Certains lobbies américains sont d’une
puissance telle que les politiciens américains rampent piteusement à
leurs pieds, sachant que s’ils s’élèvent pour défendre un intérêt
national américain, leur carrière sera menacée, en particulier quand il s’agit d’Israël ou des armes à feu.
Le problème des groupes d’intérêt, ou lobbies, était l’un des
principaux sujets d’inquiétude des Pères Fondateurs des États-Unis. A
leur époque, ces groupes de pression étaient appelés factions.
James Madison, considéré comme l’architecte de la Constitution
Américaine, a consacré à ce problème un numéro entier (le dixième) du
Federalist Paper en 1787. Il y définissait une faction comme « un
certain nombre de citoyens, qu’ils soient majoritaires ou minoritaires
[...] mus par quelque intérêt… commun, opposé… à l’ensemble des intérêts
de la communauté », et pensait que dans le contexte du républicanisme libéral, il était impossible de les éliminer.
Madison pensait néanmoins qu’on pouvait les contrôler. Dans ce but,
il tenta de créer des corps représentatifs comportant de très nombreux
délégués et une grande variété d’intérêts dans l’espoir qu’ils se
contrebalanceraient les uns les autres.
Lorsque George Washington prononça son célèbre Discours d’Adieu en
1796, lui aussi constata le problème. Washington mit en garde contre
l’existence d’« alliances et associations » qui tentent de « diriger, contrôler, contrecarrer et intimider les délibérations et les actions normales des autorités constituées », et ainsi de substituer leurs propres désirs à « la volonté de la nation confiée à ses représentants».
Comme le souci persistant de Washington l’impliquait, l’approche de
James Madison pour contrôler les intérêts particuliers des factions ne
s’est jamais révélée adéquate.
Lobbification
Aujourd’hui, le problème est toujours là, et il est pire que jamais. C’est pourquoi, en avril 2011, j’ai inventé le terme de « lobbification »
pour décrire le processus corrupteur qui soumet les politiciens à la
volonté d’intérêts privés, c’est-à-dire à la volonté des lobbies. Ce par
quoi ce processus est rendu possible est, évidemment, l’argent,
habituellement sous la forme de contributions aux campagnes des
politiciens.
Si le politicien défie le lobby faisant l’offre (un événement rare
mais pas inouï), ces intérêts privés reporteront leur soutien sur
l’adversaire électoral du politicien rétif. Le résultat est que beaucoup
de politiciens agissent en parfaite conformité avec les demandes de
nombreux et puissants intérêts privés.
James Madison croyait que le processus corrupteur était la
conséquence de la nature humaine – l’intérêt personnel en action.
Peut-être en est-il ainsi, mais les résultats n’en sont pas moins
débilitants. La lobbification a créé des réactions qui sont si
pavloviennes qu’aujourd’hui, les politiciens qui sont dans cet état
d’esprit ne peuvent plus différencier les intérêts particuliers de ces
puissantes factions auxquelles ils sont redevables, des intérêts réels
nationaux ou locaux de leur pays ou de leur communauté.
Deux exemples
Voici deux exemples récents de la puissance de la lobbification.
1- Le
18 juillet, en réponse aux pressions du lobby sioniste, le sénat
américain a voté unanimement le soutien à l’attaque en cours d’Israël
sur la bande de Gaza. Ceci étant le fait d’un Congrès connu pour son
incapacité à s’accorder sur à peu près n’importe quelle législation
importante pour son propre pays !
Les sénateurs ont voté leur soutien, bien que l’offensive israélienne
ait été de même nature que les attaques allemandes sur Londres durant
le Blitz, et la destruction par les alliés de la ville allemande de
Dresde vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Autrement dit, les
Israéliens étaient engagés dans une opération à grande échelle ciblant
des populations civiles. C’est un crime de guerre qui ne peut être
présenté comme un acte d’autodéfense. Pourtant, le sénat américain,
comme un seul homme, a publiquement soutenu ce comportement criminel.
Il faut noter ici qu’il y avait de sérieuses divergences d’opinion
sur le comportement israélien parmi la population américaine – c’est à
dire, celle qui compose le Sénat. Mais les sénateurs semblaient
immunisés aux débats populaires et ont réagi comme s’ils représentaient
le lobby sioniste, et pas le peuple américain.
2- Sur le plan intérieur, une loi significative, nationale ou locale,
réglementant les armes à feu s’avère politiquement impossible à cause de
l’influence de la National Rifle Association (NRA). Cela en dépit de la
prolifération des morts et blessures en lien avec les armes à feu, dans
nos maisons, dans nos rues, et dans nos écoles.
Besoin de réglementation
Madison avait raison sur un point : la réglementation de la capacité
des factions/intérêts privés/lobbies à influencer les politiciens et les
politiques est une absolue nécessité. Cependant, nous nous heurtons là à
un dilemme inextricable. Ce projet de loi de réglementation et d’autres
efforts en rapport comme la réforme du financement des campagnes
doivent provenir des ces mêmes politiciens qui sont financièrement liés
aux intérêts privés.
A l’instar des grands drogués, ces hommes politiques semblent incapables de se désintoxiquer.
S’il y a une façon de sortir de ce dilemme, elle doit venir du grand
public. Le mécontentement de longue date envers les politiciens,
spécialement au niveau national, doit être canalisé en une campagne
populaire pour libérer les législateurs et les décideurs politiques de
l’influence de ces intérêts privés.
Envisagez-le comme un effort pour se débarrasser d’un obstacle
historique à une bonne façon de gouverner. Si cela n’advient pas, les
politiques étrangères qui ont fait naître tant d’hostilité
antiaméricaine à travers le monde, et la politique intérieure qui a
permis le meurtre aveugle de tant de citoyens innocents, continueront et
en fait empireront.
Lawrence Davidson
professeur d’histoire à la West Chester University de Pennsylvanie. Il est l’auteur de America’s Palestine: Popular and Official Perceptions from Balfour to Israeli Statehood; and Islamic Fundamentalism.
Source : Consortium News, le 27/10/2014
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.