L’antisémitisme devint une politique officielle du
gouvernement allemand quand Hitler fut nommé chancelier du Reich allemand le 30
janvier 1933. Le printemps 1933 avait aussi vu le commencement
d’une période de discrète coopération entre le sionisme et le régime fasciste
allemand afin d’accroître le flux de capitaux et d’émigrants Juifs vers la
Palestine. Les autorités sionistes avaient longtemps réussi à maintenir
cette coopération secrète, et ce n’est que vers le début des années 1960 que
des critiques se sont exprimées ici ou là.
La réaction sioniste a généralement
consisté en des déclarations selon lesquelles leurs brefs contacts avec
l’Allemagne nazie avaient été entrepris à seule fin de sauver des vies juives.
Mais ces contacts étaient d’autant plus remarquables qu’ils avaient eu lieu à
une époque où de nombreux juifs et organisations juives exigeaient un boycott
de l’Allemagne nazie.
A l’occasion de la 16ème convention du
Parti Communiste Israélien, un document proposé au début de la conférence
affirmait que «après la prise de pouvoir par Hitler en Allemagne, alors
que toutes les forces antifascistes dans le monde ainsi que la grande majorité
des organisations juives avaient proclamé un boycott contre l’Allemagne nazie,
des contacts et une collaboration existaient entre les dirigeants sionistes et
le gouvernement hitlérien.» Le document citait les propos tenus par le
dirigeant sioniste Eliezer Livneh (qui était le rédacteur en chef de l’organe
de la Haganah pendant la deuxième guerre mondiale) lors d’un symposium organisé
par le journal israélien Maariv en 1966, qui expliquait «que pour les
dirigeants sionistes, secourir les juifs n’était pas un but en soi, mais
seulement un moyen» (c’est-à-dire pour établir un Etat juif en Palestine).
S’interroger sur la réaction du mouvement sioniste face au fascisme allemand
qui, pendant ses douze années au pouvoir, a assassiné des millions de juifs
relève du tabou aux yeux des leaders sionistes. Ce n’est que rarement qu’on
peut tomber sur des preuves authentiques ou des documents au sujet de ces
questions. Cette enquête rassemble des informations recueillies jusqu’à tout
récemment sur certains aspects importants de la coopération entre les fascistes
et les sionistes. La nature des choses veut que cette enquête ne présente pas
une image complète. Cela ne sera possible que quand les archives (surtout
celles qui sont en Israël) dans lesquelles les documents concernant ces
évènements sont enfermés à double tour seront accessibles aux chercheurs
universitaires.
L’avènement d’Hitler
Pour les dirigeants sionistes, l’arrivée d’Hitler au
pouvoir était grosse de la possibilité d’un afflux d’immigrants en Palestine.
Auparavant, la majorité des juifs allemands, qui se considéraient eux-mêmes
comme allemands, n’avaient guère de sympathie pour l’entreprise sioniste. Les
statistiques allemandes, compilées avant la prise du pouvoir par les fascistes,
classait la minorité juive uniquement en tant que «confession religieuse» et ce
sont les législateurs fascistes qui introduiront la notion de «race» en tant
que caractéristique et incluront de la sorte même les descendants assimilés
issus de la communauté juive dans la catégorie [raciale, NdT] juive.
Selon les statistiques, 503 000 juifs vivaient en
Allemagne en 1933, constituant ainsi 0.76 % de la population totale. 31 % de
tous les juifs allemands résidaient dans la capitale Berlin où ils
représentaient 4,3 % de la population de la ville. Les statistiques allemandes
indiquent aussi que la proportion de juifs dans la population de l’Allemagne
avait diminué entre 1871 et 1933, passant de 1,05 % à 0.76 %.
Ces juifs allemands étaient dans leur écrasante
majorité non sionistes ou antisionistes et, avant 1937, l’Union Sioniste pour
l’Allemagne (Zionistische Vereinigung für Deutschland, ZVFD) avait beaucoup de
mal à se faire entendre.
Parmi les juifs recensés en Allemagne en 1925, il n’y
en avait par exemple que 8739 (pas même 2 %) susceptibles de voter dans les
conventions sionistes (c’est-à-dire en qualité d’adhérents d’organisations
sionistes). Aux élections régionales de la communauté juive tenues en Prusse en
février 1925, seulement 26 des 124 personnes élues appartenaient à des
organisations sionistes. Un rapport de Keren Hayesod présenté à la 24ème
session de la ZVFD en juillet 1932 constatait : «dans le processus
d’évaluation du travail de Keren Hayesod en Allemagne, on ne doit pas oublier
qu’n Allemagne, nous devons tenir compte non seulement de l’indifférence de
larges cercles juifs mais aussi de leur hostilité.»
Par conséquent, à l’époque de l’avènement au pouvoir
d’Hitler, les sionistes étaient pour l’essentiel une petite minorité
insignifiante et peu influente et d’étaient les organisations non sionistes qui
jouaient un rôle dominant parmi les juifs. A leur tête se trouvait la
Centralverein deutscher Staatsbürger jüdischen Glaubens (CVn ou Union Centrale
des Citoyens Allemands de Confession Juive), fondée en 1893 qui, ainsi que son
nom le laisse entendre, considérait les juifs allemands comme des allemands et
considérait que son premier devoir était de combattre l’antisémitisme.
En accord avec cette position fondamentale, la CVn
avait aussi nettement affirmé son rejet du sionisme. C’est ainsi qu’une
résolution adoptée par la principale instance de la CVn le 10 avril 1921 se
concluait par ces mots : « si le travail de colonisation en Palestine
n’était qu’une affaire d’aide et d’assistance, alors, du point de vue de la
Centralverein, il n’y aurait rien à redire à la promotion de ce travail.
Cependant, la colonisation en Palestine est d’abord l’objet d’une politique
nationale juive et sa promotion et son soutien doivent donc être rejetés.» En
conséquence, c’était la CVn qui, pendant les années précédant l’arrivée
d’Hitler au pouvoir, se tenait à l’avant-garde des partis et organisations
progressistes dans leur lutte contre l’antisémitisme. Au sujet de cette
attitude, l’écrivain juif Werner E. Mosse remarquait : «Alors que les
dirigeants de la CV considéraient comme de leur devoir de représenter les
intérêts des juifs allemands dans l’action et le combat politiques, le sionisme
prenait position pour … une non participation des juifs à la vie publique
allemande. Il rejetait par principe toute participation à la lutte menée par la
CVn.»
L’attitude des sionistes à l’égard de la menace d’une
domination fasciste totale en Allemagne était déterminée par certains
présupposés idéologiques communs : les fascistes tout comme les sionistes
croyaient aux pseudo théories raciales, et les uns comme les autres
partageaient la croyance dans des généralisations mystiques comme le caractère
national» (volkstum) et la «race,» les uns et les autres étaient chauvins et
penchaient pours «l’exclusivisme racial.» C’est ainsi que l’officiel sioniste
Gerhart Holdheim écrivait en 1930 dans une livraison du Süddeutsche Monatshefte
consacrée à la question juive (une publication dans laquelle, entre autres, des
antisémites notoires faisaient connaître leurs opinions) : « Le
programme sioniste conçoit la communauté juive comme étant homogène et
indivisible, sur une base nationale. Le critère qui définit la communauté juive
n’est pas al confession ou la religion, mais un sentiment global d’appartenance
à une communauté raciale que réunissent des liens de sang et historiques et qui
est déterminée à préserver son individualité nationale.» C’état le même
langage, la même phraséologie que celle utilisée par les fascistes. Il va de
soi que les fascistes allemands voyaient d’un bon œil les conceptions
sionistes, tel Alfred Rosenberg, le principal idéologue du parti nazi qui
écrivait :
«le sionisme doit être soutenu vigoureusement de sorte
à ce qu’un certain nombre de juifs allemands partent chaque année en Palestine
ou que, du moins, on leur fasse quitter le pays.» Considérant une déclaration
de ce genre, Hans Lamm écrira plus tard : «…il est incontestable que dans
les premières étapes de leur politique juive, les nationaux socialistes
pensaient qu’il convenait d’adopter une attitude pro sioniste.»
De manière très perspicace, la CVn avait remarqué que
la reconnaissance par les sionistes de «certains postulats des nationalistes
allemands » avait donné des munitions aux antisémites et, dans une
déclaration de politique générale émise par la CVn il était même question du
sionisme comme ayant mis au mouvement [juif] un «coup de poignard dans le dos»
dans la lutte contre le fascisme.
Mais les sionistes pensaient que seul Hitler pouvait
pousser les juifs allemands antisionistes dans le bras du sionisme. Robert
Welsch, qui était alors rédacteur en chef du journal sioniste allemand Jüdische
Rundschau déclarait le 8 janvier 1933 (trois semaines après l’arrivée d’Hitler
au pouvoir) lors d’ une réunion du comité local de la ZVFD : «Le
caractère antilibéral du nationalisme allemand [i.e. les tendances réactionnaires
de la bourgeoisie allemande – K.P.] s’accordaient avec la position antilibérale
du sionisme et nous nous trouvons maintenant devant une chance de trouver, non
une base pour une compréhension [mutuelle, NdT] mais pour la discussion.»
L’appel à Hitler le 30 janvier pour prendre la tête du
gouvernement fut suivi par une mainmise sur toutes les positions d’autorité par
le parti national Socialiste, ce qui signifiait que des antisémites déclarés
étaient désormais au pouvoir. Les juifs allemands regardaient ces évènements
avec appréhension parce que dans le programme du parti nazi figuraient le
retrait de la citoyenneté aux juifs (Point 5) la révocation des Juifs exerçant
dans la fonction publique (Point 6) ainsi que l’expulsion de tous les Juifs qui
avaient immigré en Allemagne après le 2 août 1914 (Point 8).
Seuls les sionistes voyaient des avantages à cette
tournure des évènements (L’historien britannique Christopher Sykes, qui n’était
certes pas antisioniste, est de l’opinion «que les dirigeants sionistes étaient
déterminés dès le tout début du désastre nazi à retirer un avantage politique
de la tragédie.»
La première expression publique de cela fut l’œuvre du
Dr Joachim Prinz, un rabbin berlinois qui était un sioniste convaincu et qui
immédiatement après le 30 janvier 1933 décrivit la prise de pouvoir par Hitler
comme étant le «début du retour des juifs à leur judaïsme.»
Evoquant le terrorisme fasciste contre les juifs
allemands, Prinz écrivait : « Nous n’avons plus nulle part où nous
cacher. Au lieu de l’assimilation, nous souhaitons la reconnaissance de la
nation juive et de la race juive.» Ce point de vue n’était pas du tout celui
d’un individu isolé. On pouvait lire le 13 juin 1933 dans l’organe officiel de
la ZVFD, le Jüdische Rundschau:
Le sionisme reconnaît l’existence d’une question juive
et veut la résoudre d’une manière généreuse et constructive. A cette fin, il
veut s’attirer le soutien de tous les peuples ; ceux qui ont de la
sympathie pour les juifs tout comme ceux qui leur sont hostiles, dans la mesure
où, du point de vue sioniste, ce n’est pas une question sentimentale mais un
véritable problème à traiter à la solution duquel tous les peuples sont
intéressés.
En recourant à cette argumentation, le sionisme
adoptait la même ligne politique que les fascistes.
Le 21 juin 1933, les sionistes firent une déclaration
officielle sur leur politique à l’égard de la prise de pouvoir par les
fascistes : «La déclaration de l’Union Sioniste pour l’Allemagne en
Référence à la Position des Juifs dans la Nouvelle Allemagne.» Dans une
partie de ce long document, il était souligné que «Notre avis est qu’un des
principes du nouvel état allemand d’exaltation nationale rendrait possible une
solution satisfaisante.» Dans son document, la ZVFD, jetait un regard sur
l’histoire de la situation des juifs en Allemagne, en se servant d’un
vocabulaire fasciste comme les «liens du sang et de la race» et, exactement
comme Hitler, postulait une «âme spécifique» pour les juifs. Les sionistes
affirmaient ainsi : «Pour le juif aussi, l’origine, la religion, la
destinée commune et la conscience de soi doivent avoir une signification
décisive dans sa façon de vivre. Ce qui nécessite de surmonter l’individualisme
égoïste qui s’est répandu à l’époque libérale, et devrait être réalisé à
travers l’acquisition d’un sentiment commun d’unité et en assumant avec joie
notre responsabilité.»
Après cette admission et cette reprise des thèses
fascistes, suivait une reconnaissance ouverte de l’Etat fasciste : «Sur le
sol du nouvel Etat [i.e. l’Allemagne fasciste], qui a établi le principe de la
race, nous volons organiser l’ensemble de la structure de notre communauté de
la même manière, de sorte que, pour nous aussi, l’aboutissement de la
revendication de notre patrie puisse aboutir dans la sphère qui nous est
allouée.» En conclusion, les sionistes condamnaient la lutte contre le régime
hitlérien menée par les forces antifascistes qui avaient appelé au
printemps 1933 au boycott économique de l’Allemagne nazie. « La propagande
pour le boycott qu’ils sont en train de faire contre l’Allemagne est dans sa
nature même contraire au sionisme dès lors que le sionisme ne veut pas
combattre mais convaincre et construire.»
Pour saisir toute la portée de cette déclaration du
ZVFD, il faut ici aussi se souvenir de ce qui l’a précédée. La persécution des
juifs avait déjà commencé et avait déjà atteint un premier point culminant avec
un grand pogrom qui avait touché toute l’Allemagne le 1er avril 1933. Dans les
premiers jours de mars 1933, les citoyens juifs allemands avaient été
maltraités dans des viles allemandes (par exemple des boutiques juives avaient
été pillées à Brunswick le 11 mars et, le 13 mars, des avocats juifs avaient
été malmenés devant le palais de justice de Breslau [aujourd’hui Wroclaw en
Pologne]. Les autorités fascistes avaient promulgué la loi sur la restauration
de la fonction publique [le 7 avril 1933] qui aura pour conséquences, entre
autres, la révocation de 2000 chercheurs et professeurs juifs des universités.
Le 18ème congrès sioniste, qui s’était réuni à l’été 1933n’y voyait
pas de problème : quand, pendant las session du congrès sioniste qui se
tenait le 24 août 1933, la situation des juifs en Allemagne allait être
débattue, le présidium du congrès a fait en sorte d’empêcher la discussion. Il
avait aussi réussi à empêcher l’introduction d’une résolution appelant au
boycott des marchandises allemandes, et avait à la place insisté fortement sur
la nécessité d’organiser l’émigration des juifs allemands. Les protestations
contre les évènements en cours en Allemagne avaient été réduites au plus strict
minimum.
Les fascistes récompensèrent les sionistes pour leur
«retenue » et permirent au ZVFD de poursuivre ses activités sans entraves.
(C’était au moment où tous les partis et organisations démocratiques et
antifascistes en Allemagne étaient soumis à une répression des plus
rigoureuses et où leurs cadres et leurs membres étaient en prison ou en
camp de concentration) Dans le même temps, les fascistes mettaient toutes
sortes d’obstacles sur le chemin des organisations non sionistes. Ces entraves
touchaient en tout premier lieu la CVn parce que, avant 1933 déjà, les
fascistes voyaient dans la CVn « leurs principaux opposants juifs, »
ainsi qu’il est indiqué dans de nombreux exemples tirés de la presse nazie.
La CVn avait toujours accusé les sionistes de monter
peu d’intérêt pour la «lutte [contre le fascisme … et qu’ils [les sionistes]
suivaient une politique d’indifférence [devant l’emprise du péril fasciste]
parce qu’il ne se sentait pas concerné.»
Le 1er mars 1933, les SA, des
paramilitaires fascistes, occupaient le siège central de la CVn pour le fermer.
Le 5 mars 1933, la CVn était interdite en Thuringe pour cause de «complot
de haute trahison.» Dans le même temps, l’Etat nazi se tournait contre d’autres
organisations juives non sionistes, comme la « Ligue du Reich des Anciens
Combattants », par exemple, qui représentait une tendance juive
nationaliste allemande. L’ «Union Nationale des Juifs Allemands» était
également interdite.
Avec ce soutien fasciste, les dirigeants de l’Union
Sioniste pour l’Allemagne purent obtenir pour la première fois une position
dominante auprès des juifs allemands. A l’automne 1933, la « Association
du Reich des Juifs en Allemagne» fut fondée et de grandes organisations
juives, dont le CV et le ZVFD y participèrent. Le chef de cette organisation
était le rabbin Leo Baeck dont la personne reflétait l’attitude ambivalente de
l’organisation à l’égard du sionisme ; Baeck était à la fois membre de la
principale instance du CV, et président du fonds de colonisation juive «Keren
Hayesod» en Allemagne.
L’organisation nouvellement créée offrait aux
dirigeants sionistes une plateforme plus large pour leurs activités.
L’Association du Reich n’avait pas été, comme on l’a
parfois prétendu, créée sur instruction des autorités fascistes.
Ball-Kaduri écrit :
«Il s’est avéré que la création de l’Association du
Reich se fit sans aucune interférence de l’Etat ; une fois le processus de
structuration achevé, l’organisation a simplement été déclarée au ministère de
l’intérieur du Reich. – la Gestapo ne s’y était pas du tout intéressée.» C’est
seulement le 4 juillet 1939 que l’ordonnance concernant la création obligatoire
d’une Union des Juifs du Reich en Allemagne fut promulguée, amenant à changer
le nom de l’organisation qui passa de celui de Députation à celui d’Union.
Cette ordonnance rendait obligatoire l’adhésion de tous les Juifs à l’Union du
Reich. Le paragraphe 2 de cette ordonnance satisfaisait également un des
objectifs du sionisme en affirmant : «L’Union du Reich a pour objectif la
promotion de l’émigration de tous les Juifs.»
Le parti nazi, à ses échelons les plus élevés,
autorisait des activités politiques de divers types. A cet égard, par exemple,
la police politique bavaroise notait le 9 juillet 1935 :
Les organisations sionistes collectent depuis un
certain temps de l’argent auprès de leurs adhérents et de leurs sympathisants
avec l’intention de promouvoir l’émigration, en achetant de la terre en
Palestine, et d’obtenir un soutien pour la colonisation en Palestine. Ces
collectes n’ont pas besoin d’obtenir une autorisation administrative parce
qu’elles se font dans des cercles juifs fermés. De plus, la police de l’Etat
n’a pas d’objections contre l’organisation de ces réunions dès lors qu’elles
portent sur ce genre de fonds qui ont pour but de promouvoir la résolution en
pratique du problème juif.
Après 1933, les fascistes permirent aux sionistes de
continuer avec leur propagande. Tandis que tous les journaux en Allemagne
étaient placés directement sous supervision du Ministère de la Propagande (les
journaux publiés par les communistes, le parti Social-démocrate ou les
syndicats et d’autres organisations progressistes étaient interdits) le
Jüdische Rundschau pouvait paraître sans entraves.
Winfried Martini, correspondant à l’époque de la
Deutsche Allgemeine Zeitung à Jérusalem et qui, selon son propre témoignage,
avait des «liens personnels étroits avec le sionisme » observa plus tard
ce « fait paradoxal » que «de toute la presse, c’était la presse
juive i.e. sioniste] qui pendant des années conserva une certaine marge de
liberté qui avait été complètement retirée à la presse non juive.» Il
ajoutait que dans le Jüdische Rundschau, on pouvait très souvent trouver des
opinions critiques à l’égard des nazis sans pour autant que cela se traduise
par l’interdiction du journal.
C’est seulement à partir de fin 1933 que cela
conduisit à une interdiction de la vente de ce journal à des non juifs. Les
Juifs devaient, c’est ce que souhaitaient les fascistes, être convertis au
sionisme même si cela devait se faire avec une argumentation dirigée contre les
fascistes. De la sorte, la diffusion de ce journal sioniste qui était
auparavant assez faible connut une rapide augmentation.
Que le journal sioniste ait pu se féliciter d’être
dans les bonnes grâces des dirigeants fascistes est compréhensible quand on
examine la position de cet organe de presse vis-à-vis du boycott des commerces
juifs du 1er avril 1933. Ce pogrom organisé contre des citoyens
Juifs en Allemagne, qui avait soulevé l’indignation dans le monde entier et
provoqué colère et répulsion chez tous les Allemands honnêtes n’avait pas été
condamné franchement par le journal qui l’évaluait plutôt comme une
confirmation de la justesse de la position sioniste : «l’erreur fatale de
nombreux Juifs [de croire] que quelqu’un peut représenter les intérêts
juifs sous une autre casquette [autre que juive en tant que telle, NdT]
est écartée, » écrivait le Jüdische Rundschau en parlant du pogrom :
«Le 1er avril 1933 peut être un jour de réveil juif et de
renaissance juive.»
La liberté d’action des sionistes incluait aussi
l’édition de livres à côté de leur journal. Jusqu’en 1938, plusieurs maisons
d’édition (dont entre autres, Jüdische Verlag à Berlin-Charlottensburg et
Schochen-Verlag à Berlin) pouvaient publier sans entraves de la littérature
sioniste. C’est ainsi que purent être publiés en toute légalité dans
l’Allemagne fasciste des textes de Chaim Weizmann, David Ben Gourion et Arthur Ruppin.
Les premiers jours de la domination nazie en Allemagne
virent aussi le début d’une collaboration économique entre les fascistes et les
sionistes. En mai 1933, la compagnie sioniste de plantation de citronniers en
Palestine, Hanotea», avait déjà sollicité du ministère de l’économie du
Reich la permission de transférer du capital d’Allemagne, ouvrant ainsi la voie
à l’accord de transfert (Haavara) qui interviendra plus tard.
La compagnie «Hanotea » achetait les marchandises
allemandes dont elle avait besoin, les payant avec des comptes bancaires en
Allemagne d’émigrants Juifs. Les émigrants quittaient alors l’Allemagne et
recevaient l’équivalent en immobilier de ce qui avait été prélevé sur leurs
comptes. Comme l’expérience avec Hanotea semblait avoir été une réussite aux
yeux des dirigeants sionistes, des négociations furent entreprises à l’été 1933
entre la partie sioniste et le ministère allemand de l’économie, ce qui aboutit
à la signature de ce qu’on a appelé l’accord Haavara.
Les négociations de 1933 sur la Haavara sont un des
épisodes de l’histoire du sionisme sur lequel un voile a été jeté, vu qu’elles
constituaient un exemple de coopération économique au moment où les forces
antifascistes essayaient de prendre la tête d’un boycott de l’Allemagne nazie.
En évoquant cette démarche de boycott, Nahum Goldmann qui occupait alors une
position importante dans le mouvement sioniste, écrira plus tard :
Cependant, beaucoup d’organisations juives refusèrent
d’y participer [au boycott], soit parce que beaucoup de firmes juives étaient
en fait des représentantes commerciales d’entreprises allemandes, ou parce que
certaines organisations juives, celles des Etats Unis plus précisément, avaient
adopté la position selon laquelle in était antipatriotique d’organiser un
boycott contre un pays avec lequel son propre pays entretient des relations
commerciales normales.»
Cet exposé est sans doute valable pour les raisons
évoquées prises une à une, mais il occulte néanmoins la vérité, parce que ceux
qui ont rompu le boycott ont d’abord été les sionistes eux-mêmes.
Il y a des versions divergentes sur les circonstances
qui ont amené à l’accord Haavara. Selon une version, l’initiative des
négociations avec les autorités fascistes serait venue des l’Union Sioniste
pour l’Allemagne qui avait intéressé au projet Hoofien, le directeur-général de
l’Anglo-Palestine Bank en Palestine. Hoffien, est-il rapporté, s’était rendu à
Berlin en 1933 et était entré sur place en négociations avec Oberregieunsgrat
Hartenstein du ministère de l’économie du Reich. (raison pour laquelle l’accord
Haavara est souvent appelé aussi l’accord Hoofien, une appellation qui réduit
la responsabilité de l’ensemble de la chose au seul personnage de Hoofien).
Dans la mesure où Hoofien était impliqué (une implication sans doute nécessaire
du moment où il était question d’accords concrets sur des questions de
transferts qui requéraient l’expertise d’un banquier professionnel), on doit
considérer qu’une affaire d’une telle importance ne pouvait pas résulter d’une
initiative privée et qu’elle n’aurait pu être mise en œuvre sans l’autorisation
des institutions sionistes. On peut de fait apprendre par d’autres
publications que les négociations étaient chapeautées à Berlin par celui qui
était alors le chef du département politique de l’Agence Juive : Chaim
Arlosoroff. Finalement, l’accord conclu en 1935 sera approuvé
officiellement par le Congrès Sioniste Mondial !
Les mots mêmes de Ball-Kaduri sont que l’accord
Haavara avait été conclu « sous la forme d’une lettre adressée à Herr
Hoofien par le ministère de l’économie du Reich. Les négociations s’étaient
déroulées sereinement car les Nazis avaient encore un «penchant sioniste» à
l’époque.
En vertu de l’accord signé à Berlin, deux compagnies
furent créées : la compagnie Haavara à Tel Aviv et une compagnie sœur baptisée
Paltreu à Berlin. La procédure se déroulait de la manière suivante :
l’émigrant Juif payait avec son argent (la somme minimale était d’un millier de
livres sterling) sur le compte en Allemagne de la Haavara (à la banque
Wassermann Bank de Berlin ou à la banque Warburg de Hambourg). Avec cet argent,
les importateurs Juifs pouvaient acheter des marchandises allemandes pour les
exporter en Palestine tout virant une somme équivalente en livres
palestiniennes dans le compte de la Haavara à l’Anglo-Palestine Bank en
Palestine. Quand l’émigrant arrivait, il trouvait dans son compte une somme
équivalente à celle qu’il avait versée en Allemagne (c’est là que Ball-Kaduri
observe : « après avoir déduit des frais assez élevés »).
En relation avec l’émigration vers la Palestine permis
par l’accord Haavara, les sionistes fondèrent la Palestine Shipping Company qui
acheta le bateau allemand de transport de passagers «Hohenstein » qu’ils
rebaptisèrent «Tel Aviv.» Le bateau
fit son premier voyage vers Haïfa au départ du port allemand de Bremerhaven au
début de l’année 1935. Pendant ce voyage, le bateau portait à la poupe son
nouveau nom en caractères hébraïques tandis que le swastika flottait sur son
mât ; « une combinaison d’absurdité métaphysique » écrira plus
tard un des passagers. Le capitaine du navire, Leidig, était un adhérent du
parti Nazi !
L’accord Haavara vouait à l’échec la démarche de
boycott de l’Etat nazi et maintenait sans disruption pour l’économie fasciste
l’accès à ’un large marché à l’export à une époque où le commerce mondial
souffrait encore des traces de crise économique internationale de1929. Ce
point avait été souligné dans un mémorandum par Stuckart, le secrétaire d’Etat
au ministère de l’intérieur du Reich. Dans ce mémorandum, daté du 17 décembre
1937, il était observé : «Les principaux avantages [de l’accord Haavara]
sont les suivants : l’influence du groupe Haavara en Palestine a amené au
résultat imprévu et inhabituel mais espéré que, de tous les endroits, la
Palestine est le pays dans lequel les biens allemands ne sont pas boycottés par
la partie juive…» En même temps, la procédure Haavara a rendu possible une
accélération du mouvement d’émigration juive vers la Palestine, amenant au
renforcement de la position des sionistes en Palestine. Les immigrants qui viennent
d’Allemagne amènent avec eux un plus haut niveau de compétences économiques
entre autres choses.
Ce qui résultait aussi de la «sélectivité.» Comme
l’accord requérait le versement par l’émigrant d’un millier de livres
sterling au minimum, seuls des membres de la bourgeoisie juive étaient en
mesure de profiter de ce dispositif, tandis que les travailleurs d’origine
juive étaient lassés à leur destin. Ainsi, l’évaluation suivante de l’accord de
Haavara dans le cadre de l’examen de la politique raciale du fascisme peur être
considérée comme parfaitement juste : le principe de solidarité qui
nécessitait que les Juifs restent unis devant leurs persécuteurs avait
volé en éclats du fait d’intérêts capitalistes. Pecunia non olet. Dans
le même temps, les dispositions prises par les entrepreneurs Juifs dans le seul
objectif de transférer leurs capitaux de l’Allemagne fasciste vers la Palestine
étaient accueillies avec grande considération. On a affirmé que le capital
envoyé au Moyen Orient était placé au service des Juifs. En réalité cependant,
cet argent servait en Palestine aux mêmes objectifs qu’en Allemagne : le
profit de ses détenteurs.
Le même livre affirme que «l’Internationale Sioniste
voulait que les émigrants Juifs d’Allemagne arrivent sur le sol de Palestine
non comme des sans le sou mais en tant que propriétaires d’un capital qui
contribuera à l’édification d’un Etat capitaliste. C’est à partir de ce désir
qu’a grandi l’intérêt des sionistes pour s’associer avec des antisémites.»
De fait, avant même la création d’Israël, l’accord de
transfert donna une forte impulsion à l’économie sioniste en Palestine.
Des sources sionistes parlent d’une somme de 139,6 millions de Reichsmarks –
une somme énorme à l’époque – transférée d’Allemagne en Palestine. Une autre
source situe le montant transféré à 8 millions de livres sterling. Ce n’est pas
une simple coïncidence si les projets les plus importants en Israël ont été
créés ou dirigés par des émigrants partis d’Allemagne. La plus grande fonderie
de Palestine et l’industrie du ciment par celui qui fut à une époque directeur
de la compagnie des eux et d’électricité de Berlin, le Dr Karl Landau. Le Dr
Arnold Barth de Berlin, le Dr Siegfried Sahlheine de Hambourg et Herbert Förder
de Breslau furent les premiers organisateurs de la banque Leumi. Fritz Naphtals
de Berlin et George Josephthal de Nuremberg transformèrent en entreprise
géante l’insignifiante «Arbeiterbank.» Certains des plus importantes firmes
israéliennes furent fondées par Yekutiel er Sam Federmann de Chemnitz (
Karl-Marx-Stadt à l’époque communiste) ; l’entré Yekutiel dans le Who’s
Who en Israël (1962) le présente comme un «fondateur de ‘l’Israel Miami Group’
(Dan Hotel) ; le partenaire israélien du cimentier ‘Isasbest’ ; le
fondateur et associé de ‘Israel Oil Prospectors Corp, Ltd ‘ qui procéda au
premier forage pétrolier ‘Mazal 1’ et présida de nombreuses autres entreprises.
Les accords économiques entre les sionistes et le
fascisme allemand avaient l’approbation de toutes les instances du Reich nazi.
Le ministère des affaires étrangères avait déjà adopté une attitude
pro-sioniste en maintes occasions avant 1933 (il y avait eu des rencontres
entre Chaim Weizmann et les secrétaires d’Etat von Schubert et von Bullow).
C’est seulement après le déclenchement de la révolte
arabe palestinienne de 1936 que les premières divergences d’opinion
s’installèrent dans les diverses institutions fascistes sur l’utilité de
poursuivre les transferts dans le cadre de la Haavara. Le ministère des
affaires étrangères se rendait maintenant compte que la politique de facto
pro-sioniste allait aliéner les Arabes à l’Allemagne hitlérienne – une
perspective qui n’était pas dans l’intérêt du Reich Nazi. Döhle, consul général
d’Allemagne à Jérusalem, était le porte-voix de ce point de vue et, dans un
long mémorandum daté du 22 mars 1937, il observait que « par notre
promotion de l’immigration juive… la position qu’avait pu réoccuper
l’Allemagne… allait être mise à mal.» En adoptant cette position, Döhle était
moins animé par un intérêt pour les Arabesque par une inquiétude pour les
intérêts politiques du fascisme allemand. Il ajoutait que l’Allemagne ne devait
«pas trop se préoccuper des sympathies des Arabes à l’égard de
l’Allemagne dès lors que ce dont nous avions besoin était moins d’avoir une
politique arabe active que d’éviter la promotion voyante accordée à
l’édification d’un foyer national juif.»
Döhle craignait «un revirement de l’humeur
des Arabes et que nous soyons accusés de participer activement à la lutte
contre eux.»
Les inquiétudes de Döhle étaient partagées par
d’autres autorités fascistes. Ainsi, l’Office du Commerce Extérieur de
l’Auslandsorganisation du parti nazi (le bureau du parti chargé des affaires
internationales) déclarait en toute franchise : «Politiquement, il
[l’accord de la Haavara] revient à apporter un soutien efficace à
l’établissement d’un foyer national juif avec l’aide du capital allemand.»
Le 17 décembre 1937, il était signalé dans le
mémorandum déjà cité de Stuckart, Secrétaire d’Etat au ministère de
l’Intérieur, que depuis le début de la révolte arabe en Palestine «les
avantages procurés par la procédure [de Haavara] sont devenus plus
faibles tandis que ses inconvénients deviennent de plus en plus
importants.»
Stuckart était d’avis que si la création d’un Etat
juif était inévitable, alors «tout ce qui permettrait le développement d’un tel
Etat devrait être évité.» Puis Stuckart déclarait clairement : Il est
hors de doute que la procédure de la Haavara a apporté la plus forte
contribution au développement extrêmement rapide de la Palestine [i.e. des
colonies sionistes – K.P.]. Cette procédure n’a pas seulement permis l’apport
de très grosses sommes d’argent [d’Allemagne] ; elle a aussi apporté les
hommes les plus intelligents parmi tous les immigrants, et a en fin de compte
fourni les machines et les équipements industriels nécessaires – aussi
d’Allemagne.»
Les craintes de ces responsables (qui, ainsi que
nous le verrons étaient en contradiction avec l’opinion des SS et de la
Gestapo) furent finalement communiquées à Hitler. Hitler, ainsi qu’on peut le
lire dans un mémorandum du département de la Politique Commerciale du ministère
des affaires étrangères en date du 27 janvier 1938, décida que la procédure de
la Haavara devait continuer. Cette position d’approbation prise par Hitler
vis-à-vis du renforcement de la colonisation sioniste de la Palestine resta
inchangée malgré les doléances émanant du ministère des affaires étrangères er
l’Auslandorganisation du parti nazi relativement à la montée de l’hostilité
des Palestiniens à l’égard de l’Allemagne. C’est ainsi que
l’Auslandorganisation au ministère des affaires étrangères exigea à nouveau
dans un mémorandum daté du 12 novembre 1938 que «une initiative soit entreprise
pour une annulation d’un accord de Haavara qui n’a que trop duré.» Jon et David
Kimche confirment le fait qu’Hitler «avec une détermination sans ambigüité,
avait ordonné la promotion d’une immigration de masse en Palestine,» et
qu’Hitler avait en outre formulé la décision fondamentale que «l’émigration
juive devait être encore plus encouragée par tous les moyens disponibles. Il
est donc indiscutable que l’opinion du Führer était qu’une telle émigration
devait être avant tout orientée vers la Palestine.»
Finalement, même Winfried Martini confirme la position
pro-sioniste des cercles fascistes les plus importants pendant la révolte arabe
de 1936-39. Il écrit que, en tant que correspondant de la Deutsche Allgemeine
Zeitung en Palestine, ses articles sur la révolte «étaient assez clairement favorables
à la partie juive,» et que cela n’avait soulevé aucune objection de la part des
responsables nazis.
Hitler resta donc le garant des transferts Haavara qui
ne furent stoppés qu’avec le déclenchement de la deuxième guerre mondiale.
Coopération avec les services de renseignements nazis
Pendant les premiers jours de la domination fasciste
sur l’Allemagne, les sionistes avaient un contact direct avec l’appareil de
répression fasciste, ce qui se traduisit par une coopération informelle entre
la direction sioniste et les organisations de terreur du Reich nazi (la
Gestapo, la SS etc.). Dès avant 1933, le dirigeant sioniste Leo Plaut «avait
une connexion» avec la police politique et avec un cadre de la police,
l’Oberregierungsrat Rudolf Diels (supposé être un camarade de classe de Plaut).
Quand Diels fut d’abord nommé chef de la police secrète en 1933, il maintint
ses relations avec Plaut. «En fait, Plaut avait même le numéro de la ligne
secrète de Diels et pouvait l’appeler à tout moment.» On peut seulement spéculer
sur les détails de leurs contacts parce que les documents à ce sujet sont
enfermés à double tour aux archives de Yad-Vashem à Jérusalem. On peut
cependant supposer que c’est grâce à ces contacts qu’une rencontre avait pu
être arrangée entre le premier ministre Prussien Herman Goering (plus tard
condamné à mort par le tribunal de Nuremberg pour crimes de guerre) et les
chefs des organisations juives allemandes. La réunion eut lieu le 26 mars 1933.
Parmi les dirigeants sionistes présents, se trouvait Kurt Blumenfeld,
mais il a gardé le silence sur cet épisode sans ses mémoires.
De tels contacts se faisaient en secret, mais il
existe des preuves concernant des préparatifs en vue d’une coopération entre
les sionistes et la SS (l’organisation qui chapeautait tout l’appareil policier
et du renseignement dans l’Etat fasciste). Peu de temps après la prise du
pouvoir par les fascistes, le journal Der Angriff, contrôlé par les chefs
propagandistes Nazi, publiait un article sur un voyage en Palestine qui présentait
en termes positifs la colonisation sioniste en Palestine. Le reportage,
intitulé «Un nazi voyage en Palestine,» «ne
comportait pratiquement aucune critique.»
Le pseudonyme de l’auteur «Lim» dissimulait l’identité
du SS Untersturmführer (équivalent du grade de lieutenant dans l’armée) Leopold
von Mildenstein. Mildenstein servait dans le SD (le service de sécurité de la
SS) qui était à l’origine le service secret interne du parti nazi mais qui, à
partir de 1934, cessa d’être simplement la police du parti et un instrument
entre les mains du commandement de la police pour se transformer en service
secret intérieur principal de la dictature fasciste.
Le SD était aussi devenu l’organisation de
commandement politique et de formation des cadres pour la police fasciste. Le
fait que Mildenstein ait pu être l’homme capable d’écrire des articles
ouvertement pro-sionistes n’était pas une simple coïncidence puisque, en 1934,
le Bureau II du SD s’était étoffé d’un bureau II-112 ou «Judenreferat» (bureau
des affaires juives) dont il assurait la direction. Selon Martini, Mildenstein
avait été «discrètement conseillé par des officiels sionistes » pendant
son séjour en Palestine. Le département dirigé par Mildenstein a eu la charge
de la politique juive du nazisme jusqu’en 1938 Cette politique avait été
formulée par l’organe officiel de la SS, Das Schwarze Korps, dans les termes
suivants : «Le temps n’est peut être pas bien loin qui verra la Palestine
recevoir à nouveau les enfants qu’elle avait perdu il y a un millier d’année.
Nos vœux ainsi que la bonne volonté de l’Etat les accompagnent ». Il y a
eu des tentatives pour décrire la politique pro-sioniste de la SS comme
reflétant l’attitude personnelle de Mildenstein plutôt que l’entente
officielle entre sionistes et fascistes. Mais il n’y a pas que la citation
extraite du Schwarze Korps pour contredire cette thèse : Mildenstein
lui-même, quelques années plus tard, republiera sous forme de livre ses notes
de voyage parues dans l’Angriff. Mais cette fois-ci, il transformera sa
tendance pro-sioniste initiale en antisémitisme sans fard.
Les dirigeants sionistes qui avaient «discrètement
conseillé » le directeur du « Judenferat » au SD pendant son
voyage en Palestine poursuivirent leurs contacts avec la SS et le SD.
Naturellement, peu de détails sont connus sur ces contacts dont les traces sont
des documents hautement classifiés. Un des rares documents disponibles
sur ces relations est un mémorandum du professeur Franz Six daté du 17 juin
1937 qui porte la mention «Affaire secrète pour le commandement. » ce
mémorandum contient des informations sur une visite de l’émissaire sioniste
Feivel Polkes à Berlin. Polkes était membre de l’état major de l’armée sioniste
clandestine, la Haganah, avec le grade de commandant. L’Oberscharführer de la
SS Herbert Hagen qui avait succédé à Mildenstein à la direction du Judenferat
affirmait que Polkes avait le « commandement de l’ensemble de l’appareil
d’auto-défense des Juifs de Palestine.»
En Palestine, Polkes avait été en relation étroite
avec le correspondant de la « German News Agency ,» le Dr Reichert
qui était actif dans le réseau d’espionnage du SD en Palestine. Ce réseau était
dirigé pat Otto von Bodelschwingh, un agent du SD établi comme agent commercial
à Haïfa. C’est le Dr Richert qui avait obtenu un visa d’entrée en Allemagne
pour Polkes.
Polkes resta à Berlin du 26 février au 2 mars 1937,
participant à plusieurs réunions avec des agents du SD représentant le régime
nazi, dont deux avec le Hauptscharführer Adolf Eichmann (Eichmann avait alors
commencé à travailler au «Judenferat»). Polkes avait alors offert de collaborer
avec le gouvernement allemand, disant à Eichmann qu’il était par-dessus tout
intéressé à «accélérer l’immigration juive en Palestine, de sorte à ce que les
Juifs deviennent majoritaires par rapport aux Arabes dans son pays. A cette
fin, il travaillait avec les services secrets anglais et français et ils
voulait aussi coopérer avec l’Allemagne d’Hitler.»
Hagen avait noté un peu plus loin dans son rapport sur
la visite de Polkes à Berlin : «Il avait aussi signalé sa disponibilité à
rendre des services à l’Allemagne sous la forme d’informations, dans tant
qu’elles n’entraient pas en conflit avec ses propres objectifs…»
Entre autres choses, il soutiendrait avec vigueur les
intérêts allemands au Moyen Orient…» Höhne avait commenté l’offre de Polkes en
ces termes : « … derrière ça, il y a clairement la politique
d’immigration de la Haganah.»
La SS avait immédiatement récompensé les intentions
coopératives de Polkes avec les instructions préconisées par Six. « Une
pression est exercée sur l’association des Juifs du Reich en Allemagne afin
d’obliger les Juifs qui émigrent d’Allemagne à se rendre seulement en Palestine
et dans aucun autre pays. »
C’était exactement ce que voulaient les sionistes
mais, ajoutait Six : «Une telle mesure va entièrement dans le sens des
intérêts de l’Allemagne et elle est déjà mise en œuvre par la Gestapo.»
Feivel Polkes, le commandant de la Haganah, s’était
mis en quatre pour faciliter le développement de la coopération entre sionistes
et fascistes ; il avait même lancé une invitation à Eichmann pour une
visite en Palestine comme invité de la Haganah.
Six observait :
«Dans le travail de mise en contact, le nom du SS
Hauptscharführer Eichmann du Département II-II2 me vient à l’esprit avant
tout autre. Il avait eu des discussions avec Polkes pendant le séjour de ce
dernier à Berlin et il avait été invité à visiter les colonies juives en
Palestine où il serait son guide.»
Le voyage en Palestine entrepris par Hagen et Eichmann
n’est qu’un épisode dans l’histoire de la collaboration entre le sionisme et
l’Allemagne nazie. Mais c’était un événement à la fois significatif et
révélateur qui est devenu l’objet d’une falsification considérable. Au lieu
d’admettre le fait que le tristement célèbre assassin de Juifs, Adolf Eichmann,
avait à un moment donné été invité en Palestine par la Haganah, les auteurs
sionistes ont renversé la faute et affirmé que le but de la visite d’Eichmann
était d’entrer en contact avec les rebelles Palestiniens, voire de conspirer
avec le mufti de Jérusalem, Hadj Amin Al-Husseini. L’inventeur de cette
histoire semble être le sioniste bien connu Simon Wiesenthal qui, en 1947,
avait déjà prétendu qu’Eichmann avait implanté un réseau d’agents dans la
colonie [allemande] de Sarona en Palestine et avait pris contact avec le Grand
Mufti. En 1951, Léon Poliakov avait publié quelque chose de semblable dans Die
Welt et Gerald Reitlinger la lui emprunta deux ans plus tard pour son livre
« La solution finale » dans lequel Eichmann était supposé avoir été
envoyé en Palestine pour prendre contact avec les rebelles Arabes.»
A partir de là, la légende a fleuri, avec l’Américain
Quentin Reynolds affirmant même qu’Eichmann avait rendu visite au Grand Mufti.
Le biographe d’Eichmann, Commer Clarke, était allé jusqu’à soutenir qu’Eichmann
avait emporté avec lui 50 000 dollars d’ «or nazi» pour les offrir aux
rebelles Palestiniens.
Quand de tels mythes sont mis en regard avec la
réalité des faits, une des raisons pour lesquelles le gouvernement israélien
tenait tant à ce que le procès Eichmann ait lieu en Israël et pas ailleurs
devient claire ; c’est seulement en Israël que les contacts des sionistes
avec les nazis pouvaient être écartés du regard de l’opinion publique. C’est
seulement là-bas que la pression sur un Eichmann qui jouait sa vie dans ce
procès pouvait être suffisante pour qu’il fasse de fausses déclarations devant
la cour. «Il est vrai,» déclara Eichmann pendant son procès, «qu’un des
objectifs de mon voyage en Palestine en 1937 était de prendre contact avec le
Mufti Al-Husseini. Mais le rapport sur leur voyage rédigé par Hagen et
Eichmann et découvert dans les archives secrètes d’Himmler, le chef de la SS,
renvoie une image différente. On peut résumer ainsi la teneur du rapport sur ce
voyage : Eichmann et Hagen quittèrent Berlin le 26 septembre, se faisant
passer pour des rédacteurs du Berliner Tageblatt et arrivèrent à Haïfa le 2
octobre 1937 à bord du bateau Romania. Comme les autorités britanniques avaient
refusé la permission de débarquer aux deus émissaires de la SS (à cause de la
révolte arabe), Eichmann et Hagen allèrent en Egypte. Sur place, ils
rencontrèrent non pas Hadj Amin Al-Husseini, mais leur vieille connaissance, Feivel Polkes, l’officier de la Haganah.
Le rapport de voyage d’Hagen et Eichmann contient une
restitution exacte des conversations avec Polkes qui eurent lieu les 10
et 11 octobre 1937 au café Groppi du Caire. Polkes avait débord exposé en toute
franchise les projets sionistes devant les hommes de la SS (les déclarations de
Polkes telles que consignées par Hagen et Eichmann ne sont pas seulement
intéressantes quant à la coopération sionisme – fascisme, mais elles sont
également importantes comme témoignage sur la politique expansionniste des
sionistes) :
«L’Etat sioniste doit être établi par tous les moyens
aussi vite que possible afin qu’il attire un flux d’émigrants Juifs vers la
Palestine. Quand l’Etat juif sera établi dans le cadre propositions actuelles
de la Commission Peel, et dans la ligne des promesses partielles de
l’Angleterre, alors les frontières pourraient être repoussées plus loin
conformément à sa volonté [de l’Etat juif].»
Polkes avait ensuite fait l’éloge de la terreur
antisémite en Allemagne : «les cercles nationalistes juifs ont exprimé
leur grande satisfaction devant la politique allemande radicale à l’égard des
Juifs, ca cette politique devrait faire augmenter la population juive en
Palestine de sorte qu’on puisse envisager une majorité juive devant les Arabes
dans un futur prévisible.»
Une fois de plus, Polkes avait souligné la nécessité
d’accélérer le départ des Juifs d’Allemagne et avait réitéré sa disponibilité à
donner des informations secrètes au SD. Il avait offert immédiatement deux
éléments « d’information de ce genre» ainsi qu’Eichmann le notait
dans son rapport de voyage. Le premier était conçu pour susciter l’hostilité du
régime fasciste à l’égard du mouvement nationaliste arabe. Eichmann avait noté :
«Selon les informations de Polkes, le Congrès Panislamique Mondial en
convention à Berlin est en contact direct avec deux leaders Arabes
prosoviétiques : l’émir Chakib Arslan et l’émir Adil Arslan. » Le
deuxième élément d’information consigné par Eichmann dans son rapport de voyage
concernant ce parti qui s’était engagé sans équivoque à l’avant-garde de la
lutte contre la terreur fasciste et les indignités antisémites : le Parti
Communiste Allemand. «La radio communiste illégale dont la diffusion est particulièrement
importante en Allemagne est, selon Polkes, installée dans un camion qui circule
le long de la frontière germano-luxembourgeoise pendant les retransmissions.»
(Cette information donne un aperçu intéressant que où les dirigeants sionistes
voyaient leurs alliés et où ils voyaient leurs opposants !)
Les rencontres entre Eichmann et Polkes ne sont pas
des évènements isolés et fortuits. Elles s’inscrivent dans le contexte d’une
coopération à long terme entre fascistes et sionistes. Après le voyage d’Hagen
et Eichmann, la collaboration avait été cimentée par la «Mossad Aliyah Beth,»
qui avait été créée par la Haganah comme organisation pour l’immigration
illégale après le coup de frein à l’immigration en Palestine décidé par la
Grande Bretagne suite à la Commission Peel. Fin 1937, i.e. quelques mois après
le voyage d’Eichmann, des envoyés du Mossad prenaient leurs fonctions dans les
locaux de ma Reichsvereinigung [Union des Juifs du Reich] au 10 Meineckestrasse
à Berlin-Charlottenburg, avec la permission des autorités fascistes de Berlin.
Ces deux envoyés, Pina Ginsburg et Moshe Auerbach avaient fait le voyage de
Palestine en Allemagne à cet effet.
Dans leur livre Secret Roads ; Jon et David
Kimche ont situé l’arrivée de Ginsburg à Berlin à l’été 1938. Ginsburg s’était
présenté lui-même officiellement à la Gestapo en tant qu’émissaire de «L’Union
des Colonies Communautaires », déclarant qu’il était en mission spéciale
et que sa tâche convergeait avec les intentions du gouvernement nazi, son objectif
étant l’organisation de l’émigration des Juifs Allemands en Palestine. C’était
seulement avec le soutien des dirigeants nazis que ce projet pouvait se
réaliser sur une grande échelle. La Gestapo avait alors discuté avec Ginsburg
sur «la manière de promouvoir et d’accroître l’immigration juive en Palestine à
l’encontre de la volonté des autorités mandataires britanniques.»
En attendant, les autorités fascistes avaient commencé
à changer ses méthodes de pression sur les Juifs Allemands. Elles ne s’en
remettaient plus aux seules organisations sionistes pour s’occuper de
l’émigration en Palestine. A Vienne (l’Autriche avait été occupée par
l’Allemagne hitlérienne en mars 1938), «l’Office Central pour l’Emigration
Juive» était créé et placé sous la responsabilité d’Adolf Eichmann. Ai début de
l’été 1938, Eichmann rencontrait à Vienne un autre émissaire du Mossad,
Bar-Gilead. Ce dernier demanda la permission d’installer des centres (camps) de
formation pour les émigrants afin qu’on puisse les préparer à leur travail en
Palestine. Après avoir référé de cette requête à Berlin, Eichmann avait accordé
l’autorisation et fourni tout ce qui était nécessaire pour l’installation des
camps de formation. Vers la fi 1938, environ un millier de jeunes Juifs avaient
été formés dans ces camps.
Dans le même temps, Ginsburg à Berlin avait pu, avec
l’aide des autorités nazies, établir des camps semblables. Jon et David Kimche
écrivent : «Le Palestinien [Ginsburg] qui était venu à Berlin prêt à tout,
n’avait aucun état d’âme à dîner avec le diable et à s’assurer sa part du
repas.»
Dans son livre Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt a
commenté les informations fournies par les Kimches :
…ces Juifs de Palestine tenaient un langage pas
complètement différent de celui d’Eichmann…ils avaient été envoyés en Europe
par les colonies communautaires en Palestine, et ils n’étaient pas intéressés
par des opérations de secours – ce n’était pas leur job. Ils voulaient
sélectionner du «matériel adapté» et leurs principaux ennemis… n’étaient pas
ceux qui rendaient la vie impossible dans les pays d’installation ancienne
qu’étaient l’Autriche et l’Allemagne, mais ceux qui empêchaient l’accès à
la nouvelle patrie ; cet ennemi était clairement la Grande Bretagne, pas
l’Allemagne… ils étaient probablement parmi les premiers Juifs à parler
ouvertement d’intérêts mutuels…
La proposition d’une alliance militaire avec Hitler
Tandis que la tendance majoritaire du mouvement
sioniste, la tendance du parti «travailliste» (Ben Gourion etc.) et les
«sionistes généralistes » (Weizmann et les autres), camouflaient
soigneusement leurs contacts avec les fascistes, et s’exprimaient publiquement
contre eux, l’aile droite du sionisme, le parti Révisionniste (ancêtre de
l’organisation terroriste Irgun Zvai Leumi et plus tard du parti Herut en
Israël) avait ouvertement et en maintes occasions avant 1933 exprimé son
admiration pour des gens comme Mussolini et Hitler. On peut en trouver un
exemple dans un procès tenu à Jérusalem en 1932 quand l’avocat Cohen, un membre
du parti Révisionniste, avait déclaré en défense d’auteurs de troubles de
l’ordre à l’université : «Oui, nous éprouvons un grand respect pour
Hitler. Hitler a sauvé l’Allemagne. Sans lui elle aurait péri il y a quatre
ans. Et nous nous serions rangés aux côtés d’Hitler si seulement il avait
renoncé à son antisémitisme.»
Vladimir Jabotinsky, chef à l’époque du mouvement
révisionniste, qui entretenait de bonnes relations avec le mouvement fasciste
en Europe avait aussi été accusé de vouloir des relations étroites avec
l’Allemagne hitlérienne.
Il y avait alors une concurrence évidente entre les
différentes factions sionistes pour aboutir à une collaboration privilégiée
avec les fascistes tout en dénonçant dette même démarche les unes chez les
autres (Il faut mentionner ici l’assassinat de Chaim Arlosoroff).
Le journal sioniste Davar de juillet 1933 avait
publié un article de David Ben Gourion qui lançait une lourde accusation :
«… Juste après l’accession d’Hitler au pouvoir en Allemagne, alors que les
persécutions contre les Juifs et les marxistes étaient au plus haut, M.
Vladimir Jabotinsky s’était rendu à Berlin et dans un discours public, avait
attaqué les communistes présents dans le mouvement sioniste et en Palestine.»
S’il en était bien ainsi, alors cela signifiait que Jabotinsky voulait
torpiller les négociations sionisto-fascistes afin de pouvoir entrer dans la
partie comme partenaire des négociations avec les Nazis. Jabotinsky
s’était néanmoins attaché à réfuter l’accusation de Ben Gourion en soulignant
que ce dernier avait pris la parole sur Radio Varsovie le 28 avril 1933 et
avait appelé à la mise en place d’un boycott mondial de l’Allemagne, avec
l’établissement simultané d’un Etat juif en Palestine, «comme seule réponse
adéquate à la menace hitlérienne.» Il y avait là une allusion
transparente aux négociations de Haavara menées par l’aile majoritaire du
sionisme. Mais Jabotinsky ne pouvait pas contester le fait que le journal
révisionniste Hazil Haam, publié en Palestine, « semblait considérer ce
mouvement [le fascisme] avec une sympathie et une compréhension prononcées. Les
rédacteurs de ce journal… lui avait-on dit, quoique conscients de
l’antisémitisme forcené d’Hitler, voyaient dans le National Socialisme les
éléments d’un authentique mouvement de libération nationale.
Pour l’Allemagne fasciste, la collaboration avec la
tendance sioniste majoritaire était sans aucun doute plus importante que la
coopération avec «l’opposition» révisionniste. Néanmoins, même les
Révisionnistes furent autorisés à poursuivre leurs activités politiques en
Allemagne. Les membres de l’organisation de jeunesse du mouvement
révisionnistes, «Brit Trumpeldor» (à propose de laquelle Schechtman rapporte
qu’elle «s’adaptait à certaines caractéristiques du régime nazi») était la
seule organisation non fasciste en Allemagne à être autorisée par les nazis à
porter un uniforme.
Ce furent finalement des membres de l’Irgoun qui, dans
leur intention de collaborer avec le fascisme allemand un an et demi après le
début de la deuxième guerre mondiale ((à un moment où le massacre des Juifs
dans la Pologne occupée avait déjà commence) allèrent jusqu’à faire aux
autorités fascistes une offre incroyable de coopération. (L’Irgoun qui s’était
séparée de la Haganah avant de la rallier à nouveau en 1948, a fait partie
intégrante de l’Etat d’Israël depuis lors ; son vieux leader Menahem
Begin a été premier ministre d’Israël de 1967 à 1970 et est actuellement à la
tête du groupe parlementaire du Likoud au parlement israélien).
Quelques mois avant cette offre de coopération de
janvier 1941, une scission était intervenue entre la faction de l’Irgoun
minoritaire alors qui soutenait la Grande Bretagne en guerre contre l’Allemagne
nazie et au groupe de ceux qui, à l’intérieur de l’Irgoun, étaient opposés à
une telle politique pro-britannique. Abraham Stern, un membre du comité de
l’Irgoun, joua un rôle déterminant dans ce dernier groupe qui avait le soutien,
à l’époque, de la majorité des membres de l’Irgoun. C’est par des militants
antibritanniques de ce groupe que fut faite la proposition de
collaboration de l’Irgoun [avec le nazisme, NdT].
La nature de cette proposition est consignée dans un
document dont le texte intégral est encore secret. Il est évoqué
dans un rapport de l’attaché naval de l’ambassade d’Allemagne en Turquie
– un fonctionnaire qui était chargé de missions secrètes là-bas. Le rapport,
qui est toujours enfermé dans des archives en Grande Bretagne parle de contacts
que l’attaché avait eu avec des émissaires de «l’Irgoun Zvai Leumi
(Organisation Militaire Nationale – OMN).» Un mémorandum daté du 11 janvier
1941 parle des «Lignes Fondamentales de la Proposition» de l’Irgoun «concernant
la solution de la question juive en Europe et la participation active de l’OMN
aux côtés de l’Allemagne.»
On lit ce qui suit dans cette note :
Il est souvent dit dans les discours et les
déclarations des plus importants responsables politiques de l’Allemagne
Nationale Socialiste qu’un Ordre Nouveau en Europe a pour condition préalable
la solution radicale de la question juive par l’évacuation («Judenreines
Europa»)
Evacuer les masses juives d’Europe est une pré
condition pour résoudre la question juive ; mais elle ne peut être rendue
possible et complète que par l’installation de ces masses dans la patrie du
peuple juif, la Palestine, et par l’établissement d’un Etat juif dans ses
frontières historiques.
Après avoir confirmé de la sorte la convergence
fondamentale des vus du sionisme et du fascisme, les militants de l’Irgoun
proposaient une alliance avec leur organisation ainsi que l’indique la suite du
document :
Cette manière de résoudre le problème juif et donc
d’en faire résulter la libération du peuple juif une fois pour toutes, est
l’objectif de l’activité politique et des années de lutte du mouvement juif de
libération : l’Organisation Militaire Nationale (Irgun Zvai Leumi) en
Palestine.
L’OMN qui est bien au fait des bonnes dispositions du
gouvernement et des autorités du Reich allemand à l’égard de l’action
sioniste en Allemagne et à l’égard des plans sionistes d’émigration [il faut
signaler à ce sujet la coopération entre fascistes et sionistes entre 1933 et
1939 – K.P.] – est d’opinion que :
1. Une communauté d’intérêts
pourrait exister entre l’instauration d’un ordre nouveau en Europe en
conformité avec la conception allemande et les véritables aspirations
nationales du peuple juif telles qu’elles sont incarnées par l’OMN.
2. La coopération entre la nouvelle Allemagne et
une nation hébraïque renaissante (völkisch –nationalen – Hebräertum) serait
possible et
3. L’établissement de l’Etat juif historique sur une
base nationale et totalitaire et lié par traité avec le Reich allemand serait
dans l’intérêt du maintien et du renforcement de la future position de
puissance de l’Allemagne au Proche Orient.
Ce qui était proposé était donc ni plus ni moins que
l’établissement d’un Etat fasciste juif en Palestine qui serait l’allié du
fascisme allemand !
«Sur la base de ces considérations, l’OMN en Palestine
propose de prendre activement par à la guerre au côté de l’Allemagne, dès lors
que les aspirations nationales susmentionnées du mouvement de libération sont
reconnues par le gouvernement du Reich allemand.» Après avoir ainsi
proposé de participer activement avec le fascisme allemand au combat contre le
bloc antihitlérien, les sionistes de l’Irgoun poursuivaient en précisant un peu
plus leur proposition dans le document :
Cette offre de l’OMN dont la validité concerne les
niveaux politique, militaires et du renseignement, à l’intérieur et aussi,
selon certains documents préparatoires, à l’extérieur de la Palestine, était
conditionnée par la formation militaire et l’organisation de la main d’œuvre
juive en Europe sous la direction et le commandement de l’OMN. Ces unités
militaires prendraient part aux combats pour conquérir la Palestine en cas de
constitution d’un tel front.
La participation indirecte du mouvement israélien de
libération à l’instauration d’un Ordre Nouveau en Europe, déjà dans sa phase
préparatoire, serait associée à une solution radicale et positive du problème
juif en Europe en conformité avec les aspirations nationales susmentionnées du
peuple juif. Ce qui renforcerait de manière exceptionnelle la base morale
de l’Ordre Nouveau aux yeux du monde entier.
La coopération du mouvement israélien de libération
serait aussi dans la ligne d’un des récents discours du Chancelier du Reich
Allemand dans lequel Hitler soulignait que toutes les combinaisons et toutes
les alliances pouvaient être envisagées dans le but d’isoler l’Angleterre et de
la vaincre.
Il est inutile de commenter plus avant ce document
étonnant. On doit seulement ajouter que ce sont l’antisémitisme et le travail
de liquidation qui avait déjà commencé pour éliminer les Juifs Européens qui
avaient empêché le fascisme allemand d’accepter cette proposition d’alliance.
Mais deux ans plus tard, l’Irgoun se lançait dans des attaques terroristes
contre des institutions britanniques au Proche Orient, travaillant ainsi à
l’affaiblissement de l’alliance contre Hitler dans son combat contre le
fascisme allemand, un combat qui permettra aussi de secourir les Juifs
Européens.
Conclusion
Chaque fois que la coopération entre les sionistes et
les fascistes est révélée, les auteurs sionistes recourent à l’excuse toute
prête selon laquelle les contacts avec les nazis n’avaient été noués que dans
le seul but de sauver des Juifs. Alors même que certains faits mentionnés
précédemment contredisent cette thèse, on peut poser les deux questions
suivantes aux tenants de cette thèse : N’y avait-il vraiment aucun autre
moyen de sauver les Juifs Européens ? Etait-ce le véritable motif des
sionistes pour pactiser avec le diable ?
On ne peut douter du fait que la seule
possibilité pour empêcher le massacre de millions de Juifs (ainsi que d’éviter
la seconde guerre mondiale qui a causé des millions de morts) consistait à
renverser la dictature fasciste quand elle en était au tout début de sa phase
de domination. Mais les dirigeants sionistes n’étaient pas intéressés par cette
perspective – leur seul objectif étant d’augmenter le nombre de Juifs dans la
population de la Palestine. Comme ils partageaient la vision
anti-assimilationniste du nazisme concernant la race juive, ils ne
considéraient pas la dictature fasciste comme une tragédie. Comme l’avait
expliqué David Ben Gourion : «Ce que des années de propagande sioniste
n’avaient pas pu faire, ce désastre l’avait réalisé en l’espace d’une nuit.»
Non seulement les chefs sionistes ne firent rien
contre le fascisme, mais ils entreprirent des actions qui sabotèrent le front
antifasciste (en empêchant un boycott économique avec leur accord
Haavara). En pratique, ils rejetèrent des tentatives pour sauver les Juifs
Allemands dès lors qu’elles n’avaient pas pour but l’installation des Juifs en
Palestine. L’exemple qui suit est celui de la conférence d’Evian : quand
après 1933 la majorité des pays capitalistes refusa d’accueillir les réfugiés
Juifs d’Allemagne, le président Américain Roosevelt appela à la réunion à Evian
d’une conférence sur les réfugiés. Cette conférence se tint du 6 au 15 juin
1938 avec la participation de 32 pays capitalistes. La conférence échoua étant
donné que les participants refusèrent d’accueillir les réfugiés Juifs. On
aurait pu supposer que le mouvement sioniste, qui était aussi représenté à
Evian, aurait essayé de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils lèvent
leurs restrictions. Mais les sionistes déposèrent au contraire une motion dès
le début de la conférence pour demander l’admission d’1,2 million de Juifs en
Palestine. Ils n’étaient pas intéressés par d’autres solutions et, comme
l’écrira plus tard Christopher Sykes : «Ils avaient manifesté une
indifférence hostile à l’égard de l’ensemble du processus dès le tout début… la
vérité à ce propos est que la démarche tentée à Evian ne correspondait
absolument pas à l’idée sioniste.»
Les dirigeants sionistes partagent donc la
responsabilité de l’échec à secourir un plus grand nombre de Juifs Européens.
On doit en toute justice se souvenir que les Juifs qui ont survécu à la
monstrueuse domination du fascisme ont été sauvés par les soldats du bloc
antihitlérien, et particulièrement à ceux de l’armée soviétique qui a consenti
un terrible sacrifice pour vaincre la dictature fasciste.
Klaus Polkehn,
Journal of Palestine Studies – 1976
Journal of Palestine Studies – 1976
TheSecretContacts-ZionismAndNaziGermany1933-1941–journal-of-palestine-studies–polkehn-klaus-vol-5-no-3-4-1976-pp-54-82_text
(1).
VOIR AUSSI La collaboration entre Nazisme et Sionisme (I)
VOIR AUSSI La collaboration entre Nazisme et Sionisme (I)