par François Charles
Il y a déjà plusieurs mois que les Etats-Unis, après avoir classé
l’Algérie comme « pays à risque pour la sécurité des diplomates », ont
implanté des installations militaires avec contingents
de marines, à la pointe sud de l’Espagne, sans cacher le moins du
monde leurs intentions interventionnistes vers le nord de l’Afrique.
Sachant par ailleurs, que les Etats-Unis visent désormais la région frontalière située entre le sud tunisien et l’Algérie : « Signe que les Etats-Unis sont décidés à agir, le Pentagone vient
de récupérer, dans le sud de la Tunisie, une ancienne base désaffectée
qui doit être rénovée pour intervenir sur le théâtre libyen, affirme une
source diplomatique à Tunis. (le Figaro, 1er février 2014), le moins qu’on puisse dire, même s’il n’est question pour l’instant que d’intervenir en Libye, est que l’ogre se rapproche…
Menaces de punition pour n’avoir pas suffisamment soutenu
l’intervention militaire française au Mali ? Projet de déstabilisation
d’un dernier bastion encore par trop indépendant de l’influence US ?
Toujours est-il que, après les maliens et au vu de l’état de tension
régnant dans toute la sous-région, les algériens sont fondés à nourrir
de grandes inquiétudes.
Une intervention militaire annoncée
500 marines, huit avions militaires de combat…Les Etats-Unis ont
ainsi déployé, depuis l’été 2013, une force militaire d’intervention
conséquente, dans la petite ville de Moron en Espagne. Si le
stationnement de militaires américains sur le sol espagnol n’est pas un
scoop, ce qui est nouveau en revanche est la spécificité dédiée à cette
nouvelle implantation. L’aveu du gouvernement espagnol à ce sujet est
d’ailleurs de taille : » permettre à l’armée américaine d’intervenir dans le nord de l’Afrique en cas de troubles majeurs ». On ne saurait, en effet, être plus clair !
Aujourd’hui, alors que les USA viennent de faire une demande
officielle au gouvernement Rajoy d’augmenter de moitié le contingent des
marines déjà en place, appelé « Force de riposte pour la crise en
Afrique », on apprend, par le quotidien espagnol El Pais, que sont
prévus d’importants mouvements de la marine militaire US sur les côtes
espagnoles : » Le 11 février prochain le destroyer américain USS
Donald Cook arrivera avec ses 338 membres d’équipage à la base navale de
Cadix. Un second navire, USS Ross arrivera en juin et deux autres, USS
Porter et USS Carney, en 2015. Au total, ce seront 1100 marines, avec
leurs familles, qui s’installeront sur la base de Cadix ».
Interrogé à propos de toutes ces manoeuvres et implantations
militaires, Gonzalo de Benito, secrétaire d’Etat espagnol aux affaires
étrangères, se contentera de commenter : » Quelles opérations
réaliseront ces marines suréquipés ? Je ne peux pas le dire car ces
forces sont pas venues pour des opérations précises mais pour des
contingences qui peuvent se produire… »
Entre menaces et langue de bois, on mesure combien ces bruits de bottes sont à prendre au très sérieux.
Que ce soit en Italie ou en Espagne, au Nord Mali ou au Niger,
qu’elles soient françaises ou US, force est de constater que les
implantations militaires se multiplient dans la région proche Maghreb.
L’humanitaire d’abord et puis… la guerre
Toutes les interventions extérieures qui ont procédé, et y tendent
encore, à ce processus de désintégration territoriale et politiques des
nations, notamment africaines… ont toujours été précédées de campagnes
ultra-médiatiques menées sur le terrain de « l’humanitaire ». On connaît
parfaitement le déroulé des opérations : « humanitaires » et ONG
signalent, généralement là où on le leur dit, une situation dramatique
pour les civils, y dénoncent des famines en cours ou à venir,
identifient des multitudes de génocides (ou risque de), abreuvent les
opinions publiques d’images-choc et finalement… les grandes puissances
se voient »contraintes », à leur corps défendant s’entend… d’intervenir
au nom du « droit à la vie des populations concernées ». CQFD en Libye,
en Côte d’Ivoire, en Centrafrique, au Mali…tous désintégrés, découpés
et finalement partitionnés.
C’est ainsi que, après avoir rôdé il y a fort longtemps son procédé
au Biafra et en Somalie, tous deux désintégrés (1), le »bon » docteur
Kouchner, devenu ministre français de gauche et de droite, allait
inventer en ex-Yougoslavie, elle aussi désintégrée, la version
définitive du « droit d’ingérence » ! Invention qui, après avoir montré
toute son efficacité dans l’implosion des Balkans, allait faire florès
aux quatre coins d’une planète soumise à la globalisation impériale.
De l’Irak des « armes de destruction massive » à la Libye du
« sanguinaire » Kadhafi » meilleur ami de la France, de la Syrie au
Mali, de la Côte d’Ivoire à la Centrafrique… on s’aperçoit que c’est
surtout au nombre de guerres menées, en son nom, sur le continent qu’on
peut mesurer les résultats de cette politique « humanitaire ».
Afrique du Nord, Algérie et Tunisie clairement visées
Qu’on n’oublie pas que le département américain des affaires
étrangères a récemment classé l’Algérie dans sa trop fameuse liste des
pays « à risque sécuritaire pour les diplomates ». Par ailleurs, au même
moment, sous forme d’amendements, était rediscutée au Congrès américain
la loi anti-terroriste avec comme objectif affiché de permettre
l’intervention des Forces Armées, sans consultation préalable en…Afrique
du Nord ! Tiens donc…
Les ONG humanitaires dont on a déjà dit l’empressement à « appeler
les grandes puissances » et leurs armées au secours, sont depuis
longtemps à pied d’oeuvre en Algérie. Selon la centrale syndicale UGTA
(Union Générale des Travailleurs Algériens) ces ONG mènent campagne dans
le but de diviser et opposer les populations entre elles : Nord contre
Sud, Berbères contre Arabophones, salariés contre chômeurs… En tête de
liste de ces « humanitaires » on trouve les ONG telles que Freedom
House, Canvas, NED…dont les liens avec la CIA sont un secret de
polichinelle. (2)
L’UGTT les accuse nommément d’infiltrer les mouvements sociaux aux fins de « les
dévoyer et de les conduire vers des actions violentes, cherchant ainsi à
créer une situation de troubles pouvant justifier une intervention
extérieure » et encore » Alors que les jeunes manifestent
légitimement pour la création d’emplois, contre la précarité et
l’exploitation, les jeunes animateurs de Canvas leur proposent de régler
la question de l’emploi dans un cadre séparatiste, du Sud de l’Algérie,
c’est à dire là où se trouvent les grandes richesses minières,
pétrolières et gazières. » Comme par hasard, serait-on tenté d’ajouter ou plutôt…comme d’habitude. (3)
Insécurité et troubles sociaux provoqués en de ça des frontières,
insécurité généralisée provoquée au delà. La méthode est connue. Les USA
qui s’appuient déjà sur la déstabilisation régionale pour justifier le
déploiement de leurs dispositifs militaires en Méditerranée ne
manqueront pas de prendre demain le prétexte des troubles sociaux ou
« du danger pour les diplomates » pour intervenir directement.
Ne serait-il pas légitime, pourtant, de poser la question de la
responsabilité des grandes puissances, et très précisément de celle des
USA, dans la prolifération des activités terroristes armées dans toute
cette région d’Afrique ? N’est-ce pas, et ce n’est pas là le moindre des
paradoxes, au nom de cette insécurité que les USA, par OTAN et France
interposées, ont décidé de faire exploser la Libye en 2011 ? N’est-ce
pas pour les mêmes raison que l’armée française est entrée en guerre au
Mali en 2012. Deux interventions qui, rappelons le, loin de ramener la
paix, ajoutant la déstabilisation à la déstabilisation, ont fait du
Sahel, et de toute la sous-région, une véritable poudrière.
Ces nouvelles menaces US inscrites dans le cadre de la stratégie dite
des « dominos », si chère à l’ancienne administration Bush, doivent
être prises très au sérieux. On le voit, les prétextes même les plus
fallacieux, ne manquent pas et ne manqueront pas, dans un avenir proche,
pour une intervention militaire extérieure. Les grandes puissances ne
s’arrêteront pas, bien au contraire, devant les risques
de désintégration régionale et leurs conséquences meurtrières pour les
peuples.
Déjà, c’est toute la région qui subit l’incroyable prolifération des
armes due à l’explosion de l’état Libyen et au flux continu d’armements
en tout genre, totalement irresponsable, à destination d’islamistes
extrêmes en Syrie. Les ondes de choc de cette situation on les
connait au Mali où une France militairement dépassée se montre très
(trop) bienveillante à l’égard de séparatistes très bien équipés, en
Algérie où ressurgit une certaine forme de terrorisme islamiste qu’on
pensait éradiquée et jusqu’en Tunisie où sévissent désormais des groupes
paramilitaires se réclamant de l’Islam et où, dans le même temps, le
pouvoir laisse impunis les assassinats d’opposants politiques.
Il apparaît de plus en plus clairement aux populations concernées que
ces menées dislocatrices dirigées contre des états souverains n’ont
pour objectif que de laisser des nations affaiblies aux mains de
supplétifs, divisées et impuissantées, incapables de résister aux
appétits des multinationales.
C’est bien pourquoi les états d’où sont originaires ces
multinationales s’entendent si bien, au gré de leurs intérêts et quoi
qu’ils en disent, avec les islamistes les plus furieux, qu’il s’agisse
aujourd’hui du Sahel et de la Syrie ou de la Libye hier. Autrement dit, à
chacun son pré-carré, à chacun ses profits et ses caisses bien
remplies.
Décidément, jamais les « vieilles chimères », portées par les pères
fondateurs des Indépendances, comme le « panafricanisme » ou
« l’Afrique aux africains »… jetées depuis aux oubliettes de l’histoire,
ne semblent pourtant avoir été autant d’actualité.
De toutes les manières et quoi qu’il en soit des débats urgents
qu’impose la situation dramatique infligée au continent, l’actualité
dicte que l’Algérie ne se voit pas dicter sa conduite sous intervention
militaire.
1/ Après le Biafra, Bernard Kouchner expliquera qu’il convient de
« convaincre » d’abord les opinions publiques. S’en suivirent alors les
opérations à grand spectacles comme « un sac de riz pour la Somalie »,
« un bateau pour le Vietnam »…les dissensions avec MSF, son départ et la
fondation de Médecins du monde.
2/ UGTA Alger le 28 juin 2013 in Fraternité journal du PT algérien
3/ Sur le rôle néfaste des « humanitaires », des ONG et la dislocation des nations, voir http://www.lautreafrique.info (« Banque Mondiale et ONG déstabilisent les états »)