Aux USA, il y a un tabou : le génocide des Amérindiens, et une
religion imposée : l’Holocauste. Le Génocide des Amérindiens est non
seulement nié, mais il est fêté par ce Thanksgiving. On retrouve là aussi un point commun
avec Israël et les juifs qui fêtent le
grand massacre perpétré contre les Perses lors de la fête de Pourim.
H. Genséric
Je suis arrivé aux États-Unis en 2006.
Chaque année, le
quatrième jeudi de novembre, les États-Unis célèbrent l'histoire réécrite par
les vainqueurs.Longtemps, peu au fait des traditions locales, j'ai pris Thanksgiving pour
une fête comme les autres –une injonction un peu niaise à exprimer sa gratitude
envers les bienfaits que la vie nous adresse avec plus ou moins de générosité.
«What are you thankful for?», demande la formule consacrée.
«Ma famille», répond invariablement le chœur américain.
Avec mon mauvais esprit, ma hantise de la volaille gonflée aux hormones et
mes préventions d'immigré athée, je me racontais que Thanksgiving était
l'occasion inventée par un peuple superstitieux pour remercier haut et fort je
ne sais quelle puissance supérieure au moment où, l'année tirant à sa fin, la
puissance en question s'apprête à faire le tri de nos bonnes et mauvaises
actions.
En bon Français, jamais content, j'estimais que j'avais été plutôt lésé
dans la répartition et inventais toutes sortes d'excuses pour m'exempter de ce
festival de bons sentiments.
En vain: il y a toujours, aux États-Unis, une âme compatissante pour vous
inviter à partager la dinde familiale quand on apprend que vous n'avez rien de
prévu ce jour-là. Seul à Thanksgiving, c'est le dernier degré sur l'échelle
américaine de la désocialisation: «Ça doit être si triste d'être loin des
siens quand tout le monde est réuni en famille.»
Une festivité en toc
Étaler sa reconnaissance entre la grand-mère du Massachusetts et le cousin
de l'Arkansas, ça ne coûte pas plus cher et ça ne peut pas faire de mal. Sauf à
l'environnement (l'empreinte carbone de ce chassé-croisé à l'échelle d'un
continent est monumentale) et à l'estomac: cette dinde farcie, aux
dimensions et au poids faramineux, est de loin la chose la plus indigeste qu'il
m'ait été donné de manger de part et d'autre de l'Atlantique.
Si on y ajoute la sauce aux canneberges, la tarte à la citrouille et les
litres de bière qu'il convient de s'enfiler devant la parade de Macy's et le
match de NFL spécialement programmés à la télé en ce jeudi de tous les dangers,
l'immersion culturelle en apnée devient une longue séance de torture à la fois physique et mentale:
on ne sait pas si on va mourir d'ennui ou d'occlusion intestinale.
Avec mon œil d'ethnologue à qui on ne la fait pas, j'avoue qu'il m'est
arrivé de me dire dans ces moments de détresse que Thanksgiving est une
coquille vide de contenu spirituel, un simple prologue à la frénésie
consumériste qui s'abat sur le pays quand sonnent les douze coups de minuit,
signal de Black Friday.
Coincée entre Halloween et les fêtes de fin d'année, Thanksgiving
s'inscrivait pour moi dans la litanie des festivités en toc, mi-religieuses,
mi-patriotiques, 100% mercantiles, qui rythment l'année américaine:
Saint-Valentin, Saint-Patrick, Pâques, Memorial Weekend, Independence Day,
Labor Day.
Je vivais alors dans une petite ville du New Jersey, dans la banlieue de
Philadelphie. Intrigué, voire médusé par l'énergie qui s'emparait du patelin à
un mois de la date fatidique, je regardais mes voisins installer et défaire
leurs décorations saisonnières. La précision d'horloger et le sérieux qu'ils
mettaient dans les préparatifs suscitaient en moi un mélange pas très noble
d'ironie, d'envie et de honte de ma propre passivité.
Cette distance inaliénable [...] est aussi un bon poste d'observation sur l'un des mythes fondateurs des
États-Unis.
L'Amérique suburbaine a horreur du vide: son année est une succession de
séquences, scandées à haut débit par le pilonnage publicitaire. À peine remisé
le barbecue estival, on se met à penser aux sorcières et aux squelettes qu'on
accrochera à la gouttière du porche à la mi-octobre. Le 1er
novembre, loups-garous et zombies tout juste remontés au grenier, il est temps
de déplier les guirlandes électriques destinées à illuminer les happy
holidays.
Pour montrer aux yeux de tous que nous étions des immigrés de bonne
volonté, et non des agents dormants du communautarisme français, ma femme et
moi déposions trois pauvres citrouilles et une malheureuse courge sur nos
marches. Nous accrochions une couronne de fleurs orange à notre porte, en
répétant à voix basse le mantra pascalien: «Mets-toi à genoux et tu
croiras».
Aujourd'hui, je dois me rendre à l'évidence. La grâce ne m'a jamais touché:
mon aversion pour Thanksgiving, aussi profonde que celle que m'inspirent le
Superbowl, les sports bars et les salles de gym ouvertes à 4 heures du matin,
est intacte.
Treize ans, une carte verte et la citoyenneté américaine pour en arriver à
ce constat d'échec: Thanksgiving, c'est le jour où je me rappelle que je suis
français, éternel étranger à la vie américaine, spectateur de ses rites.
Je sais que ce sentiment d'extériorité ne me quittera jamais.
Mais cette distance inaliénable, si elle complique le quotidien et
hypothèque le bonheur à long terme, est aussi un bon poste d'observation sur
l'un des mythes fondateurs des États-Unis.
Une machine à inoculer le
négationnisme
La fable est connue. Les pèlerins débarquent à Plymouth. Ils rendent grâce
à Dieu pour sa bonté, qui leur permet de survivre dans cette contrée hostile
avec l'aide des Indiens du coin, les Wampanoag. Ces derniers, après
avoir enseigné la culture du maïs aux nouveaux arrivants, se joignent à eux un
jour de novembre 1621, dans le cadre d'un festin appelé à devenir un modèle de
solidarité interculturelle.
Malgré de récentes initiatives pédagogiques dans le sens d'une
plus grande exactitude historique, ce scénario (aussi) mensonger
(que celui de l’Holocauste) est celui
que les enfants américains apprennent et reconstituent chaque année à l'école
dans les jours qui précèdent la brève coupure automnale.
Ma fille devait avoir 4 ou 5 ans lorsque j'ai assisté à son premier Thanksgiving
Feast: d'un côté, les pèlerins en chapeau blanc, accessoire ridicule que
j'associerai jusque sur mon lit de mort à la coiffe bretonne de Bécassine; de
l'autre, les Indiens en plumes et en costumes tout droit sortis de Pocahontas,
version Disney.
Et que faisaient ces enfants déguisés? Ils ânonnaient This land
is your land, la chanson de Woody Guthrie devenue un hymne populaire. Comme l'écrit Philip Deloria dans The New Yorker, le
refrain («This land is your land, this land is my land») repose sur une
rhétorique faussement inclusive, qui nécessite en réalité l'effacement historique des peuples
indigènes, dans la mesure où ils ne sauraient être ni «toi» ni
«moi».
Si les Amérindiens, poursuit Deloria, ont une existence constitutionnelle
(notamment dans le quatorzième amendement, où il est question de leur statut
non imposable, «Indians not taxed») ce n'est que pour exister en dehors de la constitution des
États-Unis: les tribus indigènes constituent des entités
politiques distinctes du peuple américain, des nations souveraines qui n'ont
pas de poids véritable dans le système politique national.
«Native American», par conséquent, ne
saurait être une définition raciale; il s'agit d'une identité politique, et
Deloria a raison de rappeler que l'insistance de l'administration Trump à enfermer les peuples indigènes
dans leur ethnicité traduit une volonté profonde de détricoter les traités qui gouvernent
depuis le XIXe siècle les relations entre l'État fédéral et les
nations amérindiennes.
Thanksgiving, de ce point de vue, est un angle mort majuscule, une machine à transmettre et
inoculer le négationnisme dès le plus jeune âge. Les festivités à
l'école, la dinde, le chocolat chaud devant les vieux films qu'on regarde en
famille, la version Friendsgiving pour ceux qui habitent loin de leurs
bases, tout cela nimbe
le fait de la colonisation des Amériques et du génocide amérindien d'une aura
nostalgique, liée au paradis perdu de l'enfance, dans les vapeurs de
laquelle le simulacre se substitue à l'histoire.
Impérialisme
d'hier, impérialisme d'aujourd'hui
Dans This Land
is Their Land: The Wampanoag Indians, Plymouth Colony, and the Troubled History
of Thanksgiving, l'historien David Silverman renverse les perspectives. Il propose une
généalogie critique de Thanksgiving, questionnant les tenants et les
aboutissants de l'alliance entre le sachem Ousamequin et le
gouverneur John Carver, jusqu'à sa dissolution sanglante, en 1675, dans
la guerre du roi Philip.
Si le livre de Silverman est si convaincant, c'est d'abord parce qu'il
envisage l'histoire du point de vue des vaincus: dans la mythologie américaine,
et plus généralement dans l'inconscient occidental, les peuples indigènes
n'existaient pas avant leur rencontre avec les colons européens; les Amériques
et la Caraïbe n'ont pas été colonisées, elles ont été découvertes, puis
évangélisées et civilisées.[1]
Ce travail de démystification et de réappropriation historiques s'inscrit,
aux États-Unis, dans la révolution copernicienne que les sciences sociales
connaissent depuis plusieurs années: le monde n'est plus envisagé uniquement à
travers le regard vainqueur et privilégié de l'homme blanc.
Roxanne Dunbar-Ortiz, dans An Indigenous Peoples' History of the United States,
met au jour le lien
organique entre idéologie de la découverte, mythe de la destinée
manifeste, prédation des terres indiennes, extermination et suprématie blanche.
À l'histoire du point de vue colonisateur, il s'agit d'opposer la
contre-histoire des colonisés.
S'appuyant sur le jugement de D.H. Lawrence, souvent cité de manière
incomplète («The essential American soul is hard, isolate, stoic, and a
killer. It has never yet melted»), l'historienne analyse la continuité
historique entre l'impérialisme d'hier et l'impérialisme d'aujourd'hui sur la
scène internationale, et sur la scène intérieure entre les violences passées et
présentes contre les minorités (incarcération de masse, brutalités policières,
racisme systémique).
C'est dans le langage que les rémanences de la mentalité colonisatrice sont
les plus frappantes. Quand les États-Unis font la guerre sur un théâtre
d'opérations en Irak ou en Afghanistan, rappelle Dunbar-Ortiz, la terminologie
militaire pour désigner la zone située au-delà des lignes ennemies demeure «Injun
territory» [«Injun» est une modification du mot «Indien» en référence
aux Amérindiens, ndlr]. Et le nom de code choisi pour Oussama Ben Laden,
pendant la préparation de l'opération des Navy SEALs qui allait se solder par
sa mort? Geronimo.
[3]
La responsabilité qui nous
incombe
Comment vivre ensemble, par-delà tout ce mauvais sang? Comment dire «nous»
et parler d'une seule voix, consciente de l'histoire, libérée des mythologies
ayant pour fonction de légitimer la version officielle? Indépendamment du
problème juridique des réparations, nombreux sont les artistes indigènes à se
poser ouvertement la question.
Le grand T.C. Cannon, peintre Kiowa mort à 31 ans en 1978, avait
donné corps dans ses tableaux aux conflits intérieurs de l'identité
amérindienne, entre tradition et modernité, sacré et profane, espaces urbains
et espaces ruraux, être indigène et citoyenneté américaine. Ses tableaux
figuratifs (son œuvre a aussi un versant abstrait), portraits frontaux où se
fait sentir l'influence de Van Gogh, présentent le corps indigène dans
l'espace américain; ils nous regardent en disant: «We are still here.»
Dans Soldiers, Cannon imagine la confrontation fusionnelle entre le
corps du colonisé et le corps du colonisateur –le général Custer.
Tommy Orange, dans son roman polyphonique There There (Ici n'est plus ici), se demande quant à lui ce
qui reste des Amérindiens après le génocide, la colonisation de leurs terres,
la destruction de leurs cultures, l'oubli de leurs langues et de leurs
traditions. De quelle quantité de sang indigène faut-il justifier pour être
considéré comme un vrai Indien?
En même temps qu'il souligne l'absurdité de la question, et l'impossibilité
d'y répondre, l'auteur insiste sur la responsabilité qui nous incombe de ne
plus ignorer l'histoire:
«La blessure qui a été infligée quand les Blancs sont
venus et ont tout pris n'a jamais guéri. Une plaie qu'on ne soigne pas
s'infecte. Elle devient une nouvelle blessure comme l'histoire de ce qui est
arrivé devient une autre histoire. Ces histoires que nous n'avons pas racontées
pendant tout ce temps, que nous n'avons pas écoutées, voilà ce que nous devons
guérir.»
On ne saurait mieux dire l'urgence d'en finir avec l'innocence coupable et
l'esprit d'aveuglement qui se cristallisent dans l'éternel retour de
Thanksgiving.
Julien Suaudeau
— 28 novembre 2019
NOTES de H. Genséric
[2] Depuis le XVème
siècle, la racine profonde de la domination eurocentrique sur le monde est
d’ordre religieux même si dans le temps, essentiellement au XIXème siècle et l’expansion
de l’empire français sous la IIIème république, et celui de l’empire
britannique sous le règne de la reine Victoria, ont vu les objectifs de la
conquête glisser du religieux à “l’humanitaire” et
à l’universalisme de la culture occidentale
“supérieure” s’étant octroyée un devoir de rayonner non plus sur un monde
“barbare et païen” mais sur un monde “barbare et ignorant”. La belle affaire !
La notion
de conquête, de domination européenne du monde prend sa source dans les bulles
papales du XVème siècle qui divisèrent le monde pour sa possession par l’empire
de la chrétienté.
Il est effarant en
effet de constater que l’empire américain actuel est fondé sur une
appropriation arbitraire, un vol de terres ne lui appartenant pas, vol qui
s’est vu entériner au fil du temps par la passation de la domination fondée sur des principes
fondamentalement racistes d’un empire à un autre. Toujours plus
effarant de constater que cette domination ordonnée par des édits du Vatican, a
été intégrée dans la loi américaine (et canadienne) par le jeu de la
reconnaissance et donc de la validation soi-disant légale d’édits religieux
d’un autre temps, le tout dans la logique suprématiste d’une nation qui
s’auto-déclare “indispensable” et ayant une “destinée manifeste” de rayonner
sur le monde dans le plus pur esprit sectaire des puritains anglicans du
Mayflower s’établissant sur la côte Est du “nouveau monde”, créant en
Nouvelle-Angleterre, cette “cité sur la colline destinée à rayonner sur le
monde”.
La réalité est que tout ceci n’est qu’un leurre, une vaste supercherie
criminelle et que l’Empire est fondé sur un territoire volé, usurpé au prix du plus grand génocide de l’histoire de l’humanité
(les chiffres oscillant entre 50 et 100 millions de morts depuis 1492 selon les
sources).
VOIR AUSSI :
Hannibal GENSÉRIC
Enfin une analyse juste et argumenté sur la réelle signification de Thanksgiving.
RépondreSupprimerOu comment concilier l'indécence,la perfidie, le génocide de tout un peuple avec une mascarade mercantile.
D'ailleurs beaucoup d'historiens honnêtes cherchant à faire la lumière sur toute l'histoire des peuples amérindiens sont muselés quand ils ne sont pas menacés.
Tout Pays créé sur le mensonge et le sang versé ne peut pas perduré.
"Tout Pays créé sur le mensonge et le sang versé ne peut pas perduré."
RépondreSupprimerAh..? J'aimerais avoir le nom d'un seul de ces pays.
-*-
Je ne sais pas si vous avez lu l'article mais la réponse est simple : Les États Unis.
SupprimerA l'échelle de l'histoire c'est un pays jeune mais qui en peu de temps s'est constitué un CV bien macabre.
Ce colosse aux pieds d'argile vacille déjà.
Oops! J'ai effacé sans le voir quelques mots de ma réponse qui, sans eux, est incompréhensible.
RépondreSupprimerEn bref je demandais de me citer un seul pays qui ne soit PAS créé sur le mensonge et le sang versé..
-*-