mercredi 2 juillet 2014

En 2004, la CIA planifiait le Califat pour 2020



Fin 2004, la CIA déclassifie un rapport dans lequel elle présente un scénario où elle imagine la naissance d’un nouveau califat autour de 2020. Au regard du printemps arabo-musulman auquel nous assistons, ce rapport prend des dimensions autant prophétiques que troublantes…

 « Un nouveau califat », est l’un des chapitres du rapport de la CIA  intitulé : « Mapping the Global Future : Report of the National Intelligence Council’s 2020 Project». Un rapport qui se proposait de prévoir quelle sera la situation géopolitique mondiale en 2020. Il a été établi par des membres de la CIA et des militaires,  après consultation d’experts non gouvernementaux, notamment un ancien membre de la compagnie pétrolière Shell. Officiellement parce que celle-ci dispose d’un département très compétant, spécialisé dans la prévision des risques industriels liés aux situations géopolitiques. Mais qu’une compagnie pétrolière soit (indirectement) consultée par la CIA dans un rapport qui parle notamment des pays arabes (dont certains sont producteurs de pétrole, pour rappel), cela peut paraître troublant. Le document fut porté à la connaissance du public français en 2005 par le journaliste Alexandre Adler, dans son livre « Le rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ? ».
Ce qu’il y a d’original dans « un nouveau califat », c’est la forme que prend ce chapitre : celle d’une lettre qu’un (imaginaire) petit fils de Ben Laden adresse à l’un des membres de sa famille. Notez que dans ce scénario Oussama Ben Laden est décédé (on ne sait comment), alors qu’il n’aurait eu que 63 ans en 2020 (on peut penser que la CIA comptait lui avoir fait la peau d’ici là).

Le scénario reste volontairement flou sur le personnage qui s’auto-proclame nouveau calife : on ne sait pas d’où il vient, ni qui il est exactement. On sait simplement qu’il s’agit d’un jeune prêcheur, de tradition sunnite, et non entaché d’actes terroristes comme Ben Laden (qui lui aussi croyait à un nouveau califat nous explique-t-on). Notre jeune prêcheur est tellement charismatique que le nombre de ses disciples croît de manière exponentielle. Sa « révélation » comme successeur de Mahomet est ainsi admise par un nombre phénoménal de musulmans de tous les pays – comme s’il s’agissait du 6e calife bien guidé- , y compris ceux des pays occidentaux : « En Europe et en Amérique les musulmans non pratiquants ont pris conscience de leur véritable identité et de leur foi et, dans certains cas, ils ont quitté leurs parents occidentalisés, les laissant tout décontenancés, pour regagner leur terre natale. ».
Dans ce scénario, le calife est donc un puissant guide spirituel, mais son califat est encore virtuel car il  ne repose pas encore sur un territoire concret : « Quand le califat fut proclamé, l’espérance était que certains régimes soient aussitôt renversés. Mais cela ne s’est pas encore produit. Au lieu de quoi, il existe encore des poches où se nichent des disciples qui accomplissent un travail de sape dans bien des États, sans réussir encore à renverser ces régimes.».. S’il y a des califes bien guidés, il y aurait donc aussi des islamistes bien téléguidés. Depuis ce mois de juin 2014, le Califat dispose d'un territoire vaste et riche en hydrocarbures.
Dès 2004, lors de l’élaboration de ce scénario du « nouveau califat », la CIA soulignait justement l’importance stratégique d’Internet : « Ah, Internet – tout à la fois le salut et un piège tendu par le diable. C’est cet outil qui amène le calife si près du pouvoir total, en diffusant largement son appel. Mais c’est aussi une arme brandie par nos ennemis. Il est de plus en plus de fidèles qui observent la manière de vivre des autres, en Occident, et ils veulent les même choses, sans saisir tout le vice qui va de pair ». Une arme à double tranchant, que les Américains semblent bien avoir utilisée pendant le printemps arabe
Dans ce rapport, la CIA imagine une résurgence des troubles entre sunnites et chiites, en Irak particulièrement. Des troubles alimentés aussi bien par les Iraniens que… par les Américains. La CIA ne manque en effet pas d’humour lorsqu’elle fait dire au petit-fils de Ben Laden : « Et là-dessus nous avons suspecté l’Irak, dominé par les chiites, et, derrière l’Irak, les États-Unis et la CIA, d’alimenter le tumulte. Mais si les Américains infidèles étaient derrière tout cela – et je crois que c’était le cas -, ils en ont aussi subi les conséquences. (…). Les insurgés se sont proclamés comme appartenant au véritable califat, et ils ont repris la lutte, à la fois contre les chiites et contre les garnisons américaines ». Au passage, notez que la CIA envisage une présence américaine en Irak jusqu’en 2020 (au moins).
Les Américains ont aussi envisagé que des troubles auraient lieu dans la péninsule arabique, une situation proche de ce qui s’est passé pendant le printemps arabe à Bahreïn : « Avec son importante population chiite, la province saoudienne de l’Est, où sont situés les champs pétrolifères, était particulièrement vulnérable. Les chefs d’État du Golfe ont aussi joué leur rôle. ». 
La problématique pétrolière est développée dans le scénario. La CIA  fait en effet dire au petit-fils de Ben Laden : « (…) des rumeurs circulaient sur les projets des États-Unis et de l’OTAN pour s’emparer des champs pétrolifères, afin de se prémunir contre toute prise du pouvoir par le califat. Par la suite, nous avons appris que les États-Unis n’étaient pas parvenus à convaincre leurs alliés de se joindre à eux dans une intervention militaire, et Washington craignait de provoquer une réaction brutale du monde musulman».
Que les Américains se rassurent : en Irak et en Libye, ils ont été suivis. Les Britanniques, ayant retenu la leçon irakienne, ont refusé de les suivre en Syrie : ce qui a refroidi leurs ardeurs belliqueuses, malgré les va-t-en-guerre sionistes français.
Une chose est sûre : les Américains ont imaginé la possibilité d’un printemps arabe, dans des proportions qui rejoignent les rêves les plus fous des islamistes : l’émergence d’un nouveau califat, qui transcenderait toutes les nations musulmanes ! 

Hannibal Genseric