Le lieu de naissance du Président algérien est un curieux tabou. Les raisons? Abdelaziz Bouteflika est né à Oujda, au Maroc, ville d’un pays à la fois frère et ennemi.
Oujda est une ville marocaine, frontalière de
l’Algérie, à quelques 15 km de Maghnia, une ville algérienne qui lui
fait face tout en lui tournant le dos. Cette cité est connue pour ses
hôtels vidés après la fermeture des frontières en 1994, ses comptoirs pour les contrebandiers et par son histoire très algérienne.
Oujda est en effet l’une des rares villes étrangères qui a donné son
nom à une équipe qui s'est emparé du pouvoir en Algérie en 1962 et qui
l’a repris en 1999. On y retrouve donc des psychotropes algériens, de
l'essence par milliers de litres, les fameux Hallaba (passeurs de
carburant algériens), des proches d’algériens, des restes de l’histoire
de la guerre de Libération algérienne et même la maison où a grandi le
Président algérien, Abdelaziz Bouteflika.
Pour l’étranger humble et curieux qui veut comprendre, voici un rappel de l’histoire locale. Durant la période de la guerre d'Indépendance est née l'Armée de libération nationale.
Mal équipée, cette organisation va au fur et à mesure se moderniser.
Avec le temps, et pour mieux préserver ses forces et son avenir
politique, elle se divise en deux: un front interne qui sera disséminé
par la France de 1954 à 1959 et deux fronts externes, des armées des frontières, en Tunisie à l’est et au Maroc à l’ouest.
Dans ce dernier pays, la capitale de l’armée algérienne de l’époque était Oujda. C’est ce qui donnera le nom de «clan de Oujda» à l’une des familles guerrières de l’indépendance. Celle du Général Boussouf, père des «renseignements»
algériens et des polices politiques, qui naîtront plus tard sur son
héritage. Celle de Benbella le premier Président algérien et celle de
Houari Boumediene, l’auteur du premier coup d’Etat algérien.
A Oujda naissent, grandissent, se nourrissent et s’entraînent donc,
des officiers algériens qui seront par la suite célèbres, illustres et
puissants. Pour faire simple, à l’indépendance, en 62, la France s’en va
et se pose la question de savoir qui va prendre le pouvoir: les
rescapés du front interne malmenés et désarmés ou les puissants colonels
des armées des frontières, mieux équipés, plus organisés et plus
puissants? Une guerre fratricide en décidera.
C’est la fameuse crise de l’été 1962 qui oppose un gouvernement provisoire et un Etat-major armé. Le 4 septembre 62, Ahmed Benbella (natif
de Maghnia, juste en face de Oujda), en doublure de Houari Boumediene,
entre finalement en conquérant à Alger. C’est le fameux clan de Oujda
qui sort vainqueur avec une singularité : Boumediene est un Chaoui (NDLR: un groupe ethnique berbère) de l’est, mais sa famille idéologique est de l’ouest, de Oujda.
Le clan cette ville marocaine est donc puissant, fort et souverain à
l’indépendance et même cinquante ans après celle-ci. En face, selon les
algéro-sceptiques, il existe un clan kabyle, composé par le Patron des
patrons du renseignement, le Général Tewfik et par Ahmed Ouyahia l’actuel Premier ministre, ainsi qu'un clan chouï supposé être affaiblit par la «démission» de Liamine Zeroual,
Président-général de l’Algérie durant les années 90. Selon le mythe, la
présidence est plus ou moins cyclique et tournante entre ces familles.
Depuis 1999, c’est en tout cas Bouteflika qui est à la tête du pays.
Le Clan de Oujda II
Il existe un clan numéro 2 de Oujda. C’est ce que pensent, disent et
affirment des, ou les Algériens amateurs de l’explication tribale.
Bouteflika est en effet né à Oujda, c’est un enfant spirituel de
Boumediene et l’un des officiers qui a attendu la libération pour
prendre le pouvoir en 1962.
Le clan de Oujda II n’est cependant pas composé aujourd'hui
d’officiers supérieurs putschistes, mais de ministres, de très hauts
cadres et de conseillers ou préfets. Jusqu’à une récente date, la moitié
du gouvernement et les deux tiers des corps des préfets étaient
prétendument né à M’sirda, un hameau de légende dans la région de
Tlemcen, tout près de la frontière marocaine. «The Kingdom of Tlemcen», disent les acerbes.
L’ex-puissant ministre de l’Intérieur, Nourredine Zerhouni
est né à Tunis, mais il passé sa jeunesse à Meknès et Fès au Maroc,
tout en étant aussi originaire de Tlemcen. L’actuel ministre des
Affaires étrangères, Mourad Medelci, a vu le jour à Tlemcen, tandis que
l’ancien ministre algérien du pétrole, Chakib Khellil est né à Oujda et
est lui-aussi originaire de Tlemcen. De quoi accréditer la thèse de
l’existence d’un Olympe algérien.
Le clan de Oujda compte aussi dans ses rangs des membres du pouvoir
algérien ayant des liens avec la région: le Directeur général de la
police, le ministre de la Justice, celui du Travail ou encore ceux de la
Santé, de l'Investissement ou de l'Intérieur.
Régionalisme bis?
Du coup, si l’Algérie compte 48 préfectures, dites wilayas, on y
parle encore, parfois avec sérieux ou parfois pour s’amuser, de la
réalité de seulement six wilayas. Celles dites historiques de l’époque
de la guerre d’indépendance. A savoir, est, ouest, sud, algérois etc...
Cette géographie, symbolique désormais, pèse encore dans les
alliances, les parentés, les manuels d’histoire, les reconnaissances,
les nominations, la politique et les choix pour le Sénat et l’Assemblée
nationale. Le tabou pèse aussi sur les choix d’investissements et ceux
des hommes d’affaires. Cela n’a pas donné une bonne régionalisation en
gouvernance, mais un bon régionalisme en politique.
Il existe cependant une singularité. Le régionalisme d’un clan au
pouvoir ne rapporte généralement rien à la région d’origine. C’est un
régionalisme à sens unique, expliquera un sociologue à l’auteur. La
région sert de tremplin, mais dès que le bonhomme est à Alger, il
refusera plus que les autres de recevoir les gens de sa région, pour
bien marquer son indépendance et son esprit anti-régionaliste. Les
pourvoyeurs de fonds de la première campagne électorale de Bouteflika en
1999, à l’ouest, en savent quelque chose.
Mais où est né Bouteflika?
Cette question est sans réponse sur le site officiel de la Présidence. On y lit: «Né le 2 mars 1937, Abdelaziz Bouteflika milite très tôt pour la cause nationale». Mais où? Au Maroc, selon les témoins. A Tlemcen, selon la version semi-officielle.
Un câble émis le 19 août 2005 par l’ambassade américaine à Alger et révélé par l’ange Wikileaks, révèle
que Bouteflika a clairement expliqué à une délégation des Etats-Unis
qu’il est né à Oujda, au Maroc. Ce pays où son père a trouvé refuge et
où certains s’en rappellent même aujourd’hui, selon des journaux, évoquant «un jeune garçon toujours élégant, poli et charmeur».
Le tabou est devenu amusant et revient dans l’actualité lors des
cycliques polémiques sur la marocanité des dirigeants algériens
officiellement les plus anti-marocains. Il y a quelques mois, Ahmed Benbella,
l’un des présidents algériens a révélé sa marocanité lors d’un long
entretien avec l’envoyé spécial de l’hebdomadaire Jeune Afrique. «Même
si je suis né en Algérie, même si j’y ai vécu, même si j’ai été le chef
de la révolution algérienne, ma mère et mon père étaient tous deux
marocains» , a-t-il dit.
C’est «le pavé dans la mare identitaire», titre Chawki Amari l’un
des chroniqueurs d’El Watan. Le sujet est en effet souvent de retour
quand l’Algérie a mal, s’ennuie, hésite à ouvrir les frontières avec le
Maroc ou se cherche des Algériens plus Algériens que les Algériens.
Passons donc.
Pourquoi en reparler aujourd’hui?
Parce que Bouteflika a mal, justement. Un Président qui souffre de la
frontière. Le 23 janvier 2012, le tout frais ministre marocain des
Affaires étrangères, Saâdeddine El Othmani, débarque à Alger pour un premier pas de bonne volonté après l’élection d’un gouvernement islamiste au royaume de Mohammed VI.
Bouteflika est heureux et, en infraction par rapport aux usages
protocolaires, il reçoit le ministre marocain pendant trois heures et
l’invite même à déjeuner. De quoi ont discuté les deux hommes? Selon les
confidences de Saâdeddine El Othmani aux journalistes marocains,
Bouteflika lui a demandé des nouvelles de gens qu’il a connu là-bas et
lui a apparu comme nostalgique. Oujda est une ville où il «n’est pas né» officiellement, mais qui lui manque terriblement, officieusement.
Pourquoi cache-t-il qu’il est né à Oujda?
Parce que. Les réponses sont du domaine de la psychologie, celle de
l’individu ou des foules. Du domaine de la politique et de la pureté de
la naissance «nationale», aussi. D’abord dans le cadre de
l’ultranationalisme algérien, on est algérien par généalogie et la
nationalité impose la condition du lieu de naissance et celle de la
nationalité des géniteurs.
Ensuite, il s’agit d’histoires personnelles au plus haut sommet de
l’Etat: le Maroc est un frère ennemi assis, on ne peut pas à la fois
fermer les frontières, lui faire (ou en subir) deux ou trois guerres de sables,
lui tourner le dos pendant qu’il vous tourne le dos, l’accuser de
monarchisme par des révolutionnaires vieillis et lui supposer une
adversité constante tout en étant né au Maroc.
Cela gène un peu la pureté du nationalisme de souche, alimente la
bouche des adversaires politiques nés en Algérie, suppose une sorte de
trahison passive à la naissance ou une tiédeur du nationalisme
génétique. On ne sait pas. On ne sait plus. L’essentiel est donc dans la
manie: cacher être né à Oujda, au Maroc. C’est un droit souverain et
rare que celui de pouvoir changer de lieu de naissance, même 70 ans
après les faits.
Kamel Daoud
http://www.slateafrique.com/82247/le-mystere-du-lieu-de-naissance-de-bouteflika
17/12/2013
http://www.slateafrique.com/82247/le-mystere-du-lieu-de-naissance-de-bouteflika
17/12/2013