Deux
ouvrages universitaires récents prouvent que le coran a fait l'objet
de nombreuses campagnes de falsification sur ordre des califes successifs, pour des motifs politiques.
1) Muhammad is not the father of any of your men
David S. Powers, Philadelphia, USA, University of Pennsylvania Press, 2009
Malgré
les pressions et les compromissions d’origines diverses en vue
d’accréditer la légende du Coran inaltéré depuis Outhman, la recherche
sur l’histoire du texte coranique avance çà et là.
Cette
étude, focalisée sur un point restreint du texte coranique, s’appuie
sur certaines photos d’un manuscrit coranique de la BNF de Paris, datant
d’autour de l’an 700 – à l’époque-clef du Calife ‘Abd al-Malik qui a
donné à l’Islam l’essentiel du visage qu’il présente aujourd’hui (y
compris son nom même d’islam !).
Ce
manuscrit est, comme tous les manuscrits anciens, un texte fait de
consonnes dépourvues de points diacritiques et, bien sûr, de voyelles.
Selon l’article de Yasin Dutton paru en 2001 dans le Journal of
Qur’anic Studies (An Early Mushaf According to the Reading of Ibn ‘Āmir, volume 3, pages 71-89), il s’agirait d’une copie de la « version syrienne » du Coran, réalisée en Syrie.
En
fait, très peu d’études de codicologie ont encore été consacrées aux
copies du Coran les plus anciennes – toutes postérieures au BNF ar328a
–, sinon des descriptions très générales et superficielles.
Celle
de David Powers est l’une des ces rares. On ne s’étonnera pas qu’elle
aborde l’histoire du texte coranique à travers un point très limité, qui
reflète le cheminement même de l’auteur. Comme il l’explique dans
l’introduction (p. XIII), lui-même croyait que “l’ossature
consonantique du coran, tel qu’il nous est présenté aujourd’hui au
XXIème siècle, est identique en tous points à la révélation reçue par le
prophète Mohammad sur une période de vingt-trois ans entre 610 et 632.
L’idée que la première communauté musulmane ait pu réviser et modifier
l’ossature consonantique du coran est impensable, non seulement pour les
musulmans, mais aussi pour les islamologues, y compris, jusqu’à
récemment, moi-même”.
Or,
suite à des recherches sur le système juridique islamique en matière
d’héritage, il découvre qu’un mot a été mal orthographié dans le texte
coranique actuel et possède une signification différente.
Jetant un coup d’œil sur une (trop rare) reproduction photographique du Ms Paris ar328a (un
ouvrage publié par Noseda et Deroche à moins de deux cents exemplaires
et à un prix prohibitif), il constate en effet une anomalie dans la
sourate an-Nisa’ (les femmes) : un mot – kalâlah,
inconnu autant en arabe que dans les autres langues sémitiques –
présente des retouches; une première écriture, sous-jacente, indique kallah c’est-à-dire belle-sœur. C’est en tout cas ce qui se voit au verset 12.
Mais
cette sourate mentionne une seconde fois le mot, en son dernier verset
(c’est-à-dire en s.4:176). Et là, il ressort que cet ultime verset vient
mal : non seulement il n’a pas de lien avec ce qui précède – tout le
monde peut le constater –, mais encore, remarque Powers, il est recopié
de manière notablement décalée et trop ramassée par rapport au reste du
folio 20b et même de tout le reste de ce manuscrit BNF ar328a ;
c’est comme s’il avait été composé et ajouté durant la copie même du
manuscrit (la place de la sourate 5 ayant été déterminée à l’avance, ce
qui est normal dans un tel travail de copiste). Ce n’est d’ailleurs pas
la seule anomalie que présente la transcription de cette sourate 4.
La substitution du mot kalâlah à la place de kallah en
s.4,12 et la fabrication d’un ultime verset supplémentaire où ce mot
apparaît répondent, explique Powers, à la volonté d’insérer dans le
Coran une certaine doctrine en matière d’héritage, tournant autour du
mot kalâlah jusqu’alors
inconnu et auquel la signification de « sans descendant » est prêtée
(c’est-à-dire inventée). De la sorte, une nouvelle doctrine juridique
était sacralisée. L’auteur estime ainsi que (p. 227) :
“l’ossature consonantique du Coran est restée ouverte et fluide pendant les ¾ du 1er siècle [= jusque vers 700], entre la mort du prophète et le califat de ‘Abd-al-Malik. Le procédé de fixation de cette ossature fut rempli d’erreurs. Des problèmes furent identifiés et résolus, des erreurs furent corrigées, des versets ajoutés, révisés ou retirés” .
L’évolution
de David Powers vers une attitude critique à l’égard du Coran est
emblématique, tôt ou tard, de toute recherche coranologique faite de
bonne foi, même par des auteurs musulmans. Ainsi en est-il de l’auteur
du livre suivant, ‘Amir Moezzi.
2) Le Coran silencieux et le Coran parlant
Mohammad ‘Ali ‘Amir-Moezzi, Paris, CNRS Editions, mai 2011
Sans aller jusqu’au scepticisme absolu de Muhammad Kalish qui
avait provoqué des remous en 2008, le Chiite Mohammad ‘Ali ‘Amir-Moezzi
met en cause la valeur du texte coranique dans un livre récent.
La
présentation de ce livre sur le site du CNRS est déjà frappante ; ces
quelques extraits de la conclusion le sont plus encore (les gras ont été
ajoutés).
Certes,
les manipulations du texte dénoncées par les commentateurs chiites que
cite l’auteur sont mises au compte de la volonté des premiers Califes
(ceux de Médine puis de Damas) de faire disparaître toute allusion à
‘Ali ou à la famille du supposé fondateur de l’Islam, Muhammad.
Néanmoins, elles cachent mal les véritables manipulations du texte qui,
primitivement, ne mentionnait même pas le chef de guerre qui fut surnommé « muhammad », et qui témoignait beaucoup plus clairement que dans le texte actuel des initiateurs historiques du mouvement qui s’appellera « Islam » un siècle après seulement.
Voici
ce qu’écrit Amir Moezzi. Il y a “deux domaines d’une importance
capitale où pourtant continuent à persister de larges zones d’ombres :
l’histoire des débuts de l’islam et celle de la rédaction de ses
Ecritures”. (p.210) … Afin de justifier ces exactions, le pouvoir califal mit au point un système complexe de propagande, de censure et de falsification historique. Il altéra tout d’abord le texte coranique
et forgea tout un corpus de traditions faussement attribués au Prophète
en prenant à son service grands lettrés, juges, juristes, prédicateurs,
historiens… tout cela au sein d’une politique de répression aussi
féroce que méthodique des opposants d’une manière générale et des Alides
en particulier”…
“En récupérant son pouvoir, les adversaires de Muhammad se sont vus contraints d’intervenir massivement dans le texte coranique afin d’en altérer les passages
compromettants pour eux. Aidés par des hommes puissants de l’Etat et
des lettrés professionnels (parfois les deux qualités étaient réunies
chez un même individu, comme ce fut le cas de ‘Ubaydallâh ou d’al-Hajjâj
b. Yûsuf) ; ils mirent au point le Coran officiel connu qui, à force
d’interventions de toutes sortes, finit par trouver cet aspect décousu
et difficilement compréhensible que l’on sait”. (p.211) … ______“Cependant, jusqu’aux 3e et 4e selon le calendrier islamique/ 9e et 10e siècles,
d’autres recensions coraniques très différentes dans leur forme et leur
contenu circulaient, elles aussi, sur les terres d’islam jusqu’à ce que
le « Coran étatique » fut imposé à tous y compris à la majorité des
Shi’ites. À cette époque, avec l’établissement de « l’orthodoxie »
sunnite sous le califat abbasside dont un des dogmes majeurs a été le
caractère divin et éternel du Coran officiel, il devenait extrêmement
périlleux de mettre en doute l’intégrité de celui-ci. Seule une minorité
parmi les Shi’ites continua à soutenir discrètement la thèse de la
falsification et ce jusqu’à notre époque”…
“Dans une phase qui serait la plus ancienne, l’obscurité du texte coranique est dite être due à sa falsification. Différentes suppressions et ajouts, œuvre des ennemis de Muhammad, et de ‘Ali, ont complètement altéré la Révélation et entamé sa clarté initiale” (p.212).
‘Amir-Moezzi
veut penser que la mystification historique et les manipulations du
Coran sont motivées par le rejet de ‘Ali. Mais c’est la figure du chef
de guerre appelé Muhammad qui fut rejeté durant tout un temps, tellement
elle rappelait les origines judéo-nazaréennes. Ce n’est que 50 ans plus
tard, que cette figure fut tirée de l’oubli lorsque des opposants chiites se
mirent à l’utiliser par opposition à l’autorité du Calife de Damas (à
partir de 683). Très intelligemment, le Calife ‘Abd al-Malik sut
retourner la situation à son avantage, en faisant de cette figure même
le transmetteur inspiré du Coran (nouvelle version), dont le statut
faisait problème.
La continuelle occultation de l’histoire est la cause réelle de ce qu’Anne-Marie Delcambre a appelé la schizophrénie de l’islam (titre de son livre paru
en 2006 chez DDB) : « La caractéristique de la schizophrénie,
explique-t-elle, c’est de ne pas coller à la réalité et de s’enfermer
dans un monde surréel, avec des refoulements obligés qui ne peuvent
qu’aboutir au délire violent de persécution ». Mais l’auteure, quoique
mentionnant le judéo-nazaréisme, en reste encore à des explications très
psychologiques, présentant l’Islam comme une « religion de convertis » –
les convertis étant supposés être schizophrènes.
Mais le supposé Prophète de l’Islam était-il lui-même un converti ? Et par qui l’avait-il été ? Les convertis à
l’Islam doivent-ils être nécessairement schizophrènes, ou est-ce le
système qui, sous une forme antérieure, l’était déjà, ce qu’était la
mystique communiste – pour prendre une comparaison compréhensible par un
Européen pas trop jeune –? La poursuite d’un rêve éveillé sociétal est
le ressort de la « surréalité », selon le mot inventé par les dissidents
soviétiques pour décrire l’univers mental dans lequel vivait le monde
communiste et qui conduisait à rejeter la réalité en fonction du projet
de Salut auquel toute la terre devrait être soumise. Dans le monde
islamique, cette « surréalité » engendrant la schizophrénie s’appelle
Charia ; elle n’est cependant pas une invention musulmane : elle
existait depuis longtemps auparavant.
L’idée
de type mythologique et trop facile selon laquelle celui qui a été
surnommé Muhammad aurait été à l’origine de l’Islam doit être mise en
cause. Beaucoup tournent autour de cette question mais sans oser faire
le pas qui libérerait (enfin) leur recherche.