Vers l'an 1090, Hassan Al-Sabbah, un chef de secte chiite ismaélienne, les
Nizârites, crée une organisation terroriste à l'échelle du Moyen Orient : les
Assassins, et invente les attentats-suicides ou kamikazes. Pendant près de deux
siècles, cette secte se donne pour "mission officielle" de lutter
contre l’invasion du Moyen Orient par les Turcs seldjoukides, mais l’objectif
réel est la régénération du califat fatimide (chiite) décadent. Mille ans plus
tard, Oussama Ben Laden, un chef de secte islamiste, d’obédience sunnite wahhabite,
crée, avec l’aide de la CIA, une organisation terroriste similaire : Al-Qaïda.
Son objectif ? Rétablir le califat sunnite sur le monde arabe, puis sur le
monde islamique puis sur le reste du monde.
Richard coeur de lion contre Saladin |
Rappelons qu’aussi bien Al-Sabbah que Ben Laden se réclament
de l’islamisme (chiite pour le premier, sunnite pour le second). L'islamisme,
c’est cette idéologie qui manipule l'islam en vue d'un projet politique :
transformer le système politique et social d'un État en faisant de la charia, dont l'interprétation univoque est
imposée à l'ensemble de la société, l'unique source du droit.
L’Ordre des Assassins
Le fondateur de l'Ordre des Assassins, Hassan Al-Sabbah est né en Perse, à
Qum, à une date incertaine au milieu du XIe siècle, dans une famille de
commerçants aisés. C'est un brillant étudiant coranique, un homme cultivé, qui
supporte mal l'occupation de son pays par les Turcs seldjoukides. En effet, dès
leur installation en Perse, entre 1038 et 1050, ces envahisseurs imposent
l'Islam sunnite aux Perses chiites. Hassan quitte son pays en 1077, afin de
rejoindre l'Égypte fatimide, le dernier État chiite encore en place. Là, il
devient un proche de Nizâr ben al-Mustansir, le fils aîné du Calife du Caire.
Ensemble, ils réfléchissent à des actions à mener en Perse, afin d'en chasser
les Seldjoukides. Mais rien ne se passe comme prévu: Nizâr est fait prisonnier
et ne rejoint jamais Hassan.
Entre temps, Hassan s'installe dans le massif de l'Elbrouz et s'empare par
la ruse de la forteresse d'Alamout, réputée inexpugnable. Il en fait le centre
névralgique de l'ordre qu'il fonde en 1090. La légende du "Vieux de la
Montagne" est née. Sa présence à la tête des Assassins va durer
trente-cinq ans d'un règne sans partage.
L’ordre des Assassins, qu’il a créé, était divisé en trois classes, les daïs,
les reficks, et les fédaviés (fédayins en arabe).
Les daïs étaient les prédicants, chargés de convertir au nizârisme (une loge
chiite ismaélienne) les infidèles, c'est-à-dire les autres musulmans. Les
reficks étaient les compagnons, les initiés de la doctrine. Les fédaviés étaient les kamikazes, instruments de la
volonté et de la vengeance du maître. On raconte même que la forteresse
d'Alamout possédait un jardin luxuriant abritant de jeunes vierges, un
avant-goût du Paradis promis avec des houris...
La puissance des Assassins s’étendit depuis la Méditerranée (Syrie, Irak)
jusqu’au fin fond du Turkestan. Pendant 150 années, ils entretinrent une
continuelle terreur dans l’âme de tous les souverains de l’Asie musulmane. Bien
que la propagande des Assassins prétende lutter contre les Croisés (Les
croisades ont duré de 1095 à 1291), leurs coups étaient portés, tout comme ceux
d’Al-Qaïda aujourd’hui, essentiellement contre les musulmans. Les Assassins ne succombèrent que sous les
coups des Mongols en 1258. Recherchés dans toute l’Asie musulmane, ils furent
impitoyablement massacrés. Habitués à la clandestinité, ils ne furent jamais
totalement exterminés. Il en existerait encore aujourd’hui en Iran, en
Afghanistan, au Pakistan, et chez les Druzes du Liban et de Syrie. On prétend que
parmi les descendants d'Hassan Al-Sabbah, il y a l'Aga Khan, qui vit à Bombay,
et son oncle, Sadruddin, permanent a l'ONU.
Pour certains historiens, le nom d’«Assassins» proviendrait de
«hashashine», qui signifie consommateurs de haschich, une drogue que le
kamikaze consomme avant d'accomplir son forfait. Pour d’autres, ce nom
proviendrait du prénom Hassan, et a donné les Hassanites (tout comme le calife
Ali a donné son nom aux Alaouites, une loge chiite syrienne). Pour d’autres enfin,
ce mot proviendrait de «Assassiyine», qui signifie fondamentalistes en Arabe,
car les Nizârites se voulaient des fondamentalistes chiites. Les Croisés
auraient transformé l’un de ces mots en Assassins.
Les Croisés, les Templiers et les Assassins
L'arrivée des premiers Croisés en Asie Mineure a lieu peu de temps après
les premières attaques des Assassins. L'invasion des troupes chrétiennes est
plutôt une bonne nouvelle pour les Assassins. Ils voient en eux une aide
imprévue et opportune : Assassins et Croisés ont, en définitive, le même
ennemi: les Turcs Seldjoukides. C'est vers cette époque que les premiers Templiers,
ces moines-soldats chargés de protéger les pèlerins et les soldats chrétiens,
combattent en Terre-Sainte. Assassins et Templiers ont beaucoup de similitudes,
tant dans leur histoire que dans leur organisation et certaines de leurs
méthodes. Les deux ordres sont composés de soldats très entraînés, mus par un
fort mysticisme religieux. Leur rencontre donne lieu à une collaboration de
circonstance, à la fois diplomatique et militaire, principalement en Syrie,
tout comme aujourd’hui entre les factions qaïdistes et les services
« action » occidentaux. On a même des documents des Templiers
(publiés sur Internet), attestant d’alliances entre Croisés et Assassins,
contre des régimes musulmans d’alors, dont celui de Saladin (1138-1193).
Les relations entre Templiers et Assassins sont attestées par Jean de
Joinville (1224 – 1317), le biographe de St Louis . Les Templiers ont
aussi joué un rôle d'intermédiaires avec le monde musulman. Ils entreprirent de
travailler avec les Ismaéliens aux niveaux culturels et religieux : les
Templiers apprirent l'usage des chiffres arabes, l'astronomie, etc., et
acquirent un niveau d'évolution supérieur à celui de leurs
contemporains européens, d'où leur essor économique et leur indépendance vis a
vis des autorités européennes. Les Templiers introduisirent le haschich et sa
culture en Europe. L’introduction de cette culture et des chiffres arabes
furent assimilés par l’Inquisition à « des crimes de sorcellerie »
importée des Sarrasins, et les Templiers furent lourdement condamnés pour cela et impitoyablement poursuivis. Si les
chiffres arabes durent attendre encore quelques siècles, jusqu'aux débuts de la Renaissance, pour s’imposer (voir ici), le haschich a eu plus de succès….. Les Anglais et l’Inquisition accuseront Jeanne d'Arc d’avoir consommé du
hash, pour expliquer « les voix » qu’elle entendait.
Ce qui est saisissant, ce sont les similitudes qui apparaissent lorsque
l’on étudie :
- Le parcours d’Hassan Al-Sabbah (et de ses successeurs) et qu’on le compare avec celui d’Oussama ben Laden et de ses successeurs,
- Le réseau Al-Qaïda de Ben Laden et la secte des Assassins d’Al-Sabbah. Les méthodes sont à peu près les mêmes avec une sacralisation du crime que renforcent des promesses d’un paradis avec des houris,
- Les alliances de circonstance entre les Croisés et les Assassins d’un côté, et entre Al-Qaïda et les Occidentaux (USA, GB, France) de l’autre côté (*).
Principales ressemblances entre Hassan et Oussama
À la lecture de leurs textes de référence, on constate qu’ils ont,
apparemment, le même objectif : l'expansion d'un Islam revu et corrigé sur
toute la planète. Les deux proclament une seule et même profession de
foi : "Les Croisés ou les Occidentaux sont des non croyants, des
impies, des mécréants, et les éliminer est une bonne chose". Mais
cette proclamation est de la pure propagande.
- L’aspect. On peut facilement remarquer la ressemblance entre la représentation d’Hassan et la photo d’Oussama. Tous deux portent une longue barbe, ainsi qu’un habit traditionnel et un turban. On représentait souvent Hassan du haut de sa montagne, un poignard à la main (arme de prédilection des Assassins), afin de montrer sa force et le danger constant qu’il représentait. Ben Laden, quant à lui, se montre le plus souvent au fond d’une caverne ou dans un lieu inexpugnable, une kalachnikov à proximité. Tous deux ne se montrent que peu. Tous deux sont fils de commerçants venus s’installer dans le pays et ayant réussi. Le père d’Hassan était un riche marchand d’origine iranienne, et celui d’Oussama un grand promoteur immobilier d’origine yéménite. Tous deux ont renoncé à la vie facile que leur donnait leur naissance.
- L’ambition et la force d’organisation. On retrouve chez ces deux personnages des talents d’organisateurs nés. Hassan a créé ex-nihilo une communauté en très peu de temps (prise d’Alamout en 1090, premier assassinat en 1092). Oussama s’occupe de la logistique des moudjahiddines afghans pendant la guerre contre les Russes, puis parvient à créer une organisation terroriste des plus efficaces. Tous deux pensent être investis d’un dessein grandiose, le renouveau du Califat fatimide pour Hassan, la restauration du Califat sunnite pour Oussama.
- Le terrorisme. Hassan a dit : "quand nous tuons un homme, nous en terrorisons cent mille ». Tous deux souhaitent maintenir un climat de terreur constante, être partout et nulle part. La menace doit être omniprésente. Les meurtres sont savamment et méthodiquement préparés sur des cibles symboliques devant frapper les esprits (meurtre de dignitaires pour Hassan, World Trade Center et le Pentagone pour Oussama). Ces actions ont, mutatis mutandis, la même finalité : inspirer la peur par l’inéluctabilité de l’acte et déstabiliser les gouvernants. Amin Maalouf (**) passe en revue certaines exécutions de chefs turcs, lors de commandos suicides. Le premier, en 1092, est très lourd de conséquences. L'assassinat de Nizâm el-Moulk (Grand Vizir, l’équivalent du Premier Ministre) par un kamikaze envoyé par Hassan, élimine le seul garant de l'unité seldjoukide. Les Seldjoukides ne se s’en remettront jamais. Le président Bush a admis la création d’un gouvernement américain secret afin de parer à une éventuelle vacance du pouvoir, causée par un acte terroriste d'Al-Qaïda contre lui-même et ses ministres. Après la mort d’Hassan en 1124, les Assassins sont plus actifs que jamais. Ils éliminent tour à tour le cadi de Bagdad, l'émir d'Alep puis son fils. A Damas, le pouvoir est entre leurs mains. Il semblerait même qu'ils sont à deux doigts de livrer la ville à Baudouin II (Comte d’Édesse (1100-1118) puis Roi de Jérusalem (1118-1131)) quand ils sont finalement chassés de la ville, en 1129. De même, n’eût été la victoire d’Al-Qusayr (mai 2013) des troupes syriennes sur les terroristes d’Al-Qaïda, Damas serait aujourd’hui aux mains des Occidentaux.
- Martyrs et sacrifices. Hassan a dit : "il ne suffit pas d'exécuter et de terroriser, il faut aussi savoir mourir, car si en tuant nous décourageons nos ennemis d'entreprendre quoi que ce soit contre nous, en mourant de la façon la plus courageuse, nous forçons l'admiration de la foule. Et de cette foule, des hommes sortiront pour se joindre à nous". L'esprit de martyr et de sacrifice des Assassins était tel qu'une fois l'assassinat réalisé, leurs auteurs ne cherchaient pas à fuir, ils se laissaient attraper pour être lynchés par les gardes ou la foule avec la joie de rencontrer Dieu prochainement. Les kamikazes d’Al-Qaïda ou du Jihad islamique sont des jeunes gens prêts à mourir pour la cause qu’ils croient juste, avec la même promesse de paradis garanti. Plus de 130.000 djihadistes combattent en Syrie en vue d’éliminer un État laïque et multiconfessionnel : une horreur pour les islamistes, une aubaine pour l’Occident. De gigantesques projets gaziers doivent emprunter le territoire syrien.
Conclusions
Hassan et Oussama ont mis en œuvre le vieux concept de « guerre asymétrique », analysé et
détaillé par Sun Zi au Ve siècle av. J.-C., dans son célèbre ouvrage
L'Art de la guerre. En 1993, ce concept a été repris outre-Atlantique. Une
guerre asymétrique est une guerre qui oppose la force armée d'un État à des
combattants matériellement insignifiants, qui se servent des points faibles de
l'adversaire pour parvenir à leur but souvent politique ou religieux.
Les organisations terroristes utilisent pour cela des méthodes de guerre,
et choisissent des espaces opérationnels différents de ceux de leurs
adversaires. Elles usent à outrance de la communication pour discréditer
l’adversaire qui perd toute légitimité de représailles.
En fin de compte, l’art de l’asymétrie est de transformer la victoire tactique de
l’adversaire en sa défaite stratégique. Ainsi en est-il des
« victoires » occidentales en Afghanistan, en Irak, en Somalie, au
Yémen et en Libye. Voici ce qu’Al-Zawahiri, le nouveau chef d’Al-Qaïda,
proclamait, à juste titre, dans un message diffusé le 11/9/2013 sur Al-Jazeera,
la chaîne officieuse d’Al-Qaïda, "Pour maintenir l'Amérique sous tension et en état
d'alerte, il faut quelques attaques par-ci par-là. Nous avons déjà gagné la
guerre en Somalie, au Yémen, en Irak et en Afghanistan, nous devons donc
poursuivre cette guerre sur ses propres terres".
Depuis le 11-Septembre, Washington a redéfini les menaces et les ennemis
asymétriques en ne distinguant plus que « ceux qui sont avec nous »
et « ceux qui sont contre nous », en fonction de l’humeur et
des intérêts des décideurs américains, sans grand rapport avec les menaces
réelles, et sans tenir compte de ses supposés alliés. Au motif de lutter contre Al-Qaïda, ils ont
transformé des mouvements de résistance anti coloniaux classiques et des
régimes laïques (Irak, Syrie, Libye) en cibles de la « guerre mondiale
contre le terrorisme ». En conséquence, les terroristes d’Al-Qaïda
exploitent la vulnérabilité de ces pays musulmans, quasiment détruits par
l’OTAN, pour se développer et prospérer.
En semant et en cultivant les graines du terrorisme islamiste, l’Occident
finira un jour par en récolter les fruits, ô
combien, amers. "Qui sème le vent récolte la tempête".
Comme Al-Qaïda aujourd’hui, les Assassins d’hier surent profiter, au XIIe
siècle, de deux conjonctures :
(1) les attaques des Croisés contre les pays musulmans,
(2) la faiblesse de leur ennemi musulman, par ailleurs considérablement
supérieur en nombre : celle de pouvoirs politiques autocratiques, au sein
desquels la disparition d’un homme pouvait avoir de lourdes conséquences.
À mille ans d’intervalle :
- Les terroristes d'Al-Qaïda sont les nouveaux Assassins.
- Les Américains et leurs vassaux sont les nouveaux Croisés. Leur Messie s’appelle "Pétrogaz", et "le tombeau du Christ" qu’ils veulent protéger s’appelle "gisement d’hydrocarbures".
Hannibal Genséric
(*) Al-Qaïda
serait une émanation des services secrets américains dans le cadre d’une
gigantesque opération « Gladio B ». Le 17
mai 2013, l’essayiste et journaliste d’investigation
Nafeez Mosaddeq Ahmed a publié des révélations fracassantes dans le
magazine britannique Ceasefire Magazine, à partir des informations données par
Mme Sibel Edmonds, une ancienne traductrice du FBI de 42 ans. Ces
informations ont été reprises le 25 juin 2013 par plusieurs sites Internet mondiaux
de référence, et notamment le Huffington Post britannique. Selon ces
révélations, Ayman Al-Zawahiri, l’actuel chef d’Al-Qaïda et adjoint
d’Oussama ben Laden à l’époque, aurait rencontré à plusieurs reprises des
militaires et des responsables du renseignement américains à l’ambassade des
États-Unis de Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, entre 1997 et 2001, dans le
cadre d’une opération connue sous le nom de « Gladio B ».
Cette
opération « Gladio B » aurait consisté dans l’instrumentalisation, par les services
secrets américains, de groupes terroristes islamistes à partir des années 1990.
Il se serait agi de la reprise de la méthode des opérations « Gladio », qui
avaient instrumentalisé de la même façon des groupes néo-fascistes et néo-nazis
en Europe dans les années 1970, particulièrement en Italie et en Belgique.
Ces
opérations terroristes préparées avec le soutien des services secrets
américains (CIA) et britannique (MI6) étaient ensuite attribuées faussement à
des mouvements communistes.
(**) "Les
croisades vues par les Arabes" Amin MAALOUF ; Paris, 1983.
"La
secte des Assassins XIe - XIIIe siècles, Des "martyrs" islamiques à
l'époque des croisades" ; Christine MILLIMONO, , Paris, 2009
"La
Convocation d'Alamut" ; Nasiroddin Tusi,
"La
Grande Résurrection d'Alamut" ; Christian Jambet aux éditions
Verdier.
"Le
Pendule de Foucault" ; Umberto Eco.
“Alamut” ;
Vladimir Bartol