Vous
avez placé en épigraphe de votre livre cette citation de Voltaire :
« Pour savoir qui vous dirige vraiment, il suffit de regarder ceux que
vous ne pouvez pas critiquer. » De qui parlez-vous ?
Il suffit de voir autour
de soi. La maxime s’applique à ce qu’on appelle le « pouvoir profond »…
On ne peut pas critiquer certaines catégories de personnes et les
sujets qui vont avec, dont ceux que je traite dans ce livre. Ce sont ces
sujets sensibles [1].
Vous
dites que l’expression « printemps arabe » n’est pas un concept arabe,
mais occidental. Le nouveau président tunisien l’a confirmé. Est-ce cela
qui explique ce qui s’est passé dans le monde arabe ?
Tout à fait. La
naissance de ce concept est le fait d’intellectuels et de journalistes
français. Il se réfère aux printemps démocratiques, celui de 1848 qui a
tenté de bousculer les vieilles monarchies européennes vermoulues, le
printemps de Prague en 1968, Mai-68 en France… Cette assimilation
historique est un peu hâtive. Sans compter qu’en Tunisie, le printemps
du jasmin, c’était en hiver !
Vous
n’avez pas de mots assez durs pour évoquer le printemps arabe : « Une
appellation plutôt usurpée pour une saison sinistre n’ayant guère
d’arabe, à part le nom, qu’une vague façade en carton-pâte derrière
laquelle se tapissent un fanatisme islamiste de la pire espèce, des
pompes à finances wahhabites inépuisables », etc. Et j’en passe…
Je le pense depuis le
début. Tous les pays arabes ont été touchés sauf les monarchies. Le
Bahreïn [2] est une exception à cause de sa « minorité » chiite qui
constitue plus de 70 % de la population. Au Yémen, on a découvert à
l’occasion de la guerre civile qu’il existe une minorité chiite, les
zaydites, représentant 40 % de la population. Il y a des chiites cachés
en Turquie, il en existe aussi au Pakistan, entre 20 % et 25 % de la
population.
Qu’entendez-vous
par un Grand Moyen-Orient situé entre l’empire atlantique et
l’Eurasie ? Peut-on encore parler, à propos de l’Otan, d’un empire ?
Quant à l’Eurasie, elle est encore embryonnaire. N’est-ce pas une
anticipation ?
Oui c’est une
anticipation. L’expression du Grand Moyen-Orient elle-même est de George
Bush. Ce n’est plus un Moyen-Orient dans la mesure où il va de la
Méditerranée à la Chine centrale. L’Eurasie est en gestation, certes,
mais le changement se produit sous nos yeux. Les BRICS sont en
formation, surtout son noyau euro-asiatique. Cet ensemble a de l’avenir.
Mais le Grand Moyen-Orient n’est-il pas une vue de l’esprit ? On a l’impression, plutôt, d’un monde éclaté…
C’est le monde
arabo-musulman d’aujourd’hui qui est éclaté. L’expression Grand
Moyen-Orient est concise et couvre une vaste région. L’empire atlantique
se place face au bloc euro-asiatique. Ces blocs existent déjà et le
deuxième est en voie d’organisation.
Comment
expliquer que le mal nommé « printemps » ait pu réveiller la guerre
froide ? Et que la Russie et la Chine se soient liguées pour contrer ce
projet ?
Cette opposition
russo-chinoise est une grande première. Jusqu’en 1991, le monde est
bipolaire avec, entre les deux blocs, une Chine qui trouble un peu le
jeu. Au milieu se trouvent les pays non-alignés, terre de mission pour
les deux camps. En 1991, à la chute de l’URSS, on a cru en l’avènement
du monde multipolaire. Ce n’était pas vrai : ce que l’on a vu, c’est
l’avènement du monde unipolaire, le monde américain. L’Occident va alors
pouvoir gouverner au nom de la « communauté internationale », sans
opposition, pendant vingt ans, jusqu’en 2011. Puis il va s’évanouir avec
les crises de la Libye et de la Syrie.
Tout capote avec ces pays, et nulle part ailleurs. La Chine va se
joindre à la Russie lors de la guerre de Libye, le vrai point de
rupture. Auparavant, les deux pays avaient été mis en condition pour
accepter la résolution 1973, avec l’idée qu’il fallait protéger la
population civile. C’est la mise en œuvre de cette résolution qui a fait
déborder le vase. Ils se sont rendu compte qu’ils avaient été bernés,
et qu’ils avaient fait une erreur en s’abstenant.
Les bombardements
commencent le lendemain de l’adoption de la résolution des Nations
Unies. L’Otan, qui n’y était mentionnée nulle part, entre en guerre,
bombarde tout, démolit tout. En toute illégalité. Si on regarde le
chapitre 7 de la charte des Nations Unies, on constate que toutes les
dispositions qui encadrent les interventions ont été violées. Y compris
celles au prétexte humanitaire. Pour la Chine et la Russie, il n’y aura
plus jamais de résolutions à la libyenne. Elles s’opposent six mois plus
tard à la résolution sur la Syrie, apposant quatre fois leur veto. Je
ne comprends pas que les Occidentaux n’aient pas compris que la Russie
et la Chine ne rejoindraient plus jamais la fameuse communauté
internationale pour ce genre d’aventures.
La Syrie est donc fondatrice de la nouvelle donne internationale…
La Syrie, c’est l’épicentre d’un
conflit global qui dure depuis quatre ans. Si le gouvernement légal de
la Syrie était tombé comme les autres auparavant, ou si le régime avait
été renversé comme celui de Kadhafi, il y aurait eu d’autres printemps
arabes. Mais la Syrie en a été le coup d’arrêt. Les Russes ne voulaient
pas tant soutenir la Syrie, mais ils y ont trouvé un partenaire, un
point d’ancrage solide. Avant l’Ukraine… Ils ont cultivé l’alliance et
rameuté les BRICS autour d’eux, à commencer par la Chine. Quatre vétos
sur la Syrie : la Chine garde un profil discret, mais ferme.
Impressionnant. Au summum de la crise sur les armes chimiques en Syrie,
en 2013, il y avait certes les gesticulations russes et américaines,
mais il y avait aussi des navires de guerre chinois au large des côtes
syriennes. C’est une première et cela devrait faire réfléchir les
Occidentaux.
Pourquoi l’Occident séculier soutient-il des mouvements islamistes qu’il combat chez lui ?
Par absence de logique. À
ce propos, il faut distinguer les États-Unis et ses alliés au Conseil
de sécurité, qui ont des traditions de grandes puissances, et les alliés
privilégiés des États-Unis, mais qui n’ont pas les mêmes motivations.
Globalement, les Américains sont ceux qui commandent et ont mis en œuvre
une stratégie du chaos. Ils ont continué à soutenir les gens
d’Al-Qaïda, dont ils sont les créateurs avec l’Arabie Saoudite et le
Pakistan. Puis, quand ils n’en ont plus eu besoin, ils les ont laissé
tomber en leur disant « débrouillez-vous ». Mais toute cette affaire
s’est retournée contre eux avec les attentats du 11-Septembre.
Les mouvements terroristes internationaux, comme ceux qui sévissent en Syrie et ailleurs dans le Moyen-Orient ou le monde musulman, sont des héritiers d’Al-Qaïda. Les États-Unis n’ont pas de raison de ne pas s’en servir, tout en sachant que ce n’est pas leur modèle social. Ils les utilisent puis, quand ils ne s’en servent plus, ils les bombardent.
Je ne crois pas que les États-Unis aient une sympathie particulière pour les mouvements islamistes, ni pour les Arabes d’ailleurs – cela se saurait. Mais ils peuvent s’accommoder de tout. Leurs meilleurs alliés sont des gouvernements islamistes. Ils ont du mal à trouver des alliés progressistes : ils n’en ont jamais eu dans l’Histoire.
Les mouvements terroristes internationaux, comme ceux qui sévissent en Syrie et ailleurs dans le Moyen-Orient ou le monde musulman, sont des héritiers d’Al-Qaïda. Les États-Unis n’ont pas de raison de ne pas s’en servir, tout en sachant que ce n’est pas leur modèle social. Ils les utilisent puis, quand ils ne s’en servent plus, ils les bombardent.
Je ne crois pas que les États-Unis aient une sympathie particulière pour les mouvements islamistes, ni pour les Arabes d’ailleurs – cela se saurait. Mais ils peuvent s’accommoder de tout. Leurs meilleurs alliés sont des gouvernements islamistes. Ils ont du mal à trouver des alliés progressistes : ils n’en ont jamais eu dans l’Histoire.
Vous
étiez en poste en Arabie Saoudite, où l’on vient d’assister à une scène
de succession moyenâgeuse. Tous les chefs d’État occidentaux s’y sont
rués pour prêter allégeance au nouveau roi d’Arabie. Qu’est-ce qui les
fait vraiment courir, à part le brut ?
Le pétrole et les
intérêts d’Israël. Dans tout le monde arabe, il existe un terreau
favorable à la contestation, mais on n’a pas le droit d’y intervenir et
de bombarder sous prétexte que les peuples sont menacés par des tyrans.
D’autant qu’on se rend compte que ce type d’opération est menée pour
changer le régime ou détruire le pays. Il est plus facile d’exploiter le
pétrole avec des pays fragilisés.
Le pétrole détourné d’Irak et de Syrie va notamment vers Israël, sans besoin d’oléoducs. Vendu en contrebande à 15 dollars le baril lorsque celui-ci était à 120 dollars, ce pétrole a rapporté des revenus conséquents : 5 milliards de dollars. Des sommes qu’on ne transporte pas dans des matelas ! Il faut des banques, des complices pour les mettre sur le marché. Les circuits parallèles fonctionnent.
Le pétrole détourné d’Irak et de Syrie va notamment vers Israël, sans besoin d’oléoducs. Vendu en contrebande à 15 dollars le baril lorsque celui-ci était à 120 dollars, ce pétrole a rapporté des revenus conséquents : 5 milliards de dollars. Des sommes qu’on ne transporte pas dans des matelas ! Il faut des banques, des complices pour les mettre sur le marché. Les circuits parallèles fonctionnent.
Des
documents secrets du Pentagone à propos de la Libye viennent de donner
une autre explication à cette guerre. Hillary Clinton, conseillée par
les Frères musulmans, aurait caché à Obama que Kadhafi était en
négociation avec le Pentagone pour passer la main, et que l’histoire du
génocide menaçant les habitants de Benghazi était inventée de toutes
pièces. L’Occident joue-t-il contre son propre camp ?
Il existe tellement de
machinations qu’on finit par se prendre les pieds dans le tapis. Il y a
toujours des histoires des services spéciaux, etc. Les renseignements
sont pipés. Les services jouent un grand rôle là-dedans. Cela dit,
Hillary Clinton n’est pas la finesse même sur la Libye, la façon dont
elle rit à l’annonce de la mort de Kadhafi le prouve. Un ambassadeur
américain a été tué de la même façon que lui pourtant.
Pourquoi la Syrie a-t-elle été jusqu’ici l’exception, et comment analyser l’émergence de l’État islamique ?
J’espère que la Syrie
restera l’exception, du moins dans ce contexte-là. L’affaire est loin
d’être terminée, mais il y a plusieurs raisons. Bachar al-Assad, quoi
qu’on en dise, a une légitimité, il est populaire chez la majorité de
ceux qui vivent en Syrie. Quels que soient les défauts de son régime, il
est perçu dans le contexte actuel comme un rempart contre le
démantèlement du pays. Il a des alliés chiites comme le Hezbollah,
l’Iran, certainement une vieille alliance qui date du temps du shah. Il a
un véritable partenariat avec la Russie : la Russie défend la Syrie,
mais la Syrie défend aussi la Russie. Si la Syrie devait subir le sort
des autres pays, la Russie le sentirait passer. Et son prestige
international s’en ressentirait.
Quel est le jeu d’Israël ? Vous étiez ambassadeur au Soudan. Quel regard jetez-vous sur ce pays éclaté ?
Israël est derrière
toutes les crises du monde arabe, toujours à l’affût. La sécession du
Sud-Soudan est un triomphe de la diplomatie américaine et de la
diplomatie israélienne. Il fallait transformer le Sud-Soudan en base
israélienne, pour le complot contre ce qui reste du Soudan. Ils veulent
l’affaiblissement de ce pays non pas parce qu’ils sont islamistes, mais
parce qu’ils ont soutenu Saddam. Ils ne veulent pas la peau de Tourabi
ou Al-Bachir, ils veulent couper le Soudan en morceaux. Ils ont réussi,
et cela continue avec le Darfour.
Mais le nouvel État, le Soudan du Sud, n’est pas brillant…
Mais lequel des régimes
nés des « printemps arabes » est-il brillant ? L’industrie de production
de la démocratie américaine au nouveau Grand Moyen-Orient est un
trompe-l’œil qui vient des années 1980-1990. Cela n’a rien à voir avec
la démocratie et les droits de l’homme : cette stratégie sert à casser
le monde arabo-musulman, comme cela est attesté dans de nombreux
documents. Car les Américains font ce qu’ils disent, et disent ce qu’ils
font.
Il y a un plan, ce n’est pas de la conspiration. Quels que soient les avatars pour soutenir tel ou tel camp, les options restent ouvertes. Au Bahreïn par exemple, ils soutiennent à la fois la rébellion, ce qui leur permet de dire qu’ils défendent les droits de l’homme et la démocratie, et la monarchie pro-saoudite sunnite. Et ils sont gagnants de toute façon. Ils ont fait la même chose au Yémen, et en Égypte, même chose : d’abord Moubarak, puis les islamistes, puis Morsi et maintenant Sissi. Ce n’est pas logique, c’est la logique du chaos. Et elle est bel et bien là.
Il y a un plan, ce n’est pas de la conspiration. Quels que soient les avatars pour soutenir tel ou tel camp, les options restent ouvertes. Au Bahreïn par exemple, ils soutiennent à la fois la rébellion, ce qui leur permet de dire qu’ils défendent les droits de l’homme et la démocratie, et la monarchie pro-saoudite sunnite. Et ils sont gagnants de toute façon. Ils ont fait la même chose au Yémen, et en Égypte, même chose : d’abord Moubarak, puis les islamistes, puis Morsi et maintenant Sissi. Ce n’est pas logique, c’est la logique du chaos. Et elle est bel et bien là.
Comment
expliquer que le savoir-faire français sur le Moyen-Orient s’avère
inopérant ? Il y avait une certaine politique arabe de la France qui est
aujourd’hui introuvable. La diplomatie française est-elle victime de
myopie ou d’une certaine posture idéologique ?
De Gaulle était un grand
homme je pense. Il avait bien une politique arabe exemplaire, il a
renversé le cours des relations franco-arabes après l’indépendance de
l’Algérie et réussi à changer d’alliance après la guerre des Six-Jours.
Après les néfastes conséquences de l’expédition de Suez, c’était un
exploit. Une politique arabe a persisté dans une espèce de consensus
politique en France. Puis, après le coup d’honneur sur l’Irak, en 2003,
la France a commencé à rentrer dans le bercail occidental. Finie la
récréation. Le bilan est désastreux.
Elle a pourtant un savoir-faire et avait une grande tradition diplomatique. C’est un grand pays, pas dans le sens d’un pays braillard qui manigance à tout prix… Un grand pays au sens positif du terme. Son retrait peut peut-être changer, mais je ne vois pas venir le changement maintenant.
Elle a pourtant un savoir-faire et avait une grande tradition diplomatique. C’est un grand pays, pas dans le sens d’un pays braillard qui manigance à tout prix… Un grand pays au sens positif du terme. Son retrait peut peut-être changer, mais je ne vois pas venir le changement maintenant.
Hollande
continue de dire que l’État islamique et le régime de Bachar, c’est
blanc bonnet et bonnet blanc, deux ennemis à combattre…
Depuis quatre ans, on
continue de dire le pire sur Bachar, qu’il va tomber d’une minute à
l’autre… En réalité, ce sont les Américains qui peuvent changer d’avis
et sont en train de le faire. Les alliés privilégiés de la France sont
le Qatar, la Turquie et l’Arabie Saoudite. On a vu défiler les six
monarques du Golfe à Paris, nos alliés. On soutient à la fois les
terroristes modérés et les djihadistes démocratiques. C’est une position
difficilement tenable, de la haute acrobatie. Les Américains, eux ne
l’ont pas fait en même temps : d’abord alliés d’Al-Qaïda, puis leurs
ennemis. Ils changent d’avis sans se gêner.
Fabius a dit qu’Al-Nosra, classée par les Américains comme organisation terroriste, fait du bon boulot en Syrie…
Tous les éléments
spécialisés de la diplomatie française ont été dispersés ; les
spécialistes de l’Orient, les arabisants ont été envoyés en Afrique du
Sud ou ailleurs, avec la volonté de les remplacer par des technocrates.
Résultat, les nouveaux diplomates n’ont pas la même carrure, produisent
des rapports nuls, n’ont pas d’analyse sérieuse…
Les
ambassadeurs français en Syrie et en Libye avaient pourtant alerté le
gouvernement en le mettant en garde contre tout aventurisme.
Oui, mais celui de Syrie
s’est ensuite fait taper sur les doigts et a fini par accepter de
s’aligner sur la politique officielle.
Pensez-vous
qu’on peut revenir à la diplomatie de l’après-Suez ? L’Occident est-il
en train de comprendre ses erreurs et de changer ?
Le retour de De Gaulle
au pouvoir a brisé un consensus, quand le gouvernement tripartite
français, qui a duré douze ans, faisait que la France ne bougeait pas le
petit doigt sans en référer à Washington. Cela inclut la période de
Suez. Le plan Marshall avait un coût pour l’indépendance nationale
française. Et l’Union européenne – conçue par les Américains plus que
par les Européens eux-mêmes – a contribué à peser en ce sens. Toute
l’histoire de l’atlantisme, l’idée de faire de l’Otan l’armée de
l’Europe, n’est pas la conception française de l’Europe.
L’État islamique est-il une création indirecte de l’Occident ?
Il est le résultat de
l’invasion américaine de l’Irak. On peut dire cela à tous les coups. Les
Américains ont cassé toutes les institutions irakiennes (armée, police,
gouvernement, parti baath, etc.) et facilité la prise de pouvoir par
les chiites et des Kurdes au détriment des sunnites. Quand les officiers
baathistes ont été mis en prison où séjournaient déjà les islamistes,
les deux groupes ont fait connaissance. La prison a été le centre
d’étude et de fusion entre des gens qui ne se seraient pas rencontrés
autrement – comme cela arrive ailleurs.
L’État
islamique aurait profité de la zone d’exclusion aérienne imposée depuis
1991. C’est là que Zarkawi et ses hommes se seraient développés.
En effet, c’est là
qu’ils se sont développés. Il n’y avait plus d’État irakien et la porte
était ouverte à toutes les aventures. Ce qui a favorisé les événements
de juin 2013 ? Une conjonction d’islamistes et d’officiers du Baath
irakien, désireux de revanche, pourchassés tous deux par les Américains.
Ils ont décidé d’unir leur destin pour des objectifs différents.
Peut-être pas pour le long terme.
L’Occident semble préférer le chaos aux États souverainistes…
C’est ce qui apparaît.
Le chaos, c’est le but des néoconservateurs qui ont une vieille
théorie : il fallait maîtriser toute la zone qui ceinturait le monde
communiste soviétique et chinois, et d’autre part sécuriser les intérêts
occidentaux. Les Américains se sont aperçus que cette zone était
entièrement constituée de pays musulmans. C’est la ceinture verte
musulmane, ce qui est devenu le Grand Moyen-Orient de Bush, gonflé au
fil des pulsions américaines. Il y avait deux catégories de pays dans
cette zone : les États forts, comme l’Iran du shah, ou la Turquie entrée
dans l’Otan, peut être aussi l’Irak, des régimes amis de l’Occident. Et
les autres qu’il fallait affaiblir, où il fallait provoquer des
changements de régime, renverser les pouvoirs en place.
Puis des États ont viré de bord, comme l’Iran avec la révolution islamique. Quand la configuration est défavorable, on essaie de changer le régime, et si on n’y arrive pas, on casse l’État – en particulier les armées du monde arabe –, on ruine le pays. Cette stratégie figure dans beaucoup de documents américains ou israéliens. Ça s’est produit avec les armées égyptienne, irakienne, syrienne et sans doute algérienne.
Puis des États ont viré de bord, comme l’Iran avec la révolution islamique. Quand la configuration est défavorable, on essaie de changer le régime, et si on n’y arrive pas, on casse l’État – en particulier les armées du monde arabe –, on ruine le pays. Cette stratégie figure dans beaucoup de documents américains ou israéliens. Ça s’est produit avec les armées égyptienne, irakienne, syrienne et sans doute algérienne.
Mais
le chaos est contagieux et peut toucher les monarchies du Golfe.
Celles-ci seraient-elles les grandes perdantes face à l’axe chiite ?
Dans l’esprit de
certains dirigeants américains, c’est ce qui va arriver. Un ancien
directeur de la CIA a dit qu’il fallait s’occuper des pays comme la
Syrie et l’Égypte, déstabiliser huit pays… L’idée, c’est de leur
« préparer » un islam qui leur convienne et d’aider les musulmans à
accéder au pouvoir. Quand ces pays auront bien été déstabilisés, alors
on pourra s’occuper de l’Arabie Saoudite. Le pacte de Quincy signé en
1945 a été renouvelé en 2005 pour soixante ans, mais il ne durera pas.
Les États-Unis n’ont pas aidé le shah à se maintenir au pouvoir. Il n’était plus fréquentable, il a été renversé. Résultat, l’ayatollah Khomeiny a aussitôt pris le pouvoir, et l’Iran est devenu un des ennemis publics numéro un de l’Amérique. Jusqu’en 1979, ce pays était pourtant l’allié stratégique, y compris l’allié nucléaire. Il existait une vraie coopération entre l’Iran et les États-Unis dans ce domaine, avec un traité, des laboratoires, etc.
La question nucléaire a été mise à l’ordre du jour en 2002. Après que l’Iran eut le temps de s’occuper de l’Irak… Avant on n’en parlait pas. Puis les Européens, avec des Américains qui en arrière-plan soutenaient la démarche, se sont benoîtement rappelés du traité de non-prolifération…
Les États-Unis n’ont pas aidé le shah à se maintenir au pouvoir. Il n’était plus fréquentable, il a été renversé. Résultat, l’ayatollah Khomeiny a aussitôt pris le pouvoir, et l’Iran est devenu un des ennemis publics numéro un de l’Amérique. Jusqu’en 1979, ce pays était pourtant l’allié stratégique, y compris l’allié nucléaire. Il existait une vraie coopération entre l’Iran et les États-Unis dans ce domaine, avec un traité, des laboratoires, etc.
La question nucléaire a été mise à l’ordre du jour en 2002. Après que l’Iran eut le temps de s’occuper de l’Irak… Avant on n’en parlait pas. Puis les Européens, avec des Américains qui en arrière-plan soutenaient la démarche, se sont benoîtement rappelés du traité de non-prolifération…
On est au cœur d’une
nouvelle guerre froide avec l’Ukraine. Jusqu’où ce conflit va-t-il
reconfigurer le nouvel ordre mondial en gestation ? Quels sont les
effets sur le Grand Moyen-Orient ?
En France, on fait rarement un lien entre les différents problèmes, on a tendance à les saucissonner. Cela empêche une compréhension de la situation. J’ai peu entendu les gens établir un rapport entre la crise syrienne et la crise ukrainienne. Pourtant, il est évident. Il n’y aurait pas eu de relance de la crise ukrainienne s’il n’y avait pas eu la crise syrienne. Autrement dit, si la Russie avait laissé tomber Bachar, il n’y aurait pas eu une crise ukrainienne à ce niveau de gravité. On s’en serait accommodés. On a fait la surenchère surtout pour enquiquiner la Russie.
En France, on fait rarement un lien entre les différents problèmes, on a tendance à les saucissonner. Cela empêche une compréhension de la situation. J’ai peu entendu les gens établir un rapport entre la crise syrienne et la crise ukrainienne. Pourtant, il est évident. Il n’y aurait pas eu de relance de la crise ukrainienne s’il n’y avait pas eu la crise syrienne. Autrement dit, si la Russie avait laissé tomber Bachar, il n’y aurait pas eu une crise ukrainienne à ce niveau de gravité. On s’en serait accommodés. On a fait la surenchère surtout pour enquiquiner la Russie.
Sans la crise ukrainienne, les BRICS auraient-ils pris la même importance sur la scène internationale ?
Sans la crise syrienne
il faut dire. Car la crise ukrainienne est un développement de la guerre
en Syrie. La guerre d’Ukraine s’inscrit dans le grand mouvement qui a
déclenché les printemps arabes. En même temps qu’on essaie de contrôler
des pays arabes musulmans et d’étendre petit à petit la zone de crise,
on tente de casser ce qu’était l’URSS, réduite à la Russie. On veut
contrôler la zone d’influence russe et la réduire au strict minimum. La
Yougoslavie, en tant que pays communiste indépendant, était la partie la
plus exposée ; elle sera dépecée.
Pour permettre l’intégration de toute l’Allemagne réunifiée dans l’Otan, le chancelier Kohl et Bush avaient promis à Gorbatchev que l’élargissement de l’Otan s’arrêtait là. Gorbatchev a reconnu avoir été berné. Cela a sonné la fin de la stabilité internationale. Le pacte de Varsovie a vécu, d’anciens États adhèrent à l’Union européenne et passent à l’Otan. Avec l’entrée des pays baltes dans cette organisation, la Russie est encerclée. Mais c’est la Géorgie qui a été la ligne rouge, puis l’Ukraine. La Géorgie a été le symbole du tournant de Poutine, qui avait au début décidé de collaborer avec les Occidentaux.
Pour permettre l’intégration de toute l’Allemagne réunifiée dans l’Otan, le chancelier Kohl et Bush avaient promis à Gorbatchev que l’élargissement de l’Otan s’arrêtait là. Gorbatchev a reconnu avoir été berné. Cela a sonné la fin de la stabilité internationale. Le pacte de Varsovie a vécu, d’anciens États adhèrent à l’Union européenne et passent à l’Otan. Avec l’entrée des pays baltes dans cette organisation, la Russie est encerclée. Mais c’est la Géorgie qui a été la ligne rouge, puis l’Ukraine. La Géorgie a été le symbole du tournant de Poutine, qui avait au début décidé de collaborer avec les Occidentaux.
Les États-Unis admettent avoir contribué au renversement du régime de Kiev…
Les Européens ne sont
pas très exigeants sur la légalité internationale. Peu avant que
Ianoukovitch ne parte, la France, l’Allemagne, la Pologne… accouraient à
Kiev pour signer un accord sur des élections anticipées entre le
gouvernement, l’opposition et la Russie. Puis il y a le coup d’État et
personne n’a protesté.
Il y a eu une révolution Orange en 2004-2005 en Ukraine, avant la Géorgie, puis les printemps arabes sont arrivés. C’est le rêve américain qui s’est réalisé. Mais après la crise syrienne, Obama a été vexé : on lui avait évité une guerre inutile et dangereuse, chef-d’œuvre diplomatique des Russes, et il était mis dans l’embarras. Le président américain avait une revanche à prendre. En 2013, quand il a vu que la Russie avançait trop, notamment en Syrie, il s’en est pris à l’Ukraine. À partir de ce moment, finie la concertation entre les États-Unis et la Russie sur la Syrie.
Washington n’a plus laissé Moscou tenter de régler le problème.
Il y a eu une révolution Orange en 2004-2005 en Ukraine, avant la Géorgie, puis les printemps arabes sont arrivés. C’est le rêve américain qui s’est réalisé. Mais après la crise syrienne, Obama a été vexé : on lui avait évité une guerre inutile et dangereuse, chef-d’œuvre diplomatique des Russes, et il était mis dans l’embarras. Le président américain avait une revanche à prendre. En 2013, quand il a vu que la Russie avançait trop, notamment en Syrie, il s’en est pris à l’Ukraine. À partir de ce moment, finie la concertation entre les États-Unis et la Russie sur la Syrie.
Washington n’a plus laissé Moscou tenter de régler le problème.
Sauf dernièrement…
La Russie est revenue au
premier plan. Même si je doute que les 100.000 assistants ou coopérants
russes présents au début de la guerre en Syrie y soient tous encore. En
fait Obama, n’est pas si va-t-en-guerre que cela. Il voudrait une
solution d’un autre type, car ce qui se passe en parallèle de la guerre
d’Ukraine est dangereux. Du temps des menaces de frappes américaines sur
la Syrie, des armes chimiques, Obama a été menacé par une procédure
d’impeachment. Sans compter les incertitudes sur les frappes
américaines : lors d’un tir américain de deux missiles sur les côtes
syriennes, par exemple, la défense antiaérienne syrienne a réagi, l’un
des missiles a été détruit et l’autre détourné. Et puis la guerre est
impopulaire aux États-Unis. Cela dit, l’Ukraine est un chef-d’œuvre
d’intox. On vole et on crie au voleur.
L’avenir du projet du Grand Moyen-Orient ?
Le projet démocratique
certainement, même si, à mon avis, il n’y aura pas de démocratie ni
printemps arabes. Le projet de domination reste, même s’il ne va pas
forcément se réaliser. L’enjeu est toujours là pour les Américains. La
ceinture verte est toujours utile pour encercler le postcommunisme. Même
si la Chine est un régime aménagé, il est prudent de le « contenir » en
quelque sorte. Les Occidentaux parlent toujours d’une opposition
modérée en Syrie, je ne sais pas où ils la voient, mais c’est leur
discours. Ils arment une opposition qui est en fait celle des
djihadistes… L’alliance qui s’est forgée progressivement entre la
Turquie, l’Arabie Saoudite et les Occidentaux, notamment États-Unis,
France, Angleterre, alliance de circonstance s’il en est, résiste
encore.
La Syrie peut-elle reprendre son autorité sur l’ensemble du territoire ?
Si on la laisse faire,
je pense que oui. Le discours sur la démocratie est de moins en moins
crédible. On n’a pas à intervenir dans les pays, même pas en Arabie
Saoudite qui doit évoluer toute seule.
Le problème est que l’Arabie Saoudite exporte son idéologie, qu’elle en a une vision universaliste…
Elle exporte son
idéologie pour éviter d’être attaquée à son tour. Mais celui qui a une
vision universaliste, c’est Erdogan. Les projets qu’il concoctait avant
le printemps arabe étaient différents. Il était proche de la Syrie et de
la Libye. Maintenant, il est le soutien des Frères musulmans. Il reçoit
les visiteurs étrangers dans le palais du Sultan avec une garde
d’honneur de vingt-huit soldats représentant les vingt-huit provinces
ottomanes. Ce gouvernement islamiste est nostalgique.
Majed Nehmé, Augusta Conchiglia et Hassen Zenati
* Auteur de Tempête sur le Grand Moyen-Orient qui vient de paraître, (Éd. Ellipses, 576 p.,24 euros).
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article5671
Notes d'Hannibal GENSERIC
[1] Israël, les sionistes, le lobby juif, le CRIF, etc. sujets tabous en France, pays de la liberté d'expression, surtout lorsqu'il faut dénigrer les Arabes, les musulmans, et les nègres.
[2] Voir
Il y a mille ans, des Arabes inventent le premier état socialiste et laïque
Notes d'Hannibal GENSERIC
[1] Israël, les sionistes, le lobby juif, le CRIF, etc. sujets tabous en France, pays de la liberté d'expression, surtout lorsqu'il faut dénigrer les Arabes, les musulmans, et les nègres.
[2] Voir
Il y a mille ans, des Arabes inventent le premier état socialiste et laïque