mercredi 8 juillet 2020

Sanctions et Censure : une politique étrangère américaine vulnérable


Deux formes d’interdiction – l’expansion constante des sanctions américaines et notre étonnante dérive vers une censure non masquée – ont commencé à se télescoper.

Début juin, un sixième cargo iranien est entré dans les eaux vénézuéliennes. Il suit un convoi de cinq pétroliers iraniens chargés d’essence pour approvisionner les raffineries vénézuéliennes. Cette fois, selon l’ambassade iranienne à Caracas, le fret est de l’aide humanitaire – de la nourriture. Selon des informations non confirmées, le navire transporte également des pièces de rechange pour les raffineries qui ont besoin de réparations.
Au même moment, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a annoncé que le Mexique vendrait de l’essence au Venezuela pour des raisons humanitaires si Caracas demandait de l’aide. Le gouvernement Maduro n’a jusqu’à présent fait aucune demande en ce sens.
L’Iran agit ouvertement au mépris des vastes sanctions américaines contre le Venezuela. La République islamique, bien sûr, est déjà accablée par le régime de sanctions le plus étendu que les États-Unis aient jamais imposé.
AMLO, comme le leader mexicain est communément appelé, vient de lever la main pour suivre l’exemple de Téhéran. Il agit avec un esprit d’anticipation : la semaine dernière, les États-Unis ont sanctionné les entreprises mexicaines qui fournissaient de l’eau au Venezuela dans le cadre d’un accord « pétrole contre nourriture » conclu précédemment.
Ces événements méritent une attention particulière. Tout comme la nouvelle dérive étonnante vers une censure ouverte et non masquée aux États-Unis. Les sanctions et la censure ne sont pas sans rapport. Ce sont deux formes d’interdiction. La nôtre est-elle donc l’ère de l’interdiction ? Si oui, pourquoi nous trouvons-nous dans ces circonstances et où cette nouvelle ère nous mènera-t-elle ? Telles sont nos questions.
Des sanctions depuis le 11 septembre
Sanctionner ceux que les dirigeants américains considèrent comme des adversaires, généralement sans fondement en droit international, n’a rien de nouveau, bien sûr. Depuis les attentats "terroristes" du 11 septembre 2001 [1], Washington s’appuie de plus en plus sur les sanctions. Avec les déploiements militaires, les coups d’État que nous nous obstinons à appeler « changements de régime » et les diverses sortes d’opérations secrètes, les sanctions sont les principaux instruments de la politique étrangère américaine au XXIe siècle.
Des dizaines de pays sont aujourd’hui soumis à l’une ou l’autre forme de sanctions américaines. Le département du Trésor a imposé des sanctions à plus de 14.000 personnes, entreprises et institutions diverses au cours de la période postérieure à 2001.
Le mois dernier, il a imposé de nouvelles sanctions au Venezuela, de nouvelles sanctions à la Syrie et de nouvelles sanctions à des dizaines d’entreprises chinoises. Le Congrès débat actuellement de projets de loi visant à restreindre les activités des entreprises chinoises aux États-Unis et à imposer de nouvelles sanctions aux responsables chinois pour leur gestion de la question ouïgoure dans la province du Xinjiang.
Il y a dix jours, l’administration Trump a annoncé qu’elle allait imposer des sanctions aux fonctionnaires et aux juges de la Cour pénale internationale [2] qui enquêtent sur les crimes de guerre en Afghanistan au cours des 19 années qui ont suivi l’invasion américaine, peu après les événements du 11 septembre. Cette mesure compte certainement parmi les utilisations les plus audacieuses des sanctions de Washington, étant donné que 123 nations sont parties prenantes au statut qui a établi la CPI en 2002.
Il y a des avantages évidents à ce recours marqué aux sanctions. Ceux qui souffrent le plus, et qui meurent le plus souvent, sont les innocents de nations lointaines. Ces victimes de la puissance américaine sont invisibles pour les Américains. Aucun sac mortuaire n’arrive à la base de l’US Air Force à Dover. Les Américains n’ont pas à réfléchir à ce qui est fait en leur nom, comme la plupart semblent le préférer.
Les sanctions changent beaucoup
On disait autrefois que les sanctions sont inutiles parce qu’elles ne changent rien. Ce n’est manifestement pas le cas. Elles ne changent pas les structures de pouvoir et la politique dans les pays visés, et à cet égard, les régimes de sanctions doivent être considérés comme des échecs. Mais elles changent beaucoup d’autres choses.
Elles endommagent ou détruisent des économies entières. Elles constituent des violations flagrantes des Droits de l’Homme. Elles équivalent à une punition collective – un crime de guerre selon les Conventions de Genève de 1949.
Ce qu’elles changent le plus, c’est le niveau de mépris international pour les États-Unis et – disons-le – pour l’indifférence dont font preuve la plupart des Américains lorsque leurs dirigeants font progresser une politique étrangère essentiellement criminelle dans tous ses aspects fondamentaux.
Mike Pompeo, qui brandit sa Bible et qui aime sa femme et son chien, aime citer les Écritures dans son compte twitter personnel, @mikepompeo. Allez y jeter un coup d’œil. « Car nous marchons par la foi, et non par la vue » fait partie des derniers textes favoris du secrétaire d’État. « Nous vivons par la foi, non par la vue » est une variante récemment citée. Il est remarquable que la première des citations de Pompeo (Matthieu 9 : 35) soit totalement fausse et que la seconde (2 Corinthiens 5 : 7) soit inexacte. Mais on saisit assez bien le point de vue de notre diplomate de haut niveau : il est totalement aveugle et indifférent aux conséquences de la politique de sanctions qu’il supervise avec le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin.
Une politique étrangère vulnérable
La vulnérabilité fondamentale d’une politique étrangère excessivement dépendante des sanctions émerge maintenant, à mon avis : elles approchent d’un point de rendement décroissant. À l’horizon, les sanctions destinées à isoler les autres, risquent d’isoler les États-Unis si elles sont amenées à leurs extrémités logiques. Ce risque est désormais évident. L’Iran et le Venezuela sont déterminés à établir des liens bilatéraux sans tenir compte des sanctions américaines. L’offre d’AMLO à Caracas est de toute évidence une expression de mépris pour les interdictions américaines.
Nous ferions mieux de voir le vent tourner. Personne ne se joint aux États-Unis pour menacer de représailles dans ces affaires. Un geste stupide à l’époque, les cliques politiques de Washington font de nous la nation la plus seule au monde.
Lorsque l’administration Trump s’est retirée de l’accord nucléaire iranien il y a eu deux ans le mois dernier, puis a entamé son programme de sanctions honteusement inhumain, les signataires européens étaient trop timides (comme d’habitude) pour affronter directement les États-Unis. Mais on est de plus en plus convaincus que c’est en train de changer. Les enquêtes de la CPI se poursuivent. Josep Borrell, le directeur de la politique étrangère de l’Union européenne, est sorti la semaine dernière pour s’opposer aux sanctions prévues par Washington contre les juristes et les enquêteurs de la CPI.
La crise de la censure
Passons maintenant à la crise de la censure. Il y a beaucoup à noter à ce sujet.
Parmi les partisans de la censure rampante qui nous menace, il convient de noter les médias eux-mêmes. Censurer le président, insistent t-ils. Censurer nos pages d’opinion, le cri a monté au New York Times après qu’il ait publié un commentaire controversé de Tom Cotton, le Républicain de l’Arkansas au Sénat. Cotton est manifestement perdu partout hors des limites de la ville de Little Rock, c’est un fait, mais il reflète une partie significative de l’opinion américaine pour le meilleur ou pour le pire.
À ce stade, les sanctions et la censure commencent à se télescoper. Le Département d’Etat de Pompeo fait campagne depuis l’année dernière pour que les médias sociaux – Facebook, Twitter, Instagram – bloquent les comptes des fonctionnaires iraniens. Ce n’était qu’une question de temps avant que la Silicon Valley ne commence à coopérer sur de tels projets.
Au cours du week-end, Twitter aurait fermé le compte d’un groupe fraîchement formé, opposé à la dérive insistante des États-Unis vers une nouvelle guerre froide avec la Chine. Brian Becker, un animateur radio de Washington, a posté le tweet suivant. Il contient un lien vers une pétition demandant le rétablissement du compte. Votre chroniqueur est signataire :
Twitter @medeabenjamin, 11 mars 2020
Il y a quelque chose d’important à noter ici. Les entreprises de la Silicon Valley telles que celles qui viennent d’être citées ne sont pas des entreprises de médias au sens ordinaire du terme. Elles ne sont pas de la « presse ». Ce sont des entreprises technologiques fondées dans un but lucratif et qui n’ont pas une compréhension évidente des médias ou des questions liées au Premier amendement. Sommes-nous surpris de les trouver en train de faire un gâchis total alors qu’elles se nomment elles-mêmes arbitres de ce qui mérite ou non d’être mis en lumière ? Ils sont en train de passer par-dessus la tête de ceux qui ne sont pas instruits.
Il en va de même pour la presse elle-même. Ceux qui prônent la censure contre leur propre profession – taper ces phrases incite à l’incrédulité, en vérité – font preuve de peu de connaissance de l’éthique des médias ou de leurs responsabilités en tant que journalistes – ou de l’histoire et de l’économie politique tout court. J’attribue cet étrange phénomène en partie (et seulement en partie) à des générations d’éducation médiocre administrée par les aînés de ces gens.
Au fond, les sanctions sont le moyen par lequel les États-Unis maintiennent l’ordre dans l’empire – si l’ordre est ce que nous découvrons lorsque nous regardons dehors. La nouvelle vague de censure est en partie responsable de cette situation. Elle n’est pas neutre sur le plan idéologique, il faut le noter – la censure ne l’est jamais. Dans le cas américain, elle est consacrée à la préservation d’un discours très spécifique, le discours de l’empire. Ceux qui y dérogent sont censurés.
Notre habitude de sanctionner les autres nous revient maintenant à la figure. « L’ère de la répression » vise à définir un totalitarisme politique et idéologique. Cela ne peut durer éternellement, comme les empires ne le font jamais, mais c’est notre tour maintenant.
Patrick Lawrence, correspondant à l’étranger depuis de nombreuses années, principalement pour l’International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier livre s’intitule « Time No Longer : Americans After the American Century » (Yale). Suivez le sur Twitter @thefloutist. Son site web s’appelle Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.
Source : Consortium News
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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NOTES de H. Genséric
Hannibal GENSÉRIC  

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