekheia
Photo Pixabay
[Mise à jour d’Entelekheia] Via son agence de presse
officielle Anadolu, la Turquie a éclairci l’identité du pays dont elle souhaite
se protéger avec le S-400 russe: sur le graphique qu’elle présente de ses
capacités, page de gauche, sous l’intitulé « Le système peut
éliminer » vient toute une liste d’avions militaires… américains.
ANADOLU AGENCY (ENG)Compte certifié @anadoluagency
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